Dommages-ouvrage : conditions de garantie des désordres survenus avant réception

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Eugénie Criquillion, avocate au barreau de Bordeaux [1]
Décembre 2022


Arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 7 septembre 2022 n°21-21.382 [2]

Préambule

Le régime de l’assurance dommages-ouvrage est régi, notamment, par l’article L242-1 du Code des assurances et les clauses types.

Elle a pour but d'assurer une indemnisation rapide des dommages de nature décennale subis par le maître d'ouvrage ou par le propriétaire d’un bien, sans que n'aient préalablement à être discutées des questions de responsabilité.

L'assureur dommages-ouvrage préfinance ainsi les fonds nécessaires à la réparation des désordres dans un délai bref et, en principe, en dehors de toute action judiciaire, à charge pour la Compagnie de se retourner ultérieurement contre les entrepreneurs défaillants.

L’alinéa 8 de l’article L242-1 précité dispose que l’assurance dommages-ouvrage prend effet après l'expiration du délai de garantie de parfait achèvement à laquelle l’entrepreneur est tenu pendant une durée d’un an à compter de la réception des travaux au titre des désordres signalés par le maître d’ouvrage pendant ce délai.

Le alinéas 9 et 10 du texte précisent que la garantie est mobilisable :

  • Avant réception, après mise en demeure demeurée infructueuse, lorsque le contrat de louage d'ouvrage est résilié pour inexécution de l’entrepreneur ;
  • Après réception, lorsque l’entrepreneur n’a pas exécuté ses obligations, en dépit d’une mise en demeure.

L’arrêt du 7 septembre 2022 rendu par la Troisième chambre civile est une illustration de la mobilisation de la garantie dommages-ouvrage avant réception, et des conditions applicables.

En l’espèce

Un maître d’ouvrage a confié à une entreprise la maîtrise d’œuvre la construction de logements.

Les lots gros œuvre et chauffage-plomberie ont été confiés à une entreprise.

Pour les besoins de ces travaux, une assurance dommages-ouvrage a été souscrite par le maitre d’ouvrage.

Le maître d’œuvre a notifié à l’entreprise la résiliation du contrat de louage d’ouvrage pour manquement à ses obligations contractuelles ; quatre mois après, l’entreprise a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire.

Se plaignant de désordres et de trop-versés, le maître d’ouvrage a assigné l’assureur dommages-ouvrage, le maitre d’œuvre et son assureur en indemnisation de ses préjudices.

Aux termes d’un arrêt rendu le 18 juin 2021, la Cour d’appel de Colmar a infirmé le jugement dont appel, et a rejeté la demande du maître d’ouvrage.

Le maître d’ouvrage a formé un pourvoi en cassation, faisant grief à l’arrêt d’avoir jugé que la garantie dommages-ouvrage ne pouvait être due au seul motif qu’il n’était pas justifié d’une mise en demeure émanant du maître de l’ouvrage.

Problématiques soulevées

Le second moyen, pris en ses trois branches, nous intéresse.

Second moyen, pris en sa première branche :

Le maitre d’ouvrage fait grief à l’arrêt de l’avoir débouté de sa demande en considérant qu’aucun mandat n’a été confié à la maitrise d’œuvre pour mettre en demeure les entreprises défaillantes de respecter leurs obligations.

Le maitre d’ouvrage allègue ainsi que le contrat de maitrise d’œuvre lui faisait interdiction de donner quelque ordre que ce soit aux entreprises, et que le maitre d’œuvre avait notamment pour mission « l'établissement et l'envoi des courriers de toutes natures nécessités par [sa] mission afin d'assurer une qualité parfaite et le respect de son planning » et « le contrôle de l'avancement des travaux et des situations d'entreprise »

La Cour de Cassation rejette le moyen, au motif que si le contrat de maîtrise d’œuvre autorisait le maitre d’œuvre à adresser tous courriers utiles aux entreprises dans le cadre de sa mission de direction des travaux, il n’y figurait aucun mandat exprès lui conférant le pouvoir d’adresser une mise en demeure préalable à la résiliation du contrat de louage d’ouvrage.

Second moyen, pris en sa deuxième branche :

Le maître d’ouvrage rappelait que l’article L242-1 du Code des assurances n’exige pas que le maitre d’ouvrage mette personnellement en demeure le locateur d’ouvrage, si bien que la mise en demeure adressée par le maitre d’ouvrage produit les mêmes effets.

La Cour de cassation s’est appliquée ici à définir la mise en demeure, en rappelant qu’elle s’entend de l’acte par lequel une partie à un contrat interpelle son cocontractant afin qu’il exécute ses obligations.

Elle en conclut que seule est valable, au sens de l’article L242-1 du Code des assurances, la mise en demeure émanant du maitre d’ouvrage ou de son mandataire.

Second moyen, pris en sa troisième branche :

En la dernière branche de son moyen, le maitre d’ouvrage arguait que la formalité prévue à l’article L242-1 du Code des assurances n’est pas requise lorsqu’elle est inutile, notamment en cas de cessation d’activité de l’entreprise ou de liquidation judiciaire emportant résiliation du contrat de louage d'ouvrage.

La Cour de Cassation approuve ce raisonnement.

Toutefois, elle constate que le maitre d’ouvrage avait notifié à l’entreprise, plusieurs mois avant son placement sous liquidation judiciaire, la résiliation du contrat de louage d’ouvrage, sans mise en demeure préalable.

Elle juge donc que les conditions d’application de la garantie de l’assureur dommages-ouvrage avant réception n’étaient, au cas d’espèce, pas réunies.

Portée de l’arrêt

Une lecture de l’article L242-1 et des clauses types permet de constater que la notion de mise en demeure préalable, telle que l’exige le texte, n’est pas définie.

Le pourvoi a offert à la Cour de cassation l’occasion de clarifier la portée du courrier visé à l’article L242-1 du Code des assurances. Ainsi, selon la Cour, il s’entend d’une interpellation faite au cocontractant, de respecter ses obligations contractuelles.

Le second débat portait sur l’auteur de la mise en demeure, la demanderesse au pourvoi soutenant notamment que le texte ne précise pas qu’elle soit rédigée et adressée personnellement par le maitre d’ouvrage.

La Cour de cassation l’approuve, en jugeant qu’elle peut l’être par le maitre d’ouvrage, ou son mandataire.

Toutefois, elle exige qu’un mandat exprès soit conféré au mandataire habilité à cet effet.

Le mandat général, tendant à confier au maitre d’œuvre mission d’établir et d’envoyer tous courriers, de toutes nature, nécessités par la qualité de sa mission, le respect du planning, le contrôle de l’avancement des travaux et les situations des entreprises, est ainsi insuffisant.

Le maître d’ouvrage qui souhaiterait déléguer à un tiers une mission tendant à voir mobiliser la garantie de l’assurance dommages-ouvrage, incluant l’envoi d’une mise en demeure à l’entreprise préalablement à la résiliation de son marché de travaux, devra impérativement conclure un mandat en ce sens.

A défaut, il aura seul qualité à mettre en demeure l’entreprise défaillante, sous réserve, selon la Cour de Cassation, d’une impossibilité ou de l’inutilité de ce prérequis. Encore faut-il que cette impossibilité ou cette inutilité soit caractérisée à la date à laquelle la formalité sera exercée.