L'importance en Europe et à l'international des modes amiables en matière familiale (int)

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Compte-rendu de la réunion du 1er avril 2014 de la Commission Modes amiables de résolution des différends du barreau de Paris, réalisé les éditions juridiques Lexbase.


Commission ouverte : Modes amiables de résolution des différends
Responsable : Martine Bourry d'Antin avocat au barreau de Paris, ancien membre du Conseil de l'Ordre, Président d'Honneur de l'Association des Médiateurs Européens - AME.

Sous-commission : Modes de règlements amiables familiaux internes et internationaux Responsables : Carine Denoit Benteux, avocat au barreau de Paris et ancien membre du Conseil de l'Ordre et Charlotte Butruille-Cardew, avocat au barreau de Paris.

Intervenants : Charlotte Butruille-Cardew, avocat au barreau de Paris, REL England and Wales, associée du cabinet CBBC et présidente de l'Association Française des Praticiens du Droit Collaboratif - AFPDC.


Les modes amiables de règlement des différends sont devenus une priorité tant au niveau national, qu'au niveau international, et notamment européen. En effet, le Programme de Stockholm [1] qui fixe les objectifs au niveau européen sur les cinq prochaines années a clairement fixé pour objectif de développer le règlement amiable des litiges internationaux.


1. L'intérêt de recourir aux modes de règlement amiable des litiges au niveau international : des problèmes démultipliés

Les modes amiables seraient constitutifs de la justice des hommes en opposition à la justice étatique, en ce qu'ils permettent de maîtriser un certain nombre d'éléments du contentieux (durée, coût, résultat).

Or, en matière internationale, force est de constater que tous ces aspects (durée, coût, résultat de la procédure) sont démultipliés. S'agissant, par exemple, du coût de la procédure, il faut tenir compte du coût d'obtention d'un certificat de coutume, frais de traduction, de la multiplication des procédures du fait des différentes juridictions saisies, et donc des frais d'avocat, etc..

Il faut ajouter le fait que l'identification de la norme en droit européen n'est pas aisée, non seulement pour les avocats, donc a fortiori pour le juge. En effet, le revers d'une justice accessible est son engorgement. Face à cet engorgement de la justice, le degré d'attention porté par le juge à chaque affaire vient en corrélation indirecte du nombre d'affaires qu'il doit traiter. Cette idée est d'autant plus vraie en droit international, où la norme internationale est devenue extrêmement complexe [2]. Il faut savoir également que la règle de conflit de lois peut impliquer pour le juge l'obligation d'appliquer un droit qui n'est pas le sien.

Il apparaît ainsi que les modes amiables sont devenus une priorité au niveau européen et international, dans la mesure où toutes les difficultés rencontrées au niveau national, et qui en justifient le recours, sont démultipliées à l'international.

Ainsi que le souligne le rapport "Delmas-Goyon" [3], le système actuel de la justice est très clairement confronté à ses propres limites, est épuisé, car "le modèle qui consiste à donner avec des moyens limités une réponse juridictionnelle exhaustive, à une demande potentiellement infinie de justice, semble s'épuiser".

Quand bien même le justiciable parvient à accéder à cette justice internationale, encore faut-il qu'il arrive à faire exécuter la décision de justice rendue. Or, le problème de l'exécution des décisions reste en pratique très complexe, face à l'absence d'identité des concepts (exemple : partenaires hétérosexuels d'un PACS français qui se séparent au Royaume-Uni, seront traités comme des concubins ; inversement, partenaires homosexuels d'un PACS français qui se séparent au Royaume-Uni, sont traités comme des conjoints).

Ainsi, malgré l'existence de Règlements européens qui ont pour objet de faciliter les exécutions, cette exécution reste difficile faute d'identité de concepts entre les pays.

Et quand bien même une décision serait rendue et exécutée, il faut s'interroger sur ce qu'il reste de la relation entre les parties, qui se trouve totalement amoindrie, voire détruite, non seulement de par l'éloignement géographique, mais surtout du fait de la longueur, du coût et de la difficulté de la procédure.


2. Le recours aux modes amiables en amont du différend : la contractualisation d'un accord sur la juridiction et la loi applicable

Ces difficultés d'exécution au niveau international ont poussé la Commission européenne et le Parlement à s'inscrire dans deux objectifs : faciliter autant que possible les accords des parties, à la fois sur la juridiction et la loi applicable.

Dans les faits, les Règlements européens ont créé le "divorce scindable", c'est-à-dire que différents Règlements s'appliquent pour chaque partie du divorce (Règlement "Bruxelles II bis" pour le prononcé du divorce ; Règlement "Bruxelles II bis" pour la compétence relative à l'autorité parentale ; Règlement n° 4/2009 pour la compétence relative aux obligations alimentaires tant concernant les enfants que les époux). Ainsi, une juridiction peut se retrouver compétente pour le divorce mais non à l'égard des enfants, ce qui peut aboutir à une réelle incohérence pour le juge de devoir se prononcer sur les aspects financiers du divorce, sans pouvoir tenir compte des pensions qui seront dues à l'égard des enfants.

C'est ainsi qu'il peut apparaître utile de prévoir en amont une clause de juridiction, au moins pour ce qui concerne les obligations alimentaires entre les époux (ce n'est pas possible pour les enfants).

Cette contractualisation requiert l'assistance des avocats. C'est en ce sens que les modes de règlement amiable (médiation, droit collaboratif notamment) constituent un outil puissant pour permettre la négociation des termes du contrat qui peut s'avérer délicate.

A l'heure de la génération "Erasmus", il s'agit d'anticiper les conséquences éventuelles d'une rupture. Les avocats, en amont, doivent prendre l'habitude de mettre en garde leurs clients, sur la forte probabilité d'être confronté à un élément d'extranéité (nationalités différentes des membres du couple, lieu de résidence, acquisitions immobilières dans des Etats différents, etc.), et la nécessité de ne pas être soumis à l'incertitude en résultant, et donc de se mettre d'accord en amont sur la juridiction qui sera compétente en cas de litige.

S'il n'est pas possible de choisir la juridiction compétente en matière de divorce, il est, en revanche, possible de choisir, en application du Règlement n° 4/2009, la juridiction compétente en matière d'obligations alimentaires entre les époux, de même que la juridiction compétente en matière de liquidation des régimes matrimoniaux (la Convention de la Haye du 14 mars 1978 qui détermine la loi applicable aux régimes matrimoniaux, n'exclut pas le choix de la juridiction compétente, sachant que le nouveau projet de Règlement européen sur les régimes matrimoniaux devrait rendre possible ce choix).

Le rôle de l'avocat est donc de conseiller ses clients sur le fait de procéder, en amont, à des élections de juridictions compétentes, dans le cas où ils se marieraient.

De même, il peut être judicieux de procéder au choix de la loi applicable, en particulier pour ce qui concerne, tout d'abord les obligations alimentaires. Le Protocole additionnel de la Haye du 23 novembre 2007, qui régit la loi applicable aux obligations alimentaires (définies en matière européenne comme étant le devoir de secours, les aliments dus aux enfants, de même que la prestation compensatoire), prévoit qu'en principe, la loi applicable est celle du créancier d'aliments. L'article 5 prévoit, toutefois, que, sauf si une des parties demande à ce que ce soit la loi du pays de l'ancienne résidence habituelle, ou la loi du pays présentant plus de lien de rattachement avec le mariage. La mise en oeuvre de ces dispositions peut s'avérer extrêmement problématique, et source de conflits. C'est la raison pour laquelle, il peut être bénéfique pour les clients de trouver, à travers un processus amiable, un accord sur la loi applicable. Les accords sur la loi applicable peuvent porter sur :

- la loi applicable au divorce (Règlement "Rome III") ; - la loi applicable aux obligations alimentaires entre époux (cf. ci-dessus) ; - la loi applicable aux régimes matrimoniaux (les contrats de mariage français permettent, depuis l'entrée en vigueur en 1992, de la Convention de la Haye du 14 mars 1978 sur les régimes matrimoniaux, de choisir un régime matrimonial étranger) ; - la loi applicable à sa succession.

L'objectif est de parvenir à l'application d'un corpus cohérent de règles. Le rôle de l'avocat se situe dans l'anticipation, pour aider les clients à prendre conscience des difficultés probables et les accompagner dans cette démarche.

Or, à l'heure actuelle, l'un des domaines de prédilection particulier de tous ces modes amiables, qu'il s'agisse notamment de la médiation ou du droit collaboratif, réside dans l'élaboration en amont d'accords plus généraux permettant aux parties de choisir les juridictions et les lois applicables.

Dès lors que l'on se trouve dans un contexte international, la notion d'injustice est particulièrement accrue, et à juste titre dans la plupart des situations. Dans un conflit de droit international, il faudrait pouvoir élaborer une norme juridique sui generis à chaque situation. En effet, le sentiment d'injustice ne permet pas de reconstruire une famille, de mener une vie sereine.


3. Le recours aux modes amiables pour le règlement des litiges internationaux

Les différents Règlements européens non seulement encouragent une sorte de justice humaine par le choix de lois applicables et de juridictions, mais aussi répètent la nécessité de recourir aux modes alternatifs pour régler les différends comprenant un élément d'extranéité, qui seront seuls de nature à permettre aux parties de garder un lien, non seulement entre eux, mais aussi avec leurs enfants.

Les dispositions européennes facilitent une circulation et une reconnaissance, des actes authentiques qui peuvent contenir des accords et qui évitent même des procédures de reconnaissance devant une juridiction. Ainsi, dans un cadre européen à très court terme, si l'acte d'avocat continue à se développer dans son principe, les avocats vont être amenés à pouvoir rédiger des accords transactionnels qui mettront fin à un procès international. Il ne sera donc pas nécessaire de saisir la juridiction du lieu de résidence du débiteur et d'obtenir les certificats permettant la reconnaissance simplifiée, la simple transaction contenue dans un acte d'avocat circulera et pourra être reconnue dans les autres Etats membres.

L'on se situe donc dans un cadre où les règlements amiables en matière européenne ont vocation à se développer et à trouver une issue positive à des conflits déjà engagés.

A côté de la médiation, du droit collaboratif, de la conciliation, de l'arbitrage, il faut savoir qu'il existe de très nombreux autres modes de règlement amiable des litiges. Et ces différents modes sont infiniment modulables en fonction des besoins des parties. A titre d'exemple, l'on peut citer le "mini-trial" : il s'agit d'un mode par lequel chaque partie est représentée par son supérieur hiérarchique, qu'il nomme dans un collège de décideurs ; parmi ce collège de décideurs, une troisième personne est choisie de manière neutre par les deux parties ; cette technique repose sur la volonté de choisir un supérieur hiérarchique, et le respect de la décision qu'il prendra. Ou encore, le "base-ball arbitration" : chaque partie présente sa thèse devant un tiers et fait une proposition de solution ; le tiers devra ensuite opérer un choix entre les deux solutions ainsi présentées ; il ne peut choisir une troisième voie ; l'avantage de cette technique est de contraindre chacune des parties à proposer l'offre la plus raisonnable possible, ce qui réduit l'écart entre le positionnement des parties. A côté de ces modes occidentaux, il existe encore une multitude de méthodes de négociation iraniennes, africaines, etc..

Il faut cependant être conscient que toutes les difficultés rencontrées ne sont que la manifestation des conceptions purement nationalistes et culturelles de chacun, et doivent être prises en compte par les avocats.

Ainsi, dans le cadre d'une négociation en matière internationale, différents éléments doivent être pris en compte par les avocats : la diversité des religions ; la diversité des langues ; et la diversité des cultures.

S'agissant des différences linguistiques, l'avocat doit parfaitement maîtriser la portée des termes qu'il emploie (par exemple, le terme "custody", qui se traduit par "la garde" (d'un enfant) n'a absolument pas la même portée selon qu'il est employé aux Etats-Unis, ou à Dubaï, sachant que, dans ce dernier cas, les droits qu'il implique sont très forts, alors que dans le premier, il y a lieu de distinguer le legal custody et le physical custody).

Pour ce qui est des différences de culture, il est évident que la notion de mariage pour une femme de culture scandinave n'a pas la même valeur que pour une femme de culture vietnamienne, par exemple. C'est ainsi que l'avocat doit être pleinement conscient de la portée que représente le différend pour son client, et l'impact que cela constitue pour son image sociale dans sa culture.

Par ailleurs, il faut savoir qu'il existe différents obstacles à la communication dans un contexte de négociation : le choc des cultures ; l'hypothèse erronée d'une similarité de points de vue ; la barrière de la langue ; les malentendus liés à l'utilisation de langages corporels différents selon les cultures ; la tendance à évaluer à l'avance.

Une fois que l'avocat a conscience de ces différents obstacles, il doit encore tenir compte d'un certain nombre de différences de conception culturelle pour négocier ou médier efficacement dans un contexte international. Il s'agit de la distance hiérarchique : le médiateur ou le négociateur (avocat, ancien magistrat...) doit revêtir une légitimité auprès des parties, qui peut être appréciée différemment selon leur culture. De même, le contrôle de l'incertitude : par exemple, un Français supportera très mal que le médiateur lui explique que le résultat de la médiation est très incertain. La notion d'individualisme ou de collectivisme (le degré d'autonomie par rapport au groupe et aux normes sociales) : il est beaucoup plus difficile de déterminer les intérêts à défendre d'une personne issue d'une culture collectiviste, sachant qu'elle va systématiquement devoir en référer à son groupe ; par ailleurs, une personne de culture collectiviste aura davantage de mal à accorder sa confiance à une personne de culture différente. Enfin, la dimension masculine/féminine, ou encore l'orientation à court terme ou long terme (le respect des traditions, et la satisfaction des obligations sociales) peuvent révéler de réelles différences culturelles.


Notes et références

  1. Programme de Stockholm
  2. Il faut rappeler, en effet, depuis 2000, la volonté d'uniformiser les règles au niveau des Etats membres, qui a donné lieu à une multiplication de Règlements européens, contenant pour la plupart des dispositions d'ordre public applicables en France. Tous les Règlements relatifs à la compétence : Règlement de Bruxelles, devenu "Bruxelles II bis" n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 (N° Lexbase : L0159DYK), qui doit être modifié très prochainement ; Règlement CE n° 4/2009 du 18 décembre 2008 en matière d'obligations alimentaires (N° Lexbase : L5102ICX). Tous les Règlements relatifs à la loi applicable : Convention du 19 octobre 1996 en matière d'autorité parentale ; Règlement CE n° 1259/2010, dit "Rome III" du 20 décembre 2010, sur la loi applicable au divorce (N° Lexbase : L0201IP7) ; Protocole additionnel de La Haye du 23 novembre 2007, relatif aux obligations alimentaires). S'ajoutent également toutes les Conventions de la Haye sur les déplacements illicites ; tous les Règlements non spécifiques au droit de la famille, tels que l'obtention des preuves, etc.. ; ainsi que toutes les Conventions bilatérales
  3. rapport Delmas-Goyon


Voir aussi

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