La bonne foi peut obliger à reclasser un salarié non-vacciné dont le contrat est suspendu !

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Valentin Guislain, avocat au barreau de Béthune [1]
Décembre 2022


Victoire ! La Cour d'appel de DOUAI vient d'ordonner la réintégration d'un salarié employé dans un établissement médico-social et dont le contrat était suspendu pour non-respect de l'obligation vaccinale.

La Cour d'appel de DOUAI a ordonné la réintégration en son emploi d'une salariée dont le contrat de travail a été suspendu en application des dispositions de la loi n°2021-1040 du 5 août 2021.

Il s'agit selon moi d'une première en France. La situation était singulière.

Ma cliente était employée en qualité de comptable d’une association composée de différents établissements. Les uns, soumis à l’obligation vaccinale ; les autres, non (ce point a lui aussi fait l’objet d’importants débats, notamment sur la qualification juridique d’une « entreprise adaptée », dont la Cour a reconnu qu’il ne s’agit pas d’un établissement médico-social soumis à l’obligation vaccinale).

Au début du mois de septembre 2021, il fut annoncé à ma cliente que son contrat de travail allait être suspendu, faute pour elle de présenter un schéma vaccinal complet. Le site sur lequel elle exerçait sa prestation de travail était effectivement un établissement médico-social, de sorte que l’obligation vaccinale n’était pas critiquable.

Ma cliente avait cependant fait valoir à son employeur qu’elle pouvait continuer à réaliser sa prestation contractuelle si ses conditions de travail étaient adaptées.

Elle pouvait en effet exercer tant en télétravail qu’au sein de l’un des établissements non-soumis à l’obligation vaccinale.

L’employeur lui avait opposé une fin de non-recevoir, expliquant en substance qu’il n’était obligé à rien et que les fonctions de la salariée empêchaient un tel aménagement.

J’ai donc saisi la juridiction prud’homale en référé, arguant d’une urgence à statuer et de l’existence d’un trouble manifestement illicite à faire cesser.

L’ordonnance rendue par le Conseil de prud’hommes de DOUAI n’appelle pas de commentaire. Elle était défavorable.

J’interjetais donc appel.

Mon argumentaire était le suivant.

Aux termes de l’article L.1222-1 du Code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. La bonne foi oblige chaque partie à « favoriser l’exécution de ses obligations par le cocontractant » (PÉLISSIER, AUZERO, DOCKÈS, Droit du travail, 26e édition, Dalloz, n°607).

La bonne foi est qualifiée par la doctrine comme « un instrument permettant aux juges de jouer un rôle correcteur par rapport à la sécheresse des clauses du contrat, en permettant tantôt d’ajouter à la lettre du contrat, tantôt de venir la tempérer, de l’assouplir et de l’adapter » (Alain BÉNABENT, Rapport français, La bonne foi, 1992, p. 293).

Cela explique que les juges ont tiré de l’obligation de bonne foi l’obligation de reclassement en matière de licenciement économique, avant qu’elle ne soit consacrée dans le Code du travail par le législateur.

L’obligation de reclassement tend « au maintien en activité d’un salarié alors même que des événements sont intervenus dans la vie de l’entreprise ou dans sa propre vie et ont entraîné des modifications amenant à reconsidérer l’emploi qu’il occupait jusqu’alors (…) ». (Bernadette LARDY-PÉLISSIER, L’obligation de reclassement, D. 1988, p. 399)

Par ailleurs, chaque partie doit favoriser l’exécution de ses obligations par le cocontractant. Cela implique de mettre à sa disposition les moyens nécessaires à la bonne exécution du contrat.

Une affaire, déjà commentée sur ce blog, est particulièrement éclairante quant au comportement attendu de l’employeur dans la fourniture des moyens nécessaires à la bonne exécution du contrat par le salarié. Chaque matin, une inventoriste devait se rendre sur son lieu de travail de très bonne heure – avant la circulation des transports en commun. Pendant dix années, son employeur la faisait prendre à son domicile par un véhicule de l’entreprise. Un jour, il a cessé cette pratique, mettant la salariée dans l’impossibilité de travailler. Pour la Cour de cassation, bien que cette pratique ne fut pas constitutive d’un usage – il n’y avait donc pas lieu de précéder à sa dénonciation, l’employeur ne pouvait procéder de la sorte sans manquer à son obligation de bonne foi. En l’espèce, rien n’engageait strictement l’employeur à assurer le transport de la salariée. La demanderesse espérait d’ailleurs que les juges qualifient l’habitude de l’employeur d’usage.

Or, il fut jugé que si l’employeur se devait de perpétuer cette pratique, c’était au nom de la bonne foi : il en allait de la bonne exécution de son contrat de travail (Cass. soc., 10 mai 2006, n° 05-42.210 [2], Bull. civ. V, n° 169).

Ce raisonnement vient d’être étendu s’agissant des établissements soumis à l’obligation vaccinale (CPH de PARIS, formation de départage, 9 juin 2022, 21/01275).

Je demandais donc aux juges de constater que la suspension du contrat de travail de ma cliente n’était pas fondée dès lors que l’employeur était en mesure de lui permettre d’exécuter son emploi sans qu’elle soit présente au sein de l’établissement soumis à l’obligation vaccinale. L'obligation de bonne foi l'obligeait à devoir faciliter l'exécution du contrat de travail.

La Cour d’appel de DOUAI devait statuer d’abord sur la compétence du juge des référés ; puis sur la question de fond.

Sur la compétence du juge des référés

L’employeur contestait la compétence du juge des référés.

La Cour a suivi mon argumentaire puisqu’elle a jugé :

« Aux termes de l’article R 1455-5 du code du travail, dans tous les cas d'urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud'hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

Aux termes de l’article R 1455-6 du code du travail, la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

En l'espèce, l'action de [la salariée] vise à obtenir sa réintégration dans un établissement secondaire de l'employeur, non soumis, selon elle, à l'obligation vaccinale.

Cette demande vise, peu important l'existence d'une contestation sérieuse relative à l’interprétation des textes, à prévenir la poursuite d'un dommage continu, la salariée étant privée de ses ressources depuis plusieurs mois, ainsi qu'à faire cesser un trouble manifestement illicite, l’employeur s’étant dispensé de lui fournir tout travail pour une période indéterminée.

En conséquence, l’action de [la salariée] tendant à obtenir, en référé, sa réintégration sur un site de l’association non soumis à l'obligation vaccinale, ainsi que le paiement des salaires et prime subséquent, est recevable ».

Sur l’obligation de rechercher à maintenir le contrat de travail d’un salarié dont le contrat de travail est suspendu

Les termes de l’arrêts sont les suivants :

« C'est à raison que l'association rappelle qu'elle n'est pas soumise à l'obligation d'adapter le travail des personnels qui refusent de se soumettre à leur obligation légale de présenter un schéma vaccinal complet contre la covid-19 et qu'en revanche, elle encourt des sanctions pénales si elle n'organise pas la vérification du schéma vaccinal de ses salariés et ne suspend pas le contrat de travail des contrevenants.

Pour autant, le principe d'exécution loyale du contrat de travail impose une analyse, au cas par cas, des adaptations que les parties peuvent convenir d'apporter à la relation contractuelle pour permettre au salarié, dans le cadre de cette obligation légale nouvelle, dans un contexte sanitaire exceptionnel et potentiellement temporaire, de continuer à exécuter ses prestations contractuelles et partant, à bénéficier de son salaire.

Les parties conviennent que [la salariée] s'occupe de la comptabilité de plusieurs établissements de travail adapté (…). Il résulte des développements précédents que les personnes exerçant leur activité en ESAT sont soumises à l'obligation vaccinale, mais pas celles exerçant en entreprise adaptée (…).

Au regard des dispositions contractuelles, la demande d'exercice professionnel sur un autre site du travail adapté n'est pas, en tant que telle, celle d'une modification substantielle du contrat mais la mise en œuvre d'une faculté de changement de lieu de travail, offerte sous conditions à l'employeur et à laquelle la salariée s'est soumise pendant les onze années d'emploi.

Dans ses écritures, l'association se contente d'affirmer que les fonctions exercées par la salariée et l’organisation en elle-même des équipes au sein de I 'ESAT de Lambres et de l’entreprise adaptée de Guesnain ont empêché de procéder au transfert de site demandé. Elle n'apporte aucune explication concrète aux raisons qui s'opposent à cette demande.

[La salariée] rappelle, à juste titre, qu'en tant que personnel administratif, elle n'a pas à se déplacer dans les différents sites de [l’association] et qu'en tant que comptable en charge de plusieurs établissements, elle est à même de gérer, à distance, l'activité de sites dans lesquels elle ne se trouve pas.

En définitive, l'association ne démontre pas que l'activité de comptable de [la salariée] ne pouvait pas se poursuivre sur le site de l'entreprise adaptée.

Dès lors, il convient d'ordonner à l'association d'organiser la poursuite du contrat de travail de [la salariée] sur le site de cet établissement secondaire, à tout le moins, en l'état de l'obligation vaccinale en vigueur pour les personnels travaillant en ESAT ».

Dès lors, la salariée doit être réintégrée sur l'établissement non-soumis à l'obligation vaccinale, et les salaires dont elle a été privée (en l’occurrence, près d’un an et demi !) doivent lui être payés.


CA DOUAI, chambre sociale, 16 décembre 2022, RG 22/01187