Etablissement de crédit et sauvegarde : quel rôle et quel poids face au risque de dévoiement de la procédure (fr)
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Compte-rendu de la réunion du 31 mai 2012 de la Commission de droit Commercial et économique du barreau de Paris, réalisé par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo — édition affaires
Commission ouverte Droit commercial et économique
Co-responsables : Bernard Lagarde et Georges Teboul, avocats au barreau de Paris
Sous-commission Banque et crédit
Co-responsables : Bénédicte Bury et Marie-Christine Fournier-Gille, avocats au barreau de Paris
Intervenants : Julie Lavoir, Administrateur judiciaire près le Tribunal de Commerce de Paris,
Odile Mercier, Responsable du Recouvrement Entreprises - BDDF - ASR - Recouvrement Entreprises au sein de BNP PARIBAS
Julien Augais, avocat au barreau de Paris
Le cœur de la réforme du 26 juillet 2005 (loi n°2005-845, de sauvegarde des entreprises), modifiée en 2008 (ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, portant réforme du droit des entreprises en difficulté) est incontestablement la procédure de sauvegarde créée de toute pièce avec une volonté affichée au départ par le législateur de convaincre les dirigeants de réagir en amont lorsqu'ils rencontrent des difficultés au sein de leur entreprise afin qu'il ne soit pas trop tard et tenter d'éviter ainsi le plus possible la cessation des paiements.
Ce troisième cas de procédure de collective permet de laisser les rênes aux dirigeants et d'avoir plus de liberté que dans les procédures de redressement et de liquidation judiciaires, tout en protégeant l'entreprise par le mécanisme de la suspension des poursuites. Malheureusement, des écueils sont rapidement apparus et des abus se sont concrétisés avec des dirigeants qui voyaient par ce biais la possibilité de bénéficier de 6 à 18 mois de suspension sans avoir à payer quiconque. Il y a là un vrai problème ; il est donc important de savoir quelle est la marge de manœuvre et quels sont les outils dont bénéficient les créanciers, et plus particulièrement les établissements de crédit, pour lutter contre ces dévoiements.
C'est autour de trois axes, abordés successivement, que seront apportées des réponses à ces questions : - le dévoiement au stade de l'ouverture de la procédure de sauvegarde (1); - le dévoiement pendant la période d'observation (2) ; - l'avis de l'administrateur judiciaire (3).
1 - Les établissements de crédit face aux dévoiements de la procédure de sauvegarde au stade de l'ouverture
1.1 - L'identification des dévoiements
L'ouverture de la procédure de sauvegarde est régie par l'article L. 620-1 du Code de commerce. En 2005, dans sa version d'origine, il était prévu que la procédure de sauvegarde devait être ouverte lorsque le débiteur rencontrait des difficultés qui devaient le conduire à la cessation des paiements. Il appartenait dès lors au débiteur de démontrer qu'il était au bord de la cessation des paiements tout en prouvant qu'il pouvait encore faire face au passif exigible avec l'actif disponible. En 2008, l'ordonnance de réforme a ouvert les conditions d'ouverture de la sauvegarde, sans doute en raison du peu de succès de cette procédure. L'article L. 620-1 prévoit ainsi désormais que le débiteur peut demander l'ouverture de la sauvegarde lorsqu'il rencontre des difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter. Il s'agit là d'une notion relativement vague qui recouvre notamment les difficultés économiques, sociales, commerciales, etc.. Ceci étant, le débiteur n'a donc plus à prouver une cessation des paiements imminente ; il doit toutefois démontrer qu'il n'est pas en cessation des paiements.
La première question tranchée a été celle du moment auquel il convient de se placer pour savoir si ces conditions sont remplies : c'est évidemment au moment où le juge statue. Lorsque le juge statue, il lui appartient donc en théorie de vérifier que le débiteur remplit bien toutes les conditions au moment de l'audience. Or, en pratique ce travail de contrôle n'est pas toujours effectué.
Les tribunaux ont tendance à faire confiance au débiteur qui présente des situations comptables avec des certifications de son commissaire aux comptes. Dans bien des cas, pourtant, le débiteur est déjà en cessation des paiements et le tribunal ouvre une procédure de sauvegarde alors qu'il ne s'agit pas de la voir procédural appropriée.
Apparaît donc là un premier cas de dévoiement de la procédure de sauvegarde : les dirigeants en sollicitent l'ouverture alors qu'ils sont déjà en cessation des paiements afin de pouvoir conserver les rênes de l'entreprise, contrairement à ce qui est prévu en cas d'ouverture d'un redressement judiciaire. Lorsque l'entreprise est en cessation des paiements, cette procédure de sauvegarde apparaît donc particulièrement intéressante pour les dirigeants.
Second cas de dévoiement de la procédure de sauvegarde : une société, virtuellement en cessation des paiements, va user en amont de tout ce que le Code de commerce lui offre pour retarder le paiement de ses créanciers. La société va ainsi passer par une procédure de conciliation, dans laquelle elle sollicite souvent des banquiers des wavers (documents par lesquels ils renoncent à l'exigibilité de leur créance jusqu'à la signature de l'accord), et demander, juste avant la signature du protocole, l'ouverture d'une procédure de sauvegarde. En plus des délais dont elle a déjà bénéficiés dans le cadre des discussions préalables à la procédure de sauvegarde, l'entreprise tire de la sorte profit des 6 à 18 mois de suspension des poursuites de la période d'observation.
Certaines entreprises vont contourner de façon encore plus flagrante l'esprit de la loi : non pas parce qu'elles sont en cessation des paiements virtuelle ou avérée mais uniquement parce qu'elles rencontrent des difficultés commerciales. C'est le cas, par exemple, du dirigeant qui demande l'ouverture d'une procédure dans l'unique dessein de contraindre son cocontractant à la renégociation d'une convention.
Sur ce sujet du dévoiement de la sauvegarde au stade de l'ouverture, on s'aperçoit finalement que se présentent deux grandes tendances de fond qui sont en quelque sorte ambivalentes : d'une part, les tribunaux de commerce appliquent de façon extrêmement rare la responsabilité du banquier pour soutien abusif et, d'autre part, il est clairement affiché une volonté de protéger les débiteurs qui ont eu recours à ces crédits par la mise en place d'une succession de procédures de nature contractuelle (mandat ad hoc et conciliation) et de nature judiciaire. Ainsi, une série d'affaires emblématiques, "Eurotunnel" (en dernier lieu, Cass. com., 30 juin 2009, 4 arrêts, n° 08-11.902, FS-P+B+R N° Lexbase : A5782EIY, n° 08-11.903, FS-D N° Lexbase : A5783EIZ, n° 08-11.905, FS-D N° Lexbase : A5785EI4, n° 08-11.906, FS-D N° Lexbase : A5786EI7), "Thomson" (T. com. Nanterre, 17 février 2010, aff. n° 2010L00346 N° Lexbase : A9650ERT confirmé par CA Versailles, 3ème ch., 18 novembre 2010, n° 10/01433 N° Lexbase : A7946GKI) et "Coeur Défense" (Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-13.988, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0445G7M et, sur renvoi après cassation, CA Versailles, 13ème ch., 19 janvier 2012, n° 11/03519 N° Lexbase : A3680ICB) démontre un élargissement progressif des conditions d'ouverture de la procédure de sauvegarde.
En l'occurrence, l'affaire "Coeur Défense" met en exergue l'élargissement de la conception du caractère insurmontable des difficultés. L'affaire en réalité est très simple : il s'agit d'un financement LBO avec une société française qui acquiert un immeuble dans le quartier de La Défense et une société mère luxembourgeoise qui souscrit l'emprunt finançant l'acquisition de l'immeuble, cet emprunt étant, d'une part, couvert par la société française, qui prend un certain nombre d'engagements pour assurer le remboursement du prêt, et d'autre part, garanti par les titres de la filiale que détient la société mère. L'ensemble de ces sociétés était des émanations du groupe Lehman Brothers qui est entré en faillite. Or Lehman Brothers, qui assurait l'ensemble des conditions du prêt et notamment la couverture des taux, s'est trouvée ne plus être en mesure de les assurer, alors que la couverture des intérêts évolutifs était une condition de remboursement anticipé du prêt. Il s'agissait donc de tenants et d'aboutissants de nature financière et non de nature économique. La société française et la société mère luxembourgeoise ont demandé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde. Le créancier, un fonds de titrisation qui avait bénéficié de la cession des créances par Lehman Brothers, a contesté l'ouverture au motif que les difficultés insurmontables ne peuvent avoir pour seul objet de protéger les actionnaires qui veulent conserver leurs biens. En l'espèce, il n'y avait aucune difficulté économique puisque les loyers étaient payés et encaissés et que seul ne pouvait être assuré le remboursement du prêt qui avait permis l'acquisition de l'immeuble.
Ces moyens, rejetés en première instance, ont été acceptés par la cour d'appel de Paris qui a annulé l'ouverture de la procédure de sauvegarde. La Cour de cassation s'est prononcée le 8 mars 2011 et a cassé l'arrêt des juges parisiens, retenant que, peu importe que l'ouverture de la procédure de sauvegarde ait pour objet de s'opposer à l'application des contrats de financement dès lors que la société qui demande l'ouverture a fait valoir qu'elle rencontre des difficultés insurmontables qui ne lui permettaient pas de continuer son activité, sauf démonstration d'une fraude (solution confirmée par CA Versailles), dont on comprend qu'elle ne peut être assimilée au fait de demander l'ouverture d'une sauvegarde pour échapper au remboursement de l'emprunt. Il s'agira plus particulièrement alors de simuler des difficultés insurmontables.
Cette décision est intéressante à deux titres. D'une part, elle vient élargir les conditions d'ouverture de la procédure de sauvegarde à tout un pan du financement de l'activité des entreprises qui est aujourd'hui essentiel et fondamental et que l'on retrouve dans les LBO. Il s'agit donc de protéger ces montages financiers parce qu'ils permettent le développement des entreprises. D'autre part, cette décision incite au traitement en amont des difficultés financières des entreprises et encourage les banques à participer plus activement à des procédures non-judiciaires comme le mandat ad hoc ou la conciliation qui leur sont toujours préférables à la procédure de sauvegarde dans laquelle elles seront amenées à accepter, dans bien des cas, des sacrifices supérieurs à ceux qu'elles pourraient consentir dans des procédures plus contractuelles.
Il faut rappeler qu'avant 2005, faute de cessation des paiements, seules existaient les procédures de conciliation qui se situent en amont des procédures collectives. Ces procédures de traitement amiable et préventif des difficultés fonctionnent très bien, chez BNP-Paribas. D'ailleurs, dans le cadre de dossiers plus internationaux, les créanciers regardent ces procédures avec beaucoup d'intérêt. Instauré une troisième procédure collective qui suspend les poursuites, alors qu'il n'y a pas cessation des paiements et donc pas de créancier en droit de poursuivre l'entreprise, a plutôt laissé perplexes les banquiers. Quelle en est dès lors la véritable raison ?
Etait-ce la première réponse, avant la sauvegarde financière accélérée (loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010, de régulation bancaire et financière, apportée au traitement des LBO et plus exactement au mur de la dette annoncé ? Il est vrai que s'agissant d'amortissements annuels ou de bullet importante, la société peut ne pas se trouver en cessation des paiements mais savoir qu'elle ne sera pas en mesure d'ici quelques temps de faire face à sa ou ses échéances futures.
L'instauration de cette procédure manifeste-t-elle plutôt la volonté de protéger le chef d'entreprise avant qu'il ne se trouve en état de cessation des paiements, s'agissant d'une situation psychologiquement honteuse dans certains esprits et qui lui laisse toute latitude en sa qualité de chef d'entreprises ? Ou était-ce, enfin, la volonté de protéger la caution personne physique qui ainsi échappe à la poursuite des créanciers, non seulement pendant la période d'observation mais aussi pendant la durée du plan de sauvegarde ? L'interrogation est de mise. D'autant que le mandat ad hoc et la conciliation, dont le succès n'est plus à démontrer, permettent cette souplesse et cette liberté de ton et d'action dans une parfaite confidentialité, au contraire, d'ailleurs, de la procédure de sauvegarde qui est une procédure collective donc soumise à publicité.
L'assouplissement en 2008 des conditions d'éligibilité à la sauvegarde a encore déstabilisé le banquier. Encore une fois, la procédure de sauvegarde est une procédure collective dont le but pour la société est d'obtenir des délais et/ou des abandons de créance. De là à considérer que c'est un moyen pour le débiteur qui n'en a pas besoin, d'obtenir le réaménagement de ses contrats et donc la durée de ses crédits, les conditions financières ou les montants, le doute est permis. Par ailleurs, dans le cadre des procédures amiables, il est impossible d'imposer quoi que ce soit aux créanciers, même le plus petit d'entre eux, à l'inverse de ce qui se passe dans le cadre d'un plan de sauvegarde.
1.2 - Les marges de manœuvre des établissements de crédit
A ce niveau, la première question qui se pose est de savoir si l'établissement de crédit, tiers à la procédure, peut contester l'ouverture de la procédure de sauvegarde. En droit des entreprises en difficulté, les voies de recours ont toujours été envisagées de manière très restrictive. C'était le cas dans le cadre de la loi de 1985, remaniée en 1994, ça l'est encore plus depuis 2005.
Les recours sont régis par deux textes. L'article L. 661-1 du Code de commerce prévoit ainsi que l'appel est ouvert au débiteur, au ministère public et au créancier poursuivant. A contrario, aucune autre personne ne peut faire appel de la décision d'ouverture. L'article L. 661-2 pouvait toutefois laisser entrevoir une lueur d'espoir, puisqu'il prévoit que les décisions d'ouverture sont susceptibles de tierce-opposition.
Mais encore faut-il répondre aux conditions de droit commun de la tierce-opposition que pose le Code de procédure civile. Or, bon nombre de dossiers ferment en réalité la porte au créancier qui voudrait former une tierce-opposition. En effet, l'une des conditions posées est que le créancier puisse faire valoir des moyens propres qui n'auraient pas été défendus dans le jugement. De jurisprudence constante, lorsque l'entreprise in bonis est demanderesse ou défenderesse à un procès, ces créanciers sont considérés comme représentés à l'instance par leur débitrice (Cass. req. 8 juillet 1850, DP 1850, 1, 244 ; Cass. civ. 2, 20 octobre 1965, Bull. civ. II, n° 765).
Quid dans le cadre d'une procédure collective ? Peut-on considérer que le débiteur défend encore les intérêts de ces créanciers ? Evidemment non, car il y a là une dissociation des intérêts puisque le débiteur a tout intérêt à se placer sous la sauvegarde, au détriment de ses créanciers.
Et, l'affaire "Eurotunnel" (Cass. com., 30 juin 2009, préc.) semble faire exception au principe de droit commun et être favorable à l'ouverture d'un tel recours pour les créanciers. La Chambre commerciale a en effet estimé que la tierce-opposition des créanciers, ressortissants du Royaume-Uni, était recevable à l'encontre du jugement ouvrant la procédure collective. La prudence est toutefois de mise car la motivation est très particulière. Ces créanciers faisaient en effet valoir que Eurotunnel devait se soumettre à la loi du Royaume-Uni concernant la procédure collective dont elle était l'objet. Dans ce schéma, l'intérêt de ces créanciers était donc distinct mais tout à fait particulier.
L'arrêt "Eurotunnel" a été un précurseur en la matière mais il ne se fondait pas vraiment sur les "moyens propres" du Code de procédure civile. En réalité, cet arrêt a été rendu sur le fondement de l'article 6 de le CESDH et du droit d'accès à la juridiction.
Cette brèche a été enfoncée par l'affaire "Coeur Défense" dont on peine à savoir s'il s'agit d'une application à des cas particuliers ou s'il s'agit d'un principe plus général. En effet, dans l'arrêt "Cœur Défense", la thèse défendue par le créancier, pour soutenir l'existence d'un moyen propre, était que l'unique objet de l'ouverture de la procédure de sauvegarde était d'empêcher le remboursement anticipé de l'emprunt dont il était l'unique créancier. Ce moyen de défense a été accueilli par le juge qui a ouvert sur le fondement de la tierce-opposition et des moyens propres l'action au créancier au cas d'espèce. Or, dans ce cas précis, la procédure avait bien été ouverte pour empêcher le remboursement de ce créancier précisément, de sorte que se pose la question de savoir si un autre créancier aurait été recevable. Et, à la lecture de la décision, rien ne permet de l'affirmer.
Dès lors, on peut identifier deux risques. Il sera d'abord beaucoup plus facile à un créancier détenant une créance important de pouvoir agir sur le fondement de la tierce-opposition, puisqu'il pourra prouver plus aisément qu'un petit créancier que la procédure a pour objet d'empêcher le remboursement de sa créance. Ensuite, si l'on ouvre les vannes des tierces-oppositions à l'ensemble des créanciers, le débiteur risque de se retrouver face à d'innombrables procédures judiciaires qui se révéleront ingérables pour ce dernier. Il convient donc de faire attention à une double dérive : celle d'une trop grande ouverture de l'éligibilité à la procédure de sauvegarde et celle d'une trop grande ouverture de la contestation de la procédure de sauvegarde aux créanciers.
Pour le banquier, sauf cas d'espèce emblématique, la souveraineté des tribunaux de commerce, qui décident plus en fait qu'en droit, l'importance des risques économiques et sociaux et du risque d'image sont des freins très importants. Les voies de recours sont très difficiles et restreintes, de sorte qu'il est assez rare que les banques exercent une voie de recours contre le jugement ouvrant une procédure de sauvegarde.
Ainsi, face à ces difficultés de recevabilité, les créanciers doivent se résoudre à trouver d'autres solutions pour intervenir le plus tôt possible dans ces procédures et éviter toute dérive quelle qu'elle soit. L'autre solution qui se présente alors aux créanciers et qui est de plus en plus utilisée est de se faire désigner contrôleur de la procédure.
Cette possibilité est ouverte au moins un mois après le jugement d'ouverture aux créanciers qui ont déclaré leur créance. Cela permet notamment d'avoir accès aux actes de procédure, d'être plus facilement entendu par le juge-commissaire dans un premier temps, et par les organes de la procédure dans un second temps. L'intervention du contrôleur n'est pas anodine, mais cette fonction doit être remplie avec intelligence. Il n'est pas ici question de contester des actes tout azimut.
Le contrôleur doit agir avec une certaine précaution. Il peut apparaître en effet assez facile pour un établissement bancaire qui a commis des écueils dans le financement de l'activité du débiteur de se faire désigner contrôleur pour se protéger de ses écarts.
Toutefois, lorsque ce cas de figure se présente, le juge-commissaire peut décider d'organiser une audience au contradictoire pour entendre les parties, le débiteur pouvant s'opposer à la nomination d'un créancier déterminé comme contrôleur en précisant les raisons pour lesquelles il estime que tel créancier n'a pas vocation à exercer de telles fonctions. Il peut en outre former un recours contre la décision de nomination du contrôleur s'il estime justement que celui-ci n'agit pas dans l'intérêt de tous les créanciers avec une vision objective du dossier.
Il y a une éducation à faire du contrôleur et de sa fonction qui est très souvent perçu dans les études d'administrateurs judiciaires comme l'émanation du créancier animé par un sentiment revanchard qui, à tort ou à raison, estime qu'il a été maltraité et va ainsi instrumentaliser la fonction pour réclamer de nombreux documents avec comme optique de se faire racheter sa créance pour cesser son pouvoir de nuisance. Or, un tel comportement dessert assurément la fonction de contrôleur. Le contrôleur, au contraire, doit venir en soutien de l'administrateur afin de résister au conseil du débiteur dans leur tentative de tirer le maximum d'avantages que leur offre la procédure de sauvegarde. Il doit en outre promouvoir la parole et le dialogue vis-à-vis des autres créanciers, notamment en demandant la tenue d'une réunion générale, ou encore en ayant un rôle pédagogique à leur égard.
Si pour un banquier, se faire nommer contrôleur, est le meilleur moyen d'avoir accès à des informations, le rôle de contrôleur comporte certaines obligations. Aussi, avant de solliciter sa nomination, la banque réfléchira à l'intérêt du dossier, dans la mesure où il s'agit d'une fonction extrêmement chronophage.
2 - Les établissements de crédit face aux dévoiements de la procédure de sauvegarde au cours de la période d'observation
2.1 - L'identification des dévoiements
Au stade de la période d'observation, les établissements de crédit sont souvent maltraités, à la différence des fournisseurs, absolument indispensables à la poursuite de l'activité. Les six premiers mois de la période d'observation vont donc être utilisés pour discuter avec ces derniers, renégocier les contrats et les conditions de paiement et se restructurer en interne sans que les créanciers bancaires n'aient la plupart du temps la moindre information. Les entreprises vont attendre le renouvellement de la période d'observation pour contacter les établissements de crédit et commencer à engager la discussion avec eux. Les banquiers se retrouvent ainsi trop souvent au pied du mur. Ce dévoiement plus que regrettable s'accentue dans les dossiers dans lesquels sont en jeu des créances importantes détenues par des pool bancaires et qui exigent au préalable un accord des créanciers entre eux.
Depuis la loi de sauvegarde des entreprises, la consultation des créanciers s'effectue selon deux modes : soit l'entreprise remplit un certain nombre de critères pour que des comités soient constitués (les comptes certifiés par un commissaire aux comptes, 150 salariés et/ou 20 millions d'euros de chiffre d'affaires), auquel cas les établissements de crédit font partie de l'un de ces comités (C. com., art. L. 626-29 et R. 626-52), soit l'entreprise est trop petite et dans ce cas, la consultation s'effectue au cas par cas. La constitution et la consultation, dans le cadre des comités, devaient permettre, dans l'esprit du législateur, de négocier au mieux dans l'intérêt de tous et éviter que les créanciers ne se voient imposer des plans d'une longueur excessive. Pour autant, le système est perfectible et contient des insuffisances.
D'abord, quand bien même le débiteur dépasserait les seuils légaux, aucune sanction n'est prévue à l'absence de constitution de ces comités.
Ensuite, au stade de la composition et des règles de vote, en application des articles L. 626-30 et R. 626-55 du Code de commerce sont membres de droit du comité des établissements de crédit, les établissements de crédit et ceux assimilés, ainsi toute autre entité auprès de laquelle le débiteur a conclu une opération de crédit. On retrouve donc une définition extrêmement large, puisque vont avoir accès à ces comités non seulement les hedges funds, mais malheureusement aussi les holdings et les filiales de l'entreprise en sauvegarde. Ainsi, dans les gros groupes de sociétés dont l'une seulement fait l'objet d'une procédure de sauvegarde, la holding qui a fait d'importantes avances en compte courant d'associé et/ou les filiales qui, en sens inverse, ont conclu avec la mère des conventions de trésorerie feront partie du comité des établissements de crédit et pourront ainsi polluer le débat dans la mesure où, bien entendu, les intérêts des créanciers tiers au groupe de sociétés ne sont pas les mêmes que ceux du groupe lui-même. Ce risque de dévoiement au stade de la consultation est fonction du poids des créanciers dans ce comité. Depuis 2008, selon l'article L. 626-30-2 du Code de commerce, le vote au sein de ces comités intervient à la majorité des deux tiers des créances hors taxe. Dès lors, plus le montant des avances consenties par les holdings et filiales est important, plus ces dernières pourront influencer le vote du comité.
L'autre risque de dévoiement, à ce stade de la procédure, réside dans le fait que le montant total des créances hors taxe qui sert de base au calcul du droit de vote des créanciers est celui indiqué par le débiteur, qui fournit sa propre liste, ce montant étant certifié par son commissaire aux comptes ou, lorsqu'il n'a pas été désigné, établi par son expert-comptable. Le vote s'effectuera donc en fonction de ce que le débiteur a bien voulu déclarer lui-même. Or, lorsque le tableau du débiteur est inexact, les textes n'envisagent aucune possibilité pour les créanciers de saisir le juge-commissaire avant le vote. Ils peuvent seulement contester le jugement homologuant le plan de sauvegarde qui, en même temps, prend acte du vote des créanciers, alors que l'on se situe bien trop en aval des discussions.
De ces constats, il ressort que les établissements de crédit peuvent se voir imposer des plans dans le cadre de leurs comités qui ont été élaborés au préalable, parfois en concertation avec les filiales et la holding. Les créanciers qui se trouveront face à cette situation auront-ils le courage de contester le plan dans son ensemble ? Quoiqu'il en soit, le temps est une donnée fondamentale dans les procédures collectives et notamment dans la procédure de sauvegarde. Ne pas pouvoir contester en amont la composition des comités et leur consultation est donc particulièrement regrettable.
Ces comités ne semblent pas une bonne idée dans la procédure de sauvegarde pour plusieurs raisons :
- d'abord, pour une raison de suspicion due aux modalités complexes de constitution et de consultation ;
- ensuite parce que la loi a encadré la constitution et le vote des créanciers dans des délais beaucoup trop courts (2 mois pour la constitution et 6 mois pour le vote).
Une procédure de sauvegarde dans laquelle le débiteur est capable de réunir des créanciers et de leur présenter une solution, est suspecte. Cela témoigne souvent d'un pré-packaging avec un objectif de renégociation des dettes sans volonté de réorganisation de l'entreprise. D'autant que les plans élaborés en amont s'avèrent dans de nombreux cas inutiles, puisque l'ouverture de la sauvegarde crée un choc qui perturbe l'exploitation et qui rend totalement inadéquat le plan prévu sur des perspectives d'exploitations différentes.
En pratique, on peut développer un moyen terme entre la constitution des comités et la consultation individuelle des créanciers, ce qui suppose toutefois d'avoir des blocs significatifs de créanciers, et ce qui est notamment le cas dans le cadre des LBO pour lesquels les créanciers bancaires représentent 80 à 90 % du passif. Dans ces circonstances, les principaux créanciers bancaires sont réunis comme en comité pour échanger, communiquer, négocier, ce qui permet de bénéficier de l'avantage d'une consultation collective, sans supporter l'inconvénient du carcan des comités.
Pour contourner ces difficultés, on constate, en pratique, trois solutions alternatives :
- le prêteur intragroupe s'abstient de voter au sein du comité ;
- la désignation d'un mandataire ad hoc chargé de voter dans l'intérêt des associés ;
- l'engagement du prêteur intragroupe de voter dans le même sens que les autres créanciers de sa catégorie.
On constate une troisième faille qui se retrouve essentiellement dans les dossiers importants : lorsque les prêteurs souscrivent des polices d'assurance par lesquelles ils détachent l'intérêt économique de la propriété juridique de leur créance, notamment sous la forme de CDS.
Dans cette situation, le prêteur est garanti de sa créance à sa valeur nominale et celui qui porte l'intérêt économique de la dette est inconnu. Ces deux personnes se trouvent alors avoir des intérêts opposés, puisque le créancier facial a intérêt à un dépôt de bilan et que l'entreprise cesse son activité puisqu'il est garanti et obtiendra le remboursement de sa dette alors, que le porteur de l'intérêt économique, qui a intérêt à négocier, est inconnu de la procédure. Ce dernier ne sera dès lors pas amené à négocier dans les procédures de mandat ad hoc, de conciliation ou de sauvegarde et, dans le cadre de cette dernière, il n'interviendra pas non plus dans le calcul des règles de majorité.
2.2 - Les marges de manoeuvre des établissements de crédit
La première réaction à adopter est de ne surtout pas rester passif; les établissements de crédit doivent aller de l'avant, se montrer, se tenir informés et faire front dès le départ, ce qui n'est pas toujours évident. L'échange entre les créanciers est indispensable pour ne pas laisser paraître de faille. L'échange avec le représentant de l'entreprise en difficulté est tout aussi important. De même, les conseils des établissements de crédit ne doivent pas hésiter à écrire aux organes de la procédure, au tribunal, au parquet, afin de débloquer une situation et contraindre le débiteur à rétablir le dialogue. Dans les procédures de mandat ad hoc et de conciliation les réunions sont fréquentes. Il en découle des échanges, une information économique et financière à partir de laquelle les créanciers pourront faire un état de la situation et bâtir une solution au mieux des intérêts des parties prenantes.
Dans le cadre de la procédure de sauvegarde, l'issue favorable consiste pour la société à obtenir des efforts significatifs de la part de ses créanciers en terme de délais ou d'abandons de créances, du point de vue du banquier l'approche est totalement différente. Ils ont souvent l'impression de se voir imposer, encore une fois, le plan maximum que la société peut obtenir en application de la loi et non des propositions de remboursement en adéquation avec ses capacités. Chaque fois que ce sera possible, les banques vont tenter de provoquer cette négociation avant la circularisation du plan, soit dans le cadre des comités des établissements de crédit, soit en prenant attache entre banquiers et aller chercher l'appui des organes de la procédure, notamment de l'administrateur judiciaire. Les banques doivent être épaulées par l'administrateur judiciaire pour bâtir le plan le plus adéquat à la situation de l'entreprise.
3 - L'avis de l'administrateur judiciaire
On peut identifier trois racines aux dévoiements de la procédure de sauvegarde, la deuxième découlant de la première.
D'abord, les procédures collectives et la sauvegarde, en particulier, font persister un sentiment de culpabilité qui traîne depuis une époque où le dirigeant était le failli que l'on montrait du doigt, sentiment qui reste très vivace et qui est peut-être, parfois à dessein, alimenté par des conseils qui y voient l'occasion de faire valoir leur rôle de défense du dirigeant.
Il en résulte, ensuite, une conception biaisée de l'attractivité de la sauvegarde pour le dirigeant. Elle a été présentée comme une procédure qui ne limitait pas ses pouvoirs, lui permettant de conserver ses prérogatives.
Pour autant, cette conception est erronée : la procédure de sauvegarde est plutôt la mise en place d'un système de gouvernance dont le but est de restaurer la crédibilité du dirigeant qui est fragilisé par les difficultés que rencontre son entreprise. Pour cela le dirigeant doit accepter de partager son pouvoir et faire émerger et participer différents acteurs autour de lui dans l'intérêt collectif de l'entreprise qui n'est autre qu'un nœud des intérêts particuliers du dirigeant, des actionnaires, des créanciers, des fournisseurs, des salariés, etc.. L'administrateur judiciaire est alors le garant de cette logique centripète.
Enfin, si la sauvegarde est conçue comme un système de gouvernance de l'entreprise, c'est une procédure vulnérable car la gouvernance, au-delà d'un partage des pouvoirs suppose de faire confiance. D'ailleurs, il s'agit d'une procédure qui répugne aux injonctions, à l'autoritarisme, aux sanctions, etc.. C'est un système riche de possibilités, plastique, interactif, mais dépendant de la bonne volonté des acteurs et facilement perverti par ceux qui en maîtrisent les règles mieux que les autres.
Pour lutter contre le dévoiement il faut alors de renforcer la gouvernance par différents moyens, au premier rang desquels se loge une nécessité de retour aux textes. D'ailleurs, le courant d'analyse qui pose une équivalence entre attractivité de la sauvegarde et liberté du dirigeant prend appui sur une phrase de l'exposé des motifs de la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005, selon laquelle "le chef d'entreprise conserve ses prérogatives". Cela est insuffisant.
Revenir aux textes suppose de relire les articles pour sortir de certaines habitudes prises par la pratique qui ne sont pas conformes à la loi. C'est le cas, par exemple, de la consultation individuelle des créanciers, pour laquelle il est admis qu'une fois effectuée il n'est plus possible de modifier les propositions de remboursement. Or, ceci est inexact, puisque l'article L. 626-5 du Code de commerce prévoit uniquement que les propositions de remboursement sont communiquées au fur et à mesure de leur élaboration. Il est donc tout à fait envisageable que ces propositions, une fois communiquées, soient critiquées par des créanciers organisés qui contraignent alors le débiteur et l'administrateur à revoir leur copie.
Le moyen le plus efficace pour lutter contre les dévoiements est la participation de tous. Les meilleurs agents du dévoiement sont finalement ceux qui s'excluent du jeu par découragement ou par désintérêt. Sans interaction et sans participation, le système se grippe. L'administrateur judiciaire ne doit pas se contenter d'un rôle d'observateur. Dans la pratique, les plans de sauvegarde sont souvent élaborés par le conseil du débiteur, et présentés en fin de parcours à l'administrateur qui, au lieu d'apporter son concours et une observation critique, se retrouve cantonné à un rôle ingrat.
Mais, lutter contre le dévoiement c'est aussi promouvoir le bon sens et tordre le cou aux idées reçues, notamment à celle selon laquelle le dirigeant doit conserver toute latitude et qui repose sur l'assimilation de la procédure de sauvegarde, non pas à une procédure collective, mais à une procédure de prévention au motif qu'il n'y a pas de cessation des paiements. Certes il n'y a pas de cessation préexistant à l'ouverture de la procédure collective, mais la procédure par son ouverture crée un état de cessation des paiements puisque elle entraîne une interdiction des paiements. En outre et contrairement à la prévention, notamment à la procédure de mandat ad hoc dans laquelle l'intérêt du dirigeant se situe en aval et qui le pousse à s'autoréguler, dans la procédure de sauvegarde, le passif étant déjà gelé, son intérêt est en amont des négociations.
Enfin, encourager la participation de chacun suppose de promouvoir le "gagnant-gagnant" et faire cesser le jeu qui consiste, pour le débiteur, à obtenir les délais les plus longs possibles et, pour le créancier, à refuser les abandons de créance. De même, le financement d'un audit de l'entreprise par les banquiers créanciers, largement pratiqué dans le cadre des mandats ad hoc, pourrait être transposé dans le cadre des procédures de sauvegarde pour déterminer en toute transparence la réalité des capacités de remboursement du débiteur.
En conclusion, il faut rappeler que les dirigeants doivent toujours avoir à l'esprit qu'une procédure de sauvegarde peut mal se terminer et que les actes passés par le dirigeant durant cette période, alors qu'il jouissait d'une certaine liberté, seront scrutés à la loupe par le tribunal dans le cadre d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire.
Voir aussi
- Trouver la notion Entreprise en difficulte "procédure de sauvegarde" banque dans l'internet juridique français
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