Enregistrement d'une personne à son insu et violation de la vie privée: est-ce légal ? (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
France > Droit privé > Droit pénal > Vie privée 

Fr flag.png

Thierry Vallat, Avocat au Barreau de Paris
Février 2018



Le Président des Républicains (LR) Laurent Wauquiez a été enregistré à son insu lors d'un cours donné devant des étudiants d'une école de commerce lyonnaise lors duquel il a fait quelques révélations surprenantes sur les "rumeurs" et ses amis politiques Enregistré à son insu, Laurent Wauquiez attaque Gérald Darmanin
Il menace maintenant de porter plainte contre le Quotidien qui a dévoilé cet enregistrement lors de son émission du 16 février 2018.


Rappelons que le code pénal puni d'un an d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende :

  • « le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel »(article 226-1 du code pénal).


  • « le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d'un tiers ou d'utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226-1 » (article 226-2 du code pénal).


Si enregistrer quelqu'un à son insu est une activité pouvant être risquée, elle n'est cependant pas forcément illégale.


La chambre criminelle de la cour de cassation nous apprend par exemple dans sa décision du 31 janvier 2012 que les enregistrements clandestins de conversations privées étaient un mode de preuve recevable à partir du moment ou ils avaient été produits par un particulier, qu’ils constituaient une pièce à conviction et qu’ils ne procédaient d’aucune intervention, directe ou indirecte, d’une autorité publique.


Cette solution jurisprudentielle est traditionnelle et conforme aux dispositions de 427 du code de procédure pénale qui dispose que "Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction.(…)"


Si une preuve obtenue illégalement par une partie peut être recevable devant le juge pénal, rappelons qu’il en est autrement devant le juge civil ou la preuve n’est généralement recevable que si elle a été obtenue par des moyens licites et loyaux.


La notion de loyauté invite, en matière civile, à ne produire que des enregistrements réalisés avec le consentement de l’auteur des propos. Une telle exigence a été affirmée avec force en droit du travail. Dans un arrêt de principe du 20 novembre 1991 rendu au visa de l’article 9 du code civil, la chambre sociale de la Cour de cassation retient en effet que « si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps du travail, tout enregistrement, quels qu’en soient les motifs, d’images ou de paroles à leur insu, constitue un mode de preuve illicite ».

L’exigence de loyauté explique, par exemple, que lors d’un appel vers une plate-forme téléphonique de service client, un message informe le consommateur que sa conversation avec un conseiller peut enregistrée.


Les objectifs du droit pénal légitiment la recevabilité de moyens de preuve déloyaux dès lors qu’ils permettent d’assurer la protection de la communauté des citoyens. En matière civile, la notion de loyauté permet d’assurer le respect de la vie privée.

Elle est toutefois laissée à l’appréciation souveraine du juge du fond, ce qui ouvre un champ à l’incertitude. Outre le problème de leur recevabilité devant un juge, va se poser l'éventuelle violation de la vie privée et des poursuites pénales contre l’auteur de ces enregistrements.


C’est ainsi que le majordome de Madame Bettancourt a pu être mis en examen pour avoir réalisé des enregistrements clandestins, alors même que la cour de cassation les a jugés recevables comme moyen de preuve.


Par ailleurs, le TGI de Lyon nous éclaire à cet égard dans une affaire qui concernait une nounou qui avait déposé plainte contre ses employeurs - les parents de l’enfant gardé par la nounou - pour atteinte à l’intimité de la vie privée, au motif que ses employeurs la filmaient à son insu et avaient capté des propos privés.


Le tribunal a relaxé les parents au motif que ces derniers n’avaient pas l’intention de porter atteinte à la vie privée de la nounou mais qu’il la filmaient clandestinement uniquement afin de vérifier les conditions de garde de leur enfant alors qu’il étaient inquiets du changement de comportement de celui-ci, nourrissant ainsi des soupçons de maltraitance par privation de soins, à l’encontre de la nounou. Le tribunal note d’ailleurs que « la conception de cet enregistrement (dans la peluche de l’enfant accroché à son gilet), sa durée (le temps de la garde de [l’enfant]) attestent qu’à aucun moment ils n’ont eu l’intention de porter atteinte à l’intimité de la vie privée de la plaignante même si c’est à son insu qu’ils ont enregistré ces conversations ».


Le 6 octobre 2011, la première chambre civile de la Cour de cassation a jugé que, sans le consentement de leur auteur, la captation, l'enregistrement ou la transmission de ses paroles, constitue une atteinte à l'intimité de la vie privée, peu important sa notoriété (civ. 1ère, 6 octobre 2011, n° 10-23606.) Haro donc sur les enregistrements clandestins : ils ne peuvent être divulgués sans porter atteinte à la vie privée des personnes concernées.


Dans un arrêt rendu le 15 janvier 2015, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation, le 15 janvier 2015 précise que "constitue une atteinte à l'intimité de la vie privée, non légitimée par l'information du public, la captation, l'enregistrement ou la transmission sans consentement des auteurs à titre privé ou confidentiel". Cette décision nous enseigne que la liberté de communiquer des informations est soumise à des restrictions prévues par la loi, nécessaires dans une société démocratique, à la protection des droits d'autrui afin d'empêcher la divulgation d'informations confidentielles, notamment le droit au respect de la vie privée, fondée sur l'article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.


Il s'agissait d'un site web d’information a publié des extraits de conversations enregistrés par une personne travaillant au service d’une autre personne, et captés au domicile de cette dernière. La personne enregistrée s'était plaint d’une atteinte à l'intimité de sa vie privée, infractions prévues et réprimées par les articles 226-1 et 226-2 du Code pénal.


Si les enregistrements ne révèlent pas d’informations privées, l'atteinte est caractérisée par le seul enregistrement clandestin des propos de la personne


La Cour de cassation vient donc confirmer son interprétation de l’article 226-1 du Code pénal qu’elle avait posée de deux précédents arrêts (Cour de cassation, 1e chambre civile, 5 février 2014 n°13-21929 et Cour de cassation, 1e civile, 3 septembre 2014 n°14-12200) qui met en place le critère jurisprudentiel "conception-objet-durée"


La Cour de cassation s’attache donc désormais à trois critères cumulatifs pour caractériser l’atteinte à la vie privée :


  • le caractère clandestin de l’atteinte ;
  • la localisation de l’enregistrement ;
  • et la durée de l’enregistrement,


Sur le plan de la propriété intellectuelle, il n'est pas davantage autorisé de publier ou diffuser sans son consentement les propos d'un professeur que l'on aurait enregistré sur un support numérique: il est interdit de reproduire une oeuvre de l'esprit(si, si c'en est une même dans ce cas) sans l'autorisation de l'auteur (sauf exception pour copie privée dans le cercle familial ou copie de sauvegarde) !


En tout état de cause, ces affaires illustrent le risque auquel s’exposent les particuliers recourant à des procédés clandestins afin de collecter scoops ou les preuves d’infractions, risque limité en revanche si des circonstances précises justifient le recours au procédé clandestin et que le but recherché n’est pas de violer la vie privée d’autrui.


Lire également sur le sujet notre article Affaire du chantage au Roi du Maroc: enregistrements clandestins