Le bracelet électronique victime de la loterie judiciaire (fr)

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Par : Maîtres Nathalie Barbier et Marlène Viallet, avocates
Date : décembre 2017
Source : L'Express le 05/12/2017



284 personnes ont bénéficié d'un bracelet électronique en 2015: une aberration quand on connaît son efficacité, son faible coût et son effet sur la surpopulation carcérale, selon Nathalie Barbier et Marlène Viallet, avocates.

Le placement sous surveillances électronique (PSE) ou bracelet électronique est connu par le grand public comme une mesure d'aménagement de peine permettant d'exécuter une peine d'emprisonnement sans être incarcéré. Néanmoins, le bracelet électronique peut également être décidé dans le cadre moins connu d'une assignation à résidence, alternative à la détention provisoire, en attendant l'audience de jugement (ARSE).

Au lieu de concerner des personnes condamnées, il s'agit ici de personnes prévenues, donc mises en examen, mais non encore jugées, en mesure d'attendre la fin de l'enquête judiciaire sans être incarcérées mais en étant placées sous surveillances électronique.

Evidemment, cette mesure permet au prévenu en attente de jugement de continuer a exercer son activité professionnelle, de suivre une scolarité ou une formation, de rechercher un emploi, de participer de manière essentielle à sa vie de famille, ou encore de suivre un traitement médical.

Cette demande de placement sous surveillance électronique dans le cadre de l'assignation à résidence se formule auprès du juge d'instruction ou du juge des libertés et de la détention.

Enquête préalable de faisabilité

Les conditions matérielles qui doivent être remplies pour l'octroi de cette mesure sont:

• que la personne ait un domicile fixe ou un hébergement stable. S'il ne s'agit pas de son propre domicile, le propriétaire ou le locataire en titre doit donner son accord;

• s'il y a lieu, que la personne assignée dispose d'un certificat médical attestant de la compatibilité de son état de santé avec le port du bracelet électronique.

Surtout, et afin de vérifier que ces conditions sont bien remplies, le juge a la possibilité de confier une enquête préalable dite de faisabilité qui sera effectuée par le service pénitentiaire d'insertion et de probation.

Ce service pourra s'assurer de la disponibilité du dispositif technique et pourra procéder à la vérification de la situation matérielle, familiale et sociale de la personne demandant le bracelet électronique.

Cette enquête, strictement régie par les articles R 57-13 et suivant du code de procédure pénale, permet d'assortir la mise en liberté de véritables garanties, puisqu'elle vise à vérifier l'hébergement mais aussi éventuellement la réalité d'un emploi.

Un coût largement moindre

Devant l'augmentation du nombre de détenus en détention provisoire et face à la diminution des mises en libertés ordonnées par les juges d'instruction, ce sont les juges des libertés et de la détention, garants du respect des conditions et de la durée de la détention provisoire, qui octroient en majorité ces mesures.

Malgré un coût largement moindre (un jour de détention coûte environ 100 euro, une journée de bracelet électronique environ 10 €), cette assignation à résidence sous surveillance électronique est peu utilisée: les derniers chiffres publiés concernent l'année 2015, au cours de laquelle seuls 284 individus ont bénéficié de cette mesure.

La qualité des rapports du SPIP n'est plus à démontrer, le travailleur social pouvant rencontrer et interroger la famille, mais pouvant également auditionner l'employeur actuel ou futur du prévenu. Il peut également demander tout justificatif notamment comptable afin de s'assurer de la viabilité de l'entreprise.

Pourtant, la loterie judiciaire peut écarter d'un revers de main ces garanties exceptionnelles.

En effet, si l'enquête a été décidée par un Juge des libertés et de la détention, celui-ci ne bénéficie d'aucun suivi préférentiel. Le dossier sera transmis à un autre Juge des libertés et de la détention, qui lui refusera l'octroi de l'ARSE.

Deux témoignages

C'est d'abord le témoignage de Monsieur Eugêne, qui a fait la terrible expérience de cette loterie.

Monsieur Eugêne, incarcéré pour la première fois à l'âge de 64 ans pour des faits de complicité de faux documents administratifs, est marié, père de 4 enfants et reconnu adulte handicapé à 80%.

Au vu de son profil, Monsieur Eugêne a pensé qu'il pouvait bénéficier d'un bracelet électronique et un juge des libertés et de la détention a effectivement ordonné une enquête de faisabilité à fins de vérifications.

Le rapport de l'enquête est d'une rare éloquence: "Monsieur Eugêne bénéficie d'un hébergement stable, les liens au sein de l'ensemble de la famille apparaissent forts... La promesse d'embauche parait également sérieuse et compatible avec la situation d'invalidité de Monsieur Eugêne."

Monsieur Eugêne est néanmoins toujours incarcéré, depuis sept mois...

L'incompréhension est aussi de mise pour Monsieur Robert, 40 ans, séparé, un enfant en garde alternée, incarcéré pour des escroqueries sur eBay. Il livre avec pudeur son histoire: "J'estime que ce que j'ai fait ce n'est pas bien, mais je souhaite une seconde chance... cela ne m'excuse pas, mais j'ai fait des arnaques sans violences..."

Monsieur Robert est suivi par un psychologue et un psychiatre, qui attestent de sa fragilité et d'un véritable travail d'élaboration personnelle sur son passage à l'acte.

L'enquête pour le bracelet électronique est revenue sur le bureau du juge: "Le résultat de l'enquête est positif du point de vue de la faisabilité technique, de l'hébergement et de l'entourage familial."

Toujours incarcéré, depuis 7 mois...

Bénéfice: zéro.

Coût: très lourd, au vu de l'investissement et de la charge de travail du SPIP (rapport publié en 2011, année où les mesures d'ARSE ont été évaluées à 18 heures de charge de travail pour le service).

Espoir d'insertion ou de réinsertion: réduit à néant...

Inflation de détenus

Cette conclusion est d'autant plus étonnante que la Commission Libertés et Droits de l'homme du CNB a rendu un rapport récent (8 septembre 2017- Annexe 2: OPALE 1) reprenant l'état de la surpopulation carcérale au 1er juin 2017 et l'évolution sur un an, qui a démontré, d'une part que l'inflation carcérale était de +960 détenus en plus sur un an, d'autre part que cette inflation est due pour 67% à la détention avant jugement définitif.

Ainsi, le juge des libertés et de la détention incarcère de plus en plus et fait de moins en moins le choix de la liberté, même sous contrôle...

Dans l'hypothèse de décisions de refus d'ARSE prises par les magistrats après enquête favorable, ce choix est d'autant plus choquant à ce stade, où les prévenus sont présumés innocents, le code de procédure pénale érigeant comme principe la liberté, tandis que la détention provisoire est l'exception, principe essentiel, d'autant plus bafoué que l'ARSE est une véritable alternative à la détention et d'une efficacité redoutable contre la récidive.

Mais, est ce que cela intéresse encore quelqu'un la lutte contre la récidive?