Déséquilibre significatif : enfin du concret?

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris

19 septembre 2022


 20 avril 2022 Cour de cassation Pourvoi n° 20-16.316' [1]'

Il y a quelque temps (L. Thibierge, « Le contrat d’adhésion : beaucoup de bruit pour rien ? », RJDA 11/21, p. 963) , nous observions que le juge ne se saisissait guère de l’article 1171 C. Civ. Soit il considérait n’être pas en présence d’un contrat d’adhésion, soit que la clause litigieuse ne créait pas de déséquilibre significatif.

Depuis, la Haute juridiction a réduit à peau de chagrin le champ de l’article 1171 (Cass. Com., 26 janvier 2022, n° 20-16.782).

Il est pourtant des rares hypothèses dans lesquelles l’existence d’un déséquilibre significatif est admise. Soulignons-le d’emblée, le terrain diffère : il n’est pas ici question de Code civil ou de Code de commerce mais du Code de la consommation. Ceci posé, les trois textes (1171, L. 442-1 et L. 212-1) procèdent tous d’un même mouvement : la lutte contre les déséquilibres significatifs n’ayant pas été librement consentis.

Au cas d’espèce (Com., 20 avril 2022, n° 20-16316), une banque consent à un consommateur un prêt d’ 1,5 million d’euros ou « l'équivalent, à la date de tirage du prêt, dans l'une des principales devises européennes, dollars américains ou yens japonais ». Le prêt est tiré en francs suisses puis converti en euros.

L’emprunteur entendait voir réputer non-écrite la clause de monnaie étrangère.

Pour les juges du fond, la clause de monnaie étrangère ne créait pas de déséquilibre significatif, car « le risque de variation du taux de change ne dépend pas de la volonté des parties, et en particulier de celle de la banque », et parce que « l'emprunteur était maître du choix de la devise dans laquelle le prêt était tiré, ce dont il résulte que la banque n'a nullement imposé à l'emprunteur une devise à son détriment ».

La Haute juridiction censure au visa del’article L. 132-1 C. Conso, et de la jurisprudence de la CJUE (10 juin 2021, aff. C-776/19 à C-782/19), selon laquelle la clause de monnaie étrangère peut créer un déséquilibre significatif si (nous simplifions) la banque n’a pas expliqué clairement à l’emprunteur les risques qu’elle génère.

S’inscrivant dans les brisées européennes, la Cour relève que « les documents remis au consommateur ne lui permettaient pas d'évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, de la clause (…) ce dont il résultait que la banque n'avait pas satisfait à l'exigence de transparence à l'égard du consommateur ».

Et la Cour de censurer les juges du fond pour avoir conclu à l’absence de déséquilibre significatif.

Disons-le tout net : nous ne sommes pas convaincus de cette acception du déséquilibre significatif mâtiné de transparence. Ne faut-il pas apprécier le déséquilibre significatif de manière objective ? C’est une chose de savoir si une clause emporte un déséquilibre. C’en est une autre, nous semble-t-il, de savoir si elle a été librement acceptée, en toute connaissance de cause.