Doit-on donner son code Pin de téléphone en garde à vue l'article 434-15-2 du code pénal ? (fr)

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Thierry Vallat, avocat au Barreau de Paris
juin 2019



Article mis à jour le 11 juin 2019


Un Belfortain de 29 ans a été condamné le 6 juin 2019 à une peine de prison ferme de 3 mois pour avoir refusé de donner son code de déverrouillage de téléphone lors d’une garde à vue (Belfort: Une peine de prison ferme pour avoir refusé de donner le code de son portable [1])


Il était poursuivi devant le tribunal correctionnel de Belfort pour « refus de remettre aux autorités judiciaires la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie.


Vous devez en effet selon le code pénal en principe donner vos clés de codage de fichiers informatiques aux forces de police si vous en êtes requis.


Rappelons que ce délit a été créé en 2001 à la suite des attentats du 11-Septembre et modifié par la loi antiterroriste de 2016.


L'Article 434-15-2 du code pénal [2], dans sa rédaction résultant de la loi du 3 juin 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 270 000 € d'amende le fait, pour quiconque ayant connaissance de la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie susceptible d'avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit, de refuser de remettre ladite convention aux autorités judiciaires ou de la mettre en œuvre, sur les réquisitions de ces autorités délivrées en application des titres II et III du livre Ier du code de procédure pénale.»


« Si le refus est opposé alors que la remise ou la mise en œuvre de la convention aurait permis d'éviter la commission d'un crime ou d'un délit ou d'en limiter les effets, la peine est portée à cinq ans d'emprisonnement et à 450 000 € d'amende ».


Alors, devez vous pour autant donner votre code à première demande et au premier officier de police judiciaire venu ?


La réponse est non et c'est le Conseil constitutionnel qui nous le précise dans sa récente Décision n° 2018-696 QPC du 30 mars 2018 [3].


Ce texte a en effet été validé par le Conseil constitutionnel le 30 mars 2018 [4], répondant à une question prioritaire de constitutionnalité, qui a estimé que cela ne portait pas atteinte au droit à la vie privée du suspect.


Dans sa décision n° 2018-696 QPC du 30 mars 2018, il a été considéré par le Conseil constitutionnel que ces dispositions ne portent pas atteinte au droit de ne pas s'accuser ni au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances.


En effet, elles n'ont pas pour objet d'obtenir des aveux de sa part et n'emportent ni reconnaissance ni présomption de culpabilité mais permettent seulement le déchiffrement des données cryptées.


En outre, l'enquête ou l'instruction doivent avoir permis d'identifier l'existence des données traitées par le moyen de cryptologie susceptible d'avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit.


Enfin, ces données, déjà fixées sur un support, existent indépendamment de la volonté de la personne suspectée (lire notre article L'obligation de remettre aux autorités judiciaires une convention secrète de déchiffrement cryptologique [5]).


Que retenir de cette analyse ?


Vous êtes certes tenus de donner vos clés de codage de fichiers informatiques aux forces de police si vous en êtes requis, mais encore faut-il que ayez connaissance de la "convention de chiffrement".


Et le code de déverrouillage d’un portable ne peut certainement pas être considéré comme une clé de déchiffrement d’un moyen de cryptologie.


Si un code de déverrouillage d’un téléphone portable d’usage courant, permet d’accéder aux données du mobile et donc aux éventuels messages qui y sont contenus, il ne permet pas de déchiffrer des données ou messages cryptés et, en ce sens, ne constitue pas une convention secrète d’un moyen de cryptologie (CA Paris 16 avril 2019)[6]


Pas question non plus d’obliger un suspect à fournir indistinctement tous ses codes d’accès, mais seulement ceux "susceptibles d’avoir été utilisés pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit".


Et encore faut-il bien sur, faut-il une autorisation préalable d'un magistrat et donc "uniquement si la demande émane d'une autorité judiciaire".


La pénalisation du refus de remettre aux autorités judiciaires la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie n'est en effet conforme à la Constitution que sous ces réserves.


Il n'est donc pas question de donner son code PIN à la première demande ou garde à vue venue.


Mais n'agissez pas seul: comme le démontre la condamnation intervenue le 6 juin 2019, qui n'est pas la première, il existe un risque réel de condamnation et la simple excuse de fichiers privés dans votre téléphone ne sera probablement pas retenue.


Interrogez votre avocat et gardez le silence pour le reste.