Le réputé non-écrit toujours imprescriptible !

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
France  > Droit privé > Droit des contrats > Prescription > Clauses abusives

Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris


13 septembre 2022

Cass. civ. 1, 30 mars 2022, n° 19-17996 [1]

Aujourd’hui, 30 mars 2022, la Cour de cassation réaffirme son attachement à l’imprescriptibilité de l’action tendant à voir réputer non-écrite une clause abusive (voir déjà en ce sens Cass. civ. 1re, 13 mars 2019, n° 17-23.169 [2]).

Au cas d’espèce, de facture fort classique, deux emprunteurs contestaient la validité de certaines clauses d’un prêt.

La cour d’appel (Paris, 17 avril 2019) avait cru devoir déclarer irrecevable leur action comme prescrite. Pour les juges du fond, l’action visant à voir réputée non-écrite une clause abusive au sens du droit de la consommation, « qui relève du droit commun des contrats, est soumise à la prescription quinquennale et que celles-ci ont été formées plus de cinq ans après l'acceptation des offres de prêt ».

La cassation, pour violation de la loi par fausse application, s’opère au double visa des art. L. 110-4 C. com. et L. 132-1 C. conso.

La Cour de cassation prend appui sur la jurisprudence de la CJUE du 10 juin 2021 (C-776/19), laquelle avait dit pour droit que les dispositions européennes « s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription ».

La Haute juridiction en déduit que « la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 précité n'est pas soumise à la prescription quinquennale ».

Pour justifier cette solution exorbitante du droit commun, on soutient parfois qu’il faut distinguer le non-écrit du nul. La clause réputée non-écrite est véritablement inexistante, ce qui conduirait à exclure tout raisonnement basé sur la nullité. L’argument n’est pas dénué de force mais ne convaincra pas forcément la pratique. Au-delà de la sémantique - qui relève du législateur -, nullité et non-écrit sont souvent bien semblables.

Au surplus, l’article 2224 C. civ. ne soumet-il pas à prescription quinquennale toutes les « actions personnelles », qu’elles soient en nullité ou autre ? Or, l'action en "réputé non-écrit" n'est-elle pas une action personnelle ?

On avance également que l’atteinte est tolérable, dès lors que l’action en restitution des avantages reçus en application de la clause réputée non-écrite se prescrit, elle, par cinq ans.

Dont acte.

Quel que soit le poids de ces arguments, on ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine réserve face à cette imprescriptibilité prétorienne, qui malmène la sécurité juridique.