La rémunération des salariés inventeurs (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.

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Auteur: Me Dalila Madjid, Avocate [1]

Date: le 22 septembre 2020


Lorsque le salarié est auteur d’une invention, qui est faire dans l’exécution de son contrat de travail ou bien d’études qui lui sont explicitement confiées, il bénéficie d’une rémunération supplémentaire dans les conditions déterminées par les conventions collectives, accords d’entreprise ou le contrat de travail.

Selon l’observatoire de la propriété intellectuelle : « les dispositions prévues par les conventions collectives sont, quand elles existent, floues et incomplètes, voire irrégulières » (Sénat, étude de législation comparée n°199 du 29 juillet 2009)

En l’absence de définition légale de l’invention, on peut se référer aux dispositions des articles L. 611-10 et L. 611-17 du Code de propriété intellectuelle, à savoir que sont brevetables, « dans tous les domaines technologiques, les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d’application industrielle » et ne sont pas considérées comme des inventions au sens du premier alinéa du présent article notamment, « les découvertes ainsi que les théories scientifiques et les méthodes mathématiques, les créations esthétiques ; les plans, principes et méthodes dans l’exercice d’activités intellectuelles, en matière de jeu ou dans le domaine des activités économiques, ainsi que les programmes d’ordinateurs ; les présentations d’informations ».

De plus, ne sont pas brevetables non plus, les inventions dont l’exploitation commerciale serait contraire à la dignité de la personne humaine, à l’ordre public ou aux bonnes mœurs.

Sur la distinction des catégories d’invention https://dalilamadjid.blog/2019/07/07/les-inventions-de-salaries/

A TITRE LIMINAIRE:

Le régime légal de la contrepartie financière versée au salarié inventeur

Les inventions de salariés sont régies par l’article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle, dont les dispositions sont d’ordre public : « Si l’inventeur est un salarié, le droit au titre de propriété industrielle, à défaut de stipulation contractuelle plus favorable au salarié, est défini selon les dispositions ci-après :

  1. Les inventions faites par le salarié dans l’exécution soit d’un contrat de travail comportant une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives, soit d’études et de recherches qui lui sont explicitement confiées, appartiennent à l’employeur. Les conditions dans lesquelles le salarié, auteur d’une telle invention, bénéficie d’une rémunération supplémentaire sont déterminées par les conventions collectives, les accords d’entreprise et les contrats individuels de travail.
  2. Si l’employeur n’est pas soumis à une convention collective de branche, tout litige relatif à la rémunération supplémentaire est soumis à la commission de conciliation instituée par l’article L. 615-21 ou au Tribunal de grande instance.
  3. Toutes les autres inventions appartiennent au salarié. Toutefois, lorsqu’une invention est faite par un salarié soit dans le cours de l’exécution de ses fonctions, soit dans le domaine des activités de l’entreprise, soit par la connaissance ou l’utilisation des techniques ou de moyens spécifiques à l’entreprise, ou de données procurées par elle, l’employeur a le droit (…) de se faire attribuer la propriété ou la jouissance de tout ou partie des droits attachés au brevet protégeant l’invention de son salarié. Le salarié doit en obtenir un juste prix qui, à défaut d’accord entre les parties, est fixé par la commission de conciliation instituée par l’article L. 615-21 ou par le Tribunal de grande instance : ceux-ci prendront en considération tous éléments qui pourront leur être fournis notamment par l’employeur et par le salarié, pour calculer le juste prix tant en fonction des apports initiaux de l’un et de l’autre que de l’utilité industrielle et commerciale de l’invention (…) ».

Le statut de salarié inventeur

L’inventeur doit être titulaire d’un contrat de travail, impliquant l’existence d’un lien de subordination entre lui et l’entreprise qui l’a embauché.

En effet, l’invention doit avoir été créée à l’initiative ou sur l’ordre de l’employeur dans le cadre d’un contrat de travail ou d’une mission spécifique.

Ainsi, il doit être facilement démontré que le salarié est en charge d’une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives. Dès lors que l’invention est qualifiée d’invention de mission, elle appartient à l’employeur, qui demeure seul titulaire des droits sur le brevet, qui est libre de déposer le brevet. La seule limite réside dans « la sanction d’un abus qui consiste à ne pas déposer de brevet ou de ne pas l’exploiter dans le but exclusif de nuire au salarié en le privant de sa rémunération supplémentaire ».

Par ailleurs, lorsqu’il existe un cumul d’un mandat social et de la qualité de salarié, le régime des inventions de salariés peut s’appliquer aux inventions des dirigeants sociaux.

Les juges vérifient ainsi si l’invention du dirigeant a eu lieu, soit dans le cadre d’un contrat de travail ou bien d’un mandat social (Cass. com. 21 juin 1988 n°86-19166).

En revanche, le régime des inventions de salariés ne s’applique pas aux mandataires sociaux non salariés, aux inventeurs indépendants comme par exemple les collaborateurs indépendants des entreprises intervenant en « free lance », aux stagiaires non salariés (Cass. com. 25 avril 2006 n°04-19482).

Bien évidemment, les inventions hors mission non attribuables sont la seule propriété de l’inventeur salarié, et ce dernier n’est pas fondé à réclamer une quelconque rémunération à son employeur.

LE SALARIE INVENTEUR BENEFICIE D’UNE REMUNERATION SUPPLEMENTAIRE

Depuis la loi n° 90-1052 du 26 novembre 1990 « relative à la propriété industrielle», la rémunération supplémentaire est obligatoire pour toutes les inventions brevetables faites dans le cadre d’une mission inventive.

Selon une jurisprudence constante, si l’employeur décide de ne pas déposer de demande de brevet, le salarié inventeur a, en tout état de cause, droit à une rémunération (Cass. com., 22 févr. 2005, n° 03-11027; Cass. com. 12 février 2013 nº 12-12898). Selon la Cour, cette règle est d’ordre public.

Par conséquent, les conventions collectives, ou les contrats de travail ne peuvent exclure le droit à cette rémunération, ni le subordonner à des conditions spécifiques.

Les parties peuvent déterminer librement les critères d’évaluation et la forme de la rémunération. En effet, certaines conventions collectives fixent les conditions de rémunération qui tiennent à :

  • l’invention, notamment à son intérêt exceptionnel, c’est le cas des conventions collectives nationales (CCN) des matières plastiques, des industries pharmaceutiques, ingénieurs et cadres de la métallurgie,
  • la prise de brevet par l’entreprise, c’est le cas de la CCN des ingénieurs et cadres des industries chimiques ou à sa délivrance, c’est le cas de la CCN de la pharmacie,
  • l’exploitation de l’invention, c’est le cas de la CCN des industries du papier.

Pour fixer le montant de la rémunération, la CCN de la chimie, par exemple, se réfère à la « valeur de l’invention ». La CCN de la sucrerie tient compte, quant à elle « de la contribution personnelle originale » de l’inventeur salarié et de « l’intérêt de l’invention pour l’entreprise et sa position concurrentielle ».

A l’article 75 de la convention Syntec, il est indiqué que : »L’importance de cette rémunération sera établie en tenant compte des missions, études et recherches confiées au salarié, de ses fonctions effectives, de son salaire, des circonstances de l’invention, des difficultés de la mise au point pratique, de sa contribution personnelle à l’invention, de la cession éventuelle de licence accordée à des tiers et de l’avantage que l’entreprise pourra retirer de l’invention sur le plan commercial ».

Comme le soulève justement certains auteurs, de nombreuses conventions collectives sont muettes quant aux modalités de calcul de la rémunération supplémentaire à allouer au salarié inventeur.

Ainsi, soit l’employeur peut fixer lui-même la rémunération supplémentaire à verser à son salarié inventeur. Ce dernier aura toujours la latitude de contester en saisissant la CNIS, et ce, après une négociation.

Depuis le célèbre arrêt dit « Raynaud« , la rémunération supplémentaire n’est plus assimilée à une somme forfaitaire calculée sur la base du salaire annuel de l’inventeur. (Cass. com., 21 nov. 2000, n° 98-11900).

En effet, la rémunération supplémentaire peut tenir compte « de l’intérêt économique de l’invention, de l’intérêt scientifique, de la difficulté de mise au point et de l’importance de l’apport du salarié dans la mise au point de l’invention« .

Dans un récent arrêt de la Cour d’appel de Paris, les juges du fond ont calculé le montant de la rémunération supplémentaire du salarié inventeur et l’ont fixé à 20 000 euros, et ce, en l’absence de dispositions conventionnelles et contractuelles, en tenant compte de l’intérêt économique de l’invention, la participation du salarié inventeur dans l’invention, la portée de l’invention sur le plan technique, industriel et économique de l’invention. (CA de Paris Pôle 5 du 2 mars 2018 RG n°16/233992).

Dans un autre arrêt intéressant, il a été jugé que la mise sur le marché d’un produit innovant caractérise une invention d’un intérêt exceptionnel justifiant une rémunération supplémentaire.

Dans cet arrêt, un scientifique assigne son employeur en justice afin de se voir reconnaître la qualité d’inventeur salarié de diverses inventions, notamment « une relative à un procédé de purification de l’huile d’olive », et d’obtenir en conséquence le paiement d’une rémunération supplémentaire ainsi que le prévoit l’article 29 de la convention collective nationale de l’industrie pharmaceutique du 6 avril 1956 .

''Art. 29 de ladite CCN sur l’invention des salariés : « Lorsqu’un employeur confie à un salarié une mission inventive, correspondant à ses fonctions effectives, ou des études ou des recherches, à titre permanent ou occasionnel, exclusif ou non exclusif, les inventions dont le salarié serait l’auteur dans l’exécution de cette mission, de ces études ou de ces recherches sont la propriété de l’employeur [ ]. La rétribution du salarié tient compte de cette mission, de ces études ou de ces recherches et rémunère forfaitairement les résultats de son travail. Toutefois, si une invention dont il est l’auteur dans le cadre de cette tâche présente pour l’entreprise un intérêt exceptionnel, il se verra attribuer, après la délivrance du brevet, une rémunération supplémentaire pouvant prendre la forme d’une prime globale versée en une ou plusieurs fois«.''

L’arrêt de la Cour d’appel a été validé par la haute juridiction aux motifs : »en retenant l’intérêt exceptionnel de l’invention, puis en ordonnant une expertise aux fins notamment d’examiner l’utilité industrielle et commerciale de l’invention du brevet et de ses extensions et de rechercher si les produits W, X., Y, et Z. procèdent de l’exploitation du brevet (…) et de ses extensions référençant M. Y… comme inventeur ou coinventeur, la cour d’appel ne s’est pas contredite, mais a relevé, d’un côté, que la mise en œuvre de l’invention avait permis la mise sur le marché d’un produit innovant caractérisant ainsi cet intérêt exceptionnel et, d’un autre côté, qu’il était cependant nécessaire de disposer de tous les éléments permettant de chiffrer la rémunération supplémentaire de l’inventeur salariés. » (Cass. soc. 21 nov. 2018 n°16-24044).


Par ailleurs, les parties sont libre de déterminer la forme que prendra la rémunération versée au salarié. Ainsi, il peut s’agir d’une somme forfaitaire versée en une ou plusieurs fois. Il peut s’agir d’une rémunération proportionnelle aux revenus d’exploitation.

Comme le relèvent pertinemment certains auteurs : « certaines entreprises ont mis en place des systèmes très élaborés pour la reconnaissance et la rémunération des inventeurs. Mais, le plus souvent, ces systèmes n’ont pas été négociés, ce qui ne semble pas conforme aux exigences de l’article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle, lequel indique bien que les modalités de fixation de la rémunération doivent résulter d’une convention (individuelle ou collective), c’est-à-dire d’un accord de volontés. De la sorte, les barèmes internes non négociés et, parfois même, non communiqués aux salariés, s’apparentent à une fixation unilatérale des conditions de la rémunération supplémentaire et ne peuvent, à ce titre, êtres opposés aux salariés« .

Par conséquent, la rémunération supplémentaire des inventions des salariés donne lieu à des pratiques disparates, qui parfois ne sont pas conformes à la loi.