Droit à l’oubli numérique et « casier virtuel »

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Droit à l’oubli numérique, « casier virtuel », « droit à une forme d’auto-détermination informationnelle » : au sujet des nouveaux critères fixés par l’arrêt CEDH Hurbain c/ Belgique du 4 juillet 2023, de la réhabilitation, et de la paix sociale en droit de la presse…

Par Marie Cornanguer – Avocat au barreau de Paris, Membre du Conseil scientifique de l’Association des Avocats Praticiens du Droit de la Presse (AAPDP)

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« Nul bonheur, nulle sérénité, nulle espérance, nulle fierté, nulle jouissance de l'instant présent ne pourrait exister sans faculté d'oubli »[1] (Nietzsche F., Considérations intempestives, II, 1, 1874)


Le 4 juillet 2023[2], la CEDH a estimé par 12 voix contre 5 que la condamnation du quotidien belge Le Soir à anonymiser, au nom du droit à l’oubli, l’archive électronique en ligne d’un article mentionnant l’identité d’un citoyen, ainsi que sa condamnation dans une affaire judiciaire – réhabilitée puisque qu’intervenue 16 ans auparavant - n’emportait pas violation de l’article 10.

Cet arrêt de grande chambre intervient après un précédent arrêt, du 22 juin 2021[3], ayant déjà estimé, par 6 voix contre 1, qu’il n’y avait pas violation de l’article 10 étant donné qu’une telle mesure était proportionnée au but légitime poursuivi de protection du droit au respect de la réputation et ménageait un juste équilibre entre les droits concurrents en présence.

L’arrêt fixe de nouveaux critères, plus adaptés à ce type de contentieux, en renonçant à appliquer les critères classiques[4], destinés à arbitrer les conflits classiques entre les articles 8 et 10 de la Convention en matière de presse.

L’élasticité limitée de ces anciens critères est jugée inadaptée à ce type de contentieux, qui ne portent plus sur la licéité de la publication initiale, mais concernent son maintien en ligne, à savoir une hypothèse d’information dite « permanente », pouvant conduire à un « casier virtuel ».

Les faits et la procédure

Le quotidien Le Soir, l’un des plus grands quotidiens d’information francophones de Belgique, a publié en 1994, dans son édition papier, un article consacré à un accident de la route mortel, causé par un individu sous l’emprise d’alcool, et ayant entrainé la mort de deux personnes, outre trois blessés.

Le nom complet du conducteur, Monsieur G., était cité dans l’article. Ce dernier fut condamné pénalement à une peine d’emprisonnement de 2 ans, avec sursis.

En 2006, il fit l’objet d’une décision de réhabilitation.

En 2008, le journal Le Soir a numérisé ses archives, de sorte que l’article initial, ainsi que toux ceux publiés en version papier depuis 1989, étaient devenus accessibles en version électronique sur le site internet du journal.

Par trois courriers adressés en juin, juillet et août 2010, Monsieur G. sollicita auprès de la société éditrice du journal la suppression de l’article litigieux de ses archives électroniques ou, à tout le moins, son anonymisation. Il se heurta à une fin de non-recevoir du service juridique.

Le journal Le Soir adressait, en parallèle, une demande de déréférencement de l’article à l’administrateur délégué de Google Belgium, en vain.

En 2012, Monsieur G. assigna le journal sur le fondement de l’article 1382 du code civil belge afin d’obtenir l’anonymisation de l’archive de presse électronique litigieuse, alléguant, qu’en maintenant l’article en ligne et en refusant sa demande légitime, Le Soir avait commis une faute et porté atteinte à son « droit à l’oubli ».

En défense, le journal Le Soir essayait, notamment, de renvoyer la balle au moteur de recherche, en affirmant qu’il appartenait à Monsieur G. d’attraire Google dans la cause, en tant que responsable de l’indexation de l’article litigieux. Le journal insistait à cet égard sur la nature purement commerciale des activités de Google, qui, selon lui, ne permettrait pas au moteur de recherche, à sa différence, de faire prévaloir le droit à l’information, ni le devoir d’archivage ou de mémoire.

Les premiers juges, suivis par ceux d’appel, firent droit aux demandes de Monsieur G., considérant qu’il n’existait aucune impossibilité s’opposant à l’anonymisation. Ils ordonnèrent donc l’anonymisation de la version électronique de l’article litigieux figurant sur le site internet du journal et dans toute autre banque de données placée sous sa responsabilité, le nom et le prénom de Monsieur

G. devant être remplacé par la lettre X.

Les juges belges ont estimé que le « droit à l’oubli » était considéré par la jurisprudence nationale et la doctrine comme faisant partie intégrante du droit au respect de la vie privée, consacré par l’article 8 de la Convention, l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’article 22 de la Constitution belge.

Ils précisèrent que l’article 1382 du code civil « constituait le droit commun de la responsabilité et qu’il était applicable aux organes de presse, lesquels ne pouvaient ignorer que leur responsabilité pouvait être engagée si l’exercice de la liberté de la presse causait un préjudice découlant d’une atteinte à des droits d’autrui ».

S’agissant de l’articulation entre le rôle et la responsabilité des exploitants de moteurs de recherche et ceux des éditeurs du contenu, les juges belges ont estimé que Monsieur G. était recevable à agir contre le seul éditeur, au motif que « l’indexation de l’article litigieux sur les moteurs de recherche n’est en effet possible que parce qu’il se trouve sur la banque de données du Soir de manière non anonymisée et sans aucune balise de désindexation ».

Enfin, s’agissant de la mise en balance des articles 8 et 10 de la Convention, les magistrats rappelèrent la consécration du droit à l’oubli numérique par la Cour de Justice de l’Union Européenne dans l’affaire Google Spain [5] et estimèrent que les critères dégagés dans cette affaire, ainsi que ceux fixés par la CEDH dans l’affaire Van Hannover contre Allemagne[6], devaient être mis en œuvre au cas présent, bien qu’il ne soit pas question de la problématique traditionnelle de redivulgation par la presse d’un passé judiciaire, mais de l’accessibilité permanente de ces informations d’ordre judiciaire, en raison des archives de presse numériques.

Au vu de ces critères, la Cour d’appel a notamment considéré que :

-         Les arguments du journal Le Soir, tirés du devoir de mémoire et de la nécessité de préserver le caractère complet et fidèle des archives, n’étaient pas pertinents car il n’était nullement demandé de supprimer les archives mais uniquement d’anonymiser la version électronique de l’article litigieux ; les archives papier demeurant intactes ;

-         Les faits divulgués dans l’article litigieux ne faisaient assurément pas partie de l’Histoire, s’agissant « d’un banal, quoique tragique, fait divers »;

-         Le simple droit de rectification ou de communication numérique proposé par Le Soir consistant à permettre à Monsieur G. de publier un texte court, lié électroniquement à l’article d’origine, mentionnant la décision de réhabilitation, ne constituait pas un procédé adéquat s’agissant de la problématique d’un article relatant une information devenue préjudiciable par l’écoulement du temps ; un tel procédé laissant en effet perdurer indéfiniment l’effet stigmatisant des infractions graves commises par [G.] et de la condamnation déjà purgée, rendant vaine la décision de réhabilitation dont il a bénéficié ;

-         Le journal Le Soir, en refusant d’accéder à la demande d’anonymisation, n’avait pas agi comme un éditeur normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances, et sa contestation de la réalité du dommage de Monsieur G. était vaine dès lors qu’une simple recherche à partir des nom et prénom de [G.] sur le moteur du site internet du Soir ou sur Google faisait immédiatement apparaître l’article litigieux, ce qui est assurément source d’un préjudice, à tout le moins moral. Une telle situation permet en effet à un large public, dont font nécessairement partie les patients, collègues et connaissances de [G.], d’avoir facilement connaissance de son passé judiciaire et est ainsi de nature à le stigmatiser, à nuire gravement à sa réputation et à le priver de la possibilité de se resocialiser normalement alors qu’il a, depuis de nombreuses années, purgé sa peine et été réhabilité par la justice.

-         Monsieur G. remplissait les conditions pour bénéficier d’un droit à l’oubli et le maintien en ligne de l’article litigieux non anonymisé, de très nombreuses années après les faits[7] qu’il relate, était de nature à lui causer un préjudice disproportionné par rapport aux avantages liés au respect strict de la liberté d’expression du journal Le Soir.

En 2016, la Cour de cassation belge rejeta le pourvoi formé par le journal Le Soir en ces termes :

« Si les articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui protègent la liberté d’expression et, partant, la liberté de la presse, confèrent aux organes de la presse écrite le droit de mettre en ligne des archives numériques et au public celui d’accéder à ces archives, ces droits ne sauraient être absolus mais peuvent, dans les strictes limites prévues par ces dispositions conventionnelles, céder dans certaines circonstances le pas à d’autres droits également respectables » ;

…/…

Le droit au respect de la vie privée, garanti par les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 22 de la Constitution, qui, comme l’admet le moyen, en cette branche, comporte le droit à l’oubli permettant à une personne reconnue coupable d’un crime ou d’un délit de s’opposer dans certaines circonstances à ce que son passé judiciaire soit rappelé au public à l’occasion d’une nouvelle divulgation des faits, peut justifier une ingérence dans le droit à la liberté d’expression ».

C’est en cet état que le journal Le Soir introduisit sa requête devant la CEDH, fondée sur une violation alléguée de l’article 10.

Par un premier arrêt de section du 22 juin 2021, la CEDH rejeta la requête du journal Le Soir et conclut, par 6 voix contre 1, à la non-violation de l’article 10 au motif que la mesure d’anonymisation critiquée était proportionnée au but légitime poursuivi de protection du droit au respect de la réputation et ménageait un juste équilibre entre les droits concurrents en jeu.

L’affaire fut renvoyée en Grande Chambre.

Les enseignements de l’arrêt

La distinction terminologique entre « déréférencement » et « désindexation » rappelée

La mise en œuvre du droit à l’oubli passe par des mesures prises par les exploitants de moteur de recherche, ou par les éditeurs de presse.

Ces mesures visent soit le contenu même d’un article archivé, comme, par exemple, la suppression, la modification ou l’anonymisation d’un article, soit la limitation de l’accessibilité de l’information. Dans ce dernier cas, la limitation de l’accès peut s’effectuer à la fois par les moteurs de recherche et par les éditeurs de presse.

La Cour indique dans son arrêt que le terme de « déréférencement » sera employé pour désigner les mesures prises par les exploitants de moteurs de recherche, tandis que celui de « désindexation » concerne les mesures mises en place par l’éditeur de presse en charge du site internet sur lequel est archivé l’article litigieux[8].

L’importance des archives de presse numériques rappelée et recontextualisée dans le cadre du RGPD

Selon la Cour, au rôle traditionnel et premier de la presse d’être un « chien de garde » de la démocratie, par la publication d’informations liées à l’actualité, s’ajouterait une fonction accessoire : constituer des archives à partir des informations déjà publiées et les mettre à disposition du public, cette fonction de la presse, tout comme l’intérêt légitime du public à y accéder, étant également protégée par l’article 10 de la Convention[9].

Eu égard à la distinction entre les informations archivées, portant sur des évènements passés, et celles ayant pour objet des évènements d’actualité, la Cour insiste sur la plus grande rigueur devant s’appliquer à l’exactitude des informations lorsqu’elles ont trait au passé, en affirmant que « le devoir de la presse de se conformer aux principes d’un journalisme responsable en vérifiant l’exactitude des informations publiées est plus rigoureux en ce qui concerne celles qui ont trait au passé, dont la diffusion ne revêt aucun caractère d’urgence[10] ».

La Cour relève que la contribution des archives de presse numériques à la formation de l’opinion démocratique, et leur importance en tant que source précieuse pour l’enseignement et les recherches historiques, a conduit à un consensus européen, dans le contexte spécifique du traitement des données à caractère personnel au niveau de l’Union européenne[11] ou celui du Conseil de l’Europe[12].

La Cour d’indiquer en conséquence que les demandes de suppression ou de modification d’un article archivé doivent faire l’objet d’un examen approfondi, et ce d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un article dont la licéité n’a jamais été mise en cause.

Les contours variés de la protection du « droit à l’oubli » précisés au regard de la Convention

Le « droit à l’oubli numérique », ou « droit à une forme d’auto-détermination informationnelle » rattaché, sous l’angle de la Convention, à l’article 8, et plus précisément au droit au respect de la réputation

La Cour livre sa définition du droit à l’oubli :

« Il repose sur l’intérêt d’une personne à faire effacer, modifier ou limiter l’accès à des informations passées qui affectent la perception actuelle de cette personne. En cherchant à faire disparaître ces informations, les intéressés veulent éviter de se faire reprocher indéfiniment leurs actes ou déclarations publiques antérieures et cela dans des contextes variables, tels que, par exemple, l’embauche ou les relations d’affaires ».

Elle relève plusieurs risques engendrés par la permanence d’informations, accessibles depuis un certain temps : d’une part, « l’absence de contextualisation des informations » qui pourra amener une personne qui consulte un article sur une autre personne à avoir une présentation fragmentaire et déformée de la réalité et, d’autre part, la menace permanente et la peur qui en découle pour la personne concernée de pouvoir être à tout moment de nouveau confrontée à son passé.

Or, « la réputation sociale ou professionnelle d’une personne, quand bien même celle-ci serait critiquée dans le cadre d’un débat public, est un attribut de son identité personnelle et de son intégrité psychologique, de sorte qu’elle relève aussi de sa « vie privée[13] ».

Affirmant « le droit à une forme d’auto-détermination informationnelle », autorisant les personnes à invoquer leur droit à la vie privée en ce qui concerne des données qui, bien que neutres, sont collectées, traitées et diffusées à la collectivité, la Cour rappelle que la protection des données à caractère personnel joue un rôle fondamental pour l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale consacré par l’article 8 de la Convention[14].

Aux termes de son exposé, la Cour affirme enfin que le droit à l’oubli ne constitue pas un droit autonome protégé par la Convention, qu’il se rattache à son article 8 et, plus précisément, au droit au respect de la réputation, et cela de façon circonscrite à « certaines situations et informations[15] ».

Le droit à l’oubli 2.0 résultant de la permanence des informations sur internet, rattaché au droit à la protection des données personnelles

La Cour expose l’évolution du droit à l’oubli, « notion en voie de construction », en distinguant la pratique judiciaire initiale qui s’est forgée dans le cadre de la reprise par la presse d’informations à caractère judiciaire déjà divulguées par le passé, sur le terrain de la vie privée, de son évolution ultérieure, liée à la permanence des informations sur internet, en raison de la numérisation des articles et du référencement réalisé par les moteurs de recherche, rattachée au droit à la protection des données à caractère personnel.

Les quatre précédents arrêts de la Cour relatifs à des demandes de suppression ou de modification d’articles de presse contenus dans des archives numériques, dont le premier faisant référence au « droit à l’oubli », rappelés

Quatre précédentes affaires sont évoquées par la Cour, dans le cadre desquelles des requêtes lui ont été soumises, sur le fondement de l’article 8, au sujet de demandes de suppression ou de modification d’articles de presse contenus dans des archives numériques : Węgrzynowski et Smolczewski c. Pologne[16], Fuchsmann c. Allemagne[17], M.L. et W.W. c. Allemagne[18] et enfin Biancardi c. Italie[19], seule affaire mentionnant expressément la notion de droit à l’oubli.

Dans cette dernière affaire, la Cour avait estimé que la condamnation civile du rédacteur en chef du journal, à raison du maintien en ligne d’un article datant de 2008, était justifiée par un but légitime, à savoir la protection de la réputation du restaurateur concerné, et était nécessaire.

L’adoption de nouveaux critères, plus adaptés au caractère permanent de l’information numérique, explicités

Afin d’arbitrer un conflit entre des droits tirés respectivement des articles 8 et 10 de la Convention, la Cour a développé des critères classiques, tels qu’exposés notamment dans les arrêts Couderc et Hachette Filipacchi Associés c. France[20] et Axel Springer Ag c. Allemagne[21].

Toutefois, insistant sur la spécificité des archives électroniques d’une publication par rapport à la publication initiale d’un article, et relevant une modification des critères employés par la Cour dans l’affaire Biancardi c. Italie, par rapport à ceux appliqués par la Cour dans son arrêt de section dans la présente affaire, la Grande Chambre estime nécessaire de redéfinir les critères à prendre en considération lors de la mise en balance des droits.

Dans ces conditions, la Cour décide d’appliquer les critères suivants[22] :

-         la nature de l’information archivée,
-         le temps écoulé depuis les faits, depuis la première publication,
-         l’intérêt contemporain de l’information,
-         la notoriété de la personne revendiquant l’oubli et son comportement depuis les faits,
-         les répercussions négatives dues à la permanence de l’information sur Internet,
-         le degré d’accessibilité de l’information dans des archives numériques,
-         l’impact de la mesure sur la liberté d’expression, plus précisément la liberté de la presse,

Une distinction entre moteurs de recherche et éditeurs, quant à leurs obligations et quant à la mise en balance à effectuer entre les articles 8 et 10, admise

Se référant à l’arrêt Google Spain[23], la Cour rappelle que les obligations du moteur de recherche référençant l’information et celles de l’éditeur à l’origine de l’information peuvent être différentes et que, par conséquent, la mise en balance des intérêts en jeu peut aboutir à des résultats différents :

« C’est avant tout en raison des moteurs de recherche que les informations sur les requérants tenues à disposition par les médias concernés peuvent facilement être repérées par les internautes. Il n’en demeure pas moins que l’ingérence initiale dans l’exercice par les requérants de leur droit au respect de la vie privée résulte de la décision des médias concernés de publier ces informations et, surtout, de les garder disponibles sur leurs sites internet, fût-ce sans intention d’attirer l’attention du public, les moteurs de recherche ne faisant qu’amplifier la portée de l’ingérence en question.

Cela dit, en raison de cet effet amplificateur concernant le degré de diffusion des informations et de la nature de l’activité dans laquelle s’inscrit la publication de l’information sur la personne concernée, les obligations des moteurs de recherche à l’égard de la personne concernée par l’information peuvent être différentes de celles de l’éditeur à l’origine de l’information. Par conséquent, la mise en balance des intérêts en jeu peut aboutir à des résultats différents.

Ainsi, la Cour distingue selon que la demande d’effacement vise un moteur de recherche ou vise l’éditeur initial du contenu référencé et indique que la solution peut être différente dans ces deux hypothèses, « dès lors que l’activité de l’éditeur se trouve en général au cœur de ce que la liberté d’expression entend protéger », tandis que la publication d’une information n’est pas « l’intérêt principal » du moteur de recherche. Selon la Cour, l’intérêt principal du moteur de recherche est

« d’une part, de repérer toute information disponible [sur la personne concernée par la publication initiale de l’éditeur] et, d’autre part, d’établir ainsi un profil de celle-ci ».

Le refus de conditionner l’action contre l’éditeur à une demande préalable de déréférencement auprès du moteur de recherche affirmé

Insistant sur la différence entre le traitement opéré par le moteur de recherche et celui opéré par l’éditeur, chacun ayant sa propre légitimité, la Cour refuse d’imposer aux personnes concernées une obligation de s’adresser préalablement ou simultanément à l’éditeur du site internet, avant d’exercer ses droits auprès du moteur de recherche[24].

L’effet dissuasif sur la liberté de la presse de l’obligation d’examen ultérieur de la licéité du maintien en ligne tempéré

Anticipant les éventuelles critiques des éditeurs de presse, amenés à se plaindre de l’effet dissuasif résultant de l’obligation d’anonymiser des articles de presse initialement publiés de manière licite, la Cour entend conditionner la protection de l’article 8 aux « atteintes à la réputation atteignant un certain seuil de gravité », en limitant les modifications et suppressions d’archives « au strict nécessaire[25] ».

L’examen effectué par le juge national belge passé au tamis des nouveaux critères dégagés par la Cour

Eu égard à la marge d’appréciation des autorités nationales, la Cour s’est assurée de ce que l’examen auquel le juge national avait procédé « cadrait » avec celui résultant des nouveaux critères.

La nature de l’information archivée : les données pénales, qualifiées de « sensibles » et une catégorie d’infraction « dont l’importance, en raison de leur gravité, n’est pas affectée par le passage du temps »

L’information litigieuse peut concerner la vie privée, professionnelle ou publique du justiciable. Il convient selon la Cour de rechercher si cette information a un impact social ou si elle relève de la sphère intime de la vie privée, ce qui la rendrait particulièrement sensible.

A cet égard, s’agissant des données de nature pénale, il existe une discordance de qualification. Elles sont qualifiées tantôt de « données particulières »[26] par les Conventions 108 et 108+ du Conseil de l’Europe, tantôt de « données sensibles » par la CEDH[27], tandis que la CJUE[28], mais également le Conseil d’Etat[29], leur accordent certes une protection élevée par rapport aux données touchant à la vie privée, mais ne les qualifient pas de « données sensibles ».

La Cour estime que dans le cas d’articles de presse sur des procédures pénales, l’inclusion d’éléments individualisés, tel le nom complet de la personne visée, constitue un élément important.

Elle précise ensuite que même si les faits rapportés dans le cadre de l’article litigieux relataient l’accident mortel survenu et ne concernaient pas une enquête pénale en cours ou une condamnation, ils portaient sur des faits ayant conduit après à une telle condamnation, de sorte que les faits relatés doivent être considérés comme étant de l’ordre judiciaire (la Cour rejoint en cela l’appréciation portée par le juge belge).

Enfin, la Cour estime que bien que l’article litigieux présentât, de manière succincte et objective, une série de faits divers relatant des événements avérés, ces faits ne sauraient rentrer « dans la catégorie des infractions dont l’importance, en raison de leur gravité, n’est pas affectée par le passage du temps ».

Le temps écoulé depuis les faits, depuis la première publication et depuis la mise en ligne de la publication, conditionne « l’intérêt légitime » de la prétention à l’oubli

La Cour relève que la « pertinence d’une information est étroitement liée à son actualité ».

Dès lors, l’écoulement du temps a un impact important afin de déterminer si une personne peut bénéficier d’un droit à l’oubli.

En l’espèce, la Cour relève que 16 ans se sont écoulés depuis les faits et qu’en 2006, soit 2 ans avant la mise en ligne de l’archive numérique de l’article publié en 1994, la condamnation de Monsieur G. avait été réhabilitée, de sorte qu’il avait « un intérêt légitime à revendiquer la possibilité de se resocialiser à l’abri du rappel permanent de son passé, après tout ce temps ».

L’intérêt contemporain de l’information : intérêt statistique ou historique et survivance de la contribution à un débat d’intérêt général

La mise en œuvre de ce critère suppose de déterminer si l’article concerné contribue encore à un débat d’intérêt général, s’il a acquis un intérêt lié à l’histoire, à la recherche ou d’ordre statistique ou s’il reste utile pour la contextualisation d’évènements récents en vue d’une meilleure compréhension de ceux-ci.

La Cour précise que l’appréciation doit se placer au jour de la demande de suppression, modification ou anonymisation.

Elle évoque ensuite les questions pouvant avoir trait à l’intérêt général, comme celles susceptibles de créer une forte controverse portant sur un thème social important, ou concernant un problème dont le public aurait intérêt à être informé et de rappeler que « l’intérêt public ne se confond pas avec les attentes d’un public friand de détails quant à la vie privée d’autrui, ni avec le goût des lecteurs pour le sensationnel voire, parfois, pour le voyeurisme »[30].

En l’espèce, la Cour ne voit aucune raison de remettre en cause l’appréciation de la juridiction nationale belge et relève que les faits, bien que tragiques, ne faisaient pas partie de l’histoire, n’avait pas eu de retentissement particulier dans l’opinion publique et que l’identité d’une personne qui n’était pas une personne publique n’apportait aucune valeur ajoutée d’intérêt général à l’article litigieux.

La notoriété de la personne revendiquant l’oubli et son comportement depuis les faits, appréciée à la date de la demande relative au droit à l’oubli

Critère qualifié d’important dans la mise en balance entre les droits garantis par les articles 8 et 10 de la Convention, le caractère public ou notoire d’une personne influe sur l’intensité de la protection de la vie privée, la Cour estimant que ce critère est également pertinent s’agissant des archives de presse numériques[31].

A nouveau, la Cour insiste sur le fait que ce critère doit être apprécié, à la date de la demande relative au droit à l’oubli, dès lors que la notoriété peut décliner dans le temps, ou au contraire connaître un regain.

Elle précise également s’agissant de l’appréciation du comportement que le fait « de se tenir à l’écart des médias est un élément plaidant » en faveur d’une plus grande protection.

En l’espèce, la Cour relève que Monsieur G. était une personne inconnue du grand public, tant au moment des faits, qu’au moment de sa demande d’anonymisation, et qu’il s’est toujours tenu à distance de toute publicité.

Les répercussions négatives dues à la permanence de l’information sur Internet : démonstration d’un préjudice, atteinte à la réputation d’un certain niveau de gravité et spécificité des « informations judiciaires » au vu de la réhabilitation et du risque de « casier judiciaire virtuel »

Ce critère suppose la démonstration d’un préjudice « dûment étayé », ainsi qu’une atteinte à la réputation d’un individu « d’un certain niveau de gravité ».

Ces critères semblent pouvoir être appréciés plus souplement lorsque la demande de droit à l’oubli est mise en œuvre via une demande de déréférencement formulée à l’égard d’un moteur de recherche et non via une demande d’anonymisation d’une archive de presse numérique[32], eu égard aux distinctions évoquées supra entre ces deux modalités de mise à disposition de l’information.

S’agissant plus particulièrement du préjudice lorsque sont en cause des « informations judiciaires », la Cour fait le lien entre la permanence de telles informations et la réintégration de l’individu dans la société[33] et invite à vérifier si le casier a été effacé entre-temps et si la personne a été réhabilitée.

Surtout, elle insiste sur le fait, qu’au-delà de l’intérêt de la personne condamnée, il en va de l’intérêt de la société elle-même, qu’un individu puisse légitimement aspirer à retrouver toute sa place dans la société après avoir purgé sa peine.

Enfin, la Cour est d’avis que la réhabilitation d’une personne ne peut justifier, à elle seule, la reconnaissance d’un droit à l’oubli, invitant se faisant à appliquer, malgré la réhabilitation, les autres critères énoncés (à mettre en relation avec le devoir de mémoire résultant implicitant de la catégorie d’infractions évoquées supra qui, en raison de leur gravité, ne seraient pas, selon la Cour, affectées par le passage du temps).

En l’espèce, la Cour estime que l’archive électronique d’un article relatif au délit commis ne doit pas créer pour Monsieur G. une sorte de « casier judiciaire virtuel », alors qu’il a purgé sa peine et qu’il a été réhabilité.

Elle relève « qu’une simple recherche à partir des nom et prénom de G. sur le moteur de recherche du journal Le Soir ou sur Google faisait immédiatement apparaître l’article litigieux, ce qui assurément était source d’un préjudice, à tout le moins moral, dans le chef de G. Une telle situation permettait à un large public, dont font nécessairement partie les patients, les collègues et les connaissances de G., d’avoir facilement connaissance de son passé judiciaire et était ainsi de nature à le stigmatiser, à nuire gravement à sa réputation et à le priver de la possibilité de se resocialiser normalement ».

Le degré d’accessibilité de l’information dans des archives numériques : libres d’accès ou payantes et rôle des moteurs de recherche

La Cour rappelle dans un premier temps la spécificité d’internet par rapport à la presse écrite, en raison de sa faculté, décuplée par le rôle des moteurs de recherche, « à porter atteinte à l’exercice et à la jouissance des droits et libertés fondamentales, en particulier le droit au respect de la vie privée »[34].

Elle estime ensuite que le degré d’accessibilité de l’archive doit être analysé en prenant en compte son libre accès, sa gratuité, ou son accès restreint, à un cercle d’abonnés par exemple et, qu’en général, la consultation des archives nécessite une démarche active.

En l’espèce, la Cour relève une grande accessibilité de l’archive, gratuite et accessible à tous à la date de la demande d’anonymisation et estime que le maintien de l’article dans ces archives « a certainement porté préjudice à Monsieur G. ».

L’impact de la mesure sur la liberté de la presse, apprécié en fonction de l’éventail des mesures disponibles et selon que celles-ci sont sollicitées auprès de l’exploitant du moteur de recherche ou de l’éditeur du site internet

La Cour pose pour principe de limiter l’atteinte à la mission d’information « au strict nécessaire » pour protéger le droit au respect de la vie privée ou l’atteinte à la réputation.

Elle relève ensuite que l’impact sur l’accès à l’information varie considérablement en fonction du type de mesure adoptée, et selon qu’elle est mise en œuvre par l’exploitant du moteur de recherche externe au fournisseur de contenu[35] ou l’éditeur du site internet directement[36].

Parmi les diverses mesures sollicitées, la Cour estime que le juge national doit privilégier « celle qui est tout à la fois la plus adaptée au but poursuivi par celle-ci, à le supposer justifié, et la moins attentatoire à la liberté de la presse dont l’éditeur concerné peut se prévaloir ».

L’absence de démarche préalable auprès des exploitants de moteur de recherche afin de les contraindre à réduire la détectabilité des informations peut être prise en compte[37].

A l’inverse dans l’affaire Biancardi, la Cour avait estimé que la mesure de désindexation était proportionnée, relavant à cet égard que, dans cette hypothèse, l’archive numérique du journal demeurait intacte.

En l’espèce, Monsieur G. n’avait pas choisi de diriger son action contre les exploitants de moteurs de recherche, mais directement contre le journal Le Soir. Une recherche par ses nom et prénom avec le moteur de recherche du site internet du journal Le Soir ou sur Google, faisait ressortir l’article litigieux dans les premiers résultats, ce qui avait selon la Cour un impact sur sa vie privée et professionnelle.

Par ailleurs, il avait sollicité à titre principal l’anonymisation et, à titre subsidiaire, la désindexation de l’article dans le moteur de recherche du journal.

Selon la Cour, la juridiction a correctement examiné le poids de la mesure d’anonymisation de l’article litigieux en relevant que :

1)     la seule mise en place d’un droit de rectification ou de communication prônée par Le Soir laisserait perdurer indéfiniment l’effet stigmatisant des infractions graves commises par G. et de la condamnation déjà purgée, rendant vaine la décision de réhabilitation dont il avait bénéficié ;

2)     G. était recevable à former sa demande auprès du seul éditeur de presse dès lors que l’indexation de l’article par les moteurs de recherche n’était possible que parce qu’il se trouvait dans la banque de données du journal de manière non anonymisée et sans aucune balise de désindexation ;

3)     une mesure d’anonymisation constitue une mesure moins attentatoire à la liberté d’expression qu’une suppression pure et simple d’un article[38], n’affectant pas autrement le contenu de l’information livrée, auquel le public a toujours accès ;

4)     les archives papier demeurent quant à elles intactes et peuvent être consultées par toute personne intéressée, remplissant ainsi leur rôle intrinsèque d’archive ;

5)     l’obligation pour un éditeur d’anonymiser un article initialement publié de manière licite peut en principe relever des « devoirs et des responsabilités » incombant à la presse et ne saurait dès lors être considérée comme une charge exorbitante et excessive.

*-*-*

La Cour conclut à l’absence de violation de l’article 10 et estime que les juridictions nationales ont soigneusement réalisé la mise en balance des droits en présence, l’anonymisation ordonnée apparaissant nécessaire dans une société démocratique et proportionnée :

« La Cour note que les juridictions nationales ont pris en compte de manière cohérente la nature et la gravité des faits de nature judiciaire relatés dans l’article litigieux, l’absence d’actualité ou d’intérêt historique ou scientifique de celui-ci, ainsi que l’absence de notoriété de G. De plus, elles ont attaché de l’importance au préjudice grave souffert par G. suite au maintien en ligne de l’article litigieux en libre accès, laquelle est de nature à créer un « casier judiciaire virtuel », eu égard notamment au temps qui s’était écoulé depuis la publication de l’article d’origine ».

Débats et perspectives

Les riches enseignements de cet arrêt amènent à s’interroger sur la place du droit à l’oubli, à travers le mécanisme de réhabilitation, du point de vue du Code pénal (4.2), mais également à travers le procès de presse et plus particulièrement en matière de diffamation, s’agissant de la possibilité de publier des informations portant sur des faits ayant donné lieu à des condamnations réhabilitées (4.3).

Droit à l’oubli, réhabilitation et droit de la presse : la prise en compte de l’impératif de rétablissement de la paix sociale dans le cadre du procès en diffamation

Au vu des enseignements du présent arrêt, que penser de l’édifice interne relatif au droit à l’oubli dans le procès de presse et plus particulièrement en matière de diffamation ?

Avant les décisions du Conseil constitutionnel de 2011[39] et 2013[40], relatives respectivement à l’interdiction de rapporter la preuve de la vérité de faits diffamatoires de plus de 10 ans, puis à celle de rapporter la preuve de faits diffamatoires constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou ayant donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision, l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881 excluait l’admission de l’exceptio veritatis dans de telles hypothèses.

Dans ces deux affaires ayant donné lieu à censure du Conseil constitutionnel, était en cause la proportionnalité de la prohibition, rédigée des termes généraux et absolus, de rapporter la preuve de la vérité de tels propos.

En effet, le Conseil constitutionnel a, à chaque fois, relevé que la limitation, par le législateur, de la possibilité de rapporter la preuve poursuivait un but d’intérêt général de recherche de la paix sociale[41] : le droit à l’oubli n’a certes pas de valeur constitutionnelle mais « le but de recherche de la paix sociale ainsi poursuivi constitue un motif d’intérêt général ». Le législateur peut rechercher, « par l’exercice de la compétence que la Constitution lui reconnaît en matière d’amnistie », « l’oubli de certains faits et l’effacement de leur caractère répréhensible », « dans un souci d’apaisement politique ou social[42] ».

Les considérants 6 et 9 fondants les deux censures prononcées en 2011 et 2013 reposent sur le caractère excessif de la prohibition « au regard de la recherche historique, du débat scientifique ou de la controverse politique[43] » :

« Considérant, toutefois, que cette interdiction vise sans distinction, [dès lors qu’ils se réfèrent à un fait remontant à plus de dix ou à des faits amnistiés ou réhabilités], tous les propos ou écrits résultant de travaux historiques ou scientifiques ainsi que les imputations se référant à des événements dont le rappel ou le commentaire s'inscrivent dans un débat public d'intérêt général ; que, par son caractère général et absolu, cette interdiction porte à la liberté d'expression une atteinte qui n'est pas proportionnée au but poursuivi ; qu'ainsi, elle méconnaît l'article 11 de la Déclaration de 1789 ».

Avant ces deux décisions, l’arrêt de la CEDH Mamère c. France[44] avait sanctionné la France pour violation de l’article 10, arrêt parfois présenté par la doctrine comme ayant condamné le mécanisme de prohibition de l’exception de vérité, dans les hypothèses susvisées.

Membre et responsable du parti écologique Les Verts, maire et député, Noël Mamère avait tenu des propos au cours d’une émission télévisée, mettant en cause un fonctionnaire public ayant dirigé, lors de l’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl, le Service central de protection contre les rayons ionisants (SCPRI), mis en examen pour tromperie aggravée dans ce cadre, à la suite d’un dépôt de plainte de personnes atteintes d’un cancer de la thyroïde. Il n’exerça pas d’offre de preuve puisque prohibée comme portant sur des faits trop anciens et fût condamné pour diffamation publique envers un fonctionnaire public, la Cour d’appel de Paris lui refusant l’excuse de bonne foi au motif d’un défaut de prudence et de modération des propos.

Que disait cet arrêt ?

Pour aboutir à un constat de violation de l’article 10, la Cour EDH a relevé deux éléments préalables : d’une part, les propos s’inscrivaient « dans le cadre d’un débat public d’une extrême importance » et, d’autre part, « Noël Mamère s’exprimait en qualité d’élu, dans le cadre de son engagement écologiste, de sorte que ses propos relevaient de l’expression politique ou militante »[45].

Examinant la prohibition, générale et absolue, résultant de l’ancien article 35 de la loi du 29 juillet 1881, la Cour n’a pas condamné le mécanisme en soi, puisqu’elle a affirmé qu’elle « [percevait] certes la logique d’une limite temporelle de cette nature, dans la mesure où, plus des allégations portent sur des circonstances anciennes, plus il est difficile d’évaluer leur véracité » mais que :

« Lorsqu’il s’agit d’événements qui s’inscrivent dans l’Histoire ou relèvent de la science, il peut au contraire sembler qu’au fil du temps le débat se nourrit de nouvelles données susceptibles de permettre une meilleure compréhension de la réalité des choses. Il en va en tout cas clairement ainsi s’agissant des effets de l’accident de Tchernobyl sur l’environnement et la santé publique et de la manière dont les autorités en général et le SCPRI en particulier ont géré la crise[46] ».

Au vu de ces précisions, il ne semble pas pouvoir être affirmé que la prohibition de l’exception de vérité portant sur des faits amnistiés ou réhabilités soit générale et absolue. Bien au contraire, cette prohibition apparaît devoir être limitée à des enjeux historiques, scientifiques ou sociétaux majeurs.

La Cour de cassation, bien que critiquée par une partie de la doctrine dénonçant une « logique dangereuse »[47] ou « arbitraire » ne s’y est pas trompée lorsque, postérieurement aux décisions du Conseil constitutionnel de 2011 et 2013, elle a, dans plusieurs affaires, décidé d’exclure la preuve de la vérité dans le cadre d’imputations portant sur des condamnations amnistiées et remis en cause la possibilité, pour l’auteur des propos, d’établir sa bonne foi, solution d’abord initiée par la 1ère chambre civile, à laquelle s’est ralliée la chambre criminelle.

Ainsi, par arrêt du 3 novembre 2015[48], la chambre criminelle de la Cour de cassation, au visa de l’article 15 de la loi n°2002-1062 du 6 août 2002 portant amnistie, a censuré un arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait admis l’offre de preuve constituée du jugement de la condamnation dont le propos litigieux faisait état, au motif que « toute référence à une sanction ou à une condamnation amnistiée est punie d'une peine d'amende de 5 000 euros » et « lorsque l'imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée, cette preuve ne peut être rapportée lorsque l'imputation consiste dans le rappel de la condamnation amnistiée elle-même ».

Ensuite, par arrêt du 12 décembre 2017[49], la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté un pourvoi formé contre une décision ayant refusé l’exercice des excuses exonératoires de vérité et de bonne foi[50], comme exercées en violation de l’interdiction susvisée de faire référence à une condamnation amnistiée, pour les motifs suivants :

« Attendu que, pour dire le prévenu responsable du dommage causé à la partie civile par les propos diffamatoires, après avoir rejeté l'offre de preuve de la vérité de ceux-ci, comprenant notamment le jugement du 15 septembre 2006 objet de l'imputation, et écarté l'exception de bonne foi, l'arrêt énonce que l'article 15 de la loi du 6 août 2002 portant amnistie interdit toute référence à une condamnation amnistiée, que le droit à l'oubli d'une telle condamnation constitue une limite proportionnée au principe de la liberté d'expression, et que la polémique syndicale ne peut autoriser le rappel répété et constant d'une condamnation amnistiée, lequel caractérise la mauvaise foi du prévenu, par ailleurs professionnel du droit ;

Attendu qu'en prononçant ainsi et dès lors que, d'une part, toute référence à une condamnation amnistiée étant punie par l'article 15, alinéa 3, de la loi du 6 août 2002 portant amnistie d'une amende de 5 000 euros, la vérité de l'imputation diffamatoire consistant en le rappel d'une telle condamnation ne peut être prouvée, pas davantage que ne peut être reconnue la bonne foi de l'auteur de ladite imputation, d'autre part, une telle prohibition, qui vise au rétablissement de la paix politique et sociale, constitue, même dans le contexte de polémique syndicale dans lequel ont été tenus les propos incriminés, une restriction à la liberté d'expression nécessaire, dans une société démocratique, à la protection des droits de la personne contre laquelle a été prononcée la condamnation amnistiée, la cour d'appel n'a méconnu aucune des dispositions légales et conventionnelles visées aux moyens ».

Enfin, par arrêt du 28 septembre 2016[51], la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a refusé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, relative à l’article 26 de la loi du 20 juillet 1988 portant amnistie et interdisant, à l’instar de l’article 15 de la loi de 2022 susvisée, tout rappel d’une telle condamnation.

La question prioritaire de constitutionnalité posée par France Télévisions, assignée pour avoir rappelé dans une émission télévisée une condamnation judicaire réhabilitée, dénonçait la contrariété de l’article 26 de la loi d’amnistie à la liberté d’expression, ainsi qu’au droit au procès équitable et aux droits de la défense, en ce qu'il pose une présomption irréfragable de culpabilité de toute personne qui rappelle, sous quelque forme que ce soit, une condamnation pénale amnistiée.

La Cour de cassation a estimé la question non sérieuse pour les motifs suivants :

« Attendu que la question posée ne présente pas un caractère sérieux, d'abord, en ce que l'atteinte portée à la liberté d'expression apparaît nécessaire, adaptée, et proportionnée à l'objectif d'intérêt général de rétablissement de la paix politique et sociale poursuivi par la loi d'amnistie, dès lors qu'en permettant qu'il soit fait référence aux faits qui ont motivé la condamnation amnistiée, elle ne présente pas un caractère général et absolu, ensuite, en ce qu'aucune atteinte n'est portée au droit à un procès équitable et au respect des droits de la défense par l'incrimination ».

Ces décisions apparaissent conformes à l’arrêt Hurbain c. Belgique et doivent être saluées en ce qu’elles sont de nature à permettre une protection, concrète et effective, au sens de la jurisprudence de la Cour, des droits des justiciables à la protection de leur réputation et de leur prétention à l’oubli, motif d’intérêt général, visant au rétablissement de la paix sociale et poursuivant, ainsi que l’a rappelé la Cour, non pas seulement l’intérêt de l’individu en question, mais celui de la société elle-même.

Cependant, ainsi que l’ont relevé plusieurs auteurs[52], la nuance faite par ces décisions internes, entre faits ayant donné lieu à la condamnation et condamnation elle-même, semble inutile et, plus précisément, de nature à vider de sa substance même la protection du droit à l’oubli, spécialement au vu des enseignements de l’arrêt Hurbain c. Belgique.

En effet, dans le cadre de son analyse de l’article visé par la demande d’anonymisation, la Cour EDH a expressément précisé que « même si les faits rapportés dans le cadre de l’article litigieux relataient l’accident mortel survenu et ne concernaient pas l’enquête pénale en cours ou la condamnation, ils portaient sur des faits ayant conduit après à une telle condamnation, de sorte que les faits relatés doivent être considérés comme étant de l’ordre judiciaire[53] ».

Cette absence de dissociation possible entre évoquer des faits judiciaires réhabilités et évoquer la décision de réhabilitation elle-même est souhaitable et nécessaire puisqu’il ne saurait décemment être évoqué et imputé des faits de nature pénale à un individu, en laissant le lecteur ignorant des suites, sauf à inviter la presse à faire état de mises en cause d’individus dans des procédures judiciaires, sans assurer un compte rendu fidèle et sincère des suites de cette mise en cause…

D’ailleurs, dans l’affaire Hurbain c. Belgique, l’article en cause ne mentionnait pas la décision de condamnation, mais évoquait seulement les faits ayant donné à la condamnation.

Or, à cet égard, et ainsi que les juridictions belges l’ont expressément relevé pour juger inadéquate la simple mesure de rectification ou de communication proposée par Le Soir, le fait d’aborder les actes commis par Monsieur G. – même en précisant la réhabilitation intervenue - ne constitue pas un procédé adéquat « s’agissant de la problématique d’un article relatant une information devenue préjudiciable par l’écoulement du temps[54] ».

Dans le droit fil de l’arrêt Mamère c. France et des décisions du Conseil constitutionnel, le législateur français pourrait profiter de l’occasion cet arrêt du 4 juillet 2023 pour modifier le texte de l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881 afin que la prohibition de l’exception de vérité, soit redéfinie et limitée aux hypothèses expressément visées par les magistrats européens et constitutionnels : intérêt historique, scientifique ou politique lié à un débat public d’une extrême importance. La protection du droit à l’oubli des citoyens serait ainsi assurée, ce qui n’est pas le cas, dans le flou de l’édifice actuel.

Droit à l’oubli, réhabilitation et droit pénal : un B1 bien réel et, dans les faits, perpétuel ?

L’article 43 (initialement 26) de loi n°2007-297 du 5 mars 2007[55] relative à la prévention de la délinquance et poursuivant l’objectif du législateur de lutte contre la récidive a modifié plusieurs articles du code pénal et du code de procédure pénale afin :

-    de doubler le délai de réhabilitation lorsque la condamnation est intervenue à raison de faits commis en état de récidive légale (article 133-13 code pénal),

-   d’autoriser la prise en compte par les juridictions d’une condamnation réhabilitée, pour l'application des règles sur la récidive légale (article 133-16 code pénal),

-    d’abroger la suppression automatique du bulletin n°1 du casier judiciaire des fiches relatives à des condamnations effacées « par la réhabilitation légale ou judiciaire » (article 769 code de procédure pénale).

Dans sa rédaction antérieure à la loi n°2007-297 du 5 mars 2007, l’article 769 code de procédure pénale était rédigé ainsi :

« Sont retirées du casier judiciaire les fiches relatives à des condamnations effacées par une amnistie, par la réhabilitation de plein droit ou judiciaire[56] ou réformées en conformité d'une décision de rectification du casier judiciaire ».

Depuis 1994, la réhabilitation de plein droit de la condamnation entraînait donc son effacement de l’ensemble des bulletins du casier judiciaire, n°1, 2 et 3.

Pour mémoire, la réhabilitation suppose l’absence de condamnation du justiciable à une nouvelle peine criminelle ou correctionnelle, pendant un certain laps de temps, amené à varier de 3 à 10 ans en fonction de la gravité de l’infraction initialement commise (v. article 133-13 code pénal) :

-     pour une condamnation initiale à une peine d’amende ou de jours-amende : 3 ans ;

-     pour une condamnation initiale unique à un emprisonnement n’excédant pas un an : 5 ans ;

-    pour une condamnation initiale unique à un emprisonnement n’excédant pas dix ans ou pour des condamnations multiples à l’emprisonnement dont l’ensemble n’excède pas cinq ans : 10 ans.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2007, la réhabilitation légale de la condamnation s’accompagne automatiquement d’une suppression de sa mention sur les bulletins n°2 et 3, à l’exception du bulletin n°1 qui est celui accessible aux seules juridictions.

Les débats parlementaires de 2006 et les amendements présentés permettent de saisir précisément la volonté du législateur.

Ainsi, alors que des amendements ont été présentés afin de supprimer la nouvelle version de l’article proposée par le Gouvernement, au nom du droit à l’oubli, et au motif que les règles entourant la réhabilitation étaient déjà suffisamment strictes dans la mesure où celle-ci n’est possible qu’après l’écoulement de délais importants et impossible en cas de peine supérieure à dix ans, le Gouvernement à l’origine du projet de loi a expliqué la raison d’être de l’article 26. Ainsi, lors de la séance de discussion du texte du 21 septembre 2006, Brice Hortefeux déclarait devant l’Assemblée nationale[57] :

« En ce qui concerne les amendements n°215 et 279, je rappelle que l'article 26 du projet de loi a pour objet (…) de maintenir l'inscription au bulletin n° 1 du casier judiciaire des condamnations ayant fait l'objet d'une réhabilitation, afin qu'elles puissent être prises en compte pour déterminer l'état de récidive ».

« Quant au maintien de l'inscription de la condamnation au bulletin n° 1 du casier judiciaire, il évitera que la justice ignore qu'une personne poursuivie a déjà été condamnée par le passé et permettra une meilleure individualisation de la sanction[58]. »

Autrement dit, il s’agit, en partie, d’une invitation directe à violer la loi et à nier le principe même de droit à l’oubli, puisqu’en dehors des règles de calcul de la récidive, la prise en compte d’une condamnation réhabilitée au titre de l’individualisation de la peine revient à violer les articles 113-16 et 133-11 du code pénal.

En l’état actuel du Code de procédure pénale, la survivance de la condamnation réhabilitée de plein droit au bulletin n°1 ne peut donc être invoquée que pour l’application des règles relatives à la récidive légale, ce qui signifie donc que cette condamnation doit encore pouvoir servir de premier terme à la récidive[59].

Cela ressort d’ailleurs expressément de l’article 133-16 du Code pénal.

L’article 133-16 alinéa 1er du Code pénal rappelle d’abord que les effets de la réhabilitation sont identiques à ceux de l’amnistie :

« La réhabilitation produit les mêmes effets que ceux qui sont prévus par les articles 133-10 et 133-11. Elle efface toutes les incapacités et déchéances qui résultent de la condamnation ».

L’article 133-11 du Code pénal relatif à l’amnistie auquel il est renvoyé dispose que :

« Il est interdit à toute personne qui, dans l'exercice de ses fonctions, a connaissance de condamnations pénales (…) effacées par l'amnistie, d'en rappeler l'existence sous quelque forme que ce soit ou d'en laisser subsister la mention dans un document quelconque ».

Le dernier alinéa de l’article 133-16 du Code pénal prévoit ensuite une seule exception concernant les effets de la réhabilitation afin de tenir compte du nouvel article 769 du Code de procédure pénale :

« La réhabilitation n'interdit pas la prise en compte de la condamnation, par les seules autorités judiciaires, en cas de nouvelles poursuites, pour l'application des règles sur la récidive légale ».

En d’autres termes, dès lors que la survivance sur le bulletin n°1 de condamnations réhabilitées de plein droit a pour seul objectif et justification l’application des règles sur la récidive, le maintien de ces mentions perd toute justification légale lorsque les condamnations en cause ne peuvent plus, en aucun cas, servir de premier terme au calcul de la récidive.


Bien plus, le maintien de ces condamnations réhabilitées de plein droit sur le casier accessible à la justice, alors qu’elles ne doivent pas être prises en considération par les juges lors de la détermination de la peine, est source de violations de la loi, au préjudice du justiciable.

A titre d’exemple, la chambre criminelle de la Cour de cassation[60] a dû censurer un arrêt de la cour d’appel de Versailles au visa des articles 133-16 du Code pénal et 769 du code de procédure pénale, aux termes duquel les juges avaient pris en compte les condamnations réhabilitées de plein droit figurant sur le casier du prévenu alors qu’elles ne pouvaient l’être faute de permettre l’application des règles sur la récidive légale, seule exception prévue par le dernier alinéa de l’article 133-16 du Code pénal :

« Vu l'article 133-16 du code pénal, ensemble l'article 769 du code de procédure pénale, en leur rédaction issue de la loi du 5 mars 2007 ;

Attendu qu'il résulte de la combinaison de ces textes qu'une condamnation réhabilitée, même si elle continue à figurer au casier judiciaire, ne peut être prise en compte par les autorités judiciaires, sauf cas prévus par la loi, pour la détermination de la peine ;

Attendu que les juges du second degré, avant de prononcer une peine contre Hamdane X... du chef de travail dissimulé, relèvent qu'il résulte du casier judiciaire du prévenu qu'il a fait l'objet de six condamnations dont quatre pour travail dissimulé qui n'ont pas eu pour effet de le dissuader ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ».

Le maintien au bulletin n°1 de condamnations réhabilitées de plein droit trop anciennes pour pouvoir constituer le premier terme de la récidive n’est donc ni nécessaire, ni proportionné à l’objectif de prévention de la récidive.

Il constitue une atteinte excessive au droit à l’oubli du justiciable, conventionnellement rattaché à la protection du droit à la vie privée (art. 8 de la CESDH) et à la « protection de la réputation ou des droits d’autrui » (art. 10 §2 de la CESDH).

L’atteinte au droit de la personne n’est plus proportionnée dès lors que sa seule justification légale – à savoir la nécessité de lutter contre la récidive et de prendre en compte une condamnation réhabilitée pour les seuls besoins de l’application des règles sur la récidive légale – n’existe plus.

L’effacement du bulletin n°1 de la condamnation réhabilitée trop ancienne pour pouvoir constituer le premier terme de la récidive légale répond donc à un impératif de paix sociale et se trouve justifié par le « droit à l’oubli », au nom desquels « il appartient parfaitement au législateur de décréter que la paix sociale passe par l’oubli des écarts passés et que commet un délit celui qui ravive des plaies que la loi ou le temps ont déjà cicatrisées[61] ».

*-*-*

Or, cas d’école, deux condamnations réhabilitées de plein droit figuraient encore sur le bulletin n°1 du casier judiciaire d’un client, en 2015, lors de sa mise en examen.

Ces condamnations anciennes de 15 et 16 ans, avaient été prononcées en 1999 et 2000, alors qu’il était âgé de 18 ans. Elles étaient insusceptibles de fonder, en 2015, de quelque manière que ce soit, le premier terme d’une récidive et cela, depuis plus de 10 ans.

Sauf à inciter les juges à violer la loi en prenant en considération des antécédents dont la loi leur défend de tenir compte, maintenir ces condamnations réhabilitées vieilles de 15 et 16 ans sur le casier judiciaire, ne servait pas les intérêts de la société et violait frontalement le droit à l’oubli, dont l’utilité sociale a été examinée supra.

Saisie d’une requête fondée sur l’article 798-1 du code de procédure pénale, article créé par la loi du 5 mars 2007, afin de remédier aux situations engendrées par les modifications nouvelles, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a pourtant refusé, dans un arrêt du 19 octobre 2015, de retirer ces condamnations réhabilitées de plein droit du bulletin n°1, au motif qu’il était nécessaire pour « l’individualisation de la peine d’en avoir connaissance » ( !) et qu’au vu de l’information judiciaire en cours l’intéressé « n’avait pas prouvé sa réelle volonté de changer et d’avoir tiré un trait définitif sur son passé », « sa réinsertion ne semblant acquise » ( !).

Ayant perdu toute foi en la justice, l’intéressé ne souhaita pas former de pourvoi en cassation.

Il fut relaxé par le tribunal correctionnel par jugement définitif du 7 avril 2021 à raison des faits lui ayant valu sa mise en examen en 2015 et indemnisé par décision définitive de la Cour d’appel de Paris du 15 mai 2023, statuant en matière de réparation de la détention provisoire, à hauteur de 24.000 euros en réparation des 2 mois et 15 jours de privation de liberté qu’il avait subis.

Ainsi, et là encore, l’arrêt Hurbain c. Belgique, pourrait être une bonne occasion pour le législateur de clarifier la combinaison des articles du code pénal et du code de procédure pénale relatifs à la réhabilitation et au calcul de la récidive, afin que cessent de telles situations, heurtant frontalement le droit à l’oubli, et allant bien au-delà de la stricte nécessité de la lutte contre la récidive.

L’hypothèse de la récidive dite générale et perpétuelle visée par l’article 132-9 du code pénal étant de 10 années, pourquoi ne pas prévoir, à l’instar du système de gestion du bulletin n°1 antérieur, un effacement automatique du B1, des condamnations réhabilitées, à l’expiration d’un tel délai, ou à l’expiration d’un délai de 5 ans, si la condamnation en question est délictuelle et ne concerne pas un délit puni de 10 ans d’emprisonnement ?


Références

  1. L’oubli, fondement même de la vie communautaire : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-chemins-de-la-philosophie/nietzsche-toute-action-exige-l-oubli-9681761
  2. CEDH. 4 juillet 2023 , Hurbain c. Belgique, n°57292/16 : https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-225546
  3. CEDH. 22 juin 2021 , Hurbain c. Belgique, n°57292/16 : https://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-210467
  4. CEDH 7 févier 2012, Van Hannover c. Allemagne, n°40660/08 et 60641/08.
  5. CJUE (gr.ch.), 13 mai 2014, Google Spain SL et Google Inc. C./Mario Costeja González; aff, C-131/12. ext=&dir=&occ=first&cid=1003026 Conclusions AG M. Niilo Jääskinen
  6. CEDH 7 févier 2012, Van Hannover c. Allemagne, n°40660/08 et 60641/08.
  7. V. infra s’agissant de la distinction entre l’évocation de faits (ayant donné lieu à une décision de réhabilitation) et l’évocation de la condamnation réhabilitée elle-même.
  8. V. §175 et §§55-56.
  9. V. CEDH, 28 juin 2018, M.L. et W.W. c. Allemagne, n°60798/10 et 65599/10, § 90.
  10. V. §181.
  11. V. L’article 17 § 3 a) du RGPD prévoit explicitement une exception au droit à l’effacement des données à caractère personnel dès lors que le traitement de ces données est nécessaire à l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information, et son considérant 153 exigeant une attention particulière à accorder au traitement de données à caractère personnel « dans les documents d’archives d’actualités et bibliothèques de la presse »
  12. Le rapport explicatif de la Convention 108+ précise que les exceptions et restrictions prévues à l’article 11 de cette Convention devraient s’appliquer « notamment aux traitements de données à caractère personnel (...) dans les documents d’archives d’actualités et d’organes de presse »
  13. CEDH 25 septembre 2018, Denisov c. Ukraine [GC], n°76639/11, § 97.
  14. CEDH 27 juin 2017, Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c. Finlande [GC], n°931/13, §§ 136-137.
  15. V. § 199.
  16. CEDH 16 juillet 2013, Węgrzynowski et Smolczewski c. Pologne, n°33846/07.
  17. CEDH 19 octobre 2017, Fuchsmann c. Allemagne, n°71233/13.
  18. CEDH, 28 juin 2018, M.L. et W.W. c. Allemagne, n°60798/10 et 65599/10.
  19. CEDH 25 novembre 2011, Biancardi c. Italie, n° 77419/16.
  20. CEDH 2015, Couderc et Hachette Filipacchi Associés c. France [GC], n°40454/07, §§ 90-93.
  21. CEDH 7 février 2012, Axel Springer AG c. Allemagne [GC], n°39954/08, §§89-95.
  22. V. infra pour la précision de chacun de ces critères, appliqués dans le cadre de la présente affaire.
  23. CJUE 13 mai 2014, Google Spain SL et Google Inc. C. Mario Costeja González, C-131/12.
  24. V. §208.
  25. V. §§ 209-211.
  26. V. Convention 108 et Convention 108+ du Conseil de l’Europe dans le domaine de la protection à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel et directive 95/46/CE.
  27. V. Biancardi c. Italie.
  28. V. CJUE 24 septembre 2019, GC et autres c/ CNIL, C-136/17 ; Lignes directrices relatives à la mise en exécution de l’arrêt de la CJUE C-131/12, Google Spain cité supra,
  29. CE, 6 décembre 2019, 13 arrêts.
  30. V. Couderc et Hachette Filipacchi Associés, précité, §§ 101 et 103, et les références qui s’y trouvent citées.
  31. V. M.L. et W.W c. Allemagne, précité, §106.
  32. V. §232.
  33. M.L. et W.W. c. Allemagne, précité, § 100
  34. Delfi AS c. Estonie [GC], n°64569/09, § 133, CEDH 2015, Comité de rédaction de Pravoye Delo et Shtekel c. Ukraine, n°33014/05, § 63, CEDH 2011 (extraits), et Cicad c. Suisse, n°17676/09, § 59, 7 juin 2016.
  35. V. §241 : « a) l’aménagement des résultats d’une recherche, avec pour effet de faire apparaître le lien vers le site internet en cause de manière moins proéminente sur la liste de résultats des liens ou b) le déréférencement complet ou partiel (uniquement lorsqu’une recherche est effectuée à partir du nom de la personne concernée) du lien dans les index du moteur de recherche ».
  36. V. §241 : « a) la suppression de tout ou partie d’un texte contenu dans l’archive numérique ; b) l’anonymisation du nom de la personne concernée dans le texte ; c) l’ajout d’une notice au texte, donc l’actualisation du texte par une rectification électronique (dans l’hypothèse où les informations étaient inexactes) ou par une communication électronique (dans l’hypothèse où les informations étaient incomplètes) ; d) la désindexation du texte du moteur de recherche interne du site ; e) la désindexation complète ou partielle (uniquement lorsqu’une recherche est effectuée à partir du nom de la personne concernée) à l’égard des moteurs de recherche externes, sur la base de codes d’accès ou en donnant des instructions aux exploitants de ces moteurs des zones qui ne sont pas explorées par leurs programmes de recherche ».
  37. 37 Fuchsmann, précité, § 53 et M.L. et W.W. c. Allemagne, précité, § 114
  38. 38 V. M.L. et W.W. c. Allemagne, précité, § 105.
  39. Décision n° 2011-131 QPC du 20 mai 2011.
  40. Décision n° 2013-319 QPC du 7 juin 2013.
  41. Décision n° 2011-131 QPC du 20 mai 2011, cons. 5.
  42. Décision n° 88-244 DC du 20 juillet 1988, cons. 24.
  43. Commentaire Décision n° 2011-131 QPC du 20 mai 2011.
  44. CEDH. 7 novembre 2026, Mamère c/ France, n°12697/3
  45. CEDH. 7 novembre 2026, Mamère c/ France, n°12697/3, §20.
  46. CEDH. 7 novembre 2026, Mamère c/ France, n°12697/3, §24.
  47. V. en ce sens. Bigot C., Pratique du droit de la presse, 2020, 3ème éd., Dalloz, § 321.191.
  48. 48 Cass. Crim. 3 novembre 2015, n°14-83.419 https://justice.pappers.fr/decision/8499d4666305c33574cb8e0ab0d2293a
  49. Cass. Crim. 12 décembre 2017, n°16-86.297.
  50. Même sens : Cass. Civ. 1ère, 16 mai 2013, n°12-19.783.
  51. Cass. Civ. 1ère, 28 septembre 2016, n°12-86.297.
  52. V. en ce sens. Bigot C., Pratique du droit de la presse, 2020, 3ème éd., Dalloz, § 321.191 et Lepage A. « une subtilité qui confine à l’artifice ».
  53. V. Hubrain c. Belgique précité, § 217.
  54. V. Hubrain c. Belgique précité, §30.
  55. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000002446691
  56. Passage supprimé depuis la modification législative du 5 mars 2007.
  57. https://www.senat.fr/seances/s200609/s20060921/st20060921000.html.
  58. Autrement dit, une Invitation directe à violer la loi et à nier le principe même de droit à l’oubli…puisqu’en dehors des règles de calcul de la récidive, la prise en compte d’une condamnation réhabilitée au titre de l’individualisation de la peine revient à violer les articles 113-16 et 133-11 du code pénal.
  59. E. BONIS-GARÇON ; V. PELTIER, Droit de la peine ; Litec, 2ème éd. 2015 ; §1450.
  60. Cass. Crim. 10 novembre 2009, n°09-82.368 ; Bull. Crim. 2009, n°189 ; même sens Cass. Crim. 19 octobre 2005, n°05- 81.799, Bull. crim.2005, n°261 « Attendu qu'il résulte de ces textes qu'une condamnation réhabilitée ne peut être prise en considération pour la détermination de la peine ».
  61. J.-P. Doucet, « Note sous TC Saint-Denis de la Réunion, 15 mai 1984 », Gazette du palais 1984, jurisp. 472.