Ecran total : Amazon, Netflix, Hulu… Les nouveaux acteurs du financement audiovisuel et cinématographique (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Emmanuel Pierrat, Avocat au Barreau de Paris,Spécialiste en droit de la propriété intellectuelle,
Ancien Membre du Conseil National des Barreaux, Ancien Membre du Conseil de l’Ordre, Cabinet Pierrat & de Seze [1] .
Mai 2018






Amazon, Netflix et autres Hulu sont les nouveaux acteurs du financement de l’audiovisuel en général et du cinéma en particulier, bien loin des faibles investissements de leurs débuts.


Il est donc l’heure de se pencher sur le cadre juridique dans lequel ils entendent devenir coproducteurs, qui traduit des stratégies bien distinctes.


L’invasion des profanateurs de la culture ?

Depuis son lancement en France en septembre 2014, la société de streaming Netflix, fondée par Reed Hasting, suscite autant d’enthousiasme de la part des spectateurs et des producteurs indépendants, que d’appréhension au sein des institutions et des acteurs traditionnels du financement de l’audiovisuel.


En effet, à lui seul, Netflix annonce pour le millésime 2018 un budget annuel d’acquisition de contenus de 8 milliards de dollars.


A titre de comparaison, en 2017, le groupe Disney a affiché un chiffre d’affaire de 4,8 milliards et des résultats nets de 2,35 milliards.


Dans la même logique, le géant du commerce électronique, Amazon, a lancé son service de Vidéo à la Demande (VoD), Amazon Prime sur le territoire français en janvier 2017 et annonce déjà 1 milliard de dollars par an d’investissements dans les contenus (parmi lesquels, il est vrai, 500 millions consacrés à la seule série préquelle du Seigneur des Anneaux).


Ces budgets confèrent une force de frappe inédite à ces nouveaux entrants dans un marché et une industrie qui, en France, reposent traditionnellement sur des acteurs très établis, des institutions comme le CNC aux producteurs historiques tels que Pathé-Gaumont et les chaînes de télévision.


Mais quel rôle Netflix et Amazon entendent-ils réellement occuper dans l’industrie cinématographique et audiovisuelle française ?


Amazon et Netflix : ADN divergents pour stratégies distinctes

Il faut se rappeler que, à l’instar de Facebook et comme l’a rappelé Mark Zuckerberg lors de son audition devant le Congrès Américain le 11 avril dernier, Netflix et Amazon ne se conçoivent pas comme des médias. Ces deux sociétés sont en effet des entreprises technologiques.


Le seul exemple de Netflix est édifiant.


La société emploie, à l’échelle mondiale 1 000 personnes pour maintenir et développer les infrastructures technologiques, 200 personnes aux fins d’établir et de mettre en place les stratégies makerting et de communication ; toutefois, 400 salariés sont aussi dédiés à l’encadrement et à l’acquisition de contenus audiovisuels.


Ce constat est encore davantage marqué chez Amazon, puisque son cœur de métier consiste à être une plateforme logistique.


Il serait donc dangereux d’interpréter les modes opératoires de ces deux géants par les prismes habituels de l’industrie culturelle.


En outre, à ce jour, les plateformes de vidéo à la demande ne sont pas soumises aux obligations de quotas de diffusion d’œuvres européennes ou de langue originale française. Il en va de même pour leurs obligations de contribution à la production audiovisuelle et cinématographique nationale.


A ce titre, les investissements opérés par ces sociétés sont, pour l’instant, le fruit d’une démarche volontaire mais non moins disruptive.


Par surcroit, les deux entreprises poursuivent des stratégies très différenciées. Ainsi, Amazon produit des œuvres cinématographiques et audiovisuelles alors que Netflix les acquiert.


Amazon, le bâtisseur

La société Amazon s’inscrit dans une démarche qui pourrait s’apparenter à celle d’un producteur dit « traditionnel ». En effet, la volonté d’Amazon consiste à fournir des capitaux en vue d’acquérir des droits de propriété sur les contenus audiovisuels et cinématographiques sur lesquels elle appose son nom.


Ainsi, Amazon aménage ses prises de participation au moyen de contrats de coproduction, lui assurant un large contrôle sur le produit fini, tout en déléguant la fabrication du contenu.


Rappelons que, en droit, le producteur est défini par l’article L. 132-23 du Code de la Propriété Intellectuelle qui dispose que « Le producteur de l'œuvre audiovisuelle est la personne physique ou morale qui prend l’initiative et la responsabilité de la réalisation de l’œuvre »


Cette définition est complétée par un décret du 9 juillet 2001, qui précise qu’il « prend personnellement ou partage solidairement l’initiative et la responsabilité financière, technique et artistique de la réalisation de l’œuvre et en garantit la bonne fin »


Le producteur du contenu audiovisuel, qu’il soit destiné au cinéma ou à la télévision (ou à une plateforme de vidéo à la demande), est donc la personne ou la société qui porte la responsabilité de la fabrication de l’œuvre, en ses aspects financiers, techniques et/ou artistiques.


Cependant, au sein d’une production commune, c’est à dire à plusieurs producteurs, permettant d’associer les ressources et de répartir les risques entre les différentes parties prenantes, on distingue ainsi plusieurs types de producteurs qui concourent à la fabrication de l’œuvre finale.


  • Le producteur délégué est celui qui endosse la responsabilité économique et juridique de la bonne fin de la production. Il exerce le pouvoir de producteur au nom de tous ses partenaires financiers et supporte le risque de la réalisation.

Il a le mandat de gestion de l’ensemble des coproducteurs et des co-intervenants financiers.


  • Quant au producteur exécutif est engagé par le producteur délégué.

ll assume la responsabilité de fabriquer, pour le compte d’autrui, le film ou le programme sur lequel il n’a, sauf exception, aucun droit patrimonial particulier.

En pratique, il est celui qui est chargé d’organiser le tournage, d’embaucher les techniciens, de trouver les lieux des prises de vues etc.


  • Enfin, le producteur associé, n’a aucune fonction ou responsabilité sur le film.

Il s’agit d’un simple investisseur.


Or, Amazon, dans sa façon de rédiger des contrats-cadres, pour l’heure tous en anglais, s’applique, en apparence, à garantir la liberté artistique de ses partenaires.


C’est ainsi qu’Amazon entend se faire céder l’entièreté des droits et au plus large en soulignant : « Rights : Amazon to acquire all rights (including copyright) worldwide in perpetuity”.


Cette clause, insérée dans un contrat international avec des protagonistes français, illustre la démarche d’Amazon de faire l’acquisition de la totalité des droits pour une période de temps la plus longue possible. En l’occurrence, l’accord mentionne la « perpétuité », ce qui n’est pas, en théorie, valable en droit français.


On imagine ainsi que dans un contrat passé avec un producteur français, la durée de la cession de droit serait égale à la durée légale du droit d’auteur national.


Amazon contribue donc financièrement à la production du film. L’implication de la société consiste en un apport de capitaux, qui constituent généralement la totalité du budget du contenu audiovisuel (“Budget : Subject to Amazon’s approval, Amazon cash component not to exceed … $, pursuant to the attached budget.”)


Par le jeu des clauses qui traitent du statut de financier d’Amazon, la fabrication de l’œuvre finale est confiée aux coproducteurs. Le contrat indique cependant certains « standards » de production.


Il est alors possible de se demander si Amazon ne réduit pas ses collaborateurs à de simples exécutants, qui réunissent les artistes de l’œuvre et organisent un tournage et une post-production.


Témoignent de ce contrôle les alinéas suivants : « Development : Each Lender will furnish the services of its applicable Artist(s) who will personally render for Company all services customarily rendered during development by producers of first-class feature-length theatrical motion pictures in the motion picture industry in Los Angeles, California and as required by Company for the Picture.


« Services : Lender will furnish the services of Artist who will personally render all services required by Company during pre-production, production and post-production of the Picture customarily rendered by producers of first-class feature-length theatrical motion pictures in the motion picture industry.”


Le contrat type d’Amazon, en 2017 et 2018, vise à se ménager néanmoins clairement le pouvoir de décision, en l’articulant avec celui de ses coproducteurs.


Amazon se place en qualité de Studio et s’octroie les pouvoirs de ce type d’intervenant : « Approvals : Amazon to have all standard studio approvals (creative, business and financial).


Amazon shall have approval of the Line Producer and the right to designate the production accountant. Producers shall have customary approvals overall all key creative, business and financial matters. “


La chronologie des medias

Lorsqu’est abordée l’exploitation d’un long métrage, comme le ferait un producteur (ou un studio) classique, Amazon aménage une exclusivité salle pour la sortie du contenu - il n’en est naturellement pas de même pour les séries qui sont diffusées directement sur la plateforme.


Ainsi, Amazon organise une sortie en salles, sur une période durant laquelle ce mode d’exploitation reste unique.


Amazon respecte donc en ce cas la chronologie des médias au regard des utilisateurs de la plateforme y accédant depuis le territoire français.


Les films originaux Amazon qui font l’objet d’une exploitation salles en France ne sont disponibles que 36 mois après leur sortie sur Amazon Prime.


En atteste la clause qui stipule : « Release commitment : Amazon shall cause the film to be released theatrically. Amazon shall determine the breadth of the US release in good faith consultation with Producers after screening the finished film, but in any event the film shall be released in theatres on no less than … domestic screens (simultaneous). Amazon agrees not to release the film on digital platforms or paid tv prior to … days following the initial theatrical release in the territory”.

Le droit de jeter l’éponge

Amazon se réserve la possibilité d’abandonner un projet sans avoir à fournir la moindre justification. En effet, du fait d’une clause de ses contrats, Amazon peut, à sa seule discrétion, se retirer totalement d’un projet : « Abandonment / artist’s services : Amazon may, in its sole discretion, at any time elect to abandon the Picture and/or to terminate Artist’s services in connection with the Picture for any reason, with or without cause.


La conception qu’a Amazon en droit, est donc plus que celle d’un simple producteur, et s’apparente à celle d’un studio. La société s’inscrit ainsi dans une démarche d’acquisition des droits sur des contenus audiovisuels, en en confiant la fabrication à ses coproducteurs, tout en se préservant une large marge de manœuvre, notamment cette faculté de jeter l’éponge à tout moment.


Il convient toutefois de noter qu’Amazon souhaite offrir une exploitation « classique » à ses films, qui passent par une sortie en salles, et qu’ils s’engagent même à respecter la chronologie des médias en France.


Netflix, le chasseur/cueilleur

A l’inverse, la toute puissante plateforme de Vidéos à la Demande Netflix ne s’inscrit pas, à ce jour, dans une démarche de production de contenus.


En effet, la stratégie de développement de contenus « exclusifs » (à savoir qu’ils sont les seuls à diffuser) adopte deux modalités.


Les acheteurs de Netflix acquièrent ainsi les droits de diffusion exclusive sur des contenus d’ores et déjà achevés.


Cela peut être le cas de films présentés en marchés dédiés ou en festivals.


Il existe également le cas des films développés, produits et parachevés par d’autres studios, mais pour lesquels les propriétaires originaux peinent à trouver une approche de distribution pertinente (ou tout simplement une place dans le calendrier des sorties).


Ce cas de figure a été illustré plusieurs fois en 2018, avec notamment The Cloverfield Paradox et Annihilation, films tous deux initialement au catalogue de la Paramount.


Dans cette hypothèse, la société Netflix procède donc à l’achat de droits de distribution exclusifs et adopte une stratégie marketing visant à présenter le contenu comme un « Original Netflix ».


Cependant, juridiquement, Netflix n’en est pas le producteur.


Les séries dites « Originales Netflix » comme House of Cards et Orange is the new Black, ne sont « que » financées Netflix. Il existe d’ailleurs des exemples récents, démontrant que Netflix démarche parfois un studio ou un artiste et lui propose un large financement en vue de la réalisation d’une oeuvre audiovisuelle ou cinématographique.


Cela s’est vu en particulier avec Okja de Bon Joon-Ho en 2017, ainsi que, en 2018 avec The Irishman, le nouveau film en cours de post-production de Martin Scorsese.


Il ne s’agit donc pas d’une logique d’achat de droits de propriété intellectuelle sur les films et séries, qui confère la qualité de producteur, mais simplement de pré-achat de droits de diffusion exclusive.


Et il apparait que Netflix, jusqu’ici n’est pas producteur de ses films et séries, mais simplement le diffuseur exclusif, même que ceux-ci « tamponnent » les œuvres du sceaux « Film Original Netflix ».

L’Union Européenne entre en jeu

Le 26 avril 2018, des parlementaires européens (menés par l’Eurodéputée Allemande Sabine Verheyen) et des États Membres de l’Union Européenne ont passé un accord visant à contraindre les services de vidéos en ligne à financer l’audiovisuel européen.


Ce modus operandi est déjà appliqué depuis bien longtemps en France, du fait de la loi du 1er aout 2000, modifiant la loi relative à la Liberté de communication du 30 septembre 1986 et mettant en place les obligations de participation des chaines de télévision à la production audiovisuelle nationale.


A cette occasion, l’Eurodéputée a déclaré « Nous avons enfin établi des règles du jeu justes et équitables, en adaptant certaines règles importantes aux services de médias sur internet qui n'étaient auparavant applicables qu'à la télévision traditionnelle ».


La Commission européenne avait ouvert le chantier en faisant une proposition en ce sens le 25 mai 2016 : sa démarche visait alors rééquilibrer un secteur où les nouveaux entrants de la vidéo à la demande (VoD) venaient ébranler des chaînes de télévision établie, sans avoir les mêmes obligations.


Ce texte vise en première ligne les deux géants que sont devenus Amazon et Netflix. Ces nouvelles dispositions s’inscrivent dans une démarche de refonte du droit de l’Audiovisuel de l’Union Européenne.


Parmi les mesures phares, le texte prévoit notamment un quota obligatoire de 30 % d'œuvres européennes dans les plateformes de diffusion de vidéos à la demande (contre une proportion estimée à 20 % actuellement).


En réaction à l’annonce de cet accord, la ministre française de la Culture Françoise Nyssen a salué « un texte ambitieux ».

Celle-ci estime qu’ « il répond parfaitement à la volonté de la France en matière de promotion de la diversité culturelle, de financement de la création et de protection des publics ».


Elle a également ajouté dans un communiqué dédié que "Le texte oblige les chaînes de télévision et les services de vidéo à la demande à contribuer au financement de la création dans le pays qu'ils ciblent quel que soit leur pays d'établissement. Cela permettra de remédier aux distorsions de concurrence et de prévenir les délocalisations opportunistes. Surtout, cela protègera le financement de notre création".


Cependant, il est difficile, voire périlleux, de se prononcer dès aujourd’hui sur la portée réelle du texte. En effet, celui-ci doit encore être adopté par le Parlement Européen réuni en session plénière, ainsi que par l’ensemble des États Membres.


L’ensemble de ces réflexions doit néanmoins faire prendre conscience que le fonctionnement de la production audiovisuelle européenne fait actuellement l’objet de profondes mutations, qui doivent forcer tous les acteurs du secteur à maintenir une vigilance constante et une attention accrue sur le poids et les pratiques de ces débutants de poids.

Note

  1. 1Cet article a été écrit avec le concours de Clara Benyamin, avocate au cabinet Pierrat & de Seze.