La protection des photographies par le droit d'auteur (fr)
France > Droit privé > Propriété littéraire et artistique > Droit d'auteur
Auteur : Emmanuel Pierrat, Avocat au barreau de Paris
Date : 27 Juillet 2015
Mots clefs : photographie, droit d'auteur, propriété littéraire et artistique, code de la propriété intellectuelle
Le 21 mai 2015, le Tribunal de grande instance de Paris a rendu une décision retentissante en matière protection des photographies. Les juges ont en effet considéré qu’une photographie en noir et blanc, signée Gered Mankowitz, intitulée Jimi Hendrix, Smoking et représentant le musicien, n’était pas protégée par le droit d’auteur. L’image avait été utilisée et détournée dans une publicité vantant les mérites de la cigarette électronique.
Les magistrats ont estimé que l’originalité du cliché n’était pas démontrée et que, en conséquence, celui-ci ne pouvait bénéficier d’une protection au titre de la propriété littéraire et artistique.
Rappelons que l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) vise expressément « Les œuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie » comme éligibles au droit d’auteur.
Il faut cependant garder en mémoire que la loi du 11 mars 1957, ancêtre du CPI, exigeait des photographies un caractère artistique ou documentaire pour les faire bénéficier de cette protection. La loi de 1957 a été modifiée par celle du 3 juillet 1985 qui a supprimé ces conditions. Mais toutes les photographies prises entre le 11 mars 1958 et le 31 décembre 1985 suivent encore ce régime particulier et doivent donc présenter un caractère artistique ou documentaire pour être protégeables. Le caractère artistique se révèle dans un traitement particulier de l’image: angle, lumière, cadrage, etc. Quant au caractère documentaire, il est indéniable qu’il varie, par exemple, selon l’époque à laquelle la photographie est prise en compte. Le cliché de la première communion du pape François révélerait aujourd’hui un caractère documentaire bien plus probant qu’il y a trente ans. Ces deux caractères – artistique et documentaire – ont d’ailleurs donné lieu à de nombreux débats devant les tribunaux. Ces débats ont de moins en moins cours aujourd’hui.
En théorie, la photographie litigieuse datant de 1967, elle aurait du être analysée à l’aune de ces critères.
Mais le tribunal s’est contenté de relever l’absence d’originalité, qui est le critère commun requis pour évaluer la protection aussi bien des œuvres photographiques récentes que des autres types de créations.
La condition d’originalité n’est pas expressément contenue dans la loi, mais seulement évoquée en deux occasions. Sa définition est donc difficile à tracer. Il s’agit pourtant, selon la jurisprudence, de l’élément le plus indispensable à une protection par le droit d’auteur.
Les tribunaux, qui se sont très souvent interrogés sur cette notion, l’assimilent à « l’empreinte de la personnalité de l’auteur ». L’originalité, c’est donc la marque de la sensibilité de l’auteur, la traduction de sa perception d’un sujet, ce sont les choix qu’il a effectués qui n’étaient pas imposés par ce sujet. On peut aussi entendre par là l’intervention de la subjectivité dans le traitement d’un thème. L’auteur d’un catalogue de matériel pour restaurateurs s’est ainsi vu dénier en justice une protection par le droit d’auteur au motif que la disposition verticale des objets et l’emplacement des photographies se retrouvaient dans les catalogues d’autres sociétés. Sa création manquait donc d’originalité.
L’originalité n’est ni l’inventivité, ni la nouveauté dont il faut clairement la distinguer. Une œuvre peut être originale sans être nouvelle : elle bénéficiera donc de la protection du droit d’auteur, même si elle reprend, à sa manière, un thème cent fois exploré. De même, une œuvre peut être aussi originale tout en devant contribution à une autre œuvre. Il en est ainsi des traductions, adaptations, etc. À la différence de la nouveauté, notion objective qui s’apprécie chronologiquement – est nouvelle l’œuvre créée la première –, l’originalité est donc une notion purement subjective. Dès l’instant qu’une œuvre porte l’empreinte de la personnalité de son auteur, qu’elle fait appel à des choix personnels, elle est protégée par le droit d’auteur.
La jurisprudence est très souple depuis de nombreuses années et apprécie largement la notion d’originalité en photographie. Même les reproductions d’œuvres à deux dimensions (des clichés de tableaux, par exemple) peuvent être aujourd’hui admises comme originales et donc protégées par le droit de la propriété littéraire et artistique.
Toutefois, la Cour d’appel de Paris a, dans une décision du 22 mai 2015 que la plupart des photographies de plateau prises durant le tournage d’un film de Jacques Demy n’apportaient aucun choix créatif et donc d’originalité, en particulier parce qu’elles se cornaient à figer des scènes du long-métrage.
La veille, le tribunal a été encore plus net en examinant l’affaire de la photographie de Jimi Hendrix :
« Monsieur Gered Mankowitz explicite en ces termes les caractéristiques originales de la photographie qu’il revendique : « cette photographie aussi extraordinaire que rare de Jimi Hendrix réussit à capter, le temps d’un instant fugace, le saisissant contraste entre la légèreté du sourire de l’artiste et de la volute de fumée et la noirceur et la rigueur géométrique du reste de l’image, créées notamment par les lignes et les angles droits du buste et des bras. La capture de cet instant unique et sa mise en valeur par la lumière, les contrastes et par le cadrage étroit de la photographie sur le buste et la tête de Jimi Hendrix révèlent toute l’ambivalence et les contradictions de cette légende de la musique et font cette photographie une œuvre fascinante et d’une grande beauté qui porte l’empreinte de la personnalité et du talent de son auteur ».
Or, les juges soulignent que « ce faisant, il se contente de mettre en exergue des caractéristiques esthétiques de la photographie qui sont distinctes de son originalité qui est indifférente au mérite de l’œuvre et n’explique pas qui est l’auteur des choix relatifs à la pose du sujet, à son costume et à son attitude générale. » Aussi, rien ne permet au juge et aux défendeurs de comprendre si ces éléments qui sont des critères essentiels dans l’appréciation des caractéristiques originales revendiquées, le cadrage, le noir et blanc, le décor clair destiné à mettre en valeur le sujet et l’éclairage étant pour leur part banals pour une photographie de portrait en plan taille de face, sont le fruit d’une réflexion de l’auteur de la photographie ou de son sujet, si l’œuvre porte l’empreinte de la personnalité de Monsieur Gered Mankowitz ou de Jimi Hendrix.
Et ils en concluent qu’ « en conséquence, en l’absence de précision sur l’origine de ces choix constitutifs des caractéristiques originales revendiquées, Monsieur Gered Mankowitz ne met pas les défendeurs en mesure de débattre de l’originalité de la photographie litigieuse et le juge d’en apprécier la pertinence. Aussi, au regard de la définition largement insuffisante de l’originalité invoquée livrée par Monsieur Gered Mankowitz, la photographie litigieuse ne présente pas ’originalité et ne constitue pas une œuvre de l’esprit protégeable par le droit d’auteur, l’insuffisance de la description des éléments caractéristiques de l’originalité alléguée constituant en outre une violation du principe de la contradiction. »
Est-ce à dire que si le dossier avait été mieux argumenté, la photographie aurait été considérée comme protégée ? Cela n’est pas si évident ; et c’est là un des enjeux de cette décision très à contre-courant qui pourrait remettre en cause le monde du droit d’auteur.