Des limites de la qualité de consommateur
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris
19 septembre 2022

20 avril 2022 Cour de cassation Pourvoi n° 20-19.043 [1]l
La personne physique qui souscrit un prêt personnel pour financer l’acquisition de parts sociales est-elle encore un consommateur ? Telle était, en substance, la question posée à la Cour de cassation dans un récent arrêt Cass. Civ. 1re, 20 avril 2022, n° 20-19043[2]).
Au cas d’espèce, deux époux souscrivent en 2007 un prêt personnel destiné à financer l’acquisition de parts sociales. Il semble que le prêt n’indiquait pas dans quelle société ces parts devaient être acquises. Il était soutenu par la banque que les parts acquises étaient celles d’une société exploitant un fonds de commerce de boulangerie, dans lequel les deux époux étaient salariés.
La banque concluait
donc à la qualité de professionnels de ses emprunteurs. A l’inverse, ceux-ci soutenaient n’être que des consommateurs, ce dont il s’inférait qu’ils pouvaient bénéficier de la prescription biennale de l’article L. 218-2 C. Conso.
La cour d’appel (Aix-en-Provence, 18 juin 2020) avait tranché en faveur de la qualification de professionnels, excluant de ce chef le jeu de la prescription biennale, réservée aux seuls consommateurs. L’arrêt d’appel retient que l'opération était destinée à financer l'acquisition de parts sociales, ce qui exclut que les emprunteurs puissent être considérés comme des consommateurs.
La censure est prononcée au seul visa de l’article L. 218-2précité. L’article liminaire du Code de la consommation, qui définit le consommateur comme « toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole », n’est pas sollicité.
Pour la Haute juridiction, « la personne physique qui souscrit un prêt destiné à financer l'acquisition de parts sociales ne perd la qualité de consommateur que si elle agit à des fins qui entrent dans le cadre de son activité professionnelle ».
Dit autrement, « l'acquisition de parts sociales ne suffisait pas, à elle seule, à exclure la qualité de consommateur des emprunteurs ».
La règle énoncée paraît empreinte de bon sens. Toute acquisition de parts sociales n’emporte pas renversement de la présomption. Celui qui acquiert des parts d’une SCI destinée à assurer le logement de la famille n’agit pas à des fins professionnelles.
A l’inverse, au cas d’espèce, si les parts sociales acquises étaient bien celles d’une société exploitant un fonds de commerce de boulangerie dans lequel travaillaient les deux époux emprunteurs, la qualité de consommateur paraît discutable.
On pourra in fine s’étonner que la cassation fût prononcée pour violation de la loi. Une cassation pour manque de base légale n’aurait-elle pas suffi, si la Cour entend simplement exiger des juges du fond qu’ils motivent mieux leur décision (ce que laisse augurer la formule « l’acquisition de parts sociales ne suffisait pas, à elle seule (…) » ?