Déséquilibre significatif : la peau de chagrin

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
France  > Droit privé > Droit civil > Droit des contrats spéciaux


Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris


Voici un arrêt attendu ! Depuis 2016, l’on se demandait comment articuler les textes relatifs au déséquilibre significatif.

Rappelons les forces en présence.

L’art. 1171 C. Civ. répute non-écrite, « dans les contrats d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».

L’art. L. 442-1 I 2° C. Com. sanctionne le fait de « soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

L’art. L. 212-1 C. Cons. juge abusives « les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».

Trois textes, trois domaines ? Voilà qui serait simple : au consommateur l’article L. 212-1, au professionnel l’article L. 442-1 et à celui qui n’est ni l’un ni l’autre (mais qui alors ?) le droit commun des contrats.

En témoigne un récent arrêt (Cass. Com., 26 janvier 2022, n° 20-16782 [1]). Une société Green Day conclut un contrat de location de matériel avec Locam. Les conditions générales de Locam contenaient une clause résolutoire, dont Green Day contestait la validité, au motif qu’elle serait stipulée dans un contrat d’adhésion (des conditions générales) et déséquilibrée (du fait de son absence de réciprocité).

Locam soutenait en réponse que l’article 1171 du Code civil était inapplicable dès lors que les parties étaient des professionnels, relevant tous deux de l’article L. 442-1.

Pour décider si un professionnel peut également se prévaloir du droit commun, la Cour de cassation se tourne vers les travaux parlementaires de la loi de ratification. Le procédé, qui peut passer pour une approche téléologique, est en réalité discutable. Comment justifier la rédaction d’un texte issu de l‘ord. du 10 février 2016 par l’intention des auteurs d’une loi postérieure ? Quel poids donner à cette interprétation législative rétrospective de l’ordonnance adoptée par le pouvoir exécutif ?

Quoi qu’il en soit, la Cour exhume les travaux parlementaires, lesquels semblent indiquer que l’article 1171 sanctionne les clauses abusives ne relevant pas des dispositions spéciales des articles L. 442-1 C. Com. et L. 212-1 C. Cons.

Le champ d’application de l’article 1171 se définit alors en creux, selon la chambre commerciale : il ne concerne que les contrats qui « ne relèvent pas de l’article L. 442-1 », parmi lesquels la location financière (Com., 15 janvier 2020, n° 18-10512 [2]).

L’article 1171 est ici ravalé au statut de supplétif, ne s’appliquant qu’aux rares hypothèses où l’article L. 442-1 (dont la vocation est quasi-universelle) serait matériellement inapplicable.

Où la vocation généraliste du droit commun se réduit à peau de chagrin.