France, Avocat, Ecoutes téléphoniques, Droit au respect de la vie privée et familiale, Non-violation Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (eu)

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Date: Octobre 2016


Mots clés : CEDH, Article 8, Convention Européenne des droits de l'Homme, avocat, mesures de surveillance



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Saisie d’une requête dirigée contre la France, la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après « la Cour EDH «) a interprété l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (ci- après « la Convention «) relatif au droit au respect de la vie privée et familiale.

La requérante, de nationalité française, est avocate. Elle a été, en tant que collaboratrice d’un autre avocat, en charge de la défense, avec celui-ci, d’un client mis en cause dans le cadre d’une enquête sur la violation de l’embargo sur l’importation de viande bovine en provenance du Royaume-Uni. Dans le cadre de cette enquête, la ligne téléphonique de ce client a été placée sur écoute. Des conversations téléphoniques entre celui-ci et la requérante ont été interceptées et transcrites sur procès-verbal.

Invoquant l’article 8 de la Convention, la requérante se plaignait de l’interception et de la transcription d’une conversation qu’elle a eue avec son client et de l’utilisation contre elle, dans le cadre de la procédure disciplinaire dont elle a fait l’objet, des procès-verbaux correspondants.

● Sur l’existence d’une ingérence dans le droit au respect de la vie privée de la requérante

La Cour EDH souligne, tout d’abord, que l’interception, l’enregistrement et la transcription de la conversation téléphonique entre le client et la requérante constitue une ingérence non seulement dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et de la correspondance du premier mais aussi dans celui de la seconde. En outre, elle ajoute que cette ingérence s’est poursuivie dans le cadre de la procédure disciplinaire conduite contre celle-ci. Selon la Cour EDH, pareille ingérence enfreint l’article 8 de la Convention sauf si elle est prévue par la loi, dirigée vers un ou des buts légitimes au regard de l’article 8 §2 de la Convention et est nécessaire dans une société démocratique pour les atteindre.

● Sur la base légale de l’ingérence litigieuse

La Cour EDH rappelle que les mots « prévue par la loi » commandent que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais concernent également la qualité de la loi en cause : ils exigent l’accessibilité de celle‑ci à la personne concernée, qui de surcroît doit pouvoir en prévoir les conséquences pour elle, et sa compatibilité avec la prééminence du droit. Lorsqu’il s’agit de l’interception d’une communication, la condition de prévisibilité exige, selon la Cour EDH, que le droit interne précise, notamment, la définition des catégories de personnes susceptibles d’être mises sur écoute judiciaire, la nature des infractions pouvant y donner lieu, la fixation d’une limite à la durée de l’exécution de la mesure, les conditions d’établissement des procès-verbaux de synthèse consignant les conversations interceptées, et l’utilisation et l’effacement des enregistrements réalisés.

En l’espèce, s’agissant de la base légale de l’ingérence litigieuse, la Cour EDH relève qu’elle se trouve dans les articles 100 et suivants du Code de procédure pénale dès lors que l’interception, l’enregistrement et la transcription de la conversation entre la requérante et son client ont été réalisés en exécution d’écoutes téléphoniques décidées par un juge d’instruction sur le fondement de ces dispositions. Le fait que la requérante n’était pas la titulaire de la ligne téléphonique ainsi mise sous écoute est, à cet égard, indiffèrent. En outre, s’agissant du respect de la condition de prévisibilité, elle admet que les articles 100 et suivants du Code de procédure pénale posent des règles claires et détaillées et précisent, a priori, avec suffisamment de clarté l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités dans le domaine considéré. Elle observe, cependant, que ces dispositions ne couvrent pas la situation des personnes dont les propos ont été interceptes a l’occasion de la mise sous écoute de la ligne téléphonique d’une autre personne.

En particulier, elles ne prévoient pas la possibilité d’utiliser les propos interceptes contre leur auteur dans le cadre d’une autre procédure que celle dans le contexte de laquelle la mise sous écoute a été ordonnée. La Cour EDH constate, cependant, que, s’agissant spécifiquement de propos tenus dans un tel contexte par un avocat au titulaire de la ligne mise sous écoute, la Cour de cassation avait déjà, à l’époque des faits de la cause, précisé que, par exception, une conversation entre un avocat et son client surprise à l’occasion d’une mesure d’instruction régulière pouvait être transcrite et versée au dossier de la procédure lorsqu’il apparaissait que son contenu était de nature à faire présumer la participation de cet avocat à des faits constitutifs d’une infraction.

La Cour EDH estime qu’au vu des articles 100 et suivants du Code de procédure pénale et de la jurisprudence de la Cour de cassation, la requérante, professionnelle du droit, pouvait, dans le contexte de l’espèce, prévoir que la ligne téléphonique de son client était susceptible d’être placée sous écoute sur le fondement de ces articles, que ceux des propos qu’elle lui tiendrait sur cette ligne qui seraient de nature à faire présumer sa participation à une infraction pourraient être enregistres et transcrits malgré sa qualité d’avocate, et qu’elle risquait des poursuites a raison de tels propos. En particulier, elle pouvait prévoir que révéler à cette occasion une information couverte par le secret professionnel l’exposerait à des poursuites. Enfin, elle pouvait prévoir qu’un manquement de cette nature l’exposerait à des poursuites disciplinaires devant le conseil de l’ordre des avocats, qui pouvait notamment agir sur demande du procureur général.

La Cour EDH admet, en conséquence, que l’ingérence était prévue par la loi au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

● Sur les buts légitimes poursuivis par l’ingérence litigieuse

La Cour EDH admet qu’ayant eu lieu dans le cadre d’une procédure criminelle, l’interception, l’enregistrement et la transcription des communications téléphoniques de la personne concernée en l’espèce, dont celles qu’elle a eue avec la requérante, poursuivaient l’un des buts légitimes énumérés par l’article 8 §2 de la Convention, à savoir la défense de l’ordre. Il en va de même de l’utilisation de la transcription de cette conversation dans le cadre de la procédure disciplinaire conduite contre la requérante pour manquement au secret professionnel.

● Sur la nécessité de l’ingérence litigeuse dans une société démocratique

La Cour EDH rappelle que la notion de « nécessité « implique l’existence d’un besoin social impérieux et, en particulier, la proportionnalité de l’ingérence au but légitime poursuivi. En l’espèce, elle indique s’attacher à vérifier si la requérante a dispose d’un contrôle efficace de l’interception, l’enregistrement et la transcription de la communication téléphonique qu’elle a eue avec son client. Se pose aussi la question, selon la Cour EDH, du poids à accorder dans l’évaluation de la nécessité de la transcription de cette conversation au fait qu’elle communiquait en sa qualité d’avocate.

– Concernant la question de savoir si la requérante a disposé d’un contrôle efficace, la Cour EDH s’attache aux circonstances particulières de l’espèce. Elle observe, notamment, que l’écoute et la transcription litigeuse ont été ordonnées par un magistrat et réalisées sous son contrôle. Elle relève, en outre, que la conformité des interceptions téléphoniques réalisées avec les exigences des articles 100 et suivants du Code de procédure pénale a fait l’objet d’un certain contrôle juridictionnel, qui a eu lieu a posteriori dans le cadre de la procédure pénale dirigée contre le client de la requérante. Elle constate, enfin, que la requérante a obtenu un examen de la légalité de la transcription de cette écoute dans le cadre de la procédure disciplinaire dont elle a fait l’objet. Par conséquent, la Cour EDH estime que, même si elle n’a pas eu la possibilité de saisir un juge d’une demande d’annulation de la transcription de la communication téléphonique litigieuse, il y a eu, dans les circonstances particulières de l’espèce, un contrôle efficace, apte à limiter l’ingérence litigieuse a ce qui était nécessaire dans une société démocratique.

– Concernant la question du poids à accorder au fait que la requérante communiquait avec son client en sa qualité d’avocate, la Cour EDH rappelle qu’elle accorde une importance particulière au principe de la confidentialité des échanges entre l’avocat et son client et au principe de la protection spécifique du secret professionnel des avocats.

Elle admet, à cet égard que, si l’article 8 de la Convention protège la confidentialité de toute correspondance entre individus, il accorde une protection renforcée aux échanges entre les avocats et leurs clients. Cela se justifie par le fait que les avocats se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique : la défense des justiciables. Or, selon la Cour EDH, un avocat ne peut mener à bien cette mission fondamentale s’il n’est pas à même de garantir à ceux dont il assure la défense que leurs échanges demeureront confidentiels. C’est la relation de confiance entre-eux, indispensable à l’accomplissement de cette mission, qui est en jeu. En dépend, en outre, indirectement mais nécessairement, le respect du droit du justiciable a un procès équitable, notamment en ce qu’il comprend le droit de tout accuse de ne pas contribuer à sa propre incrimination. La Cour EDH ajoute que cette protection renforcée que l’article 8 confère à la confidentialité des échanges entre les avocats et leurs clients et les raisons qui la fondent, l’ont conduit à constater que, pris sous cet angle, le secret professionnel des avocats est spécifiquement protégé par cette disposition.

La Cour EDH souligne, cependant, que si le secret professionnel des avocats a une grande importance tant pour l’avocat et son client que pour le bon fonctionnement de la justice, et s’il s’agit de l’un des principes fondamentaux sur lesquels repose l’organisation de la justice dans une société démocratique, il n’est pas pour autant intangible. Elle précise, également, qu’il se décline avant tout en obligations a la charge des avocats et que c’est dans la mission de défense dont ils sont charges qu’il trouve son fondement. La Cour EDH observe, en outre, que le droit français énonce très clairement que le respect des droits de la défense commande la confidentialité des conversations téléphoniques entre un avocat et son client et fait en conséquence obstacle à la transcription de telles conversations, même lorsqu’elles ont été surprises a l’occasion d’une mesure d’instruction régulière. Il n’admet à cette règle qu’une seule exception : la transcription est possible lorsqu’il est établi que le contenu d’une conversation ainsi surprise est de nature à faire présumer la participation de l’avocat lui- même à des faits constitutifs d’une infraction.

Par ailleurs, la Cour EDH relève que l’article 100-5 du Code de procédure pénale établit désormais expressément qu’a peine de nullité, les correspondances avec un avocat relevant de l’exercice des droits de la défense ne peuvent être transcrites. Selon la Cour EDH, cette approche revient à retenir que, par exception, le secret professionnel des avocats, qui trouve son fondement dans le respect des droits de la défense du client, ne fait pas obstacle à la transcription d’un échange entre un avocat et son client dans le cadre de l’interception régulière de la ligne du second lorsque le contenu de cet échange est de nature à faire présumer la participation de l’avocat lui-même a une infraction, et dans la mesure où cette transcription n’affecte pas les droits de la défense du client. Autrement dit, elle admet qu’ainsi restrictivement énoncée, cette exception au principe de la confidentialité des échanges entre l’avocat et son client contient une garantie adéquate et suffisante contre les abus.

La Cour EDH rappelle que ce qui importe avant tout dans ce contexte est que les droits de la défense du client ne soient pas altérés, c’est-à-dire que les propos ainsi transcrits ne soient pas utilisés contre lui dans la procédure dont il est l’objet. Dès lors que la transcription litigieuse de la conversation entre la requérante et son client était fondée sur le fait que son contenu était de nature à faire présumer que la requérante avait elle‑même commis une infraction, et que le juge interne s’est assuré que cette transcription ne portait pas atteinte aux droits de la défense dudit client, la Cour EDH estime que la circonstance que la première était l’avocate du second ne suffit pas pour caractériser une violation de l’article 8 de la Convention à l’égard de celle-ci. La Cour EDH considère ainsi que l’ingérence litigieuse n’est pas disproportionnée par rapport au but légitime poursuivi, à savoir la défense de l’ordre, et qu’elle peut passer pour nécessaire dans une société démocratique, au sens de l’article 8 de la Convention.

Partant, elle conclut qu’il n’y a pas eu violation de cette disposition.

(Arrêt du 16 juin 2016, Versini-Campinchi et Crasnianski c. France, requête no 49176/11)