Imprévision en droit administratif (fr)

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Le problème

La théorie de l'imprévision fait apparaître des solutions originales. Cette fois, l'exécution du contrat administratif se heurte à des difficultés exceptionnelles du fait d'événements anormaux, imprévisibles et indépendants de la volonté des cocontractants.

À la différence de ce qui se passe dans le cas de la force majeure, l'exécution du contrat n'est pas impossible, mais elle se révèle compromise, incertaine, parce que l'économie du contrat est entièrement bouleversée. À l'encontre des hypothèses de fait du Prince, les événements qui sont à l'origine du bouleversement ne sont pas l'œuvre de l'administration contractante agissant à titre extra-contractuel. Ils peuvent consister en des circonstances d'ordre économique (aléa économique) mais ils peuvent consister aussi dans l'intervention de la puissance publique.

Le problème qui se pose est de savoir s'il convient de réaliser une adaptation de cette situation aux circonstances nouvelles. La même question peut se poser en droit privé, qui écarte la théorie de l'imprévision. On estime que le contrat tient lieu de loi entre les parties et qu'il ne convient pas de modifier les obligations qui ont été définies et acceptées. En droit privé, ce principe repose sur la force obligatoire des contrats, mais aussi sur l'idée que les intérêts de parties sont égaux. Il n'y a aucune raison de donner une préférence à la partie dont les prévisions ont été déjouées.

En droit administratif, le même raisonnement ne peut être tenu. L'intérêt défendu par l'administration a la primauté puisqu'il s'agit de l'intérêt général. Le contrat dont l'exécution devient incertaine intéresse toujours le service public, qui ne doit pas cesser de fonctionner. C'est en se fondant sur l'intérêt du service public qu'en droit administratif, on retiendra l'idée d'imprévision. Toutefois, on ne saurait négliger la situation contractuelle, et la consécration de la théorie de l'imprévision exigera un aménagement de son régime juridique.

Les solutions de la jurisprudence

La théorie de l'imprévision a été consacrée par l'arrêt Compagnie générale d'éclairage de Bordeaux [1]. Du fait de la guerre, une hausse considérable s'était produite sur le prix du charbon, et la compagnie d'éclairage ne pouvait plus assurer le service de l'éclairage dans ces conditions, qui n'avaient pas été prévues au contrat, passé en 1904. La Compagnie générale d'éclairage de Bordeaux demandait au juge de la mettre en état d'assurer le service public tant que la situation difficile subsisterait.

Le Conseil d'État a consacré la théorie de l'imprévision. Il a rappelé avant tout le principe de la force obligatoire des contrats. S'il a admis que la situation contractuelle pouvait être réexaminée, c'est en dégageant certaines conditions. Il a souligné que la hausse avait été non seulement exceptionnelle, mais qu'elle avait revêtu une intensité qui ne pouvait être envisagée par les cocontractants au moment de la conclusion du contrat. Le Conseil d'État a précisé qu'il y avait eu un véritable bouleversement du contrat. Il a également rattaché la théorie de l'imprévision à la durée de la situation anormale.

Les principes dégagés par l'arrêt gaz de Bordeaux constituent les bases essentielles de la théorie, qui sera développée et précisée dans de nombreuses décisions. La théorie de l'imprévision est devenue une théorie classique du droit administratif. Elle est parfois reprise dans certains de ses aspects par le législateur, qui l'intègre souvent dans le cahier des charges.

La théorie s'est adaptée aux conditions nouvelles. Elle a été conçue à une époque où l'on estimait qu'il s'agissait surtout les aléas posés par la guerre, les crises économiques. On croyait même qu'une aide temporaire de l'administration pourrait suffire à franchir les périodes difficiles. L'évolution a montré que la situation d'imprévision pouvait durer longtemps et se terminer en se transformant en force majeure. Il y a peu d'arrêts sur la théorie de l'imprévision parce qu'on a créé des clauses d'échelle mobile, qui jouent automatiquement.

Le régime jurisprudentiel de l'imprévision

La jurisprudence a d'abord défini l'état d'imprévision. Elle a précisé que l'événement qui est à l'origine de la situation d'imprévision devait être anormal, imprévisible et indépendant de la volonté des cocontractants. Il faut que le contrat se soit heurté dans son exécution à un aléa extraordinaire, à un événement qui ne pouvait être imaginé lors de la conclusion du contrat. Il peut s'agir de dépréciation monétaire, de crise économique, mais aussi de faits d'ordre naturel[2]. La jurisprudence a même admis que l'imprévision pouvait naître des interventions de l'administration en matière économique[3].

L'état d'imprévision n'a pas pour effet de faire disparaître l'obligation d'exécution qui incombe au cocontractant. Il faut que le service public continue à fonctionner. Mais on reconnaît au cocontractant de l'administration une indemnité d'imprévision. On estime que devant la situation d'imprévision, il est opportun que les parties procèdent d'elles-mêmes à la révision du contrat. Le juge, qui ne peut modifier lui-même le contrat, invite les parties à procéder à une telle révision. Si cette négociation réussit, il n'y a pas de problème. Si elle échoue, le juge accorde une indemnité d'imprévision au cocontractant.

Cette indemnité est évaluée en fonction des pertes subies depuis le moment où le prix d'imprévision a été dépassé[4]. Toutefois, l'administration n'est pas la seule à subir la charge extra-contractuelle. Cette dernière est partagée par le juge entre l'administration et son cocontractant. En général, 90 % de la charge est supporté par l'administration et 10 % par le cocontractant.

On conçoit qu'un tel régime revête un caractère temporaire. À partir du moment où il apparaît que la situation ne peut être redressée, chaque partie peut demander au juge de prononcer la résiliation du contrat[5]. En réalité, les clauses d'échelle mobile jouent automatiquement, ce qui fait que la théorie de l'imprévision ne joue plus grand rôle.

Voir aussi

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Notes et références

  1. Conseil d'État 30 mars 1916 Compagnie générale d'éclairage de Bordeaux
  2. Conseil d'État 25 novembre 1925 Cie des automobiles postales : Rec. p. 501
  3. Conseil d'État 15 juillet 1949 Ville d'Elbeuf : Rec. p. 358
  4. Conseil d'État 27 novembre 1931 Compagnie des tramways de Besançon : Rec. p. 1036
  5. Conseil d'État 19 décembre 1931 Compagnie des tramways de Cherbourg : Sirey 1933 III p. 9