Le transfert d'entreprise en droit de l'Union Européenne (eu)

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Article extrait de l'ouvrage "Transferts d’entreprise, Droits de l’Union européenne et droit français"
Auteur: Nicolas Moizard Professeur à l’Institut du travail de Strasbourg, directeur de l’équipe de droit social UMR DRES et directeur-adjoint de la Fédération de recherche L’Europe en mutation.
Date : Août 2015


Mots clefs : transfert d’entreprise, TFUE, Question préjudicielle, directive 2001/23/CE du 12 mars 2001, harmonisation,


Le transfert d’entreprise fait partie des domaines du droit du travail où le droit de l’Union a fortement influencé le droit national. Une étude de celui- ci sans l’approche de l’Union donnerait une vue partielle de la matière et ne permettrait pas d’expliquer les grandes évolutions du droit français. Dès que le droit interne entre dans le champ d’application du droit de l’Union, ses marges de manœuvres sont restreintes, sans pour autant être inexistantes. Depuis les années 1980, les deux ordres juridiques ont développé des interprétations parallèles puis croisées sur la question. Le transfert d’entreprise est l’un des sujets les plus intéressants de l’harmonisation sociale européenne. La présente étude a pour objet de donner l’état des relations entre la directive 2001/23 relative au transfert d’entreprise et le droit français.


Article L. 1224-1 du Code du travail

Le sort des salariés en cas de transfert d’une entreprise a motivé une intervention législative au début du XXe siècle. Une application radicale du principe de l’effet relatif des contrats aurait laissé les salariés sans protection. La rédaction du Code du travail résulte d’une loi du 19 juillet 1928. Selon certains auteurs, cette législation constitue une transposition en droit français du droit allemand, à la suite du recouvrement de l’Alsace et de la Lorraine en 1918[1].

Aux termes de l’article L. 1224-1 du Code du travail, « [l]orsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise »[2].

Ce texte, dont la rédaction est d’une rare stabilité, a fait l’objet depuis d’une forte production jurisprudentielle, la chambre sociale de la Cour de cassation ayant suivi plusieurs approches successives sur son champ d’application. Ces interprétations ont dû prendre en considération les développements européens sur la question[3].


Directive « transfert »

L’interprétation du Code du travail est largement influencée par une directive adoptée dans le contexte de la crise économique des années 1970, la directive 77/187/CEE du 14 février 1977 relative au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprise[4]. La directive relative aux transferts d’entreprise fait partie d’un ensemble de directives portant sur les restructurations adoptées lors de la même période[5]. C’est l’un des textes fondateurs de l’harmonisation sociale européenne. La directive 77/187/CEE a été modifiée par [http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:31998L0050&from=FR la directive 98/50/CE du 29 juin 1998][6], qui a repris des définitions données par la Cour de justice, et est désormais codifiée par la directive 2001/23/CE du 12 mars 2001[7]. Cette directive vise à rapprocher les législations en ce domaine, en poursuivant les objectifs de la politique sociale, d’ « amélioration des conditions de vie et de travail, permettant leur égalisation dans le progrès »[8]. À partir des années 1980, ce texte a fait l’objet régulièrement d’arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes (devenue par la suite la Cour de justice de l’Union européenne) suite à des questions préjudicielles posées par les juridictions nationales. Les juges nationaux, compte tenu de ces renvois, ont influencé l’interprétation de la directive.

Le texte de la directive « transfert » est relativement court, comparé à d’autres directives. Outre quelques dispositions procédurales, il comporte seulement sept articles. L’harmonisation est partielle et minimale, en ce sens qu’elle n’uniformise pas la question et qu’elle ouvre aux États membres la possibilité de maintenir et d’adopter des dispositions plus favorables. L’article 8 de la directive 2001/23 permet en effet aux États membres « d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires et administratives plus favorables aux travailleurs ou de favoriser ou de permettre des conventions collectives ou des accords conclus entre partenaires sociaux plus favorables aux travailleurs » (dir. 2001/23, art. 8). Si le texte permet des dispositions plus favorables, celles-ci doivent rester compatibles avec la directive, telle qu’elle est interprétée par la Cour de justice. En d’autres termes, les États membres n’ont pas à estimer que leur droit national serait plus favorable que la directive de leur propre chef.

Harmonisation partielle selon la formule constante de la C.J.U.E

« La directive 2001/23 ne vise qu’à une harmonisation partielle de la matière qu’elle régit, en étendant, pour l’essentiel, la protection garantie aux travailleurs de façon autonome par le droit des différents États membres également à l’hypothèse d’un transfert d’entreprise. Elle ne tend pas à instaurer un niveau de protection uniforme pour l’ensemble de l’Union en fonction de critères communs » (C.J.U.E., 11 septembre 2014, Österreichischer Gewerschaftsbund c/ Wirtschaftskammer Österreich, C-328/13, pt 22).

Terminologie

Terminologie. La terminologie européenne et celle utilisée en France ne sont pas identiques. Du côté français, le Code du travail évoque « la modification dans la situation juridique de l’employeur », tandis que la directive 2001/23/CE évoque « le maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprise ». Il est certain que l’intitulé de la directive est davantage significatif de la règle contenue dans les deux textes. La présente étude se référera à la directive « transfert ».

Finalités de la directive

Il est essentiel de connaître la finalité de la directive retenue par la Cour de justice, compte tenu de la méthode d’interprétation téléologique de celle-ci. Étant donné son caractère partiel, la directive n’établit pas un régime uniforme et total du régime du transfert d’entreprise. Selon la Cour de justice, le bénéfice de ce texte ne peut donc être invoqué que pour assurer que le travailleur intéressé est protégé dans ses relations avec le cessionnaire de la même manière qu’il l’était dans ses relations avec le cédant, en vertu des règles du droit de l’État membre concerné[9]. L’objet de la directive 2001/23/CE vise à assurer la continuité des relations de travail existant dans le cadre d’une entité économique, indépendamment d’un changement de propriétaire et, ainsi, à protéger les travailleurs dans la situation où un tel changement interviendrait[10]

La Cour de justice inscrit clairement l’interprétation de ce texte dans le sens de la protection des travailleurs[11]. Nous verrons que, malgré la mise en avant de cet objectif, les solutions ne correspondent pas toujours à l’intérêt des travailleurs, comme par exemple en cas d’externalisation au sein d’un groupe de sociétés. La Cour estime également que l’objectif de la directive est de permettre la réalisation du marché intérieur[12]. Plus récemment, la Cour de justice a soumis l’interprétation de la directive à la liberté d’entreprendre, garantie par l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Dans deux affaires concernant le maintien des conventions collectives suite au transfert, la Cour a estimé que « la directive ne vise pas uniquement à sauvegarder, lors d’un transfert d’entreprise, les intérêts des travailleurs, mais entend assurer un juste équilibre entre les intérêts de ces derniers, d’une part, et ceux du cessionnaire, d’autre part »[13]. La Cour de justice irait-elle jusqu’à dévaloriser l’objectif de protection des travailleurs poursuivi par la directive « transfert » ? L’arrêt Alemo-Herron du 18 juillet 2013 indique que l’interprétation de la directive 2001/23 doit respecter l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux, énonçant la liberté d’entreprendre et comportant notamment la liberté contractuelle[14]. Cette décision, fort préoccupante, relativise l’effet protecteur des travailleurs attendu de l’interprétation de la Charte des droits fondamentaux[15].


Actuellement, le débat porte sur la consolidation des différentes directives sur l’information et la consultation des représentations des travailleurs. La directive 2001/23 est concernée mais ses aspects spécifiques (maintien des droits des travailleurs) ne sont pas mis en cause.

Le droit français sur la question s’est développé bien avant l’adoption de la directive « transfert ». Techniquement, comme pour toute directive, la France est tenue d’en assurer le résultat. Sauf pour quelques adaptations, la loi française a peu évolué sous l’effet de la directive. C’est à travers l’article L. 1224-1 qu’a dû passer la mise en oeuvre de la directive. Au niveau législatif, le droit français relevait donc d’un régime national préexistant conforme à la directive. Il est revenu en réalité à la chambre sociale de la Cour de cassation d’accorder le droit français à ce texte de l’Union. Nous sommes ici dans un exemple peu commun de mise en compatibilité du droit national par la jurisprudence. Certes, la Cour de justice prend en considération la jurisprudence lorsqu’elle interprète le droit national. Mais il n’est pas certain que la jurisprudence respecte dans tous les cas, les conditions de sécurité juridique posées par le droit de l’Union.


= Évolutions de la jurisprudence française sous l’influence de la Cour de justice =

La finalité protectrice est également présente dans les premiers développements jurisprudentiels français. Dans l’important arrêt Goupy, la Cour de cassation estime que l’article 1224-1 est « destiné à assurer aux

salariés des emplois plus stables »[16]. La chambre sociale de la Cour de cassation a très tardivement utilisé le renvoi préjudiciel devant la C.J.U.E., alors que les incompatibilités entre sa jurisprudence et celle de la Cour de justice dans les années 1980 étaient flagrantes. Elle a préféré interpréter la législation française selon ses propres méthodes d’interprétation. Et il a fallu attendre les années 1990 pour cet exercice volontaire de mise en compatibilité, dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler le « dialogue des juges »[17], et 1998 pour que la chambre sociale cite la directive dans ses motifs. Ce qui a pu être compris comme un phénomène de résistance de la part des juges français s’explique en partie par la façon dont le droit français s’est organisé sur cette question, avec notamment un ensemble de conventions collectives de branches d’activités qui sont venues régir le transfert d’activités dans certains secteurs, hors du champ d’application du Code du travail.

Le présent ouvrage se propose de présenter le cadre juridique sur le transfert d’entreprise dans une approche associant le droit de l’Union européenne et le droit français. Nous nous interrogerons sur la compatibilité et les évolutions possibles du droit français au regard du droit de l’Union. Il reste à la fois certaines contrariétés entre les deux ordres juridiques et des possibilités d’évolution du droit français. La Cour de justice impose une méthode d’interprétation qu’il a fallu reprendre en droit interne. La jurisprudence la plus fournie concerne le champ d’application du transfert d’entreprise (chapitre 1). Il est dès lors essentiel de déterminer celui-ci avant de s’intéresser au maintien des droits des travailleurs (chapitre 2). Nous nous interrogerons ensuite sur les possibilités restreintes du licenciement des salariés dans le cadre du transfert (chapitre 3). Celui-ci est aussi l’occasion d’une information à destination des représentants des travailleurs, qui sont également consultés, et à défaut de tels représentants, d’une information des travailleurs (chapitre 4). Le transfert pose enfin la question du maintien de la représentation des salariés après le transfert (chapitre 5).


Quelques repères indispensables

Recours devant la C.J.U.E

Les arrêts de la C.J.U.E. sont consultables sur son site : curia.europa.eu. Un mode de citation des décisions de la C.J.U.E. selon un identifiant européen de la jurisprudence a été élaboré (ECLI ou European Case Law Identifier).
Parmi toutes les voies de droit ouvertes devant la Cour de justice, deux nous concernent dans cette étude :

un renvoi préjudiciel devant la C.J.U.E. (art. 267 TFUE): la majeure partie des décisions de la C.J.U.E. ont été rendues sur renvoi préjudiciel. La Cour est alors saisie par une juridiction nationale, juge du droit commun de l’Union, lorsque celle-ci a un doute dans l’interprétation des traités ou du droit dérivé ou encore sur la validité du droit dérivé. Selon le niveau de la juridiction nationale, celle-ci peut, et même parfois doit se tourner vers la Cour de justice pour demander de préciser un point d’interprétation du droit de l’Union.

Le renvoi préjudiciel est un outil d’interprétation uniforme du droit de l’Union. Les dispositifs des décisions de la Cour s’imposent à tous les États membres, ce qui fait qu’une décision préjudicielle a un effet dépassant le seul État membre en cause. La Cour de justice « dit pour droit » une interprétation du droit de l’Union valable sur l’ensemble du territoire de l’Union. La Cour fournit au juge national les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union qui permette d’apprécier la compatibilité du droit national avec la règle européenne. Nous verrons que la Cour de justice a de plus en plus tendance à faire des réponses précises qui ne laissent plus aucune marge d’appréciation au juge national dans la résolution du litige. Il est très important de la part du juge national de vérifier que la Cour de justice est interrogée sur l’interprétation du droit de l’Union. La question devra être posée in abstracto. Les juges nationaux sont plus ou moins enclins à poser des questions à la Cour de justice, selon leur propre culture juridique. Il ne faut donc pas inférer d’une pratique régulière de renvoi préjudiciel venant d’un État membre particulier, ce qui est le cas de l’Allemagne pour la directive « transfert », que le droit de cet État est éloigné de la directive. Cela peut dénoter le mouvement inverse. Des juridictions nationales ne posant jamais ou très peu de questions peuvent étouffer les éventuelles contrariétés avec le droit de l’Union en développant une jurisprudence autonome. Ce fut le cas de la France jusqu’en 1990. Quelques cas actuellement mériteraient encore d’être soulevés devant la C.J.U.E. par la Cour de cassation.

Devant les Conseils de Prud’hommes, les questions seront parfois délicates à poser. Outre une sensibilisation et une formation au droit de l’Union, la composition paritaire de la juridiction prud’homale n’aide pas à poser ce type de questions. Conseillers employeurs et conseillers salariés devront se mettre d’accord à la fois sur la démarche et sur la question. La rédaction de la question est essentielle. Elle peut être destinée à faire évoluer le droit national. En arrière-plan, l’évolution sollicitée sera évaluée en fonction de son caractère plus ou moins favorable pour les travailleurs. Pour le transfert d’entreprise, tout ne se réduit cependant pas à une question de niveau de protection des salariés. La Cour de justice impose davantage la reprise en droit national d’une méthode d’analyse. Il est fort probable que l’intervention du juge départiteur soit nécessaire sur la question. Il convient toutefois de signaler que dans l’affaire Mayeur de la C.J.U.E. du 26 septembre 2000 (C-175/99) qui a eu de grandes implications sur le champ d’application de la directive « transfert » dans les transferts publics-privés en droit français, la question préjudicielle a été posé par un Conseil de prud’hommes.

un recours en manquement (art. 260 TFUE) : tout État membre ou la Commission peut saisir la C.J.U.E. contre un État membre qui aurait manqué à ses obligations résultant du droit de l’Union. Le manquement ne concerne pas seulement le traité ou un acte de droit dérivé. Il peut être relevé par rapport à la jurisprudence de la Cour de justice, ce qui nous intéresse dans le cadre de cette étude, compte tenu de l’importante jurisprudence de la C.J.U.E. sur la question du transfert d’entreprise. Le manquement est constaté, quel que soit le niveau de l’organe de l’État dont l’action ou l’inaction est constatée. Le traité prévoit la possibilité de sanctionner financièrement un État membre qui n’exécuterait pas un arrêt en manquement prononcé à son encontre.

Dans certaines situations résiduelles, le Code du travail et la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation constituent des manquements à la directive 2001/23, telle qu’interprétée par la C.J.U.E.

Invocabilité d’une directive

Comme c’est le principe concernant les normes relevant de l’harmonisation sociale, c’est une directive qui est l’instrument en matière de transfert d’entreprise. Ainsi, il est important de rappeler quelques éléments sur l’invocabilité des directives, notamment dans les litiges entre employeurs et salariés.
Une directive n’a pas vocation à avoir d’effet direct. Elle oblige les États quant au résultat tout en les laissant libres quant aux moyens. La Cour de justice lui reconnaît exceptionnellement un effet direct à l’égard de l’État, des collectivités territoriales et des personnes morales dotées de prérogatives exorbitantes de droit commun (la RATP par exemple dans la mesure où elle peut infliger des amendes à ses usagers). Selon une jurisprudence constante de la Cour, dans tous les cas où les dispositions d’une directive apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer devant les juridictions nationales à l’encontre de l’État, soit lorsque celui-ci s’est abstenu de transposer dans les délais la directive en droit national, soit lorsqu’il en a fait une transposition incorrecte. Cette condition n’est pas toujours simple à réaliser s’agissant des directives sociales qui laissent une marge d’appréciation aux États membres, la politique sociale relevant encore principalement de leur compétence.

Qu’en est-il alors de l’invocabilité de la directive « transfert » dans un litige entre un employeur et un salarié devant le juge national ?

Toujours selon une jurisprudence constante, même une disposition claire, précise et inconditionnelle d’une directive visant à conférer des droits ou à imposer des obligations aux particuliers ne saurait trouver application en tant que telle dans le cadre d’un litige qui oppose exclusivement des particuliers. Tout au plus, la juridiction nationale est-elle tenue, lorsqu’elle applique les dispositions du droit interne adoptées aux fins de transposer les obligations prévues par une directive, de prendre en considération l’ensemble des règles du droit national et de les interpréter, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte ainsi que de la finalité de cette directive pour aboutir à une solution conforme à l’objectif poursuivi par celle-ci. Cette obligation d’interprétation conforme a une portée limitée. Elle ne peut servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national.


Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les regards se sont tournés vers la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (art. 6 TFUE). La Charte, qui a la même valeur que les traités, s’impose aux institutions et aux États lorsqu’ils mettent en oeuvre le droit de l’Union. Plusieurs questions se posent notamment concernant le champ d’application du droit de l’Union. La C.J.U.E. applique déjà au compte-gouttes certains principes généraux du droit de l’Union dans les litiges entre les particuliers. C’est le cas du principe de non-discrimination en raison de l’âge que la Cour de justice a rattaché à la Charte des droits fondamentaux[18]. La Charte n’évoque pas le transfert d’entreprise, alors qu’elle reconnaît une protection en cas de licenciement injustifié[19]. L’aspect information et consultation des représentants des travailleurs de la directive 2001/23 peut être concerné par la Charte. Aux termes de l’article 27 de la Charte, « les travailleurs ou leurs représentants doivent se voir garantir, aux niveaux appropriés, une information et une consultation en temps utile, dans les cas et conditions prévus par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales ». Dans son arrêt Association de médiation sociale du 15 janvier 2014, la Cour de justice réduit comme peau de chagrin l’effectivité de ce principe social de la Charte de l’Union[20]. La Cour de justice a refusé de sanctionner l’incompatibilité du droit français avec la directive 2002/14 sur l’information et la consultation des travailleurs, dans un litige entre particuliers, du fait de l’absence d’invocabilité du principe d’information et de consultation des travailleurs énoncé à l’article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dans un litige entre personnes privées. L’arrêt était très attendu au regard de la distinction droits/principes au sens de la Charte. Si les premiers effets directs bénéficient d’une justiciabilité pleine et entière, les seconds ne seraient invocables que pour l’interprétation et le contrôle de la légalité des actes de concrétisation de ceux-ci. Sans se référer explicitement à cette distinction, la Cour, après avoir affirmé que l’article 27 de la Charte ne se suffit pas à lui-même, constate qu’il n’est pas « précisé » par la directive. Les principes sociaux se voient réduits à des outils d’interprétation du droit dérivé[21].

Sur les questions de procédure devant la C.J.U.E., voy. J. Lotarski, Droit du contentieux de l’Union européenne, coll. Systèmes, Paris, LGDJ, 2014, 240 p.

Autres textes à connaître

➤ La directive 98/59/CE concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs du 20 juillet 1998 :

- définit les licenciements collectifs. La directive 98/59 vise les « licenciements effectués par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs » (dir. 98/59/ CE, art. 1er, § 1er, a). La directive prévoit ensuite un critère quantitatif, déterminé selon deux modalités parmi lesquelles les États membres doivent choisir. La France a choisi de prendre en considération le projet d’au moins 10 licenciements sur 30 jours ;
*

- impose à l’employeur d’informer et de consulter les représentants des travailleurs lorsqu’il envisage d’effectuer des licenciements collectifs. Les consultations doivent porter « au moins sur les possibilités d’éviter ou de réduire les licenciements collectifs ainsi que sur les possibilités d’en atténuer les conséquences par le recours à des mesures sociales d’accompagnement visant notamment l’aide au reclassement ou à la reconversion des travailleurs licenciés » (dir. 98/59, art. 2, § 2, al. 1er) ;

- l’employeur est tenu de notifier par écrit tout projet de licenciement collectif à l’autorité publique compétente (dir. 98/59/CE, art. 3, § 1er).

➤ La directive 2008/94/CE du 22 octobre 2008 relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur :

- instaure un minimum de protection en vue de garantir le paiement de leurs créances impayées aux travailleurs en cas d’insolvabilité de l’employeur ;

- les États membres doivent prendre les mesures nécessaires afin que les institutions de garantie assurent le paiement des créances impayées, selon des principes fixés par la directive ;

- des règles spécifiques sont prévues en cas de situation transnationale.

➤ La directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne :

- impose des obligations d’information et de consultation des représentants des travailleurs sur les décisions qui affectent la marche de l’entreprise (les évolutions de nature économique, financière et stratégique ; la structure et l’évolution prévisible de l’emploi ainsi que les mesures qui en découlent ; les décisions pouvant entraîner des modifications substantielles dans l’organisation du travail et dans les relations contractuelles) ;

- s’applique soit aux entreprises employant dans un État membre au moins 50 travailleurs, soit aux établissements employant dans un État membre au moins 20 travailleurs. Le choix revient aux États membres qui déterminent également le mode de calcul des seuils de travailleurs employés ;

- donne une définition de l’information et de la consultation plus précise que dans la directive « transfert » ;

- les États membres peuvent autoriser les partenaires sociaux à aménager les principes d’information et de consultation prévus dans la directive ;

- une obligation de confidentialité est prévue à l’encontre des représentants des travailleurs ;

- les États membres peuvent prévoir que, sous certaines conditions, l’employeur n’est pas tenu de transmettre les informations aux représentants des travailleurs ;

- prévoit qu’elle n’affecte pas les dispositions spécifiques de la directive « transfert d’entreprise ».

➤ La directive 2009/38 du 6 mai 2009 relative au comité d’entreprise européen :

- depuis la directive 94/45 du Conseil du 22 septembre 1994, dans les entreprises ou groupes d’entreprises employant au moins 1000 travailleurs dans l’ensemble des États membres et, dans au moins deux États membres différents, au moins 150 travailleurs dans chacun d’eux, un comité d’entreprise européen ou une procédure d’information et de consultation peut être mise en place par accord entre la direction centrale et un groupe spécial de négociation ;

- des prescriptions subsidiaires sont applicables dans certaines hypothèses (lorsque les parties le décident, en cas de refus de négocier de la direction et en cas d’impossibilité d’aboutir à un accord) ;

- c’est désormais la directive 2009/38 qui régit cette question. Si cette directive intègre quelques avancées issues de la jurisprudence de la C.J.U.E., elle reste encore imprécise sur les modalités d’une information et d’une consultation et déçoit sur le critère de transnationalité justifiant la compétence du Comité d’entreprise européenne ;

- la directive 2009/38 « ne porte pas atteinte » à la procédure spécifique de la directive 2001/23.

➤La directive 2001/86/CE du Conseil du 8 octobre 2001 complétant le statut de la Société européenne pour ce qui concerne l’implication des travailleurs :

– régit les règles de participation et d’information et de consultation des représentants des travailleurs au sein d’une société européenne (SE) ;

– en principe, aucune SE ne peut être constituée par l’assemblée générale tant qu’un modèle de participation décrit par la directive n’a pas été choisi ;

– prend en considération le modèle de participation des travailleurs en cas de constitution d’une SE par fusion ou transformation ;

– dans certaines hypothèses, notamment en cas d’absence d’accord sur la participation des travailleurs, des dispositions de référence sont applicables. Ces dispositions prévoient l’information et la consultation des représentants des travailleurs en cas de transfert d’entreprise ;

– aucune disposition n’est consacrée à l’articulation avec la directive 2001/23 ;

– cette directive reste la directive la plus aboutie sur la définition de l’information et de la consultation : article 2 « i) « information », le fait que l’organe représentant les travailleurs et/ou les représentants des travailleurs sont informés, par l’organe compétent de la SE, sur les questions qui concernent la SE elle-même et toute filiale ou tout établissement situé dans un autre État membre ou sur les questions qui excèdent les pouvoirs des instances de décision d’un État membre, cette information se faisant à un moment, d’une façon et avec un contenu qui permettent aux représentants des travailleurs d’évaluer en profondeur l’incidence éventuelle et, le cas échéant, de préparer des consultations avec l’organe compétent de la SE ; j) « consultation », l’instauration d’un dialogue et l’échange de vues entre l’organe représentant les travailleurs et/ou les représentants des travailleurs et l’organe compétent de la SE, à un moment, d’une façon et avec un contenu qui permettent aux représentants des travailleurs, sur la base des informations fournies, d’exprimer un avis sur les mesures envisagées par l’organe compétent, qui pourra être pris en considération dans le cadre du processus décisionnel au sein de la SE ».

➤La directive 2014/95/UE du 22 octobre 2014 modifiant la directive 2013/34/CE en ce qui concerne la publication d’informations non financières:

– le texte vise « les entités d’intérêt public dépassant à la date de clôture de leur bilan le critère du nombre moyen de 500 salariés sur l’exercice » sans condition de chiffre d’affaire ;

– ces entités seront tenues de publier chaque année une déclaration non financière qui comprendra des informations « sur les incidences des activités de l’entreprise relatives, au minimum aux questions environnementales, sociales, ainsi qu’au respect des droits de l’homme et à la lutte contre la corruption » ;

– la directive ne prévoit pas de sanction spécifique. L’entité devra seulement en cas de manquement fournir « une explication claire et motivée » ;

– la directive a surtout attiré l’attention sur la possibilité pour l’entité d’occulter dans certains cas, certaines informations sensibles. Elle devra alors présenter un avis dûment motivé de ses organes de direction ou de surveillance.

Vers une directive unique sur l’information et la consultation ?

La Commission européenne, dans le cadre d’un programme (Refit) visant à simplifier, alléger les charges réglementaires et alléger la législation de l’Union, envisage une consolidation des directives de l’Union sur l’information et la consultation des travailleurs. Un « Bilan de qualité » sur le droit de l’Union européenne en matière d’information et de consultation des travailleurs constate que la directive « transfert », la directive « licenciements collectifs » et la directive 2002/14 « cadre général », sont, dans l’ensemble, « adaptées à leur finalité », c’est-à-dire qu’elles sont généralement pertinentes, efficaces, cohérentes et efficientes (les avantages qu’elles génèrent sont probablement supérieurs à leurs coûts). Mais des remarques ont été émises sur la formulation et les définitions de certaines notions des directives.

La Commission a lancé la première phase de consultation des partenaires sociaux sur cette consolidation. Dans un document de consultation[22], la Commission s’interroge sur le champ d’application des directives concernées

sur les petites et moyennes entreprises, sur les marins et le secteur

public. La Commission constate la différence des définitions de l’information et de la consultation dans les directives. Elle estime que « des définitions uniformisées sont à même de rendre l’application des directives plus facile et plus simple et de contribuer ainsi à un exercice effectif des droits et des obligations de tous les acteurs concernés, à savoir les employeurs, les travailleurs et les administrations publiques ». Toutefois, elle souligne qu’il « convient de veiller à ce que l’alignement des définitions ne se traduise pas par une régression injustifiée de la protection des travailleurs ». Selon la Commission, la refonte des trois directives pourrait aligner les définitions des notions essentielles (« information » et « consultation ») et clarifier l’exclusion de l’administration publique du champ d’application des trois directives. Il est nécessaire aussi de déterminer si les dispositions que ne font pas partie de l’information et de la consultation (maintien des droits des travailleurs par ex.) doivent être intégrées dans la directive refonte. La Commission y est favorable pour des raisons de simplification, d’accessibilité et de lisibilité. Enfin, il devrait être précisé que la législation européenne en matière des données à caractère personnel devrait être respectée.

➤Communication de la Commission du 13 décembre 2013 relative à un cadre de qualité de l’Union européenne pour l’anticipation des changements et des restructurations, COM (2013) 882 final :

La Commission soumet aux « parties prenantes » des bonnes pratiques en matière de restructuration, issues d’exemples concrets qui concernent des actions et instruments anticipateurs, à mettre en oeuvre en permanence, et de mesures de gestion de processus de restructuration spécifiques.


Références

  1. F. Gaudu et R. Vatinet, Les contrats de travail – Contrats, conventions et actes unilatéraux, coll. Traité des contrats (sous la dir. de J. Ghestin), Paris, LGDJ., 2001, 625 p., spéc. n° 395.
  2. La disposition trouvait sa place dans l’art. 23, al. 8, du Livre I du Code dans sa version antérieure à 1973. Elle fut ensuite reproduite à l’art. L. 122-12 du Code du travail. Depuis le 1er mai 2008, elle figure à l’art. L. 1222-4 du Code du travail.
  3. Voy. P. Rémy, « Brèves observations sur les relations entre le droit communautaire et les droits nationaux, le droit français en particulier », Droits d’ici, droits d’ailleurs, Rev. dr. trav., 2011, p. 132.
  4. JOCE, L 61, 5 mars 1977, p. 26.
  5. Voy. infra, n° 12.
  6. Directive 98/50/CE du Conseil du 29 juin 1998 modifiant la directive 77/187/CEE concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises, d’établissements ou de parties d’établissements, JOCE, L 201, 17 juillet 1998, p. 88.
  7. JOCE, L 82, 22 mars 2001, p. 16.
  8. Art. 151, § 1er, TFUE
  9. C.J.C.E., 6 novembre 2003, Martin e.a., C-4/01, pt 41, ECLI:EU:C:2003:594, Rec. C.J.C.E., p. I-12859 ; C.J.C.E., 27 novembre 2008, Juuri, C-396/07, pt 23, ECLI:EU:C:2008:656, SSL, supplément, 2 mars 2009, n° 1389, p. 43, obs. S. Laulom.
  10. C.J.C.E., 12 février 2009, Klarenberg, C-466/07, pt 40, ECLI:EU:C:2009:85 ; RJS, 6/2009, n° 439, obs. J.-Ph. Lhernould.
  11. Voy. C.J.C.E., 11 juillet 1985, Foreningen ef Arbejdsledere i Danmark, C-105/84, ECLI:EU:C:1985:207, Rec. C.J.C.E., p. 2639.
  12. C.J.C.E., 15 décembre 2005, Güney-Görres et Demir, C-232/04 et C-233/04, pts 31 et 40, ECLI:EU:C:2005:778, Rec. C.J.C.E., p. I-11237.
  13. C.J.C.E., 9 mars 2006, Werhof, C-499/04, pt 31, EU:C:2006:168, Rec. C.J.C.E., p. I-2397 ; C.J.C.E., 18 juillet 2013, Mark Alemo-Herron e.a. c/ Parkwood Leisure Ldt, C-426/11, pt 25, ECLI:EU:C:2013:521, RTDEur., 2014, p. 525, comm. S. Robin-Olivier ; R. Zahn, « The Court of justice of the european union and transfers of undertakings, implications for collective labour rights », European Labour Law Journal, 2015, vol. 6, n° 1, p. 72 ; dans une application plus favorable aux intérêts des travailleurs, voy. C.J.U.E., 11 septembre 2014, Österreichischer Gewerschaftsbund c/ Wirtschaftskammer Österreich, C-328/13, pts 29 et 30, EU:C:2014:2197, RJS, 12/2014, n° 699, chron. H. Tissandier.
  14. C.J.U.E., 18 juillet 2013, Mark Alemo-Herron e.a. c/ Parkwood Leisure Ldt, C-426/11, pts 30 et s., précité.
  15. Voy. infra, n° 11
  16. Cass. civ., 27 février 1934, Goupy, S., 1934, n° 1, p. 179 ; Gaz. Pal., 1934, n° 2, p. 40 ; E. Dockès, A. Jeammaud, J. Pélissier et A. Lyon-Caen, Les grands arrêts du droit du travail, 4e éd., Paris, Dalloz, 2008, n° 62, p. 305. C’est dans ce cas, l’objectif de « garantir aux salariés la stabilité de l‘emploi » (Cass. soc., 16 avril 1959, Bull. civ., 1959, IV, n° 474) qui est mis en avant.
  17. S. Laulom, « Les dialogues entre juge communautaire et juges nationaux en matière de transfert d’entreprise », Dr. soc., 1999, p. 821.
  18. Voy. C.J.U.E., 19 janvier 2010, Kücükdeveci, C-555/07, ECLI:EU:C:2010:21, Rec. C.J.U.E., p. I-365.
  19. Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : « Art. 30 Protection en cas de licenciement injustifié : Tout travailleur a droit à une protection contre tout licenciement injustifié, conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales ».
  20. C.J.U.E., 15 janvier 2014, AMS, C-176/12, ECLI:EU:C:2014:2 ; S. De La Rosa, D., 2014, p. 705 ; E. Dubout, RTDEur., 2014, p. 409 ; J. Icard, Dr. soc., 2014, p. 408 ; I. Meyrat, Dr. ouvrier, 2014, p. 546.
  21. Voy. par ex., pour le droit à congé annuel payé, C.J.U.E., 19 septembre 2013, Commission c/ Guido Strack, C-579/12, ECLI:EU:C:2013:570.
  22. Document de consultation du 10 avril 2015, COM (2015) 2303 final.


Voir aussi

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