L'originalité encore en question (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Auteur : Emmanuel Pierrat
Avocat au barreau de Paris
Date : 23 septembre 2015




Deux affaires récentes, jugées à deux jours de suite, l’une, le 18 juin 20215 par le Tribunal de grande instance de Paris et, l’autre, le 19 juin 2015, par la Cour d’appel de Paris viennent compliquer encore plus la lecture de la notion d’originalité qui a, ces deux dernières années, déjà longuement occupé cette chronique.

Rappelons en effet que le droit d’auteur ne protège que les œuvres « originales ». Or, l’originalité est une notion dont la définition en propriété littéraire et artistique diverge de l’acception courante.

La condition d'originalité n'est pas expressément contenue dans la loi, mais seulement évoquée en deux occasions. Sa définition est donc difficile à tracer. Il s'agit pourtant, selon la jurisprudence, de l’élément le plus indispensable à une protection par le droit d'auteur.

Les juridictions assimilent l’originalité à « l'empreinte de la personnalité de l'auteur ». Il s’agit donc de la marque de la sensibilité de l’auteur, de sa perception d’un sujet, des choix qu’il a effectués et qui ne lui étaient pas imposés par ledit sujet. C’est une sorte d’'intervention de la subjectivité dans le traitement d'un thème. L’auteur a choisi de peindre le soleil en violet, d’écrire un chapitre sur deux en alexandrins, de transposer le petit chaperon rouge dans l’espace, etc. Tous ces partis-pris, qui ne sont pas obligés, témoignent de l’originalité, au sens juridique du terme.

L’originalité n’est ni l’inventivité, ni la nouveauté dont il faut clairement la distinguer. Une œuvre peut être originale sans être nouvelle : elle bénéficiera donc de la protection du droit d'auteur, même si elle reprend, à sa manière, un thème cent fois exploré.

De même, une œuvre peut être aussi originale tout en devant contribution à une autre œuvre. Il en est ainsi des traductions, adaptations, etc. À la différence de la nouveauté, notion objective qui s'apprécie chronologiquement – est nouvelle l'œuvre créée la première –, l'originalité est donc une notion purement subjective. Dès l'instant qu'une œuvre porte l'empreinte de la personnalité de son auteur, qu'elle fait appel à des choix personnels, elle est protégée par le droit d'auteur.

A ce titre, ont souvent été jugés originaux, donc protégeables, des articles de presse dès lors qu’ils dépassent le stade de la simple information brute et du style télégraphique. Les dépêches d’agence ont ainsi pu être considérées comme non originales et donc non susceptibles d’être protégées par le droit d’auteur stricto sensu, mais elles peuvent constituer une « propriété particulière acquise à grands frais ».

Or, le jugement du 18 juin 2015 considère que « les informations issues d’une appréciation objective des faits ne procèdent pas d’une activité créatrice bénéficiant du droit d’auteur. Les auteurs d’un mémoire se plaignaient d’avoir été pillés en ligne. Puisqu’ils étaient cités dans trois notes de bas de page sur internet, les magistrats ont estimé que leur œuvre n’en était plus une, au sens du Code de la propriété intellectuelle (CPI) et que le défaut d ‘originalité du texte profitait aux pillards...

Le même CPI vise expressément « Les œuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie » comme elles-aussi aussi sujettes à protection.

Et il ne faut pas se leurrer sur la supposée banalité des photographies et tenter d’en tirer argument pour ne pas verser de droits à leur auteur [1]. Même les reproductions d’œuvres à deux dimensions (des clichés de tableaux, par exemple) peuvent être aujourd’hui considérées comme originales et donc protégées par le droit de la propriété littéraire et artistique.

Pour preuve, la décision du 19 juin 2015 porte sur des photographies… de chiens. Le litige portait sur les portraits des chiens d’hommes politiques, exposés puis publiés en librairie. Or, un contrefacteur avait reproduit cinq de ces images… sur des housses de coussins. La Cour s’est fendue de longs développements sur l’expression de la psychologie des canidés afin de considérer ces clichés comme hautement originaux.

Démonstration est faite que les critères sont bien subtils pour déterminer qu’un mémoire n’est pas original mais que la tête d’un labrador présidentiel peut l’être.


Référence

  1. Cour d’appel de Paris, 10 décembre 1992, Gazette du Palais, 31 décembre 1993-1er janvier 1994, p. 12.