Le salarié expatrié a droit aux indemnités calculées sur la base de son dernier emploi et non sur la base de l'emploi qu'il occupait en France avant son détachement

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Franc Muller, avocat au barreau de Paris [1]
Mars 2024

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Le détachement, un statut parfois précaire…

Le détachement d’un salarié à l’étranger constitue une évolution professionnelle positive qui s’accompagne souvent d’avantages matériels conséquents.

Le salarié bénéficiant la plupart du temps de conditions financières nettement plus attractives que celles que lui procurait son emploi en France.

Dans les groupes de dimension internationale, il est habituel que l’employeur prenne à sa charge des avantages en nature pour un montant important (frais d’hébergement, de véhicule de fonction, billets d’avion…), outre le différentiel lié au niveau de vie dans le pays de détachement.

Le déracinement familial est compensé tant bien que mal par diverses contreparties financières (scolarité des enfants payée par l’entreprise…).

La fin de l’expatriation est donc non seulement synonyme de la fin de l’emploi du salarié à l’étranger, mais également du train de vie auquel il s’était accoutumé.

Cette période est une source fréquente de conflit, particulièrement lorsque l’employeur ne respecte pas ses obligations légales.

Des obligations légales pas toujours respectées par l’employeur

La fin du détachement oblige en effet l’employeur à respecter des prévisions légales protectrices pour le salarié dont il préférerait parfois s’affranchir, surtout lorsque l’enthousiasme des débuts a cédé la place à une ardeur désormais nettement plus modérée.

L’article L 1231-5 du Code du travail impose en tout état de cause à l’employeur d’assurer le rapatriement de l’intéressé et de lui procurer un nouvel emploi compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions.

Cette exigence suscite parfois des difficultés que nous avons déjà évoquées.

Mais quand l’employeur met un terme au contrat de travail immédiatement après l’expatriation de l’intéressé, en invoquant de bonnes ou de mauvaises raisons, il doit payer au salarié licencié des indemnités de rupture.

Celles-ci serviront en outre à déterminer le montant des indemnités auxquelles il pourra prétendre devant la juridiction prud’homale en cas de litige.

C’est aussi l’assiette de ces indemnités doit constituer la référence à retenir lorsque les parties choisissent de mettre un terme amiable au conflit qui les opposait.

Des indemnités calculées sur la base des salaires perçus par le salarié dans son dernier emploi

Dans une nouvelle décision, la chambre sociale de la Cour de cassation confirme sa jurisprudence antérieure et apporte d’intéressantes précisions (Cass. Soc. 6 mars 2024 n° 22-19879).

Un salarié du groupe Vinci est détaché au Maroc pour exercer les fonctions de responsable des achats d’une filiale locale.

Il y reste trois ans et est licencié pour motif économique au terme de son expatriation par la société mère qui l’employait.

Le salarié conteste son licenciement devant le Conseil de Prud’hommes et désapprouve notamment l’assiette des indemnités de rupture retenue par l’employeur.

La Cour de cassation énonce tout d’abord que lorsque la société mère entend licencier le salarié dans de telles circonstances, le temps passé par le salarié au service de la filiale est pris en compte pour le calcul du préavis et de l’indemnité de licenciement.

Elle ajoute en outre que lorsque la société mère ne réintègre pas le salarié après son licenciement par la filiale étrangère, les indemnités de rupture auxquelles le salarié peut prétendre doivent être calculées par référence aux salaires perçus par celui-ci dans son dernier emploi.

Le salarié est donc fondé à obtenir des indemnités calculées sur la base de son salaire d’expatriation et non sur celle du salaire antérieur à son détachement.

De sorte que l’indemnité compensatrice de préavis, l’indemnité conventionnelle de licenciement, les salaires dus au titre de l’allocation de congé de reclassement et les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse devaient être calculés sur la base du salaire d’expatriation au Maroc.

Cette solution a le mérite de la clarté : il y a lieu de prendre en considération la rémunération du salarié lors du dernier emploi, au Maroc, et non celle de la période antérieure de son affectation en France.

Quid lorsque le contrat de travail prévoit que les indemnités seront calculées sur la base de la rémunération en France ?

C’était ce que stipulait en l’espèce le contrat de travail du salarié, l’employeur ayant imaginé pouvoir se prémunir ainsi.

Le contrat comportait un article prévoyant « qu’en tout état de cause, si la rupture du contrat de travail de monsieur [C] avec la société » ou Cegelec Maroc, devait être envisagée (…) les indemnités éventuellement dues seraient calculées sur la seule rémunération de référence en France, à l’exclusion des émoluments liés à son transfert en Maroc ».

La Cour d’appel avait fait application de ces stipulations pour fixer le montant des indemnités dues au salarié.

A tort selon la Cour de cassation, qui écarte heureusement ces prévisions contractuelles.

Elle juge au contraire que les indemnités de rupture devaient être calculés sur la base du salaire d’expatriation au Maroc, nonobstant les stipulations contractuelles.

Le contrat de travail ne prévaut donc pas sur son interprétation de la Loi.

Quid enfin quand c’est la convention collective qui se réfère au salaire perçu en France et non pendant la période d’expatriation ?

C’était l’argument de l’employeur, qui invoquait le texte de la convention collective des cadres des travaux publics applicable à la relation de travail.

Son article 6.2.6 [2] précise en effet « qu’en cas de rupture du contrat de travail durant le séjour à l’extérieur, les indemnités susceptibles d’être dues au cadre à cette occasion sont calculées, sauf cas plus favorable prévu dans l’avenant, sur le montant de la rémunération effective du cadre base France métropolitaine ».

Là encore, la Haute Juridiction évince les dispositions de la convention collective applicable, au motif qu’elles sont moins favorables que la règle légale.

On approuve donc pleinement cette décision, d’une grande importance pour les salariés licenciés à la fin de leur expatriation.