Force majeure et ses implications sur la responsabilité et l'assurance (fr)
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Compte-rendu de la réunion du 27 mars 2013 de la Commission de droit immobilier du barreau de Paris, réalisé par Anne-Lise Lonné-Clément, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo — édition privée
Commission ouverte : Droit immobilier Co-responsables : Jehan-Denis Barbier et Jean-Marie Moyse, avocats au barreau de Paris
Sous-commission : Responsabilité Assurance Construction Responsable : Michel Vauthier, avocat au barreau de Paris
Intervenants : François Pales, et Jérôme Grandmaire, avocats au barreau de Paris
On peut s’interroger, à titre préliminaire, sur le sens "philosophique" de la force majeure, notion créée par le Code de 1804, qui constitue, selon lui, la traduction juridique des limites de l'Homme ; autrement dit, la force majeure désigne les cas dans lesquels la volonté humaine accepte d'être confrontée à certaines limites. Dans la société contemporaine dans laquelle tout doit être bordé et sécurisé, et dans laquelle l'être humain prétend détenir le pouvoir sur tout, n'acceptant aucune domination extérieure, il est intéressant de voir comment la notion de force majeure a aujourd'hui évolué.
La notion de force majeure est issue de l'article 1148 du Code civil qui évoque cette notion, mais sans en donner de définition ; la notion relève donc d'une construction jurisprudentielle. La finalité de la force majeure est d'exonérer une personne de l'obligation contractuelle à laquelle elle est tenue, par la résolution du contrat sans entraîner le versement de dommages et intérêts. La force majeure touche tous les domaines du droit, et peut faire l'objet d'appréciations différentes selon les juridictions.
Pour rappel, les critères classiques de la force majeure sont l'extériorité, l'imprévisibilité, et l'irrésistibilité. L'extériorité signifie que la force majeure doit être extérieure à la propre volonté du débiteur de l'obligation. Ensuite, pour permettre d'exonérer une partie de ses obligations, il faut bien entendu que l'événement en cause n'ait pu être prévisible ; l'imprévisibilité en matière de construction est évaluée souvent à l'aune des antécédents de ce qui a pu se passer. Quant à l'irrésistibilité, elle suppose que l'événement empêche réellement la personne de remplir ses obligations.
Quelle est l'évolution intellectuelle ayant entouré la notion de la force majeure, aussi bien en doctrine qu'en jurisprudence ?
En doctrine, une discussion s'est portée sur les deux critères de l'extériorité et de l'imprévisibilité. S'agissant de l'extériorité, certains auteurs ont pu estimer que ce critère n'était pas pertinent pour apprécier la force majeure dans la mesure où il ne permettait pas d'évaluer le comportement du sujet face à l'événement. En effet, il est apparu que des facteurs internes pouvaient être constitutifs de force majeure (par exemple, la maladie d'une personne physique) ; aujourd'hui, la jurisprudence ne retient plus ce critère de l'extériorité. Quant à l'imprévisibilité, certains avaient estimé que l'imprévisibilité devait davantage être considérée comme un indice et qu'il convenait plutôt de se demander si l'événement pouvait être évitable. Il ressort de la jurisprudence que le critère de l'imprévisibilité n'a effectivement jamais été déterminant pour l'appréciation de la force majeure. Souvent, les juges ont préféré se référer au seul critère d'irrésistibilité : en effet, un événement même prévisible peut constituer un cas de force majeure si sa prévision ne permet pas d'empêcher ses effets et si toutes les mesures nécessaires ont été prises.
Cette conception plus souple de la force majeure permet de la retenir plus souvent. L'irrésistibilité a même pu faire l'objet d'une appréciation relative, par référence à un individu ordinaire.
La jurisprudence de la Cour de cassation est aujourd'hui unifiée depuis 2006, date à laquelle l'Assemblée plénière a décidé de mettre un terme à une divergence qui existait entre la première chambre civile (qui ne prenait en compte que le seul critère de l'irrésistibilité) et les deuxième et troisième chambres civile ainsi que la chambre sociale qui avaient une approche plus traditionnelle en exigeant le cumul des critères d'imprévisibilité et d'irrésistibilité, cette divergence étant source d'insécurité juridique (Ass. plén., 14 avril 2006, n˚ 02-11.168 N° Lexbase : A2034DPZ) ; il en ressort que la force majeure totalement libératoire s'entend d'un événement non seulement irrésistible mais également imprévisible, et il en est ainsi tant en matière contractuelle qu'en matière délictuelle.
Si le critère de l'extériorité a disparu d'une manière générale, il n'en est pas ainsi dans le domaine de la construction où ce critère est toujours apprécié strictement.
Pour analyser les effets et les implications de la force majeure en droit de la construction, il convient de distinguer selon que l'on se situe avant ou après la réception de l'ouvrage.
1. Les implications de la force majeure avant la réception de l'ouvrage
Un cas de force majeure peut provoquer, d'une part, la destruction de l'ouvrage, et, d'autre part, entraîner des effets sur l'exécution des contrats.
1.1. La destruction de l'ouvrage
— Le risque pesant sur l'entreprise
Il résulte de l'article 1148 du Code civil que la force majeure entraîne la résolution du contrat et délie les parties de leurs obligations ; le contrat est censé ne jamais avoir existé. En matière de contrat d'entreprise, il convient de raisonner différemment. En effet, il est considéré qu'avant la réception, l'entreprise est responsable et doit assumer toutes les conséquences d'une destruction résultant d'une force majeure ; les dépenses relatives à la reconstruction et à la remise en état de l'ouvrage lui incombent. Trois dispositions du Code civil sont ici incontournables. L'article 1788 du Code civil prévoit le cas où un ouvrier fournit la matière : "Si, dans le cas où l'ouvrier fournit la matière, la chose vient à périr, de quelque manière que ce soit, avant d'être livrée, la perte en est pour l'ouvrier, à moins que le maître ne fût en demeure de recevoir la chose". Les articles 1789 et 1790 évoquent, au contraire, le cas où l'ouvrier fournit seulement son industrie ; ainsi "dans le cas où l'ouvrier fournit seulement son travail ou son industrie, si la chose vient à périr, l'ouvrier n'est tenu que de sa faute" ; et "si la chose vient à périr, quoique sans aucune faute de la part de l'ouvrier, avant que l'ouvrage ait été reçu et sans que le maître fût en demeure de le vérifier, l'ouvrier n'a point de salaire à réclamer, à moins que la chose n'ait péri par le vice de la matière".
Ces dispositions visent en particulier les contrats de maîtrise d'oeuvre. Si l'ouvrage vient à être détruit, il faut alors démontrer que le maître d'oeuvre a commis une faute.
Il faut savoir que les conditions de mise en oeuvre de l'article 1788 du Code civil sont strictement encadrées. C'est ainsi l'ouvrage lui-même qui doit être détruit. Aussi, par exemple, en cas de travaux sur existant, si c'est l'existant qui est détruit, il convient d'appliquer le droit commun. L'entreprise ne sera tenue responsable que si sa faute est rapportée.
Par ailleurs, un débat avait porté sur la question de la propriété des constructions. Une première opinion considérait que l'article 1788 pouvait recevoir application lorsque l'entrepreneur construit sur un terrain appartenant au maître d'ouvrage, dans la mesure où ce dernier devenait par accession propriétaire de la construction au fur et à mesure, de sorte que les risques devaient peser logiquement sur le propriétaire de l'ouvrage ; une seconde opinion reprochait à cette conception de méconnaître le fait que, dans les rapports entre maître d'ouvrage et entrepreneur, doit être pris en considération non pas le principe axé sur la propriété, mais certains principes régissant le contrat de louage d'ouvrage. Aujourd'hui, il est acquis que c'est à l'entreprise de supporter les risques jusqu'à la réception comme le prévoit l'article 1788 du Code civil.
Il faut savoir que si l'entreprise n'est pas propriétaire du chantier (la propriété de l'ouvrage étant transférée au maître d'ouvrage au fur et à mesure de la construction), elle en est gardienne, avant réception (cf. Cass. civ. 2, 21 mars 1974, n˚ 72-12.310 N° Lexbase : A3845CIA). Or, en tant que gardien du chantier, l'entrepreneur est ainsi tenu à une responsabilité de plein droit sans faute vis-à-vis des tiers en application de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil ; à ce titre, il est tenu de protéger les matériaux et l'ouvrage contre les risques qui peuvent survenir. Quelques arrêts se prononçant sur des cas de force majeure survenus en cours de chantier :
- explosion criminelle (Cass. civ. 3, 19 février 1986, n˚ 83-17.052 N° Lexbase : A2719AAX) ;
- tornade (Cass. civ. 3, 21 juin 2005, n˚ 04-14.659, F-D N° Lexbase : A8198DIH ; retenant que l'entrepreneur ne pouvait être tenu à autre chose qu'au remboursement de l'ouvrage détruit) ;
- incendie (Cass. civ. 3, 25 novembre 2003, n˚ 02-17.748, F-D N° Lexbase : A3230DAU ; Cass. civ. 3, 26 janvier 2005, n˚ 03-17.173, FS-P+B N° Lexbase : A3021DGY).
A noter, qu'un incendie criminel ne constitue pas nécessairement un cas de force majeure (cf. Cass. civ. 3, 27 janvier 1993, n˚ 90-18.679 N° Lexbase : A8838C3Q ; Cass. civ. 3, 3 avril 2007, n˚ 06-12.681, F-D N° Lexbase : A9102DUN). Il faut alors que l'entreprise justifie avoir rempli toutes les obligations qui pesaient sur elle et avoir tout mis en œuvre pour qu'un tel incident ne survienne pas (surveillance du chantier, etc.).
Un arrêt de la cour d'appel de Pau en date du 27 mai 2008, à propos d'un glissement de terrain (CA Pau, 27 mai 2008, n˚ 2325/08 N° Lexbase : A5813G7G), qui témoigne de la sévérité des juges en la matière, ayant considéré qu'il ne s'agissait pas d'un cas de force majeure dans la mesure où c'était le travail de l'entreprise qui avait été le fait déclenchant et déterminant du sinistre.
La force majeure est donc appréciée très strictement, d'autant plus que l'entreprise est gardienne du chantier et est tenue à une obligation de résultat ; c'est à elle de rapporter la preuve de cette force majeure, ce qui est très difficile à rapporter.
— L'assurance du risque de destruction de l'ouvrage
Il existe des polices d'assurance permettant aux entreprises qui subissent le risque de la destruction de l'ouvrage, d'en être garantie. Tel est ainsi l'objet de la garantie "catastrophes naturelles", prévue à l'article L. 125-1 du Code des assurances qui prévoit la garantie de dommages matériels dus à un événement naturel d'intensité anormale, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance, ou n'ont pu être prises.
Parallèlement à cette garantie spécifique, il existe plusieurs possibilités pour assurer un tel risque, notamment la police "Tous risques chantiers" (TRC), qui peut être souscrite par l'entreprise, mais également par le maître d'ouvrage ; la RC professionnelle, ou encore des garanties spécifiques qui sont des compléments à des polices "garantie responsabilité décennale" classiques, etc..
1.2. Les effets de la force majeure sur l'exécution des contrats
— L'incidence sur les délais d'exécution
Le principe est celui de la liberté contractuelle. Dans certains cas, aucun délai n'est prévu ; il en résulte l'absence de sanctions en cas de retard du chantier.
Si la force majeure est exonératoire, la liberté contractuelle permet aux parties de préciser la définition qu'elles entendent retenir de la force majeure, ou d'une "cause légitime de suspension des travaux" complétée par une liste limitative de cas dans lesquels l'entreprise est exonérée de sa responsabilité. Les contrats peuvent également prévoir des pénalités dues par le constructeur s'il ne respecte pas les délais.
En tout état de cause, ainsi que l'a rappelé la Cour de cassation le 22 février 2006, la force majeure ne peut exonérer le prestataire de l'obligation que pendant "le temps strictement requis pour effacer les effets de l'événement" (Cass. civ. 3, 22 février 2006, n˚ 05-12.032, FS-P+B+I N° Lexbase : A1446DNU). Il faut savoir que c'est souvent le contrat qui détermine la volonté des parties quant à la définition des modalités d'administration de la preuve de la force majeure et de ses effets. La question de l'efficacité de ces clauses, qui pourraient élargir ou restreindre le champ de la définition de la force majeure par rapport aux critères jurisprudentiels de qualification, reste ouverte. La liberté contractuelle connaît cependant quelques limites. Certaines clauses peuvent être considérées comme abusives, au regard de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, dès lors qu'elles conduiraient à un déséquilibre dans les relations entre professionnels et consommateurs ; il en est de même entre professionnels uniquement (C. com., art. L. 442-6).
Dans le domaine des contrats de construction de maison individuelle (CCMI), qui sont rédigés par les constructeurs, le législateur prévoit certaines limites concernant notamment la délimitation des causes susceptibles d'exonérer les constructeurs de leur responsabilité ; sont ainsi interdites les clauses prévoyant de décharger le constructeur de son obligation d'exécuter les travaux dans les délais prévus par les contrats en cas de cause légitime de retard autre que les intempéries, les cas de force majeure ou les cas fortuits.
En matière de contrats d'entreprises, il faut savoir que c'est la norme AFNOR (article 10.3 prévoyant ce qui est considéré comme journées d'intempérie) qui est généralement prise en considération par les professionnels dans les CCAG des marchés de travaux, même si les CCAP peuvent prévoir des dispositions dérogatoires.
— L'incidence sur la rémunération des entreprises
La force majeure peut avoir une incidence sur la rémunération des entreprises dans la mesure où elle va bouleverser l'économie du contrat, sachant que, le plus souvent, les contrats sont conclus sous forme de marchés à forfait (C. civ., art. 1793) ; l'entrepreneur s'engage alors sur le prix convenu de manière définitive ; il existe un tempérament en cas de bouleversement de l'économie du contrat, lorsqu'il y a une modification d'ampleur exceptionnelle des travaux d'origine, en quantité, voire en qualité.
Il s'agit là de la théorie des sujétions imprévues, issue du droit administratif. Cela peut résulter par exemple, de la découverte de vestiges sur le chantier, de difficultés techniques extérieures aux parties présentant un caractère exceptionnel.
L'article 9-1-2 de la norme AFNOR prévoit d'ailleurs la possibilité pour l'entreprise de demander un supplément de prix.
Là encore, le principe est celui de la liberté contractuelle ; les parties doivent donc être vigilantes sur les clauses relatives à la rémunération supplémentaire.
Si le principe est donc celui de la liberté contractuelle avant réception, il en va autrement après la réception des travaux, laquelle a pour effet de transférer le risque ; l'entreprise a donc tout intérêt à ce que soit prononcée la réception le plus rapidement possible.
2. Les implications de la force majeure après la réception des travaux
La force majeure exonératoire de la responsabilité des constructeurs présente de véritables spécificités après réception, dans la mesure où elle apparaît antinomique avec le droit de la responsabilité des constructeurs (garantie de parfait achèvement, qui est un régime de responsabilité purement objective ; garantie décennale reposant sur une présomption de responsabilité) qui procède de la volonté du législateur de protéger le maître d'ouvrage.
2.1. La garantie de parfait achèvement
La question s'est posée de savoir si, face à une garantie objective aussi forte la force majeure avait sa place. Certains auteurs, se fondant sur la lettre de l'article 1792-6 du Code civil, considéraient que la force majeure devait être totalement inopérante dans le cadre de la garantie de parfait achèvement qui prévoit une garantie purement objective.
La jurisprudence ne semble pas avoir été amenée à se prononcer véritablement sur cette question, mais la tendance jurisprudentielle est de considérer que la force majeure étant le droit commun, la garantie de parfait achèvement ne peut exclure la notion de force majeure.
2.2. La garantie décennale
Contrairement à la tendance générale des tribunaux conduisant à réduire les critères de la force majeure, en écartant notamment le critère de l'extériorité (dans l'arrêt précité du 14 avril 2006, l'Assemblée plénière évoque les seuls critères d'imprévisibilité et d'irrésistibilité), la jurisprudence en matière de construction, et plus spécifiquement de la garantie décennale, redonne toute sa place au critère de l'extériorité de la force majeure.
En effet, la notion de "risque de développement", qui se trouverait dans des procédés ou des matériaux que mettrait en oeuvre le constructeur, n'est pas admise en droit de la construction, contrairement à d'autres domaines (cf. loi n˚ 98-389 du 19 mai 1998, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux).
Est ainsi écarté l'argument tendant à soutenir que l'état de la science ne permettait pas de penser à l'époque où l'ouvrage a été réalisé que le matériau ou le procédé utilisé s'avérerait défectueux et que cela exonérerait de sa responsabilité qui s'est obligé. L'exclusion du critère de l'extériorité aurait dû conduire à ne pas exclure le risque de développement ; tel n'a pas été le choix de la jurisprudence.
Dans un arrêt de principe du 22 octobre 1980 (Cass. civ. 3, 22 octobre 1980, n˚ 78-40.830 N° Lexbase : A6070CIN), la troisième chambre civile de la Cour de cassation a considéré que "le seul fait qu'une technique ait été courante et considérée comme valable au regard des documents techniques unifiés à l'époque où elle a été employée pour l'édification d'un ouvrage ne constitue pas une cause exonératoire de responsabilité" ; c'est donc implicitement le critère de l'extériorité qui est ici retenu par les juges.
Cette position peut être critiquable si l'on considère le cas des produits verriers défectueux, qui entrent parfaitement dans la définition des produits défectueux (cf. C. civ., art. 1386-1 et s., et en particulier art. 1386-11), et pour lesquels le producteur peut voir sa responsabilité écartée en cas de risque de développement ; il en résulte une différence de traitement avec le constructeur qui lui ne peut être exonéré.
Si le risque de développement est refusé par la jurisprudence, il existe toutefois certaines limites, sur l'engagement de la responsabilité du constructeur. Ainsi, dans le cas d'un constructeur qui était intervenu sur l'étanchéité d'une façade et alors que s'était produit une réaction chimique entre le produit appliqué et le produit déjà en place, la Cour de cassation a considéré que le déclenchement de la réaction chimique n'était pas lié au produit appliqué par l'intervenant, mais au produit existant déjà en place, et qu'ainsi dans ce cas, le constructeur pouvait faire valoir une cause étrangère exonératoire de sa responsabilité (Cass. civ. 3, 26 février 2003, n˚ 01-16.441, FS-P+B N° Lexbase : A2901A7L).
On peut dès lors en déduire que la Cour de cassation admet le risque de développement s'il est justifié d'un critère d'extériorité.
Dans le même sens, on peut s'interroger sur la possibilité de faire valoir un risque de développement dans le cas d'une circulaire administrative imposant un certain produit pour le traitement des canalisations, alors qu'il s'avère que le produit préconisé réagit avec la matière des canalisations, conduisant à la perforation des canalisations.
S'agissant des critères d'imprévisibilité et d'irrésistibilité, là encore, la Cour de cassation fait preuve d'une sévérité accrue vis-à-vis des constructeurs. Concernant les événements de catastrophes naturelles, les décisions prenant en considération la sécheresse sont assez limitées, du fait de la prise en compte d'antécédents. Il convient de signaler un arrêt du 7 juillet 1998 (Cass.civ. 1, 7 juillet 1998, n˚ 96-15.356 N° Lexbase : A2765CP4), dans lequel la Cour de cassation relève, d'une part, que l'arrêté de catastrophe naturelle visait une sécheresse sur une période particulièrement longue et donc un événement particulièrement exceptionnel, et d'autre part, qu'aucune précaution, notamment quant au choix des semelles de l'immeuble n'aurait pu suffire à éviter les graves dommages survenus du fait de cette sécheresse exceptionnelle.
Sur le critère de l'absence de précaution pouvant être prise, en matière de construction, et compte tenu des techniques existantes à l'heure actuelle, il faut savoir que des précautions sont toujours techniquement possibles, et que la question doit se poser au regard d'un critère financier, à savoir le coût pouvant raisonnablement être admis.
A noter un autre arrêt en date du 28 novembre 2001, où la Cour de cassation a retenu la notion de "désordre susceptible d'avoir été prévenu par une conception adaptée de l'ouvrage" (Cass. civ. 3, 28 novembre 2001, n˚ 00-14.320, FS-P+B N° Lexbase : A2682AXM). Là encore, doit se poser la question du coût de la conception adaptée.
Aussi, les cas dans lesquels la Cour de cassation admet la force majeure en matière de responsabilité restent véritablement exceptionnels :
- s'agissant de vents forts (Cass. civ. 3, 11 mai 1994, n˚ 92-16.201 N° Lexbase : A7074ABM) : "le sinistre, survenu à une période durant laquelle la vitesse du vent avait dépassé dans la région considérée les valeurs extrêmes définies par le document technique unifié applicable, s'était traduit, dans un premier temps, par l'arrachement de la couverture et des bardages, provoqué par la violence du vent, puis par un effondrement de la structure et que, du fait de la rupture intégrale de la couverture, les contreventements vertical et longitudinal, aussi solides qu'ils aient pu être, n'avaient pas permis à la structure de résister" ; force est de constater les multiples précautions prises par la Cour de cassation lorsqu'elle veut bien admettre la force majeure ;
- s'agissant de tempête de neige (Cass. civ. 3, 7 mars 1979, n˚ 77-15 153 N° Lexbase : A4390CGP) : "les normes NV 65 avaient été respectées, que si les pannes ne répondaient pas aux recommandations figurant en annexe au document NV 65, ces dernières n'étaient présentées qu'à titre indicatif sans constituer des règles précises et obligatoires, que leur stricte observation n'eût pas évité l'effondrement de l'ouvrage sous le poids de la neige, les surcharges sur certaines pannes ayant dépassé de 30 à 100 % les prévisions les plus pessimistes et de 100 à 200 % les excédents proprement réglementaires' ; que l'arrêt ajoute que le dommage devait être attribué à des phénomènes météorologiques aux dimensions d'une véritable calamité dont l'ONM n'avait jamais enregistré l'équivalent en ses archives".
- s'agissant d'une tempête de grêle (Cass. civ. 3, 21 juin 2000, n˚ 98-21.705 N° Lexbase : A1808CYM), la Cour de cassation a pu écarter la force majeure alors même que la grêle avait perforé les plaques de couverture en plusieurs endroits.
Force est de constater l'extrême sévérité de la Cour de cassation face aux critères de mise en œuvre de la force majeure.
Voir aussi
- Trouver la notion construction "force majeure" assurance dans l'internet juridique français
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