Commentaire d'arrêt - Conseil d’État, le 2 mars 2020 : Le conjoint binational d’un réfugié ne bénéficie pas du principe de l’unité de famille (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.


France  > Droit privé > Droit de la famille > Droit d'asile



Auteur: Me. Laurence MAYER - Avocate [1]

Date: le 23 Décembre 2020


Par une décision en date du 2 mars 2020, le Conseil d’État réaffirme une restriction importante posée à l’application du principe de l’unité de famille, puisqu’il en exclut le conjoint du réfugié statutaire possédant, outre la nationalité commune du couple, une seconde nationalité (CE, 2 mars 2020, n°425292).

Une telle décision, si elle n’est pas inédite, soulève des interrogations au regard de la logique guidant l’application de l’unité de famille.

L’unité de famille : principe qui prime normalement sur l’existence et sur la nature des craintes du conjoint d’un réfugié

Le principe de l’unité de famille est une notion propre à la protection internationale, et plus particulièrement au statut de réfugié.

Son application vise à assurer le droit du réfugié à mener une vie privée et familiale normale, tel que prévu notamment à l’article 8 de la CEDH, et repris à l’article 33 de la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne.

Mais au-delà de la protection de la vie privée et familiale du réfugié, le principe de l’unité de famille est une composante de la protection qui lui est offerte par l’État d’accueil au titre de l’asile puisque, selon le HCR, « le fait de faciliter et de préserver l’unité de la famille, aide à assurer l’assistance physique, la protection, le bien-être physique et affectif aux réfugiés ».

Sa mise en œuvre conduit à la reconnaissance du statut de réfugié aux membres de la famille du bénéficiaire principal, notamment à son conjoint et à ses enfants mineurs.

En application de ce principe et, par dérogation aux règles classiques de reconnaissance du statut de réfugié, ce n’est pas en raison des craintes qu’un individu éprouve à l’égard de son État de nationalité que la qualité de réfugié lui sera reconnue, mais en raison de son lien de parenté avec le bénéficiaire principal du statut.

La personne ainsi reconnue réfugiée est bénéficiaire du « statut dérivé », expression utilisée par le Haut-Commissariat aux Réfugiés.

Or, en vertu d’une jurisprudence constante, la reconnaissance du statut au conjoint n’est soumise qu’à la seule condition que le couple ait déjà été formé au moment où le réfugié a introduit sa demande de protection internationale, sans que le conjoint n’ait à démontrer l’existence de craintes personnelles vis-à-vis de l’État de nationalité du couple (CE, 2 décembre 1994, n°112842).

De plus, le Conseil d’État a jugé que le principe de l’unité de famille devait conduire à la reconnaissance du statut au conjoint d’un réfugié quand bien même, au regard de ses craintes personnelles, il ne serait éligible qu’à l’octroi d’une protection subsidiaire (CE, 11 mai 2016, n°385788).

Ainsi, en vertu d’une jurisprudence plutôt protectrice du principe de l’unité de famille, son application à l’égard du conjoint d’un réfugié est indépendante de l’existence et de la nature des craintes personnelles de celui-ci.

Toutefois, l’unité de famille ne sera applicable qu’à la condition d’une identité de nationalité des époux. Ce qui signifie que l’extension de la qualité de réfugié au conjoint d’un bénéficiaire du statut ne sera possible que s’il possède la nationalité de l’État vis-à-vis duquel son conjoint éprouve des craintes.

Ainsi, le principe de l’unité de famille ne sera pas applicable à l’égard des membres d’un couple possédant des nationalités différentes. Cette solution a été affirmée très tôt par le juge français de l’asile (CRR, 27 mai 1982, n°11056).

Dans son arrêt du 2 mars 2020, le Conseil d’État étend cette exclusion au cas où le conjoint d’un réfugié possède une nationalité propre, en plus de celle qu’il partage avec le réfugié.

Un principale inapplicable à l’égard d’un conjoint possédant une double nationalité

Dans sa décision en date du 2 mars 2020, la Haute Juridiction estime en effet, qu’il n’y a pas lieu de faire application du principe de l’unité de famille à l’égard du conjoint binational d’un réfugié, lorsque celui-ci n’éprouve pas de criantes à l’égard de son second État de nationalité.

Dans ce cas de figure, il pourra en effet se prévaloir de la protection de son autre État nationalité.

Il s’agit d’une solution cohérente au regard du caractère subsidiaire de la protection offerte au titre de l’asile par rapport à la protection étatique.

Cependant, une telle analyse conduit à faire primer les criantes personnelles du conjoint d’un réfugié sur le principe de l’unité de famille, ce qui a pour effet d’exclure tout simplement le conjoint binational d’un réfugié du bénéficie de ce principe.

Car en effet, si le conjoint binational d’un réfugié fait valoir qu’il éprouve des craintes vis-à-vis de son autre État de nationalité, il sera admis au bénéfice du statut de réfugié à raison de sa situation personnelle, sans qu’il n’y ait lieu de faire application du principe de l’unité de famille.

Une telle décision de la Haute Juridiction a donc pour effet d’introduire une distinction entre les conjoints de réfugiés avec d’un côté, ceux possèdent seulement la nationalité du bénéficiaire principal du statut et qui seront donc admis au bénéficie de l’unité de famille et de l’autre, ceux qui possèdent en plus, une nationalité propre.

Cette solution avait été retenue par le Conseil d’État dès 2009 (CE, 23 février 2009, n°283246).

Dans son arrêt du 2 mars, le Conseil d’État précise que sa décision n’entre aucunement en contradiction avec la nécessaire protection de la vie privée et familiale du réfugié, puisqu’elle n’a pas pour effet d’exclure son conjoint d’un droit au séjour en France, celui-ci pouvant bénéficier d’un titre séjour en sa qualité de conjoint d’un bénéficiaire de la protection internationale.

Une telle solution constitue toutefois une limite importante à l’applicabilité du principe de l’unité de famille.