Des mystères de la perpétuité
France > Droit privé > Droit civil > Droit des contrats
Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris

Cass. com., 11 mai 2022, n° 19-22.015 [1]
Le vice de perpétuité se tapit parfois dans l’ombre du contrat à durée déterminée.
Si le droit positif prohibe les engagements perpétuels, il ne définit pas ce qu’est un engagement perpétuel. Rares sont les contrats dans lesquels la perpétuité est expressément stipulée. Il faut le plus souvent sonder les reins et les cœurs pour voir si, derrière les apparences, le contrat n’instaure pas une forme de perpétuité.
Ici, ce sera la durée excessive du contrat, rapportée à la vie humaine, qui caractérise la perpétuité. Là, ce sera la possibilité réservée à une partie d’imposer à l’autre le renouvellement du contrat.
Au cas d’espèce, la perpétuité était encore mieux cachée. Le montage contractuel étant complexe, on le simplifiera. Était en cause un contrat de location de matériel informatique, d’une durée initiale de 42 mois. Le contrat comportait une « option d’échange », permettant au locataire d’échanger tous les 6 mois le matériel contre un matériel plus récent. L’option d’échange avait pour effet de renouveler le contrat pour 42 mois.
Le locataire avait la possibilité de résilier l’option d’échange, ce qui avait pour effet de le contraindre à continuer à louer le matériel ancien (obsolète ?) pendant la durée initiale, soit 42 mois.
Le loueur soutenait que le contrat était, non pas perpétuel, mais à durée déterminée (42 mois), ce qui avait emporté la conviction des juges du fond (Paris, 24 mai 2019).
L’arrêt est censuré pour manque de base légale. La Haute juridiction reproche aux juges du fond d’avoir repoussé le vice de perpétuité « sans rechercher si, s'agissant d'un contrat évolutif de location de matériels informatiques, dont chaque modification relative aux matériels loués avait pour effet de reconduire la durée du contrat pour une période de 42 mois, l'impossibilité de faire usage des options d'échange pendant la totalité de cette même durée […], n'était pas de nature à priver la société Bois & matériaux de la possibilité d'adapter son matériel aux besoins de son exploitation et donc d'une caractéristique substantielle du contrat, sauf à accepter la reconduction systématique du contrat, la soumettant ainsi à une obligation infinie ».
En d’autres termes, la cour d’appel aurait dû, sans s’arrêter aux apparences, vérifier si, en pratique, le montage contractuel n’avait pas pour effet de contraindre le locataire soit à conserver un matériel potentiellement obsolète et donc inadapté à ses besoins, soit à accepter une reconduction systématique pour 42 mois. Où l’on voit que le juge débusque la perpétuité dissimulée.
Une dernière remarque : la sanction de la perpétuité a évolué. Les faits de l’espèce datant de 2013, ils étaient soumis à l’ancien régime, qui sanctionnait les engagements perpétuels par la nullité. Depuis l’ordonnance du 10 février 2016, ces engagements ne sont plus nuls, mais requalifiés en CDI (art. 1210 C. civ.).