Déposer est-ce contrefaire ?

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Fabienne Maucarré [1]
Décembre 2021



Il n’était pas si évident jusqu’à présent de savoir si le dépôt d’une marque française pouvait être qualité de contrefaçon. La question s’est à nouveau récemment posée et les juges ont tranché ! 


La réforme du droit des marques d’il y a 2 ans en France a modifié les anciens articles L. 713-2 et L. 713-3 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) en un nouvel article L. 713-2 du CPI prévoyant que : « Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services d'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ou d'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque. ».


Il ressort donc clairement d’une première lecture de cet article que la contrefaçon est exclusivement conditionnée par un usage dans la vie des affaires. Dès lors, que faut-il entendre par usage dans la vie des affaires ?


Le CPI précise de manière non exhaustive que des actes ou usages tels que l’apposition du signe sur un produit ou encore l’usage du signe comme nom commercial font partie du périmètre sanctionnable.


Le dépôt d’une marque n’est en revanche pas expressément cité. Doit-on comprendre qu’il n’est pas considéré par la loi nouvelle comme étant constitutif d’un usage dans la vie des affaires ? Ne pourrait-on pas considérer que le dépôt d’une marque auprès de l’INPI résulte bien d’un acte public ou encore que le dépôt d’une marque pourrait être un acte préparatoire témoignant à tout le moins d’une intention d’usage ?


A contrario, ne devrait-on pas considérer, par une lecture plus restrictive des textes, que déposer n’est pas exploiter une marque ce qui fait écho à l’obligation d’usage en droit des marques.


Les Juges ont récemment apporté un éclairage aussi limpide que renversant. Par un Arrêt du 13 octobre 2021 (Affaire Malongo), la Chambre commerciale de la Cour de Cassation a estimé que « le dépôt d’une marque annulée, qui est réputée n’avoir pas existé, ne peut à lui seul constituer un acte de contrefaçon ».


Revenons plus en détails sur les faits : la société MALONGO commercialisant des machines à café détient la marque verbale XPOD depuis 2005. Elle assigne la société TECHNOPOOL, titulaire de la marque postérieure Z POD, afin de solliciter notamment l’annulation de cette dernière.


La Cour d’Appel de Paris annule la marque Z POD en raison d’un risque de confusion avec la marque antérieure XPOD mais déboute la société MALONGO de sa demande en contrefaçon car elle ne reconnaît pas la contrefaçon de la marque XPOD au motif que le dépôt d’une marque annulée ne saurait être constitutif d’une contrefaçon.


La société MALONGO a donc formé un pourvoi en cassation afin que la contrefaçon de sa marque soit reconnue et fait valoir, en s’appuyant sur la jurisprudence antérieure, que le dépôt à titre de marque d’un signe contrefaisant un signe antérieur protégé constitue un acte de contrefaçon indépendamment de toute exploitation. Le pourvoi est donc rejeté.


Par un autre Arrêt du même jour (Affaire Wolfberger), la Cour a également tranché en ce sens. Quatre critères cumulatifs ont ainsi été précisés par la Cour pour qualifier un acte de contrefaçon : l’utilisation du signe dans la vie des affaires, l’absence de consentement du titulaire du signe antérieur, des produits ou services en cause identiques ou similaires ainsi que l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public portant ainsi atteinte à la fonction essentielle de la marque.


Le dépôt d’une marque qui n’est pas constitutif d’un usage dans la vie des affaires ne saurait par conséquent être qualifié d’acte de contrefaçon.


Par ces décisions, il est ainsi mis fin à une jurisprudence parfois contradictoire qui ne permet plus de sanctionner le dépôt d’une marque qui porterait atteinte à un droit antérieur par une action en contrefaçon auprès des instances judiciaires.


Il en résulte que seule l’utilisation effective du signe pour désigner des produits ou services peut constituer un acte de contrefaçon, à l’exclusion du simple dépôt à titre de marque qui ne porte pas atteinte à la fonction essentielle d’indication d’origine de la marque.


Ces décisions en rupture avec la jurisprudence antérieure française se conforment à la loi nouvelle transposant le droit de l’Union Européenne. Cette position est désormais enfin en totale adéquation avec la jurisprudence bien assise de la Cour de Justice de l’Union Européenne (plus particulièrement les Arrêts Daimler du 3 mars 2016 / O2 Holdings et O2 du 12 juin 200).


Est-ce pour autant que le dépôt d’une marque échappe à toute sanction ? Bien au contraire, les procédures d’opposition et en nullité permettent de solliciter le rejet d’une demande d’enregistrement ou la nullité d’une marque enregistrée sur le fondement de droits antérieurs auxquels une atteinte est portée.


Ces procédures plus rapides et économiques s’imposent donc avec ce revirement de jurisprudence ce qui désencombrera en partie les Tribunaux.


Ces derniers n’allouaient d’ailleurs pas de dommages et intérêts en cas d’annulation d’un dépôt ou enregistrement de marque ce qui est une raison additionnelle de ne pas systématiquement recourir aux instances judiciaires.


Bien que sanctionné, le dépôt d’une marque, qu’il soit suivi ou non d’un enregistrement, ne constitue pas un acte de contrefaçon en France.


Si un déposant n’est pas un contrefacteur, ce premier devient bien souvent contrefacteur par l’usage de sa marque litigieuse.


Il reste donc essentiel de surveiller ses propres marques pour agir en amont mais également l’usage des marques détectées pour une défense optimale.