Discours de la Rentrée Solennelle du Barreau de Paris, Martin DESRUES (Deuxième Secrétaire de la Conférence) (fr)

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DISCOURS DE LA RENTREE SOLENNELLE 25 novembre 2016

Martin DESRUES (Deuxième Secrétaire de la Conférence)

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Son lacet … est défait !

Et ça m’énerve.

Je n’ai jamais supporté les lacets défaits.

Le gendarme dans le box à ma droite avait son lacet noir qui traînait sur le plancher.

Si quelqu’un a son lacet défait, c’est forcément qu’il l’a mal fait …

Les lacets sont faits pour être noués, doucement … avec les doigts. Et à la fin, on serre fort pour que ça tienne.

Les gens m’ont toujours pris pour un marginal, un peu sale et négligé.

Mais ils se trompent, j’ai toujours été propre, les mains propres, avec des vêtements propres et les lacets bien faits.


Mais c’est pour ça que je détestais Christiane, heu … ma sœur …, elle avait toujours un truc de défait.

Un lacet, une boucle, un bouton …


Jeanne, ma mère adoptive, elle nous avait pas élevés comme ça. Elle était très maniaque.

Fallait que tout file droit et qu’on soit propre sur nous.

Mais en fait, tout est parti de là, le jour où j’ai voulu étrangler ma sœur avec une barre de fer.

Et tout ce qui s’est passé ensuite n’a été qu’un enchaînement logique.


***


Lundi 19 mars 2001.

Toutes les caméras me filment quand j’entre dans le box, avec mon survêtement vert et mon gilet de laine grise par-dessus.

Je comparais pour onze faits.

Alors … assassinat …sept, tentative de meurtre … une, agression sexuelle … trois.


Ils sont tous là pour voir « le Tueur de l’Est parisien », recherché pendant sept ans par la Brigade Criminelle, jusqu’au jour de son interpellation, le 26 mars 1998, métro Blanche, juste à côté du Monoprix, Boulevard de Clichy.


L’audience commence, je me lève.

Le Président s’adresse à moi :

« Bonjour Monsieur, vous vous appelez Guy Georges. »

J’réponds :

- C’est pas mon vrai nom. Je m’appelle Guy RAMPILLON.

Il enchaîne :

«  Vous êtes né ? … »

- 15 octobre 1962


« Métier ? »

- Sans.

« Adresse ? »

- Sans.


***

Mon surnom ça a toujours été « Joe », j’aimais pas qu’on m’appelle Guy.

« Guy » ça fait vieux et ça fait con, c’est comme « Georges » … Du coup, ça fait con deux fois !

J’ai pas de nom, pas de famille, pas de lignée, pas de sang dans les veines.

Mon nom, on me l’a retiré quand j’avais six ans comme on confisque un jouet, sauf qu’on me l’a jamais rendu.

A la place, ils ont dû bricoler, alors ils ont pris deux prénoms.

Je suis Guy et je suis Georges.

Georges …, plus Rampillon … non, GEORGES !!!

Georges comme une identité tronquée, comme une gorge tranchée.


***


Pendant sa plaidoirie, mon avocat Alex Ursulet a lu à la Cour une lettre que j’avais écrite, à 21 ans, à la DDASS du Maine-et-loire.

Ca disait :

« Monsieur le Directeur, je m’appelle Guy GEORGES, je suis né le 15 octobre 1962 à Angers.

A ma naissance, je m’appelais RAMPILLON. Quelle est l’identité exacte de mes vrais parents ? Que sont-ils devenus ? Ai-je des frères et sœurs ? Pourrais-je les connaître ?

Je suis en âge de comprendre. Pourquoi m’ont-ils abandonné ?

Surtout, pourrais-je les retrouver ?

Pourquoi ai-je changé de nom et comment reprendre mon ancien nom ? »


Ils ne m’avaient jamais répondu à la DDASS.

Je pense qu’ils en avaient rien à foutre …


***


Vu que ma mère n’a jamais voulu de moi, comme mon père d’ailleurs …, j’ai été placé de nourrice en nourrice dès ma naissance.

En 1966, la DDASS a officialisé mon abandon.

En 1968, ils m’ont changé mon identité.

Ils ont effacé « Rampillon » et ils ont mis mon second prénom à la place, « Georges ».

A partir de là, je n’ai plus jamais eu de nom de famille.

Je m’appelais juste Guy Georges.

J’avais à peine six ans, mais je me rappelle très bien.


***


Dans ma famille d’adoption, Jeanne, ma maman, a eu sept enfants et a élevé en plus treize enfants de la DDASS, dont moi …

C’est quand les fils aînés sont partis que je me suis retrouvé le seul garçon, au milieu de toutes ces filles.

A quatorze ans, et je ne sais toujours pas pourquoi, j’avais sauté sur ma sœur Roselyne, quand elle sortait les poubelles. Et j’avais essayé de l’étrangler.

Même si elle était retardée mentale, elle avait réussi à se dégager du haut de ses vingt-six ans et avait tout rapporté à maman. Je m’étais bien fait disputer …

Mais en vérité, j’aimais beaucoup Roselyne. J’avais donc pas pu vouloir vraiment lui faire du mal.

A cette époque, j’étais jeune et un peu impulsif. C’était pour jouer et mes parents, ils avaient bien compris.


Bon … pour Christiane, c’est pas pareil.

Comme j’ai dit aux psychiatres quand ils m’ont expertisé :

« Dès que je faisais une connerie, elle me balançait. Elle voulait ma place. C’était dur d’être un garçon, je voulais être le chef. Elles l’acceptaient toutes, sauf Christiane. »


Alors un jour, j’avais quinze ans, notre mère nous avait envoyés au grenier avec des seaux d’eau, pour nettoyer le plancher.

J’avais ramassé une barre de fer, pour lui sauter dessus et l’étrangler.

Ben elle a réussi à me mordre un doigt cette garce ! … Alors j’ai lâché.

Elle saignait du nez parce que j’avais serré fort sur son cou …

Cette idiote avait raconté à maman que quand je l’étranglais, je « gémissais comme une bête ».

Faux.



Après ça, Jeanne (ma mère adoptive) m’a expliqué qu’ils ne pouvaient plus me garder.

Alors elle a prévenu la DDASS et je me suis retrouvé placé au Foyer de l’Enfance, à Angers.

A partir de là, j’ai vraiment commencé les conneries.

Et ça s’est jamais arrêté.


***


La première fois que j’ai tué quelqu’un, c’était Pascale Escarfail, le 26 janvier 1991.

Ce qui m’a le plus étonné, c’est que quand je suis rentré et que j’ai vu mes copains, je croyais qu’ils allaient s’apercevoir de quelque chose.

Mais en fait non, la vie a continué comme avant, on a bu des bières et fumé des joints.

C’est bizarre, mais en réalité, ça ne se voit pas sur ton visage que tu as tué quelqu’un.

Toi tu le sais, tu te rappelles, mais vu que les gens autour ne t’en parlent jamais, ça devient un peu moins réel, un peu comme un souvenir lointain.

C’est comme un secret que tu gardes pour toi et qu’il ne faut surtout dire à personne car tu sais, de toute façon, que les gens ne comprendraient pas …


A l’audience, les psychiatres ont expliqué plein de choses sur moi.

Parfois je trouvais ça exact, parfois j’étais pas d’accord et aussi parfois, je ne comprenais rien à ce qu’ils disaient, mais je crois que j’étais pas le seul parce que quand je regardais les jurés, ils avaient l’air de rien comprendre non plus …


Ils avaient parlé du fait que je me faisais appeler « Joe l’Indien », comme le méchant dans Tom Sawyer.

Et ils avaient dit d’un air sérieux « Cette totémisation fixe son appartenance au clan des méchants et des prédateurs ».


En vérité, c’était pas ça, c’est que j’aimais bien chasser.

A onze ou douze ans, je partais dans les bois pour braconner avec mon frère adoptif Laurent. C’est lui qui m’a tout appris, comment attraper les lapins avec des pièges ou tuer les canards au lance-pierre.

C’est à cette époque que j’ai commencé à aimer les couteaux et à toujours en avoir un sur moi …

Alors, en partant de ça, les psychiatres à la barre, ils disaient que j’étais un « chasseur dans l’âme », un « prédateur ».

Je trouve ça un peu facile comme interprétation.


***


Les six premiers jours du procès, j’ai passé mon temps à expliquer à la Cour que c’était pas moi l’auteur de tous ces crimes.

Les aveux que j’avais faits à la brigade criminelle, au juge d’instruction, c’était que des bêtises.

On m’avait obligé … et puis ça me donnait de l’importance à l’époque …


Le septième jour, aux alentours de quatorze heures, l’audience reprend et c’est au tour d’Elizabeth Ortega d’être entendue à la barre.

La « survivante », celle qui s’en est sortie.

Forcément, c’était la seule à pouvoir parler.

Je savais que ce serait un jour important.

Je m’étais rasé le crâne la veille au soir et j’avais mis un pull, un pull blanc.

Je savais que ce serait pour aujourd’hui …

Frédérique Pons, mon avocate, m’a demandé alors si j’avais des choses à dire.

Je lui ai répondu que non.


Alex Ursulet, mon autre avocat, enchaînait dans la foulée en me demandant sur un ton solennel si c’était moi qui avait fait tout ça.

Je lui ai répondu non, en penchant la tête.


Il avait ses deux mains posées sur le rebord du box, juste devant moi.

Il s’est approché encore, en se courbant comme pour me confier un secret.

Je me suis aussi approché et j’ai mis mes mains sur les siennes.


Et c’est là qu’il m’a dit, à voix basse, mais tout le monde entendait :

« Pour votre famille, votre père où qu’il soit, pour qu’ils puissent vous pardonner, si vous avez quelque chose à voir avec ça, il faut le dire. Avez-vous, oui ou non, agressé Melle Ortega ? »

Mes mains se sont serrées très fort sur les siennes, à lui faire mal …

A cet instant-là, je l’ai haï, un sentiment étrange et mélangé …

Je me haïssais aussi, surement plus encore.


Il a répété très calmement : « Avez-vous agressé Melle Ortega ? »

Mes mains ont serré plus fort et je lui ai dit « Ouais ».

J’ai alors baissé ma tête vers mes genoux, tout en continuant à me cramponner à lui et au box.


Mon avocat a repris doucement :

« Avez-vous tué Melle Escarfail ? »

- Oui

« Avez-vous tué Melle Rocher ? »

- Oui

« Avez-vous tué Melle Bénady ? »

- Oui

« Melle Nijkamp ? »

- Oui

« Melle Frinking ? »

-Oui

« Melle Sirotti ? »

- Oui

« Melle Magd ? »

- Oui


« Avez-vous violé Annie Le Fleouter ? »

- Non

« Avez-vous agressé Valérie Lauzanne ? »

- Non


« Avez-vous agressé Estelle F. ? »

- Non


Et Maître Ursulet a conclu :

« Pouvez-vous nous dire pourquoi, dans l’affaire Bénady, vous avez accepté un prélèvement ADN, en septembre 1995, soit deux ans et demi avant votre interpellation ? »

Et je lui ai alors avoué dans un souffle :

- Parce que je voulais qu’on m’arrête avant.


***


Les gens croient que c’est facile de reconnaître.

Ils se trompent.

Car pour moi, tout ça, c’est plus facile à faire qu’à dire.

C’est abominable de le dire ! …


Quand on ne dit pas avec des mots, on garde les « mains propres », c’est comme dans l’expression populaire …

Jeanne, ma mère adoptive, elle voulait toujours qu’on ait les mains propres, c’était très important pour elle, par rapport aux autres gens, je pense que ça voulait dire que c’était une bonne mère.

Mais mes idées à moi, parfois, elles sont sales, il y a du noir comme sur ma peau.

Mais j’ai toujours gardé les « mains propres ».


Ce qui me perturbe, c’est que quand j’ai reconnu devant la Cour, je serrais les mains de mon avocat. Très fort …

Ces mains, dont j’étais précisément en train de lui expliquer qu’elles avaient frappé, violé, égorgé et tué.

Je ne sais pas vraiment si mes mains en gardent une trace.


Mais ce que je sais, c’est que mon avocat n’avait pas l’air de se poser la question.

Ca doit être ça un Avocat …

Quelqu’un qui sait ce qu’ont fait vos mains, et qui continue à les serrer.


***


La suite du procès, après les aveux, s’était passée plus calmement.

Le Président était revenu sur chaque crime et m’avait posé beaucoup de questions, il a fallu que j’explique, que je raconte …


Et puis il y eu, enfin, le quatorzième et dernier jour du procès.

Le 5 avril 2001.

Le Président donne obligatoirement la parole à l’accusé en dernier.

Et l’accusé, c’était moi.

Pour rien oublier, la veille au soir, j’avais écrit sur des feuilles ce que je voulais leur demander.

J’avais écrit treize questions importantes pour moi.

Importantes parce que, malgré tout ce bla-bla, j’avais pas eu de réponse.


Alors je me suis levé, je me suis mis devant le micro et je leur ai demandé :

Pourquoi mes parents m’ont-ils abandonné ?

Pourquoi, à six ou sept ans, on m’a ôté mon identité ?

Pourquoi la DDASS, elle me raconte des mensonges quand je recherche mon identité ?

Pourquoi on ne veut pas, après ma première peine de prison, se pencher un peu plus sur mon cas ?

Pourquoi, en 1982, on m’a mis en prison alors que j’avais rien fait ?

Pourquoi j’ai été condamné à dix ans de réclusion criminelle aux Assises à NANCY, en 1984, en deux heures et demie, plaidoiries et verdict compris ?

Pourquoi ma folie, elle commence en 1991 ?

Pourquoi je suis pas arrêté en 1995 ?

Pourquoi, quand on m’interroge sur mon CV, on s’arrête à mes dix-huit ans et après, on laisse d’autres que moi raconter les vingt autres années de ma vie ?

Pourquoi on dit que je suis homosexuel alors que tout montre le contraire ?

Pourquoi je suis devenu ce « tueur implacable et sans pitié », comme dit Madame l’avocate générale ?


Pourquoi, alors, est-ce que j’aime mes amis, mes petites amies et ma famille ?

Pourquoi … Pourquoi je suis capable de rire quand je souffre ?


Madame l’Avocate Générale, vous avez parlé de moi que en noir …

J’ai du blanc aussi.



(A la cour) Je voudrais dire que j’accepte d’être là.

J’assume ce que j’ai fait … mais j’ai une HAINE contre la société ! …


J’ai entendu dire, hier, que la peine qu’on allait m’infliger, c’était rien.

Oui, c’est rien, rien du tout.

Oui, vingt-deux ans, c’est rien.

Mais perpétuité, c’est beaucoup. C’est la vie.

J’ai trente-huit ans … ça veut dire, je sortirai jamais de prison. Vous pouvez être tranquilles.

Mais je ferai pas cette peine, ça je peux vous le dire.



(se tourne vers les gendarmes)
Et puis … ça fait un peu fayot, mais je voudrais remercier les gendarmes qui sont là, ils ont toujours été biens avec moi.


(regardant les familles)
Pour les familles … Quoi qu’il arrive, maintenant, je recommencerai jamais. Et même si vous l’acceptez pas, je vous demande pardon.


  EPILOGUE


Alors voilà, le procès a eu lieu, j’ai été jugé.

En 2008, on m’a transféré à la centrale de Ensisheim, dans l’Est de la France.

A Ensisheim, il y a aussi Francis Heaulme et Emile Louis. En vérité, je n’aime pas trop être assimilé à ces gens-là.

Mon procès a eu lieu il y a quinze ans.

Et je sais toujours pas pourquoi j’ai tué ces filles.

C’est bizarre un procès, ça détermine toute une vie, mais pas que la mienne.

Je sais pas bien ce qu’en ont pensé les familles, si ça les a soulagées ? … Le moment où j’ai avoué …

Je suis encore en contact avec mes avocats, ça crée des liens ce genre de moments.

J’espère que le juge d’instruction Gilbert Thiel pense encore un peu à moi, en tout cas, moi, je l’ai pas oublié, même s’il m’énervait avec ses questions.


Les flics du 36, pour eux aussi, ça fait longtemps maintenant.

Mais eux, je sais qu’ils ont pas oublié. Parce que je sais ce qu’ils ont vu.

Y en a un, une fois, pendant une audition, très tard …, il m’a dit qu’il avait souvent du mal à s’endormir et que c’était à cause de moi.

Je sais ce qu’ils ont vu les gars de la crim’ parce que je l’ai vu aussi, à chaque fois, quand je repartais.

Quand je jetais un dernier regard sur ce que j’avais fait.

Avec mes propres mains …, avec mes propres mains.

Les mains de Guy RAMPILLON.