La pénalisation de l’outrage sexiste : "mignonne, allons voir si la rose..." (fr)

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Margaux Machart, Élève avocate à l'École de Formation du Barreau de Paris
Juin 2018



Près de huit mois après l’affaire Weinstein qui a suscité une indignation mondiale, les mouvements de dénonciation des violences faites aux femmes tels que #metoo ou #balancetonporc continuent de recueillir les multiples témoignages de victimes de comportements sexistes dans l’espace public.


Quelles sont les réponses apportées par le gouvernement pour pallier le phénomène de harcèlement de rue dénoncé par de nombreuses femmes ?


La création d’une nouvelle incrimination : l’outrage sexiste.

Les incivilités dont les femmes sont victimes de façon récurrente aboutissent à créer un climat d’insécurité.


Autant d’entraves intolérables au principe républicain d’égalité entre les hommes et les femmes, et au respect de la dignité de chacun.


Pour pallier ce phénomène, le gouvernement a annoncé qu’il allait renforcer l’arsenal répressif actuel et que les comportements de « harcèlement de rue » feraient l’objet d’une nouvelle incrimination prévue dans le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes du 21 mars 2018.


Après 5 mois de travaux et de débats parlementaires, les députés ont approuvé l’article 4 du projet de loi qui créé une nouvelle contravention, intitulée « outrage sexiste » et définie comme « le fait d’imposer a une personne tout propos ou comportement a connotation sexuelle ou sexiste ou a raison de son sexe, de son identité de genre ou de son orientation sexuelle réelle ou supposée, qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».


Cette contravention serait sanctionnée d’une amende de 750 €, pouvant être réduite à 90 €, voire en cas de circonstance aggravante d’une amende maximale de 1.500 € et de 3.000 € en cas de récidive.


Au cœur du projet se dessine l’ambition de permettre une répression rapide, visible, et suffisamment étendue pour inclure la variété des incivilités dénoncées par les victimes : sifflements, attouchements, interpellations insistantes, poursuites ou encore humiliations.


Si cette contravention semble répondre aux objectifs du gouvernement, elle soulève des interrogations quant à son application.


Selon le Conseil d’État, pas moins de 70.000 plaintes par an pourraient concerner cette nouvelle incrimination.


Une efficacité incertaine.

L’outrage sexiste se distingue du harcèlement sexuel en supprimant la condition de répétition des faits. En effet, l’objectif du projet de loi est de sanctionner les comportements isolés.


Contrairement à l’injure sexiste qui ne peut être poursuivie qu’en présence d’une plainte de la victime, l’outrage sexiste peut être verbalisé en flagrance par un agent assermenté, qu’il s’agisse d’officier de police judiciaire, d’agents de police municipale, mais également d’agents de sécurité de la SNCF.


Toutefois, ce dispositif trouvera nécessairement ses limites dans le respect de la présomption d’innocence et dans l’exigence de preuves imposés par le droit français.


Si bien qu’en dehors de l’hypothèse où il serait commis devant un agent, il sera difficile pour la victime de démontrer l’outrage sexiste et d’en identifier l’auteur.


Il faut alors espérer que l’efficacité recherchée par cette contravention soit réelle.


En Belgique, où un dispositif comparable a été mis en place en 2014, une seule condamnation pour outrage sexiste peut être relevée en 2018.


La victime était une policière outragée devant de nombreux témoins.


L’outrage sexiste présente également un défi rédactionnel.


Le Conseil constitutionnel veille au principe de légalité des délits et des peines qui impose de définir de façon claire et intelligible ses éléments constitutifs.


C’est sur ce fondement que le Conseil constitutionnel avait déjà censuré, le 4 mai 2012, la définition du harcèlement sexuel dont la formulation n’était pas suffisamment précise.


Dès lors, quels mots ou gestes pourraient être considérés comme intimidants ou offensants ?


N’existe-t-il pas une zone grise entre la "drague lourde" et l’outrage ?


La verbalisation de l’outrage appellerait nécessairement à une appréciation subjective par l’agent, ce qui créé un risque d’inégalité devant la loi.


De plus, cette infraction est la première à imposer une restriction de l’exercice de la liberté d’expression dans l’espace public sans que son exécution nécessite une intervention de l’autorité judiciaire.


Pénaliser pour civiliser l’espace public.

Le projet de loi sur l’outrage sexiste a une vocation pédagogique, permettre une prise de conscience collective de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est plus. A cet égard, la contravention pourra être accompagnée d’un stage de sensibilisation à l’égalité homme-femme.


Renforcer le vivre ensemble, tel est l’objectif du législateur.

Le terme « sexiste » renvoie à une atteinte à la dignité en raison du sexe ou de l’orientation sexuelle réelle ou supposée.


L’introduction du terme sociologique « identité de genre » dans le droit pénal français est une première, qui étend le dispositif à la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres).


En somme, la pénalisation de l’outrage sexiste aurait davantage un intérêt éducatif que répressif. La loi pénale serait-elle devenue l’unique moyen de faire évoluer les mentalités ?