Le dénigrement (fr)
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Auteur : Me Emmanuel PIERRAT, Avocat au Barreau de Paris
La Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt le 22 mars 2016 aux termes duquel elle a abordé la notion de dénigrement.
Les juges relèvent qu’une société « ne s’est pas contentée de se défendre contre des attaques de syndicats professionnels dans leur ensemble, mais s’est livrée à une critique systématique et dénigrante » d’une société concurrente. Ils soulignent que « les commentaires sont manifestement malveillants à l’égard de cette société, présentée comme un prédateur pratiquant des prix prohibitifs et des marges excessives au détriment de la santé de millions de Français », jetant ainsi le discrédit.
Ils estiment que, à la différence de ce qui est possible lors d’un procès en diffamation, « il n’y a pas lieu de rechercher si les faits sont exacts ou non dès lors que ces commentaires visent à nuire à la réputation de la société visée ».
Rappelons en effet que, selon l’Autorité de la concurrence – aux termes d’une décision du 25 mars 2009 -, « le dénigrement se distingue de la diffamation, dans la mesure où il émane d’un acteur économique qui cherche à bénéficier d’un avantage concurrentiel en pénalisant son compétiteur ».
C’est sur le fondement de la responsabilité civile classique que cette notion a été peu à peu élaborée par la jurisprudence. Elle participe de la vie des affaires. Et le dénigrement peut provenir d’un concurrent, comme d’un salarié, voire d’un associé. Et les propos litigieux peuvent se retrouver au sein d’un ouvrage de librairie.
La Cour de cassation a, le 20 septembre 2012, statué dans une affaire opposant une société à une ancienne employée qui avait été agent commercial. Celle-ci, « avait, sous forme de lettres adressées à certains de ses partenaires, de courriels envoyés à ses conseillers et de tracts déposés dans les boîtes aux lettres de locataires des résidences qu'elle gérait, dénoncé son mode de fonctionnement en l'accusant d'user de méthodes irrégulières et en contestant la qualité des produits qu'elle proposait ». Elle arguait notamment de « pratiques de manipulations mentales avec dérives sectaires, de faux et usage de faux, d'abus de biens sociaux, du danger professionnel et personnel que fait encourir la société à ses collaborateurs en les plaçant dans une position délictuelle et en les faisant travailler avec des personnes condamnées pour escroquerie à l'assurance, abus de biens sociaux, vols et dénonce un certain nombre de pratiques commerciales, des conseillers travaillant sans carte professionnelle, de fausses attestations de stage étant délivrées, les produits immobiliers étant surfacturés et des cotisations étant indûment perçues »…
L’agent commercial répondait en justice que « les abus de la liberté d'expression » sont « prévus et sanctionnés par la loi du 29 juillet 1881 et ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du code civil ».
Les hauts magistrats rétorquaient que « les appréciations, même excessives, touchant les produits, les services ou les prestations d'une entreprise industrielle et commerciale n'entrent pas dans les prévisions de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, dès lors qu'elles ne portent pas atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne physique ou morale qui l'exploite ».
Ils ajoutaient, en forme de conclusion que « les propos litigieux avaient porté atteinte à l'image commerciale de la société » et qu’ils constituaient « un dénigrement et revêtaient un caractère fautif au sens de l'article 1382 du code civil ».