Interdiction de transiger sur la faillite personnelle : la théorie à l'épreuve de la pratique
France > Droit civil > Droit commercial
Étienne Feildel, avocat au barreau d'Aix en Provence & Gaëtan Delmas [1]
Septembre 2022
Le droit moderne des procédures collectives a peu à peu dépénalisé les conséquences, pour les dirigeants, de l’échec de leur entreprise en cantonnant les sanctions pénales prononcées par les tribunaux correctionnels aux fautes les plus graves (banqueroute, abus de biens sociaux…). Les fautes de gestion, sanctionnées civilement par les tribunaux de commerce, font désormais encourir aux dirigeants des sanctions pécuniaires (action en responsabilité pour insuffisance d’actif) et des sanctions personnelles (faillite personnelle et interdiction de gérer).
Plusieurs voix se sont récemment élevées aux fins de réformer le régime applicable en matière d’action en sanction [1] . Si peu de dossiers sont concernés, il s’agit d’amener de la lisibilité et de la sécurité juridique pour les entrepreneurs.
Malgré ces demandes, plusieurs décisions sont rendues en dépit de ce que l’efficacité économique semble commander. On peut en ce sens citer un arrêt de la Cour de cassation du 9 décembre 2020 établissant qu’une transaction peut mettre fin à une action en paiement de l’insuffisance d’actif engagée contre un dirigeant mais ne peut pas porter sur une action tendant au prononcé d’une sanction personnelle.
Près de 20 mois après la consécration théorique de cette solution, il apparaît que celle-ci pose, en pratique, un véritable problème en freinant considérablement les opportunités de transaction.
L’impossibilité théorique de transiger sur les sanctions professionnelles
Nous connaissons l’adage « Un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès ! ». Il y a près de deux siècles, Honoré de Balzac soulignait un état d’esprit encore d’actualité, la préférence pour un accord consenti plutôt qu’un jugement contraint. Rendue nécessaire par l’insécurité juridique du procès, l’alternative au jugement doit être la transaction.
Aux termes du premier alinéa de l’article 2044 du code civil : « La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. »
Le Code de commerce prévoit d’ailleurs que « Le liquidateur peut, avec l’autorisation du juge-commissaire, compromettre et transiger sur toutes les contestations qui intéressent collectivement les créanciers »[2]. La transaction doit par ailleurs être homologuée par le tribunal lorsque son objet est d’un montant indéterminé ou excède la compétence en dernier ressort du tribunal, soit 5 000 €.
Dans es faits de l’arrêt susmentionné, le liquidateur d’une société avait assigné le représentant permanent de la société dirigeante de cette dernière en paiement de tout ou partie de l’insuffisance d’actif et en prononcé d’une mesure de faillite personnelle ou, subsidiairement, d’interdiction de gérer. Le juge-commissaire avait, sur le fondement de l’article susvisé, autorisé le liquidateur à transiger.
Au terme de la transaction, la société débitrice s’engageait à payer une indemnité et à abandonner des créances en contrepartie de la renonciation du liquidateur à poursuivre l’action en paiement de l’insuffisance d’actif contre son représentant permanent, ainsi que les actions personnelles exercées sur le fondement des articles L. 632-1 et suivants et L. 653-1 et suivants du Code de commerce. Cet accord homologué par le tribunal a toutefois été invalidé en appel rejetant ainsi la demande d’homologation de la transaction.
Dans son arrêt du 9 décembre 2020, la Haute juridiction procède à plusieurs rappels d’interprétation et ce notamment, sur le fondement de l’article 2045 du Code civil, indiquant pour transiger, « il faut avoir la capacité de disposer des objets compris dans la transaction ».
C’est ainsi que si le Liquidateur défend l’intérêt collectif des créanciers, il n’est en revanche pas le garant de l’intérêt général. En matière de sanctions, la sanction pécuniaire vise à obtenir, à l’encontre du dirigeant, un comblement de l’insuffisance d’actif qui bénéficiera collectivement aux créanciers. En conséquence, et comme rappelé par l’arrêt, le Liquidateur peut valablement transiger sur ce point mettant, en conséquence, fin à un débat doctrinal sur ce sujet[3].
En revanche, s’agissant des sanctions personnelles que sont la faillite personnelle et l’interdiction de gérer, celles-ci ont pour objet la protection de l’intérêt général, en excluant le dirigeant de l’écosystème économique pour une durée ne pouvant excéder 15 ans. Ne défendant pas l’intérêt général, le liquidateur n’est pas fondé à transiger sur ce point.
Les juges du Quai de l’horloge sont au surplus venu préciser que les dispositions des articles L. 653-1 et suivants du Code de commerce tendaient à la protection de l’intérêt général et ce par des mesures à la fois de nature préventive et punitive.
Par conséquent, la Cour de cassation reconnaît que si la transaction peut mettre fin à l’instance en paiement de l’insuffisance d’actif, elle ne pouvait avoir pour objet de faire échec aux actions tendant au prononcé d’une sanction professionnelle. De la sorte, la Haute Cour vient pour la première fois valider clairement la validité de ces accords transactionnels à propos d’une décision de condamnation pour insuffisance d’actif si ceux-ci interviennent en amont de la décision de condamnation ; tout en refusant un tel procédé concernant les sanctions personnelles non-pécuniaires.
Cette décision a été confirmée très récemment dans un arrêt de la Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion du 7 septembre 2022[4], reprenant le même dispositif que la Cour de cassation.
Si c’est à bon droit que la Cour rappelle que le champ d’intervention du liquidateur se restreint à la protection de l’intérêt collectif des créanciers, il s’avère que cet arrêt est particulièrement problématique compte tenu de ses conséquences pratiques.
Une décision face à la pratique
Une solution incompréhensible au regard de l’évolution du droit
L’idée d’une déjudiciarisation n’est pas nouvelle, en témoigne le député Louis Prugnon déclarant, dès le 7 juillet 1790, que « rendre la justice n’est que la seconde dette de la société ; empêcher les procès, c’est la première et il faut que la société dise aux parties : pour arriver au temple de la justice, passez par celui de la concorde ».[5]
Depuis lors, le mouvement général tend à déjudiciariser les conflits et ce, d’autant plus ces dernières décennies. Il est, en ce sens possible de citer l’obligation, pour les parties à un litige, tendant notamment au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros, de justifier auprès du juge saisi d’une tentative de résolution amiable sous peine d’irrecevabilité [6].
Ces alternatives sont même apparues en matière pénale, dont l’exemple le plus flagrant est évidemment la Convention Judiciaire d’Intérêt Public [7] mise en place par la Loi Sapin 2 du 9 décembre 2016.
Si les conséquences de ce type d’affaires relevant des faits de corruption, trafic d’influence, fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale sont bien plus graves, il n’est pas concevable qu’il ne puisse être transigé sur les sanctions personnelles intentées à l’encontre d’un dirigeant incompétent ou, quand bien même auteur d’une fraude.
Une fois condamné à une telle sanction, il faudra pour le dirigeant plusieurs années afin de pouvoir être restauré dans ses droits et ainsi reprendre une entreprise.
En ce sens et pour accentuer l’incongruité pratique de cet arrêt, il convient de rappeler qu’au terme de l’article L653-11 alinéa 3 du Code de commerce « L’intéressé peut demander au tribunal de le relever, en tout ou partie, des déchéances et interdictions et de l’incapacité d’exercer une fonction publique élective s’il a apporté une contribution suffisante au paiement du passif. ».
En clair, cela signifie qu’une contribution significative au paiement du passif permet à un dirigeant frappé d’une interdiction d’exercer, ou d’une incapacité d’exercer une fonction publique, d’être relevé de la sanction.
Il est donc juridiquement incompréhensible qu’une contribution volontaire au passif en amont ne permette pas d’éviter la condamnation si elle permet d’en être relevé.
Toutefois, au-delà de son caractère difficilement justifiable juridiquement, cette solution brille surtout par son inapplicabilité pratique.
Une solution inapplicable
Pour rappel, en matière de sanction patrimoniale, la transaction n’est pas remise en cause par l’arrêt du 9 décembre 2020, mais elle l’est néanmoins pour les sanctions personnelles.
Toutefois, en pratique, ce sont le plus souvent les mêmes faits qui sont indifféremment invoqués au soutien des demandes en comblement de passif et en faillite personnelle. Il va évidemment de soi que le dirigeant ne sera enclin à payer une somme donnée dans une transaction que si elle met fin à l’ensemble du litige, y compris aux sanctions personnelles. À défaut de cela, l’intérêt du recours à la transaction lui sera fortement limité.
Un autre inconvénient majeur à l’absence de ce recours à la transaction est évidemment le manque de célérité de cette solution [8]. En effet, si les transactions – entraînant de facto une contribution volontaire au passif – ne permettent qu’un paiement partiel des créanciers, cela permet a minima à ces derniers d’être payés rapidement. À l’inverse, une condamnation sera prononcée dans un temps plus long avec un espoir de désintéressement pour les créanciers tout aussi limité. Une décision motivée par l’efficacité économique aurait donc justifié pour la Cour de favoriser les transactions vis-à-vis d’un procès dont l’issue est nécessairement incertaine.
Bien que juridiquement justifiée, cette solution économiquement incompréhensible devrait amener au développement d’une solution intermédiaire qu’il serait souhaitable de retrouver.
L’espoir d’une solution intermédiaire
Inapplicable en pratique pour les raisons précédemment décrites, il est à souhaiter qu’une éclaircie législative intervienne rapidement. Le rapport d’information à l’Assemblée nationale n°4390 en date du 21 juillet 2021 proposait, en ce sens, une redéfinition de ces sanctions afin d’accroître la sécurité juridique pour chaque dirigeant.
L’une des solutions proposées par nombre de praticiens serait d’imaginer une procédure de transaction envisageable pour l’ensemble des sanctions existantes (pécuniaires comme personnelles) avec le Ministère public comme filtre de ce type de décision.
Il était déjà d’usage, avant l’arrêt du 9 décembre, de recueillir l’avis du Ministère Public sur la transaction [9].
Alors pourquoi ne pas imaginer la possibilité pour tout mandataire judiciaire de transiger non seulement sur la condamnation pécuniaire, mais également sur les sanctions personnelles – et a fortiori pénales – mais avec un avis conforme indispensable du Ministère Public ?
Si l’on souhaitait complexifier cette possibilité pour le dirigeant, il serait même envisageable, à l’instar de la procédure proposée par l’Article L.642-3 du Code de commerce, de prévoir que le tribunal autorise une telle transaction et ce exclusivement, sur requête du Ministère public.
Si l’idée de mesurer l’efficacité économique du droit n’a pas toujours été bien reçue par les juristes français, il convient de souligner que nombre de décisions mériteraient d’être repensées afin de les rendre plus acceptables en pratique.
Références
- ↑ Point 50 – Rapport d’information n°4390 – 21 juillet 2021
- ↑ Article L642-24, Code de Commerce
- ↑ Vallens, « Le comblement de passif n’est pas soluble dans une transaction », LAMY AFFAIRES 2001, suppl. n° 42, Hiezp. 18 ; Chaput, « L’action en comblement de passif est-elle susceptible d’une transaction ? », LAMY AFFAIRES 2001, suppl. n° 42, p. 7
- ↑ Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, Chambre commerciale, 7 septembre 2022, n° 21/00822
- ↑ L. J. Prugnon, Archives parlementaires, tome XVI, p. 739
- ↑ Article 750-1, Code de Procédure Civile
- ↑ Voir en ce sens : LA CONVENTION JUDICIAIRE D’INTÉRÊT PUBLIC : L’INNOCENCE A-T-ELLE UN PRIX ?
- ↑ Défaillance d’entreprise et responsabilité du dirigeant – Éclairages de Maîtres Virginie Verfaillie-Tanguy et Serge Pelletier pour Mayday
- ↑ T. com. Valenciennes, ord. J.-C., 19 déc. 2013, Act. proc. coll. 2014/5, comm. 79, note Cagnoli