Incidences de l'épidémie de Covid-19 sur les loyers commerciaux (fr)

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Date : 30 MARS
Auteur : Julien Wlodarczyk et Myles Begley, avocats, Cabinet August Debouzy


La loi n°2020-290 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 publiée le 23 mars 2020 (la « Loi d’Urgence ») a permis la déclaration d’un état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020.

Outre certaines mesures, dorénavant bien ancrées dans la vie quotidienne des Français, relatives à la restriction de la circulation des personnes, la Loi d’Urgence prévoit les domaines dans lesquels le gouvernement est habilité à légiférer par voie d’ordonnance, aux fins notamment de garantir la santé publique et de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de l’épidémie.

L’article 11 de la Loi d’Urgence habilite ainsi le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnances dans un délai de trois mois à compter de la publication de la loi, toutes mesures permettant notamment « de reporter intégralement ou d'étaler le paiement des loyers, des factures d'eau, de gaz et d'électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d'être appliquées en cas de non-paiement de ces factures, au bénéfice des microentreprises, au sens du décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d'appartenance d'une entreprise pour les besoins de l'analyse statistique et économique, dont l'activité est affectée par la propagation de l'épidémie ». Le Gouvernement a d’ores et déjà annoncé que quarante-trois ordonnances sont en cours d’établissement suite à la publication de la Loi d’Urgence, dont vingt-cinq d’entre-elles ont été soumises au Conseil des ministres et publiées le 25 mars 2020.

En ce sens, l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d'eau, de gaz et d'électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l'activité est affectée par la propagation de l'épidémie de covid-19 (l’« Ordonnance »), dont l’entrée en vigueur est immédiate, a précisé le champ d’application des mesures applicables aux loyers commerciaux, qui bénéficient donc :

i- aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l'article 1er de l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020, à savoir les personnes physiques ou morales de droit privé « exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid-19 et des mesures prises pour en limiter la propagation ». Ces critères d’éligibilité doivent être précisés par décret mais la Loi d’Urgence a pris le soin d’indiquer que ces mesures devraient bénéficier aux microentreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie en dépassant un « seuil de perte de chiffre d'affaires constatée du fait de la crise sanitaire ». A ce titre, il est utile de rappeler que les microentreprises sont des entreprises qui (a) d’une part occupent moins de dix personnes et (b) d’autre part ont un chiffre d’affaires annuel ou un total de bilan n’excédant pas deux millions d’euros.

Toutefois, le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation (complété par le décret n° 2020-394 du 2 avril 2020) (le « Décret ») a indiqué que le fonds de solidarité, et par conséquent les mesures applicables aux locaux commerciaux, ne concerneraient finalement que les très petites entreprises (TPE) de dix salariés ou moins, avec un chiffre annuel inférieur à 1.000.000 d’euros et un bénéfice annuel imposable inférieur à 60.000 euros sur le dernier exercice clos qui (i)subissent une fermeture administrative ou (ii) auront connu une perte de chiffre d’affaires de plus de 50% au mois de mars 2020, par rapport à mars 2019.

A noter que sont exclues les sociétés qui contrôlent une ou plusieurs sociétés commerciales au sens de l’article L.233-3 du Code de commerce lorsque les seuils de salariés, chiffre d’affaires et bénéfice sont dépassés au niveau du groupe. Par ailleurs, d’autres critères ont été énoncés par le Décret, et notamment l’exclusion des sociétés contrôlées par une société commerciale au sens de l’article L.233-3 du Code de commerce.

Ainsi, contrairement aux premières annonces sur le sujet, la plupart des PME se trouvent de facto exclues de ces mesures d’accompagnement dont le périmètre est, par conséquent, significativement réduit. Le champ restrictif de cette mesure est à comparer avec les mesures annoncées récemment au Royaume-Uni qui prévoient une franchise de loyers d’une durée de trois mois pour la plupart des locataires de locaux commerciaux ; et


ii- par ailleurs, et même si le Décret exclut les sociétés ayant déposé une déclaration de cessation des paiements au 1er mars 2020 du bénéfice du fonds de solidarité, l’article 1 de l’Ordonnance permet le bénéfice des mesures applicables aux loyers commerciaux, sous réserve de la communication d’une attestation de l’un des mandataires de justice désignés par le jugement d’ouverture, aux personnes physiques ou morales qui poursuivent leur activité dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire.


L’Ordonnance confirme que ne seront prévus que des mécanismes de report ou d’étalement (et non d’annulation ou de suppression) des loyers, factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux. Ainsi, les personnes bénéficiant de ce mesures « ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d'astreinte, d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce ». A noter que ces dispositions s’appliquent à la fois aux loyers et aux charges locatives « dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire » tel que déclaré par l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.

Certains bailleurs institutionnels ont néanmoins profité de cette période de confinement pour prendre directement des mesures de suspension des loyers avant même la publication des ordonnances en la matière et notamment la Compagnie de Phalsbourg qui a annulé tous les loyers dus par ses clients commerces non-alimentaires, du 15 mars au 15 avril 2020. Par ailleurs, le Conseil National des Centres Commerciaux a confirmé dans un communiqué en date du 19 mars 2020 que, conformément à ses recommandations, « les opérateurs de centres commerciaux mettent actuellement en œuvre la mensualisation des loyers et charges du second semestre 2020 pour soutenir la trésorerie des enseignes. Ils ont également activé la suspension de la mise en recouvrement des loyers et des charges du mois d’avril, en particulier et en priorité au bénéfice des plus petites entreprises, dans l’attente des décisions qui seront prises par le Gouvernement après le 15 avril ». Toutefois, en principe, les loyers commerciaux restent pleinement dus pendant la période de confinement actuel du fait de l’épidémie de covid-19. Alors existe-t-il des mécanismes juridiques de droit positif permettant d’ores et déjà aux preneurs de ne pas payer leurs échéances de loyers ?

En premier lieu, notamment du fait de l’annonce du Ministre de l’économie et des finances considérant l’épidémie de covid-19 comme un « cas de force majeure », se pose la question (i) juridique effective de la qualification d’évènement de force majeure de la situation actuelle et, le cas échéant, (ii) de l’impact de cet évènement sur l’exécution de l’obligation de paiement des loyers du preneur de locaux commerciaux.

S’agissant de la qualification de cas de force majeure de la situation actuelle, l’article 1218 du code civil dispose qu’ « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. ».

En d’autres termes, l’exécution de l’obligation du débiteur peut être empêchée de manière permanente ou temporaire suite à l’apparition d’un cas de force majeure qui doit présenter des caractères (i) d’imprévisibilité au moment de la conclusion du contrat et (ii) d’irrésistibilité (le critère d’extériorité ayant été supprimé par la réforme du droit des obligations de 2016 conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., ass. Plén., 14 avril 2006 n°2-11.168)). Si l’exécution de l’obligation du débiteur est bloquée de manière temporaire, elle sera suspendue (à moins que le retard qui en résulte justifie la résolution du contrat) mais, en cas d’empêchement définitif, le contrat pourra être résolu de plein droit.

Concernant le critère d’imprévisibilité, la qualification de cas de force majeure concernant précisément l’épidémie de covid-19 ne pourra donc vraisemblablement être retenue par les juges du fond que pour les contrats préexistant l’épidémie ou les mesures de confinement qui en découlent, ou même, de manière plus stricte, les mesures prises par d’autres pays comme la Chine ou l’Italie. En tout état de cause, les parties disposent de la faculté d’aménager contractuellement la définition de la force majeure et il conviendra, le cas échéant, d’analyser celle qui aurait pu être retenue par les parties dans chaque contrat.

Par ailleurs, si tant est que les mesures prises pour contrer l’épidémie actuelle de coronavirus soient considérées comme irrésistibles et constitutives d’un cas de force majeure, encore faut-il qu’elles soient inévitables dans leur survenance et insurmontables dans leurs effets quant au paiement des loyers. C’est seulement à la réunion de ces critères cumulatifs que ces mesures peuvent justifier le retard, voire le non-paiement des loyers afférents aux locaux commerciaux. A ce titre, dans le cas d’un bail rural, il avait été jugé par la Cour d’appel de Toulouse que l’épidémie de grippe aviaire et les mesures de confinement appliquées ne présentaient pas un caractère irrésistible susceptible de constituer un cas de force majeure justifiant le non-paiement de loyers (CA Toulouse, 3 octobre 2019, n°19/01579).

En ce sens, la Cour de cassation a par ailleurs eu l’occasion de préciser que le débiteur d’une obligation de paiement d’une somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure (Cass. com. 16 septembre 2014, n°13-20.306).

Certains auteurs considèrent que la situation pourrait être différente lorsque le local commercial est frappé par un arrêté interdisant son ouverture, comme c’est le cas avec l'arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 complété par l’arrêté du 15 mars 2020. Il pourrait ainsi être considéré que le bailleur ne peut satisfaire à son obligation de délivrance au titre de l’article 1719 du code civil, ce qui pourrait justifier pour le preneur de suspendre l’exécution du bail commercial et, par conséquent, le paiement de loyers au titre de l’exception d’inexécution régie par l’article 1220 du code civil.

Cette solution semble discutable puisque l’obligation du bailleur d’assurer au preneur une jouissance paisible de la chose louée n’est pas applicable en cas de force majeure (Cass. 3ème civ. 29 avril 2009, n°08-12.261).

En dernier lieu, pour les rares baux commerciaux conclus ou renouvelés postérieurement à la réforme du droit des obligations de 2016 qui ne renoncent pas à son application, l’article 1195 du code civil prévoit une obligation de renégociation du contrat lorsque son exécution est rendue excessivement onéreuse pour une partie. L’échec dans cette renégociation peut même aboutir à une résolution judiciaire du contrat. Toutefois, il est important de noter que chaque partie « continue à exécuter ses obligations durant la renégociation », en ce compris donc le paiement des loyers commerciaux.

A ce stade, les preneurs ont donc tout intérêt à négocier directement avec leur bailleur au cas par cas, comme préconisé par le Gouvernement, leur pouvoir de négociation dépendant principalement de la force de leur marque (ce qui donnera une marge de manœuvre très faible aux petites enseignes) ou, à défaut, à continuer le paiement de leur loyer tant que leur situation financière le permet. Il reste que la situation actuelle et le développement de la nouvelle notion « d’état d’urgence sanitaire » ne va pas être sans effet sur l’avenir des relations entre bailleurs et preneurs.

En ce sens, en Allemagne, le Parlement a adopté un certain nombre de mesures afin de contrer l’impact économique de l’épidémie de covid-19 et notamment concernant les règles applicables aux contrats de baux : les bailleurs sont désormais interdits d’expulser leurs preneurs en cas de défaut de paiement des loyers des mois d’avril, mai et juin 2020, les preneurs disposant d’un long délai (jusqu’au 30 juin 2022) pour rattraper ces paiements. Ces mesures étant applicables sans critères spécifiques, certaines grandes enseignes ont d’ores et déjà décidé de suspendre leurs paiements pour le mois d’avril, comme Adidas ou H&M. Preuve étant que les critères d’éligibilité des mesures françaises seront observés de près par les acteurs du marché et que les bailleurs pourraient rapidement ne pas avoir d’autres choix que d’entrer dans des négociations avec chacun de leurs preneurs.

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