Les émoticônes face à la PI : quand la marque rit jaune (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Dreyfus & associés, Cabinet Parisien
Mars 2018













Symptômes de la révolution du langage à l’ère d’internet, les émoticônes, sortes d’ « émotions numérisées », se sont confrontées au droit des marques.


Les émoticônes sont des suites de caractères qui relatent les émotions, sentiments ou encore ressenties dans un discours écrit. Aujourd’hui largement utilisés sur les réseaux sociaux, la paternité de ces derniers est encore un sujet à débat.


Bien que l’idée de dessiner une figure souriante soit largement antérieure, il semble que le premier à utiliser l’émoticône à proprement parler soit le New York Herald Tribune en 1953 lors d’une campagne publicitaire. Personne ne chercha cependant à cette époque à protéger la petite figure souriante.


Un sourire suspicieux pour la marque

Il est incontestable que les émoticônes sont devenus un élément incontournable de notre société ; il est donc tout naturel que les sociétés s’y soient intéressées. Largement utilisés dans le monde du marketing, comme en témoigne par exemple la campagne publicitaire de McDonald’s, de nombreuses sociétés ont tenté d’acquérir un droit de marque sur ces suites de caractères, sensés exprimer les émotions de leurs émetteurs.


Le droit de la propriété intellectuelle s’est vue alors questionnée, principalement en ce qui concerne le caractère distinctif – nécessaire à l’enregistrement d’une marque – de ces signes totalement banalisés.


Il est intéressant pour analyser ce point d’observer sur ces dernières années la jurisprudence en Europe mais également aux Etats-Unis. A vos marques, prêts ? Souriez !


Les Etats- Unis, enclins à un tel enregistrement

La société Despair. Inc. (du site satirique despair.com) avait créé le buzz en enregistrant l’émoticône « :-( » en 2000 à titre de marque et en annonçant son intention de poursuivre les 7 millions d’utilisateurs qui y porteraient atteinte. Le site a plus tard annoncé la portée satirique de cette menace, qui visait à souligner certains aspects jugés absurde de la propriété intellectuelle.


Despair. Inc critiquait notamment l’accaparation d’une protection par certaines sociétés de signes pourtant déjà banalisés. De quoi, en effet, faire sourire …


Cet événement avait néanmoins souligné un point intéressant : un tel enregistrement avait totalement été toléré Etats-Unis qui ne semblaient alors pas gênées par un potentiel manque de caractère distinctif ou par le fait d’appliquer un droit de propriété intellectuelle sur un signe appartenant au domaine public.


Une Europe moins souriante ?

C’est d’abord en France, en 1971 que l’histoire sourit au jeune entrepreneur Franklin Loufrani. Il avait alors déposé une figure stylisée nommée « Smiley » à titre de marque et créé la société The Smiley Company, aujourd’hui basée à Londres et titulaire des droits du sourire jaune.


Confrontée à de nombreux litiges, la marque de Loufrani n’a pas perdu la face, faisant par exemple condamner en 2005 le fournisseur d’accès AOL pour avoir exposé un smiley sur sa page d’accueil ou encore, en 2006, la chaîne d’ameublement Pier Import pour commercialisation de « ballons souriants ».


Les tribunaux ont à chaque fois, validé le caractère distinctif du smiley et jugé qu’aucune banalisation du signe antérieurement à l’enregistrement ne pouvait être prouvée. La marque jaune est-elle infaillible ?


Enregistrée dans plus de 100 pays, rien n’indique que d’autres tribunaux seront aussi cléments envers elle dans de futurs litiges…


Le doute est d’autant plus probant que les juridictions européennes ont été beaucoup moins enclines à l’enregistrement d’émoticônes.


De nombreux tribunaux et cours, aussi bien nationaux qu’européens se sont vus réticents à l’idée d’un tel enregistrement.


En effet l’EUIPO a rejeté la demande d’enregistrement de la société Pricer AB portant sur le signe « ;-( » (EUIPO, 3 Octobre 2011, ref. no. V2909 IEUOO/AD/cer), arguant notamment qu’il était contraire à l’intérêt public qu’une entreprise puisse disposer d’un monopole sur un signe aussi banalisé.


Elle avait également soulevé le manque de caractère distinctif du signe.


Cette décision a été suivie par les tribunaux allemands et finlandais concernant d’autres émoticônes.


Reste à savoir si les tribunaux français s’aligneront sur ces dernières jurisprudences.