La 3ème chambre civile de la Cour de cassation met entre parenthèses le droit pénal, commentaire sur l’arrêt du 17 septembre 2020 (fr)

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 Auteur : Daniel Kuri, Maître de conférences hors classe de droit privé, Université de Limoges  (O.M.I.J.) EA 3177 [1]  


Date: le 16 Décembre 2020



Les faits de l’espèce étaient on ne peut plus simples.

Par une lettre du 28 juillet 2014, la société Alterea Cogedim Assets Management Entreprise, gérant de la société Acep Invest 2 CDG Neuilly, bailleresse, aux droits de laquelle se trouve la société Kosmo, a adressé à la société Sedad, titulaire d'un bail dérogatoire, une mise en demeure de libérer les lieux loués.

Après avoir sommé la société Sedad de quitter les lieux, la société Acep Invest 2 CDG Neuilly l’a assignée en référé en expulsion et en paiement de loyers.

En réponse à cette procédure, sa société Sedad a assigné au fond la société Acep Invest 2 CDG Neuilly en substitution d’un bail commercial au bail dérogatoire et en irrégularité de l’expulsion intervenue le 15 juin 2015.

La société Sedad considérait, notamment, que le non-respect des formalités édictées par les articles R. 123-237 [1] et R. 123-238 [2] du Code de commerce sur la lettre de mise en demeure du 28 juillet 2014, constitutif d’une infraction pénale, emportait nécessairement la nullité de l’acte et de la procédure suivie ensuite.

Le jugement de première instance avait débouté la société Sedad de ses demandes en considérant que « S’il est exact que le formalisme imposé par les articles R. l23-237 et R. 123-238 n’a pas été respecté dans la rédaction du courrier de mise en demeure, il n’en demeure pas moins que la violation de l’une de ces mentions n’est pas prévue à peine de nullité, seule une amende contraventionnelle étant expressément édictée. Or, il n'existe pas de nullité sans texte, de sorte que cette irrégularité n’affecte pas la validité de cet acte juridique dans les rapports entre les parties. »

La société Sedad avait alors fait appel du jugement en faisant valoir que la lettre de mise en demeure du 28 juillet 2014, qui n’est pas à l’en-tête de la société Asp Investit 2 CD Neuilly, ne comporte aucune des mentions exigées par les articles R. l23-237 et R. 123-238 du Code de commerce qui sont, selon la société Sedad, des dispositions d’ordre public auxquelles il ne peut être dérogé. Elle concluait à la nullité manifeste du congé qui avait été délivré.

La Cour d’appel de Versailles, le 20 novembre 2018, va rejeter sa demande en estimant que « les textes précités qui ne s’appliquent pas à des mises en demeure ne prévoient pas en tout état de cause que le non-respect de ces formalités est sanctionné par une nullité mais par une sanction pénale s'agissant d'une amende prévue pour les contraventions de 4ème classe. Pour le même motif et alors que la société Sedad a parfaitement identifié que la lettre de mise en demeure lui était adressée par la société bailleresse ou son gérant, elle ne peut invoquer l'article 6 du Code civil qui dispose qu’‘‘on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes moeurs’’pour soutenir que la nullité était encourue […] ». La Cour ajoute, adoptant les motifs des premiers juges, que « S’il est exact que le formalisme imposé par les articles R. l23-237 et R. 123-238 n’a pas été respecté dans la rédaction du courrier de mise en demeure, il n'en demeure pas moins que la violation de l'une de ces mentions n'est pas prévue à peine de nullité, seule une amende contraventionnelle étant expressément édictée. Or, il n’existe pas de nullité sans texte, de sorte que cette irrégularité n’affecte pas la validité de cet acte juridique dans les rapports entre les parties. » [3]

La société Sedad s’est donc pourvue en cassation. Elle faisait grief a l’arrêt de la Cour d’appel d’avoir rejeté ses demandes tendant à voir juger nul le congé délivré par mise en demeure du 28 juillet 2014 et, en conséquence, à voir dire que le bail dérogatoire a été poursuivi par un bail soumis au statut des baux commerciaux à compter du 21 septembre 2014. La société Sedad voulait également voir prononcer la nullité du congé délivré tardivement le 9 octobre 2014, ainsi que voir juger irrégulière l’expulsion intervenue le 15 juin 2015. Enfin, elle demandait la condamnation de la société SGI KOSMO à des dommages-intérêts ou que soit ordonnée une expertise judiciaire pour évaluer les préjudices de la société Sedad

Dans son moyen, elle soutenait, tout d’abord, « qu’en affirmant que les exigences [des articles R. l23-237 et R. 123-238 du Code de commerce] ne s'appliquaient pas à une lettre de mise en demeure, la cour d’appel a violé les articles R. 123-237 et R. 123-238 du code de commerce ».

La société Sedad estimait, enfin, « qu’on ne peut déroger aux lois qui intéressent l’ordre public ; que toute violation à des dispositions d’ordre public est susceptible d’entraîner la nullité de l’acte passé en contravention à ces dispositions, sans que cette sanction ait à être spécialement prévue par les textes ; qu’il en va notamment ainsi lorsque l’acte litigieux a concouru à la commission d'une infraction pénale ; qu’en affirmant qu’il n’y avait pas lieu de sanctionner de nullité le congé ne comportant pas les mentions exigées par les articles R. 123-237 et R. 123-238 du Code de commerce au motif que la seule sanction expressément prévue par ces textes d’ordre public était une sanction pénale, les juges ont violé l’article 6 du Code civil et les articles R. 123-237 et R. 123-238 du Code de commerce. »

La 3ème chambre civile de la Cour de cassation va rejeter le pourvoi de la société Sedad et confirmer l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles.

Selon les hauts magistrats, « Le non-respect des formalités édictées par les articles R. 123-237 et R. 123-238 du Code de commerce, bien que constitutif d’une infraction pénale, n’emportant pas nécessairement la nullité de l’acte, la Cour d’appel, abstraction faite d’un motif erroné mais surabondant [4] , a retenu à bon droit, par motifs propres et adoptés, que l’absence de mentions prescrites sur la lettre de mise en demeure du 28 juillet 2014 n’en affectait pas la validité dès lors que la société locataire avait identifié que la lettre lui avait été adressée par la société bailleresse ou son gérant ». Le moyen n’était donc pas fondé et la société Sedad est condamnée aux dépens.

Si la solution de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation n’est pas contestable, la justification de celle-ci intrigue un peu au regard de la hiérarchie des normes puisque le droit pénal est, en quelque sorte, mis entre parenthèses au motif que la sanction pénale « [n’emportait] pas nécessairement la nullité de l’acte » [5].

Peut être, aussi, qu’implicitement les hauts magistrats ont glissé vers un certain contrôle de proportionnalité à propos des droits transgressés dans la logique du contrôle opéré par la Cour européenne des droits de l’Homme et que la Cour de cassation a elle-même admis [6] . En l’espèce, la violation de la norme pénale ne pouvait pas affecter la validité de l’acte de mise en demeure dès lors que le locataire pouvait facilement identifier que la lettre de mise en demeure émanait du bailleur [7]. La Cour donne néanmoins un petit coup de griffe aux magistrats de la Cour d’appel qui considéraient que les articles R. l23-237 et R. 123-238 du Code de commerce n’étaient pas applicable aux lettres de mise en demeure. La 3ème chambre civile balaie clairement cette affirmation des juges d’appel en considérant qu’il s’agit « d’un motif erroné mais surabondant […] ».

Cela étant, la chambre aurait pu garder une certaine discrétion sur son arrêt qu’au contraire elle publie largement [8] .

Peut-être est-ce une critique, explicite mais discrète, par les magistrats du quai de l’Horloge, de l’inflation législative pénale et de l’instrumentalisation du droit pénal par les parties au procès lorsque la violation de la norme pénale est alléguée comme un joker par des parties procédurières.

Il faut cependant rappeler que la 3ème chambre civile n’hésite pas à rappeler la primauté du droit pénal dans les affaires les plus graves notamment dans sa jurisprudence sur la faute pénale détachable des fonctions [9].

En définitive, il nous semble que la forte publicité donnée à cet arrêt est à la fois un signal adressé par la 3ème chambre civile au législateur à propos de l’excessive pénalisation de notre droit et un avertissement pour les parties au procès civil de l’utilisation excessive du droit pénal dans des litiges privés !

Peut-être existe-t-il, aujourd’hui, un abus du droit pénal !

Références

  1. Selon l’article R. 123-237 du Code de commerce, toute personne immatriculée est tenue, à peine de contravention de la 4ème classe, d’indiquer certaines mentions sur « ses factures, notes de commande, tarifs et documents publicitaires ainsi que sur toutes correspondances et tous récépissés concernant son activité et signés par elle ou en son nom ».
  2. Selon l’article R. 123-238 du même code, « les actes et documents émanant de la société et destinés aux tiers, notamment les lettres, factures, annonces et publications diverses, indiquent la dénomination sociale, précédée ou suivie immédiatement et lisiblement de la forme sociale et du capital social ».
  3. Cette adoption des motifs nous semble un peu contradictoire, notamment s’agissant de la mise en demeure, dans la mesure où la Cour d’appel considère que «  les textes précités […] ne s’appliquent pas à des mises en demeure [...] » alors que le Tribunal constate « […] que le formalisme imposé par les articles R. l23-237 et R. 123-238 n’a pas été respecté dans la rédaction du courrier de mise en demeure […] ».
  4. Il s’agit de l’affirmation péremptoire par la Cour d’appel que « les articles [R. l23-237 et R. 123-238 du Code de commerce] ne s’appliquent pas à des mises en demeure […] ».
  5. On se rappelle que la sanction de la violation des articles R. l23-237 et R. 123-238 du Code de commerce est une contravention de 4ème classe, soit une amende. Cela avait été rappelé par les premiers juges dans leurs motifs et ces motifs avaient été « adoptés » par la Cour d’appel de Versailles.
  6. Voir notamment l’arrêt de principe de la Cour de cassation, Civ. 1ère, 4 décembre 2013, n° 12-26066, Bull. civ. I, n° 234.
  7. Il s’agit, à vrai dire, d’une quasi présomption car on ne voit pas vraiment qui, à part le bailleur, peut mettre en demeure un locataire de quitter les lieux loués !
  8. Civ. 3è, 17 septembre 2020, n° 19-13242, Bull. civ. III, n° non encore indiqué. L’arrêt est coté P+B+I ; D. 2020, n° 33 p. 1836.
  9. Voir en ce sens Civ. 3è, 10 mars 2016, n° 14-15326, Bull. civ. III, n° 1046. Pour une présentation de la jurisprudence des chambres de la Cour de cassation sur cette question classique, voir E. Lamazerolles , Etudes et commentaires / Panorama droit des sociétés, D. 2020, n° 36 p. 2035.