Le fonds de pérennité ou comment gérer sa société après son décès ?

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Cédric Dubucq, avocat au barreau de Paris et Mathis Campestrin, juriste [1]
Février 2022



Imaginez pouvoir gérer votre société depuis l’au-delà. Impossible nous diriez-vous. Toutefois, cette question mérite d’être approfondie par une des créations inaperçues de la loi PACTE de 2019 : le fonds de pérennité.

Qu’est-ce qu’un fonds de pérennité ?

Selon la définition de l’article 177 de la loi PACTE, le fonds de pérennité est : « constitué par l’apport gratuit et irrévocable des titres de capital ou de parts sociales d’une ou de plusieurs sociétés exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale ou agricole, ou détenant directement ou indirectement des participations dans une ou plusieurs sociétés exerçant une telle activité, réalisé par un ou plusieurs fondateurs afin que ce fonds gère ces titres ou parts, exerce les droits qui y sont attachés et utilise ses ressources dans le but de contribuer à la pérennité économique de cette ou de ces sociétés et puisse réaliser ou financer des œuvres ou des missions d’intérêt général ».


A l’aune de cette définition abstraite, notons dès lors 5 observations :


  1. Le fonds de pérennité n’est pas un groupement à but non-lucratif : il n’est pas, en ce sens, limité quant au montant des fonds qu’il peut recevoir ;
  2. L’objet du fonds est d’assurer la pérennité économique des sociétés contrôlées ;
  3. L’inaliénabilité des actions et parts apportées est affirmée par la loi ;
  4. Le fonds gère directement les actions et parts qu’il détient et exerce les droits qui y sont attachés ;
  5. Le fonds dispose de la personnalité juridique à compter la publication de la déclaration administrative au Journal Officiel mais peut rétroagir à la date d’ouverture de la succession.


Comment créer un fonds de pérennité ?

Le fonds doit être créé par un ou plusieurs fondateurs, lesquels peuvent être des personnes physiques ou morales.


Point droit des successions :


Selon une règle classique du droit des successions, le fonds peut résulter directement d’un legs adressé au fonds à créer, sous réserve, comme un fonds de dotation, d’être créé dans l’année d’ouverture de la succession. Le testateur doit toutefois avoir pensé à désigner la personne chargée de sa constitution. Le fonds peut donc être créer du vivant du fondateur ou pour cause de mort dans les conditions précitées.


De fait, le fonds doit être créé par la rédaction de statuts.


A ce sujet, 3 points de vigilance :


  • Les statuts doivent préciser la dénomination, le siège et les modalités de fonctionnement du fonds dans la limite de la loi PACTE ;
  • Les statuts doivent indiquer les 'principes et objectifs appliqués à la gestion des titres ou parts, à l’exercice des droits qui y sont attachés, à l’utilisation des ressources du fonds et les actions envisagées dans ce cadre. Ils précisent les modalités de leur modification lesquelles sont encadrées par la loi qui emprunte aux statuts-types en matière de fondations reconnues d’utilité publique ;
  • Les statuts doivent préciser si le fonds se donne pour mission ou non de participer directement (groupement opérateur) ou indirectement (groupement redistributeur) à une œuvre d’intérêt général.


Ainsi, les statuts sont la clé de voute du fonds de pérennité. Ceux-ci permettent d’affecter les parts ou actions à un but déterminé et ce, pendant toute la durée d’existence du fonds (qui peut être évidemment supérieure à celle de votre vie).


Nous pourrions par exemple penser que les parts affectées au fonds ne pourront jamais être utilisées pour destituer le Président, lequel pourrait être votre héritier désigné à la gestion.


En outre, la création du fonds nécessite une dotation. Celle-ci doit nécessairement être constituée, a minima, de titres de capital ou de parts sociales.


A côté de ce minimum, on peut affecter au fonds tout autre bien reçu à titre gratuit.


Enfin, la naissance du fonds est conditionnée à une simple déclaration administrative.

Les parts détenues par le fonds sont-elles réellement inaliénables ?

Non. Le fonds peut vendre ses parts dans les conditions prévues par la loi PACTE. Ainsi, distinguons deux hypothèses :


Le fonds détient la majorité des parts ou actions

Il faut dans ce cas réunir 2 conditions cumulatives :


  • Que l’inaliénabilité ait été écartée soit par le bienfaiteur, lorsque les parts ou actions ont été acquises à titre gratuit, soit par une délibération du conseil d’administration, lorsqu’elles l’ont été à titre onéreux ;


  • Que la cession envisagée ne fasse pas perdre au fonds de pérennité le contrôle de la société.


Le fonds est minoritaire

En tout état de cause, l’aliénation peut être autorisée par le juge en application des règles relatives à la révision des conditions et charges, mais à la condition seulement que la pérennité économique de la société détenue l’exige.


Comment fonctionne le fonds de pérennité ?

Le fonds est composé de deux organes :


  • Un conseil d’administration (comme dans un fonds de dotation – au moins 3 membres) ;


  • Un comité de gestion (suivi permanent des sociétés).


Quelle fiscalité ?

Puisqu’il n’a pas un but non lucratif, le fonds de pérennité ne pourra bénéficier (et à travers lui ses bienfaiteurs) de la fiscalité du mécénat, quand bien même il poursuivrait partiellement une mission d’intérêt général. Pour autant, les versements de titres ou parts pourront bénéficier du pacte Dutreil dans les conditions posées par la loi fiscale (CGI, art. 787 B).


Point d’attention sur la transmission:


La dissolution du fonds peut être prévue statutairement. Dans ce cas, quid du boni de liquidation ? La loi précise les bénéficiaires éventuels de l’actif net : un bénéficiaire désigné par les statuts, à un autre fonds de pérennité, une fondation reconnue d’utilité publique ou un fonds de dotation. Intéressant !


Ainsi, le fonds de pérennité permet de faire réellement survivre l’esprit du fondateur dans la société. Celui-ci peut continuer, par le biais du fonds et de ses statuts très précis, à dicter la politique de l’entreprise, surtout si celui-ci est majoritaire. Un véhicule juridique unique !


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