Exécution forcée des pactes d’actionnaires extra-statutaires (fr)

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Compte-rendu de la Conférence « Campus 2013 » réalisé par la rédaction de Lexbase,

Intervenant : Alain Pietrancosta, Agrégé́ des Facultés de Droit, Professeur à l'Université́ Paris I Panthéon-Sorbonne,
Campus 2013


Il n'est guère utile d'insister sur l'importance cruciale que revêt l'efficacité des pactes d'actionnaires; une importance qui est indexée sur la place conquise par ces conventions dans la vie moderne des sociétés. Or, un véritable fossé s'est creusé ces dernières années entre l'extrême sophistication des pactes et l'aspect rudimentaire que le droit offre pour en assurer la bonne exécution.

Les parties peuvent, grâce à des mesures de type préventif, d'abord, assurer l'effectivité des pactes qu'elles signent. Ainsi, dans le cadre des négociations, il est possible d'inclure des dispositifs contractuels, qui commencent à être bien connus de la pratique, tels que le recours à un tiers "gestionnaire de pacte", l'implication de la société cible ou encore la mise en place d'une fiducie. Il est également possible de prévoir des mesures de type dissuasif comme des clauses contractuelles à but comminatoire (clause pénale, clause résolutoire de plein droit, astreinte, clause de sortie forcée, etc.). Pour autant, leur efficacité est loin d'être garantie. D'une part, les mécanismes contractuels utilisés à cette fin —clauses pénales, options sur éléments d'actifs, cessions en blanc, blocage des titres auprès de tiers séquestre, administrateur ou fiduciaire, etc. — ne remplissent pas toujours leur office. D'autre part, les mesures légales susceptibles de frapper l'inexécution des obligations issues d'un pacte peuvent ne pas apparaître suffisamment dissuasives, alors que le niveau des intérêts en jeu peut justifier financièrement le manquement à la parole donnée. Les pactes souffrent, à cet égard, d'une faiblesse congénitale résultant de la défaveur traditionnelle du droit français des obligations pour l'exécution forcée des obligations de faire et de ne pas faire, ainsi que de l'insatisfaction que procure en la matière le recours à l'indemnisation. Cette défaveur tend cependant à s'estomper. En outre, au gré d'une évolution jurisprudentielle que les projets de réforme du droit des contrats pourraient consacrer, voire dépasser, un nouvel équilibre se dessine au profit de l'exécution forcée. On en prendra la mesure dans le champ des pactes extrastatutaires d'actionnaires, au terme d'un rappel de l'évolution des solutions dégagées en droit commun des contrats.


I — L'évolution des solutions consacrées en droit commun des contrats

A — Droit positif

Le principe en la matière est assez simple : le créancier confronté à l'inexécution de ses obligations par son cocontractant a le choix entre l'exécution forcée, la réparation du préjudice causé par l'allocation de dommages-intérêts, ou bien encore, s'il s'agit d'une obligation née d'un contrat synallagmatique, la résolution du contrat.

La jurisprudence considère traditionnellement que le créancier peut modifier son choix jusqu'au dernier moment, c'est-à-dire jusqu'à ce que la décision de justice soit passée en force de chose jugée. Ces voies de droit ne présentent pas toutes le même mérite. Comparée à l'exécution par équivalent, l'exécution en nature, c'est-à-dire l'exécution forcée, présente des avantages évidents. C'est d'abord la plus respectueuse de la force obligatoire des contrats : celui qui s'est engagé à faire quelque chose doit pouvoir être contraint à le faire. Ensuite, l'exécution en nature évite les aléas judiciaires de la réparation par équivalent.

Malheureusement, cette option entre différentes voies d'action n'est pas toujours ouverte au créancier. Elle peut être fermée pour des raisons factuelles, tenant par exemple au dépassement du temps dans lequel l'obligation devait s'exécuter, ou encore à la disparition de l'objet du contrat (la chose a péri) ou du débiteur lui-même (personne physique décédée ou personne morale dissoute). Elle peut aussi être fermée pour des raisons juridiques. La principale réside dans le refus de notre droit de faire subir une contrainte excessive au débiteur. Cet impératif de protection du débiteur nous oblige à distinguer selon le type d'obligation concernée. Les obligations de somme d'argent ne posent pas de problème particulier, puisque le créancier pourra toujours saisir les biens de son débiteur pour les faire vendre et se payer sur le prix de vente. Les obligations de donner, entendu comme le dare, c'est-à-dire le transfert de propriété, ne soulèvent pas de difficulté non plus. En effet, ce transfert de propriété s'opère par le seul effet de la loi ; il n'y a donc rien à forcer. Dans une vente, le transfert de propriété s'opère solo consensu, sans obligation de faire du vendeur.

La seule catégorie qui pose problème en droit français concerne donc les obligations de faire et de ne pas faire. Cette difficulté provient de l'existence de l'article 1142 du Code civil, aux termes duquel "toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur". Ce texte ne fait que reproduire un vieil adage, "nemo potest proecise cogi ad factum" : nul ne peut être contraint à l'accomplissement d'un fait. Le fondement de cette limite vient du principe fondamental d'intangibilité de la personne humaine, principe qui a, par exemple, justifié l'abolition de la contrainte par corps en matière civile et commerciale en 1867. Le créancier ne peut donc qu'être déçu de ne pas pouvoir obtenir l'exécution en nature. Mais le fondement de l'interdit, à l'origine de l'article 1142 du Code civil, permet aussi de déterminer les contours de cette prohibition de l'exécution en nature. Il faut en effet se garder d'une interprétation trop extensive de la règle. Certains, au lendemain du Code civil, en ont été tentés, et estimaient qu'il convenait de considérer que toute obligation de faire ou de ne pas faire devait uniquement se résoudre en dommages-intérêts. Tel n'est pourtant pas le cas : en effet, la force obligatoire des conventions doit pouvoir retrouver son empire dès lors que l'exécution forcée ne se heurte pas à une atteinte insupportable à la liberté du débiteur. L'interdiction d'une exécution en nature doit donc être circonscrite au cas dans lesquels est en cause l'intégrité physique du débiteur.

D'ailleurs, depuis quelques années, doctrine et jurisprudence ont joint leurs efforts pour opérer ce cantonnement de l'article 1142 du Code civil à son domaine essentiel et ont fait un accueil plutôt favorable à l'exécution forcée, sanction à laquelle le législateur est lui aussi plutôt sensible, notamment en matière de droit des sociétés, domaine dans lequel les textes successifs ont substitué l'injonction de faire aux nombreuses sanctions pénales initialement prévues.

Ce qui importe au créancier n'est pas tant l'exécution par le débiteur lui-même de ce qu'il a promis que d'obtenir ce qu'il attendait lorsqu'ils se sont engagés. Le champ des possibles s'ouvre alors, puisque le droit connaît d'autres moyens que la contrainte du débiteur pour que le créancier obtienne ce qui lui est dû. Il peut d'abord obtenir d'un tiers l'exécution d'une obligation. Le juge, également, dans certains cas, peut se substituer au débiteur défaillant pour donner satisfaction au créancier. Par ailleurs, la menace sur le débiteur n'est pas la seule issue ; il est également possible de faire pression sur le débiteur, sans porter atteinte à sa liberté, par des astreintes par exemple. A la faveur de ces précisions, les trois types de situations suivantes peuvent se présenter.

- Les situations dans lesquelles tout procédé d'exécution forcée, même sous forme d'astreinte, est banni. Il s'agira des obligations dans lesquelles est en jeu l'intégrité même du débiteur : obligation de cohabitation, droits de propriété intellectuelle, obligations touchant à la liberté de conscience du débiteur, promesses de contrat de société...

- Les situations dans lesquelles seule l'exécution forcée directe est exclue mais le recours à des procédés de pression indirecte envisageable, comme les injonctions de faire, l'astreinte, la constatation judiciaire, la vente, le remplacement. En droit des sociétés, cela se matérialise notamment par la nomination d'un mandataire par le tribunal afin de faire quelque chose que le débiteur se refuse à faire. C'est généralement le cas dans les obligations de ne pas faire (ex : débiteur qui a ouvert un fonds de commerce en contravention d'une clause de non-concurrence condamné à le fermer).

- Les situations dans lesquelles l'exécution forcée directe est admise, soit parce qu'elle n'implique pas d'atteinte à la liberté individuelle, soit parce que cette dernière est jugée supportable. Il s'agira des obligations dont l'inexécution est constitutive d'une infraction pénale, de l'expulsion d'un débiteur sans droit ni titre, ou encore de la mise en possession de l'acheteur ou du déposant.

B — Projets de reforme

Les divers projets de réforme du droit des contrats manifestent un regain d'intérêt pour l'exécution en nature.

Ainsi, l'article 110 du projet de réforme du droit des contrats, tel que diffusé par la Chancellerie en juillet 2008, pose le principe général de l'exécution en nature des obligations de donner, de faire et de ne pas faire. S'agissant plus précisément des obligations de faire, le principe de l'exécution en nature par priorité est posé à l'article 162 selon lequel "le créancier d'une obligation de faire peut en poursuivre l'exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou si son coût est manifestement déraisonnable". Une certaine doctrine a fait un double reproche à ce texte. En premier lieu, il oublierait de mentionner expressément l'exception tirée du caractère personnel de l'obligation du débiteur. Mais, cette exception est comprise dans l'exécution impossible. La seconde critique repose sur l'introduction de la notion de coût manifestement déraisonnable, en ce qu'elle introduirait de l'insécurité juridique, ainsi que la théorie anglo-saxone de la rupture efficiente du contrat, contraire à notre tradition juridique et selon laquelle, lorsque le coût d'exécution d'un contrat est supérieur aux avantages attendus par le créancier, il est économiquement sain pour le débiteur de ne pas exécuter ce contrat qui est mauvais pour la société dans son ensemble.

Dans sa nouvelle mouture de 2009, rendue publique par la Chancellerie mais non officielle, la formule est maintenue à l'article 137. Un article 100 fait en outre son apparition dans la section consacrée aux effets des contrats entre les parties et selon lequel "toute obligation s'exécute en principe en nature".

Ces projets ne semblent pas complets : en effet, le débiteur, s'il y trouve un avantage, pourra-t-i imposer au créancier une exécution en nature plutôt que l'allocation de dommages-intérêts ? Est-ce une option pour le créancier, ou le principe ainsi posé de l'exécution en nature s'impose-t-il à lui ?

Quant aux projets européens, tant l'avant-projet "Gandolfi" de Code européen des contrats (art. 75) que le projet de cadre commun de référence (art. III3 : 302), prévoient le principe de l'exécution en nature mais ne contiennent pas l'exception de "coût manifestement déraisonnable"


II — L'application des solutions en matière de pactes d'actionnaires

Les pactes extrastatutaires d'actionnaires sont des composés plus ou moins complexes d'obligations de faire et de ne pas faire qui touchent à de nombreux domaines du droit des sociétés : répartition des pouvoirs, désignation des organes de gestion, conventions de vote, clauses d'entrée ou de sortie du capital, clauses liées au financement de la société, etc.. La possibilité d'en obtenir l'exécution en nature est déterminante faute d'alternative satisfaisante puisqu'il est, dans la plupart des cas, difficile de déterminer le montant de l'indemnisation du créancier qui craint qu'il soit insuffisant. Comment indemniser, par exemple, la perte d'un droit d'information ?

A — L'accueil des demandes d'exécution forcée

La jurisprudence retient traditionnellement, selon une formule consacrée, qu'il est possible d'accueillir une demande d'exécution en nature dès lors qu'"elle ne se heurte pas à une impossibilité matérielle ou juridique". Concernant les pactes d'actionnaires, on identifie divers cas dans lesquels l'exécution d'un pacte ne se heurtait pas à une telle impossibilité.

1° — Les conventions de vote

L'inexécution de pactes d'actionnaires contenant une convention de vote a parfois été sanctionnée par l'exécution forcée de son obligation par l'actionnaire défaillant.

– Vote d'un agrément (Cass. civ. 3, 19 février 1970, n° 6813.866 N° Lexbase : A6549AGN, RTDCiv., 1970, p. 785, n° 20, note G. Durry)

Dans cette affaire, un associé cède une partie des actions qu'il détient dans le capital d'une société, les statuts de cette dernière prévoyant un agrément de la communauté des associés. Lors du vote en assemblée générale, le cédant vote contre l'agrément de son propre cessionnaire. Déçu, ce dernier décide de saisir les juges. La Cour de cassation admet la nomination d'un administrateur chargé de convoquer l'assemblée générale appelée à statuer sur l'agrément et à tenir pour favorable le vote du cédant quel que soit son sens.

– Vote d'une augmentation de capital (CA Paris, 5ème ch., sect. ch., C, 30juin 1995, n ̊93/27606 N°Lexbase: A1518AUR affaire "Metaleurop", JCP éd. E, 1996, II, n° 795, note J. — J. Daigre)

Dans cette affaire, il s'agissait d'une demande d'exécution en nature de l'engagement pris par un actionnaire de voter une augmentation de capital et d'y souscrire. La cour d'appel de Paris a ordonné la convocation de l'assemblée générale extraordinaire pour voter l'augmentation de capital et a enjoint l'actionnaire défaillant de souscrire à l'opération, sous peine d'astreinte de 100 000 francs (environ 15 124 euros) par jour de retard à compter de ladite assemblée. En effet, pour la cour d'appel de Paris, le créancier a le droit de demander l'exécution en nature chaque fois que celle-ci est possible.

2° — Les pactes de préférence

– Evolution jurisprudentielle

En ce qui concerne la sanction de l'inexécution des pactes de préférence, et plus spécifiquement de la possibilité d'en obtenir l'exécution forcée, la jurisprudence a connu une évolution. Pour autant, celle-ci reste exceptionnelle. Deux situations peuvent se présenter :

— Possibilité d'exécution forcée ex ante, lorsque le créancier a connaissance de l'intention du débiteur du pacte de céder à un tiers. Dans ce cas, il peut saisir le juge pour qu'il prononce une injonction de ne pas faire, c'est-à-dire une injonction de ne pas céder les titres.

— Possibilité d'exécution forcée ex post, lorsque le débiteur a cédé les titres en violation du pacte. Dans ce cas, l'exécution en nature est extrêmement difficile à obtenir, notamment en vertu de l'effet relatif des conventions. Il n'en va différemment que dans un seul cas : en cas de collusion frauduleuse entre cédant et cessionnaire (Cass. mixte, 26 mai 2006, n° 0319.376, P+B+R+I N° Lexbase : A7227DPD, JCP éd. G, 2006, II, n° 10 142, note L. Leveneur). En effet, lorsque la mauvaise foi du tiers contractant est établie, la jurisprudence admet non seulement l'annulation de la cession effectuée en fraude des droits du bénéficiaire du pacte, mais également, depuis 2006, la substitution forcée du bénéficiaire au tiers.

Cette substitution exige, néanmoins, que deux conditions cumulatives soient réunies : que le tiers ait eu connaissance, lorsqu'il a contracté, de l'existence du pacte et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir. Le terme "substitution" n'est peut-être pas le plus adapté ; il faut entendre par là que le juge annule la cession frauduleuse et, relevant néanmoins que le promettant a eu l'intention de céder les titres et que le bénéficiaire de la préférence a l'intention de les acquérir, constate que les volontés se sont rencontrées. Les conditions sont particulièrement sévères ; la charge de la preuve est lourde pour le bénéficiaire du pacte, d'autant qu'en 2010, la Cour a précisé qu'il n'appartient pas au tiers d'effectuer des investigations. Or, cette preuve est très importante car non seulement le créancier ne pourra pas obtenir l'annulation de la vente au tiers et sa substitution, mais il ne pourra aussi obtenir aucune indemnisation (Cass. civ. 3, 29 juin 2010, n ̊ 0968.110, FD N° Lexbase : A6857E3D, RDC, 2011, p. 30, obs. E. Savaux). On constate là toute la différence entre la préférence et la promesse. En effet la dernière est nettement plus favorable au créancier que la première, puisque la seule obligation pour faire annuler une vente conclue en violation d'une promesse est de prouver que l'acquéreur connaissait l'existence de la promesse. Et cette preuve est d'autant plus aisée à rapporter qu'il existe en droit des sociétés des dispositions qui obligent à la publication des promesses (ex : C. com., art. L. 23311 pour les sociétés cotées).

Dès fait, les substitutions sont rarement prononcées. Les juges ont pu prononcer la substitution dans un cas dans lequel la réunion des deux conditions ne faisait aucunement difficulté : le promettant et le tiers acquéreur étaient deux sociétés distinctes mais ayant le même dirigeant, et le bénéficiaire du pacte avait établi une lettre faisant état de son intention d'acquérir les titres (Cass. civ. 3, 3 novembre 2011, n° 1020.936, FSP+B N° Lexbase : A5243HZ9, D. Actualité, 18 novembre 2011, obs. G. Forest ; D. Bakouche in Chronique de droit des contrats — Décembre 2011, Lexbase Hebdo n° 465 du 8 décembre 2011 — édition privée N° Lexbase : N9125BSR).

Les juges s'assurent du respect de la lettre et de l'esprit des pactes de préférence. L'esprit tout d'abord, tel que l'illustre un arrêt récent de la Cour de cassation (Cass. com., 26 février 2013, n° 1213.721, FD N° Lexbase : A8731I8U, JCP éd. E, n° 23, 6 juin 2013, 1327, note S. Schiller) dans lequel elle casse un arrêt de la cour d'appel de Lyon (CA Lyon, 30 novembre 2011, n° 09/08 204 N° Lexbase : A7582H8C) qui avait rejeté l'annulation d'une cession et l'exécution du droit de préférence convenu. En l'espèce, la préférence ne pouvait être déclenchée que si le débiteur cédait le contrôle de la société. Il n'avait cédé que 49 % du capital de la société et estimait dès lors qu'il ne s'agissait pas d'une cession de contrôle faisant jouer le droit de préférence contractuellement prévu. La cour d'appel de Lyon se laisse séduire par l'argumentation du débiteur et retient donc que l'opération se situe en dehors du champ du pacte de préférence. L'arrêt est censuré au visa de l'article 1134 du Code civil et du principe selon lequel la fraude corrompt tout : la cour d'appel aurait dû vérifier si le choix de la cessionnaire de limiter à 49 % la fraction du capital cédée, accompagné de l'octroi de prérogatives exorbitantes conférées au cessionnaire minoritaire à la faveur d'une modification des statuts, ne participait pas du dessein de dissimuler un changement dans le contrôle et d'éluder ainsi le droit de préférence et de préemption convenu.

La lettre du pacte de préférence, ensuite, tel que le démontre un arrêt de la cour d'appel de Paris du 14 février 2012 (CA Paris, Pôle 1, 3ème ch., 14 février 2012, n° 11/14 683 N° Lexbase : A4982ICI, Bull. Joly Sociétés, juillet 2012, p. 553, note G. Kessler, M. Tazi). Dans cette affaire, le débiteur contestait là aussi la réunion des conditions des obligations qui lui incombaient en vertu du pacte. Il s'agissait d'un ensemble contractuel reposant sur des accords de préemption et de sortie conjointe déclenchés par une série d'évènements : la cession de contrôle de la société émettrice des titres qui déclenchait le droit de sortie conjointe et la cession de contrôle de l'associé majoritaire de la société émettrice des titres qui déclenchait le droit de préemption. Le contrôle de la société majoritaire avait été cédé à une société créée pour la circonstance par le titulaire du contrôle majoritaire. Le débiteur du pacte estimait que la cession de contrôle à une entité constituée par lui ne déclenchait pas le droit de préférence au bénéfice du minoritaire, car elle ne constituerait pas la cession à un tiers. Mais pour la cour d'appel, le pacte ne distingue pas entre les cessionnaires : dès lors qu'il y a cession, le fait générateur du droit du bénéficiaire se déclenche et son droit doit être respecté. Elle a enjoint le cessionnaire de notifier au bénéficiaire du pacte les offres prévues à ce dernier et a ordonné à la société majoritaire d'offrir au bénéficiaire la vente de sa participation dans la société émettrice des titres. Au-delà de l'exécution forcée des stipulations du pacte, la Cour porte l'attention des rédacteurs d'acte sur l'utilité de prévoir expressément dans les pactes la liberté de transfert intragroupe lorsqu'elle est souhaitée.

– Projets de reforme

Si la jurisprudence se montre assez réticente à ordonner l'exécution forcée des partes de préférence, les projets de réforme du droit des contrats incitent à plus d'optimisme.

Ainsi, le projet de réforme du droit des contrats de juillet 2008 prévoit-il, dans son article 35, que le contrat conclu, en violation d'un pacte de préférence, avec un tiers de mauvaise foi est nul. Lorsque le tiers présume l'existence d'un pacte de préférence, il peut mettre en demeure son bénéficiaire d'avoir à confirmer son existence dans un délai déterminé, faute de quoi ce dernier ne pourra se prévaloir de la nullité de la vente.

Dans la version de mai 2009, la rédaction a quelque peu évolué, puisque l'article 27 prévoit que lorsqu'un contrat a été conclu, en violation d'un pacte de préférence, avec un tiers qui en connaissait l'existence, le bénéficiaire du pacte peut agir en nullité ou demander au juge de le substituer au tiers dans le contrat conclu sans préjudice de dommages-intérêts. Lorsque le tiers suppose l'existence d'un pacte de préférence, il peut enjoindre le bénéficiaire d'en confirmer l'existence dans un délai raisonnable.

3° — Les obligations de rachat ou de cession

Les juridictions du fond ont pu, dans certains cas, accepter l'exécution forcée d'obligation de rachat ou de cession contenue dans un pacte extrastatutaire.

– Obligation d'achat de majoritaires (CA Paris, 5ème ch., sect. B, 10 décembre 1998, n° 1997/01 718 N° Lexbase : A4175IL9, Bull. Joly, 1999 p. 482, note J. — J. Daigre ; CA Versailles, 12ème ch., 1ère sect., 14 octobre 2004, n ̊ 03/04 586 N° Lexbase : A7560DNC, RJDA, 5/05, n° 574)

Dans l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris, cette dernière a prononcé l'exécution forcée à l'encontre d'un groupe majoritaire qui s'était engagé à racheter les actions des minoritaires au cas où le groupe de minoritaires perdrait sa minorité de blocage.

Dans l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles le 14 octobre 2004, était en cause une clause prévoyant qu'en cas de cession partielle ou totale comme en cas d'introduction en bourse les majoritaires s'engagent à faire en sorte que les minoritaires puissent à leur convenance céder tout ou partie des titres qu'ils détiennent. Le majoritaire faisait valoir que la cession des titres n'ayant entraîné aucun changement de contrôle, elle ne leur ouvrait pas un droit de sortie prioritaire. La cour d'appel n'abonde pas dans le sens du cédant, débiteur, estimant que la clause ne contient aucune disposition restrictive du droit de sortie, il n'y a pas lieu de distinguer selon que la cession emporte directement ou non transfert du contrôle. Ainsi, elle poursuit en estimant que si l'obligation découlant de la convention s'analyse comme une obligation de faire, il n'est pas établi que l'exécution forcée de cette obligation se heurterait à une impossibilité juridique, matérielle ou morale. Elle ordonne en conséquence le rachat des titres des minoritaires.

– Obligation de buy or sell de minoritaires (CA Paris, 25ème ch., sect. A, 21 décembre 2001, n° 2001/09 384 N° Lexbase : A6171DHZ, Bull. Joly, 2002, p. 509, note H. Le Nabasque)

Dans cet arrêt, dans lequel était en cause une obligation de buy or sell de minoritaires, la cour d'appel de Paris a décidé que les dispositions de l'article 1142 du Code civil ne se heurte pas à l'exécution forcée lorsque, comme en l'espèce, aucune impossibilité matérielle, juridique ni morale ne lui fait obstacle, le débiteur de l'obligation étant demeuré propriétaire des titres en question.

4° — Les pactes de non-acquisition

Les clauses de standstill se retrouvent souvent dans des pactes conclus entre deux sociétés ayant une filiale commune afin de figer les participations de chacun dans ladite filiale et éviter tout prise de contrôle. C'était le cas dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt rendu le 24 mai 2011 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 24 mai 2011, n° 1024.869, FP+B N° Lexbase : A8716HSM, J. — B. Lenhof, Article 1134 versus article 1143 du Code civil dans la réparation en nature du préjudice résultant de la violation d'un pacte d'actionnaires, Lexbase Hebdo n ̊ 258 du 7 juillet 2011 — édition affaires N° Lexbase : N6802BSQ), qui a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Versailles (CA Versailles, 14ème ch., 27 juillet 2010, n° 10/00 559 N° Lexbase : A4674E7A ; lire, Quand la cour d'appel de Versailles renforce l'efficacité des pactes d'actionnaires — Questions à Maître Bruno Cavalié, Avocat associé, Cabinet Racine, et Antoine Hontebeyrie, Avocat associé, Cabinet Racine, Professeur agrégé des facultés de droit, Lexbase Hebdo n ° 414 du 28 octobre 2010 — édition privée N° Lexbase : N4362BQM) qui avait ordonné la cession forcée de la moitié des actions acquises en violation de la clause de standstill. En l'espèce, deux sociétés actionnaires détiennent chacune 45 %du capital d'une société, les 10 %restants étant disséminés. Ces deux sociétés s'interdisent, dans le cadre d'un pacte extrastatutaire, d'acquérir les titres des minoritaires. Or, l'un des signataires du pacte viole son engagement ; son cocontractant l'assigne et demande devant le juge la rétrocession de la moitié des titres acquis auprès des minoritaires. La cour d'appel fait droit à cette demande puisqu'elle ordonne le transfert de la moitié des titres acquis en violation du pacte à la société victime afin de maintenir la parité de détention du capital. La Cour de cassation casse l'arrêt d'appel sur le principe de l'exécution forcée et de la réparation intégrale : le juge peut prononcer l'annulation de la cession faite en violation du pacte et non ordonner un transfert de titres lorsque l'obligation des parties réside dans une non-acquisition.

5° — Les promesses

L'exécution forcée des promesses est prononcée notamment lorsque le promettant refuse de réaliser la vente après la levée de l'option par le bénéficiaire. La solution est plus compliquée lorsque le promettant a déjà cédé les titres en violation de la promesse (cf. infra).

B — Les obstacles à l'exécution forcée

Les obstacles à l'exécution forcée des pactes extrastatutaires trouvent leur origine à la fois dans le droit commun des contrats et dans le droit des sociétés.

1° — Les obstacles tirés du droit commun des contrats

Examinons deux exemples d'obstacles tirés du droit commun des contrats : le premier est tiré de l'analyse jurisprudentielle des promesses unilatérales ; la seconde concerne les conventions de vote.

a) Analyse jurisprudentielle des promesses unilatérales

– Conséquence de la solution de principe

L'obstacle à l'exécution forcée des promesses unilatérales tient à l'analyse jurisprudentielle des obligations du promettant. La position de la Cour de cassation en matière de rétractation du promettant avant la levée de l'option est connue. Elle considère, en effet, que le promettant est tenu à une obligation contractuelle de faire qui consiste à conclure le contrat de vente dès lors que le bénéficiaire lève l'option dans les délais contractuellement prévus. Analysant l'obligation du promettant comme une obligation de faire, la Cour de cassation en tire comme conséquence logique l'application de l'article 1142 du Code civil et refuse donc de forcer l'exécution du contrat (Cass. civ. 3, 15 décembre 1993 n° 9110.199 N° Lexbase : A4251AGK, D., 1994, 507, note Bénac-Schmidt). Ce faisant, la Cour de cassation rompt avec l'analyse classique des promesses unilatérales qui considérait que le promettant avait déjà consenti au contrat de vente final et qu'il n'était donc pas débiteur d'une obligation de faire, la conclusion du contrat final ne dépendant que du bénéficiaire qui, en levant l'option consent, à la vente. La promesse unilatérale de vente était considérée comme non obligationnelle, c'est-à-dire ne créant aucune obligation, mais seulement une option à la main du bénéficiaire. Selon l'analyse classique des promesses unilatérales, en se rétractant, le promettant ne manque donc pas à une "introuvable" obligation de faire, mais revient sur le consentement qu'il a donné. Dès lors, le débat ne se situerait pas sur l'article 1142 du Code civil mais sur l'article 1134 du Code civil, c'est-à-dire sur l'échange des consentements et la force obligatoire des conventions.

Comment concilier cette approche et la solution consacrée en 1993 par la Cour de cassation ?

Si l'on part de l'analyse raisonnable que la Cour de cassation ne peut pas avoir méconnu le principe de la force obligatoire des contrats, il faut déduire de cette jurisprudence que le promettant s'oblige bien au contrat final, mais n'y consent pas encore ; il s'oblige en quelque sorte à consentir au contrat final. L'analyse est subtile mais elle permet d'introduire la notion d'obligation de faire et, avec elle, son régime. Bien entendu, cette position a suscité les plus vives réactions d'une doctrine quasi-unanime; certains parlant de jurisprudence "calamiteuse".

– Remèdes contractuels : clause d'exécution forcée

Pour contourner cette jurisprudence, la pratique a introduit des mécanismes contractuels et a notamment eu recours à la clause d'exécution forcée, par laquelle le promettant précise que sa promesse est irrévocable et qu'il renonce à se prévaloir des dispositions de l'article 1142 du Code civil. La question de savoir si les parties peuvent ou non déroger à l'application de ce texte a été posée aux juges. Ces derniers ont accueilli favorablement ces clauses. La cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 26 octobre 2006, a ainsi retenu que les parties à une promesse unilatérale de vente sont libres de convenir que le défaut d'exécution par le promettant de son engagement de vente peut se résoudre en nature par la constatation judiciaire de la vente (CA Paris, 2ème ch., sect. B, 26 octobre 2006, n° 06/13 448 N° Lexbase : A3198DTM). La troisième chambre civile de la Cour de cassation s'est alignée, le 27 mars 2008, sur la solution de la cour d'appel de Paris (Cass. civ. 3, 27 mars 2008, n° 0711.721, FSD N° Lexbase : A6102D77, Bull. Joly, 2008, p. 852, note R. Libchaber ; D. Bakouche, Consécration de l'efficacité de la clause d'exécution forcée en nature dans les avant-contrats, Lexbase Hebdo n ̊ 304 du 15 mai 2008 — édition privée N° Lexbase : N8981BED). Mais la Cour de cassation fait ici preuve d'une grande prudence en exigeant que la possibilité de requérir une telle exécution forcée par dérogation à l'article 1142 ait été expressément prévue.

– Projets de reforme

Là aussi, les projets de réforme du droit des contrats suscitent de l'optimisme. En effet l'article 34 du projet de réforme de juillet 2008 comme l'article 29 de celui de mai 2009 prévoient que "la rétractation du promettant pendant le temps laissé au bénéficiaire pour exprimer son consentement ne peut empêcher la formation du contrat promis".

Le contrat conclu avec un tiers en violation de la promesse unilatérale est inopposable au bénéficiaire de la promesse, dans le projet de 2008. Le projet de 2009 chasse l'inopposabilité du contrat conclu avec le tiers pour lui préférer la nullité.

– Evolution jurisprudentielle récente

A la lecture des dernières décisions rendues par la Cour de cassation, il semble que ces projets de réforme ont peut-être influencé les juges.

Une première lueur d'espoir est apparue avec l'arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 8 septembre 2010 (Cass. civ. 3, 8 septembre 2010, n° 0822.062, FSP+B N° Lexbase : A5750E9TD, 2011, 472, obs. S. Amrani Mekki et B. Fauvarque-Cosson), dans lequel elle affirme que, par sa promesse, le promettant a définitivement consenti à la vente. Mais les commentateurs ont rapidement diminué la portée de l'arrêt en raison des spécificités de l'espèce. En effet, dans cette affaire, le promettant était décédés en laissant des héritiers mineurs. La question qui se posait était donc de savoir si les héritiers mineurs devaient ou non consentir à la vente.

Ainsi, le 11 mai 2011, la troisième chambre civile revient purement et simplement à la solution de 1993 (Cass. civ. 3, 11 mai 2011, n° 1012.875, FSP+B N° Lexbase : A1164HRK, D. Bakouche, in Chronique de droit des contrats, Lexbase Hebdo n ̊ 443 du 9 juin 2011 — édition privée N° Lexbase : N4215BSW). Les commentateurs observent toutefois un léger changement, puisqu'elle rend non plus sa décision au visa de l'article 1142 du Code civil mais des articles 1101 (N° Lexbase : L1190ABP) et 1134 du Code civil. Le raisonnement connaît donc une évolution pour se fonder sur des textes fondamentaux du droit des contrats : la levée de l'option postérieurement à la rétractation du promettant empêche la rencontre des consentements. Ce changement de visa n'est pas anodin car il invite sûrement de revoir à la façon dont les clauses d'exécution forcée sont rédigées.

La réaction de la Chambre commerciale, plus proche des impératifs de la vie des affaires, était attendue. Elle a pourtant déçu, puisque dans un arrêt du 13 septembre 2011, elle aligne sa position sur celle de la troisième chambre civile en jugeant, au visa des articles 1101 et 1134 du Code civil, que la levée de l'option par le bénéficiaire de la promesse postérieurement à la rétractation du promettant excluant toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d'acquérir, la réalisation forcée de la vente ne pouvait être ordonnée (Cass. com., 13 septembre 2011, n° 1019.526, FD N° Lexbase : A7535HXD, Droit des sociétés, décembre 2011, comm. 211, obs. R. Mortier).

Toutefois, à la lecture d'un arrêt rendu quelques jours plus tôt que celui de la Chambre commerciale, on est appelé à se demander si la troisième chambre civile n'aurait pas changé d'avis. En effet, le 6 septembre 2011, elle énonce que la levée de l'option de la promesse unilatérale de vente postérieure à la rétractation du promettant produit son plein effet (Cass. civ. 3, 6 septembre 2011, n° 1020.362, FD N° Lexbase : A5353HXK, D., 2011, 2838, note C. Grimaldi). Toutefois, cet arrêt n'est pas publié au Bulletin et le doute sur la portée de cet arrêt reste entier.

b) Conventions de vote et juridiction des référés

En matière de convention de vote, la jurisprudence a récemment mis à jour la difficulté d'obtenir l'exécution forcée dans un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 8 novembre 2011 (CA Paris, Pôle 1, 3ème ch., 8 novembre 2011, n ̊ 11/16 066 N° Lexbase : A5847ICK, Bull. Joly Sociétés, mars 2012, p. 209, note A. Couret, B. Dondero ; B. Saintourens, Inexécution d'un pacte d'actionnaires et pouvoirs du juge des référés : la position mesurée de la cour d'appel de Paris, Lexbase Hebdo n° 287 du 8 mars 2012 — édition affaires N° Lexbase : N0615BTX). Dans cette affaire, un actionnaire majoritaire et un actionnaire minoritaire d'une filiale commune organisée en SAS se lient par un pacte qui assure une représentation du minoritaire dans le conseil de surveillance de la société. Le majoritaire reproche au minoritaire d'avoir fait concurrence à la SAS et refuse de désigner les représentants de ce dernier au conseil de surveillance, nommant à leur place deux de ses représentants. Le minoritaire saisit alors le juge des référés du tribunal de commerce de Paris qui, dans ordonnance du 3 août 2011, ordonne au majoritaire de se plier aux obligations du pacte sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard. Il se fonde sur l'article 873, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0850H4A) qui autorise le juge à ordonner l'exécution d'une obligation qui n'est pas sérieusement contestable même s'il s'agit d'une obligation de faire, le juge estimant que la violation du pacte constituait un trouble manifestement illicite. Il ordonne donc au majoritaire de révoquer les deux membres nommés en contravention du pacte et de procéder à la nomination des deux représentants du minoritaire.

Cette décision est réformée par la cour d'appel de Paris qui reproche au juge des référés un excès de pouvoir. Selon elle, en effet, ordonner la révocation des membres nommés en contravention du pacte équivaut à prononcer l'annulation des résolutions qui portaient leur nomination. Or, de telles annulations excèdent la compétence du juge des référés, puisqu'elles relèvent exclusivement de celle des juges du fond. En droit, assimiler une révocation à l'annulation des résolutions qui ont porté la nomination est une solution discutable. En pratique, cette impossibilité d'obtenir en référé l'exécution d'une convention de vote affaiblit considérablement les moyens d'action des créanciers qui sont obligés d'agir sur le fond une fois les résolutions adoptées. La cour d'appel de Paris fait néanmoins droit à une demande subsidiaire des minoritaires qui consiste à demander la nomination d'un mandataire auquel serait remis tout document destiné aux membres du conseil de surveillance et à assister aux réunions, avec mission d'en faire compte rendu au minoritaire.

2° — Les obstacles particuliers tirés du droit des sociétés

Le droit des sociétés contient certaines dispositions qui gênent l'exécution forcée des pactes extrastatutaires.

– Régime des nullités des décisions sociales

Il en est notamment ainsi du régime des nullités des décisions sociales. En effet, l'annulation, qui est souvent le support de l'exécution forcée, n'est pas aisée compte tenu des dispositions restrictives du droit des sociétés qui s'assurent de la protection des tiers de bonne foi, notamment des associés et de la société. Il s'agit là d'une faiblesse des pactes extrastatutaires, notamment des conventions de vote. En effet, lorsque l'assemblée générale se réunit et prend une décision contraire à celle prévue par la convention de vote, l'annulation de la résolution se heurte à l'effet relatif des contrats, la société étant un tiers au pacte, et à l'intangibilité des décisions sociales. Il est plus aisé d'obtenir une exécution forcée lorsque l'une des parties est défaillante, auquel cas il sera possible pour le créancier de faire nommer un mandataire chargé de voter au lieu et place du débiteur dans le sens du pacte, que lorsque l'une des parties a voté en contravention avec les dispositions de la convention.

– Les promesses unilatérales d'achat et l'affectio sociétatis

Plus fondamentalement, s'est fait jour en doctrine une hésitation sur la possibilité pour le juge d'ordonner l'exécution forcée d'une promesse unilatérale d'achat de parts ou d'actions. En effet, certains soutiennent que l'on ne peut pas forcer une personne à rentrer en société, car cela serait contraire à l'affectio sociétatis. D'autres auteurs estiment qu'il faudrait vérifier que la résistance du débiteur est bien fondée sur l'absence d'affectio sociétatis, de sorte que le promettant déjà associé de la société pourrait être contraint.

Le problème se pose donc avec le plus d'acuité lorsque le promettant, débiteur, n'est pas déjà associé de la société. La doctrine est également partagée : certains préconisent de distinguer les sociétés dans lesquelles l'affectio societatis est très fort des sociétés de capitaux. La jurisprudence s'est prononcée en ce sens : la Chambre des requêtes de la Cour de cassation, dans un arrêt ancien (Cass. Req., 19 février 1907, S. 1912. 217, note Perroud), a ainsi repoussé l'exécution forcée d'une promesse unilatérale d'achat de parts sociales d'une SNC, au motif que la nature de l'engagement qui s'attache à la qualité d'associé d'une SNC implique nécessairement le libre consentement de celui qui l'intéresse et ne permet pas aux tribunaux de le contraindre contre sa volonté à exécuter la promesse qu'il a pu faire à ce sujet.

En revanche, concernant une SARL, la cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 17 juin 1987, a opté très nettement en faveur de l'exécution forcée : elle a décidé qu'à défaut pour le promettant d'accepter de signer l'acte d'achat, l'arrêt valait en lui-même cession de parts (CA Paris, 17 juin 1987, BRDA, 1987, n ̊ 22, p. 18).

La Cour de cassation, dans un arrêt très récent, semble avoir voulu mettre un terme à cette discussion : elle affirme clairement que l'affectio societatis n'est pas une condition requise pour la formation d'un acte emportant cession de droits sociaux. Dès lors, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que le défaut d'affectio societatis en la personne des cessionnaires, à le supposer avéré, n'a pas fait obstacle à la formation de la promesse synallagmatique de vente d'actions conclue par ces derniers avec le cédant (Cass. com., 11 juin 2013, n° 1222.296, FP+B N° Lexbase : A5797KGS, J. — B. Lenhof, Questions sur les effets de l'affectio sociétatis au cours de la vie sociale et sur le pluralisme de la notion, Lexbase Hebdo n ̊ 348 du 25 juillet 2013 — édition affaires N° Lexbase : N8159BTD). S'il s'agissait d'une promesse synallagmatique, rien n'interdit d'appliquer cette solution à une promesse unilatérale et de la généraliser à l'ensemble des sociétés, qu'elles soient de personnes ou de capitaux.

– Non-recours à l'article L. 8234 du Code de commerce (N° Lexbase : L2957HCI)

La Chambre commerciale de la Cour de cassation a tranché récemment un contentieux démontrant les difficultés à mettre en œuvre des procédés particuliers d'exécution forcée des obligations qui incombent notamment aux organes sociaux. Dans cette affaire, le cessionnaire d'une partie du capital d'une société touristique avait conclu pour dix ans un pacte aux termes duquel la société s'engageait à lui communiquer un certain nombre de documents et la désignation d'un co-commissaire aux comptes que lui-même aurait choisi. Or, la société n'ayant pas procédé à la nomination du commissaire aux comptes choisi par le minoritaire, ce dernier saisit le juge des référés. Il obtient la désignation du co-commissaire aux comptes, ainsi que la communication des documents prévus par le pacte. Cette ordonnance est infirmée par la cour d'appel (CA Saint-Denis de la Réunion, 15 décembre 2008, n° 08/00 970 N° Lexbase : A6501GX3) et le pourvoi formé contre cet arrêt est rejeté par la Cour de cassation (Cass. com., 12 octobre 2010, n° 0913.006, FD N° Lexbase : A8617GBR, RJDA, 1/11 n° 52) retenant que les dispositions de l'article L. 8234 du Code de commerce n'avaient pas vocation à s'appliquer dès lors que la désignation d'un co-commissaire aux comptes, au choix d'un actionnaire, en exécution d'une stipulation d'un pacte d'actionnaires, ne vise pas à réparer l'omission d'une nomination légalement obligatoire et nécessaire au fonctionnement régulier de la société.

Autrement dit, les procédés d'injonction, les référés particuliers prévus par le droit des sociétés pour obtenir l'exécution forcée ne visent qu'à assurer le fonctionnement normal, régulier, conforme à la loi de l'entité qu'est la société et non pas à permettre l'exécution de pactes extérieurs à la personne morale.

Voir aussi

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