Les Présidentielles françaises ou l’efficacité d’une élection en trois rounds (fr)

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Auteur : Sandrine Cursoux-Bruyère, Maître de conférences à l’Université Catholique de Lyon


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Article publié dans la Revue Juridique n°17 de l'Université Saint-Esprit de Kaslik, partenaire de la GBD


Abstract
Even if the evolution is in a same direction, terms and conditions of presidential french elections have evolved since 1958. Several major changes can be mentioned, like introduction of direct universal suffrage, of the five years presidential mandate or organisation of primaries presidential elections. The aim of these amendments was to increase President’s democratic legitimacy. Is the result very convincing ?


Le 6 mai 2012 les Français élisaient François Hollande à la Présidence de la République[1] et très vite des premiers sondages indiquaient que ces mêmes Français ne lui faisaient pas majoritairement confiance pour assurer une bonne gestion du pays[2]. Pourtant, le candidat Hollande avait remporté les trois étapes électives de son parcours présidentiel. En premier lieu, il s’était imposé dans son propre camp en gagnant la primaire de la gauche[3]. Ensuite, dans la foulée de son élection à la Présidence de la République, les élections législatives amenèrent une nouvelle majorité de Gauche à l’Assemblée nationale[4], désignée sur la base du programme présidentiel, lui permettant ainsi de nommer le Premier ministre de son choix[5]. Comment, compte tenu de ce cadre électif, comprendre cette rapide et constante remise en question par les Français de la légitimité de leur Président ?


Il ne s’agit pas ici pour nous d’aborder la question sous un angle politique[6], mais en revanche purement institutionnel. En effet, les conditions de l’élection présidentielle française ont été à plusieurs reprises remaniées au motif que l’on souhaitait mieux répondre aux critères de légitimité démocratique. En 1962 lorsque le Général De Gaulle propose, par référendum, de réviser la Constitution pour instaurer l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, il présente la réforme comme indispensable pour donner une légitimité directe au Chef de l’État et ainsi lui permettre d’exercer pleinement les pouvoirs que la Constitution lui confère[7]. Presque quarante années plus tard, la révision sur le quinquennat est à son tour présentée comme nécessaire pour un fonctionnement plus démocratique de la Ve République[8]. Cette réduction du mandat présidentiel sera accompagnée de l’inversion du calendrier électoral, positionnant ainsi, dans le principe, les élections législatives immédiatement après les élections présidentielles[9]. En cas de concordances politiques des résultats, le Chef de l’État nouvellement élu se voit ainsi conforté par la majorité parlementaire;


À ces réformes normatives de niveau constitutionnel ou législatif qui ont pour vocation affichée d’assurer plus de légitimité démocratique au Chef de l’État, s’ajoute à présent une démarche, certes facultative mais de plus en plus répandue, au niveau des partis politiques : l’organisation de primaires dont l’objet consiste à désigner un candidat unique du parti à l’élection présidentielle. Inspiré de la pratique américaine, le but est d’en finir avec les candidatures internes autoproclamées et ainsi présenter un candidat qui bénéficie déjà du soutien d’un nombre significatif de sympathisants d’une mouvance politique[10].

Si ces trois rounds électifs tendant à l’accroissement de légitimité du Chef de l’État français apparaissent de prime abord une évolution positive dans une société démocratique, le sentiment pour le moins, la réalité pour le plus –probablement amplifiée par les médias, d’une situation de campagne présidentielle permanente l’est-elle ? Le déroulé de trois campagnes successives et imbriquées – seulement deux dans l’hypothèse d’une candidature hors primaire- ne serait-il pas au contraire contreproductif et ne conduirait-il pas paradoxalement à une décrédibilisation accélérée de tout nouveau locataire du Palais de l’Élysée ?

En effet, ce système tendrait, selon nous, à positionner plus ou moins consciemment, les électeurs dans une quête assez improbable du Président providentiel (première partie). Dans ces conditions, quelles seraient les perspectives favorables à l’instauration d’une légitimité présidentielle plus pérenne (deuxième partie) ?


La quête improbable du Président providentiel

Si ce processus électoral en trois temps renforce encore une forme de personnalisation du pouvoir politique, caractéristique d’un certain

Les Présidentielles françaises ou l’efficacité d’une élection en trois rounds ? | 105 nombre de démocraties contemporaines d’ailleurs (1)[11], on ne peut que constater en même temps l’effet paradoxal de cette campagne présidentielle permanente (2).

La personnalisation du pouvoir politique

Face aux défaillances souvent pointées du doigt de la démocratie représentative, l’argument le plus simple consisterait à dire que trois scrutins (incluant donc les primaires, l’élection présidentielle proprement dite et les élections législatives) pour désigner le Président de la République valent mieux qu’un ! Du point de vue de la légitimité démocratique, quantité rimerait donc avec qualité ! S’il est évident que de ce point de vue le processus apporte un certain nombre de satisfactions notables[12], il est aussi significatif d’un renforcement de la personnalisation du pouvoir politique qui conduit à s’interroger. Tout d’abord, l’accentuation de la personnalisation du pouvoir politique constante depuis les débuts de la Ve République, se réalise à présent dans le contexte d’une crise de leadership qui touche autant la Droite que la Gauche. S’agit-il là réellement du bon remède à ce qui serait alors considéré comme un mal du politique français ?

En effet, déjà en 1962, le Général De Gaulle justifiait l’élection du Président de la République au suffrage universel direct comme un moyen d’assurer l’exercice effectif de ses pouvoirs[13] et son rôle, validé démocratiquement, de leadership notamment vis-à-vis de son Premier ministre[14]. Quelques années plus tard, la première cohabitation révélait que ce leadership ne résistait pas à une situation de cohabitation. Le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral en limitant les éventualités de cohabitation, ont alors eu vocation à restaurer ce leadership présidentiel.


Toutefois, cela est apparu encore insuffisant et ainsi, à travers l’organisation de primaires, ce leadership démocratique doit à présent se construire dès la candidature aux élections présidentielle. Si ce dernier niveau[15] s’explique aussi par la difficulté au sein même des partis à désigner un candidat naturel à l’élection présidentielle[16], il conduit plus encore à s’interroger quant à savoir si la personnalisation du pouvoir opérée par ce cumul de scrutins, est la mieux à même à fonder un solide leadership présidentiel.

À cette tentative de « leadership de scrutins » ne devrait-on pas plutôt substituer un « leadership de programme » ? En effet, la personnalisation du pouvoir impliquée par ce processus électoral conduit à s’intéresser pour l’essentiel à la personne du « candidat président »[17] et non plus au projet qu’il est sensé porter. Cette personnalisation du pouvoir présidentiel apparaît alors bien incapable, dans le contexte démocratique actuel de la France, de pérenniser la légitimité démocratique du Président nouvellement élu.

En effet, ce processus en trois temps, conduit le candidat à présenter finalement trois programmes successifs en recherchant, au fur et à mesure des scrutins, à plus rassembler et à élargir son champ électoral. Le programme du candidat à la primaire doit convaincre une majorité des sympathisants du parti en se différentiant des autres candidats internes au parti. Le vainqueur de la primaire doit ensuite présenter un programme rassembleur et incarner le parti dans son ensemble. Pour obtenir le soutien des différents concurrents à la primaire, il devra donc s’agir d’un programme de conciliation. Enfin, toute majorité parlementaire étant « une majorité de conciliation, même si le principal parti détient la majorité absolue, de sorte que la mise au point du programme du Gouvernement implique un minimum de concertation avec les groupes associés et un accord avec les décisions concrètes qui vont être prises[18] », le programme présidentiel présenté pour les législatives devra être adapté pour répondre aux exigences de cette campagne et permettre la désignation d’une majorité parlementaire en faveur du Président. Ainsi, dans un même processus électif, sur une période de dix mois tout au plus, une même personne va devoir incarner trois programmes, probablement de plus en plus édulcoré, pour pouvoir satisfaire une base qui doit aller en s’élargissant.

Les effets sont multiples mais tous concourent à réduire dans le temps la légitimité démocratique de tout nouveau Président de la République.

Ainsi, au moment où il commence à exercer le pouvoir (durant l’été qui suit son élection), le Chef de l’État s’est déjà livré à un certain nombre de compromissions programmatiques qui ont généré des déceptions et les choses vont empirer au moment de la confrontation avec les réalités. Cela explique que « l’état de grâce présidentiel » se raccourcisse de plus en plus (à peine quelques semaines à présent, contre plusieurs mois précédemment). Compte tenu de ces variations programmatiques inévitablement impliquées par ce processus, la stratégie électorale va alors consister à chercher à attacher l’électeur potentiel plus à la personnalité du candidat, qui a priori devrait rester la même, qu’au programme.

Ainsi la personnalisation du pouvoir renforcée par ce processus électoral n’aboutit pas à l’objectif recherché, c’est-à-dire qu’elle ne permet pas l’instauration pérenne d’un leadership. De plus, elle conduit à une orientation du débat d’abord autour des caractéristiques personnelles du candidat (son style, son apparence calme ou plus emportée, sa présidentiabilité...), au point que le projet politique apparaisse bien secondaire[19].

Ne pourrait-on pas alors considérer que ce contexte de campagne permanente induit de ces trois joutes électorales, loin d’être le signe d’une démocratie moderne et sereine, serait en réalité le vecteur d’effets contreproductifs au regard notamment d’une certaine forme d’éthique politique ?

Le contexte de campagne électorale permanente

Loin de nous l’idée de développer ici une approche globale de ce que serait l’éthique en politique. Beaucoup plus modestement, nous souhaiterions mettre en lumière le fait que la quête de l’Homme providentiel se pervertit d’elle-même. En effet, le contexte de campagne électorale permanente pousse les candidats, à trois reprises, à une forme de surenchère. Ceci est d’autant plus paradoxal que l’une des qualités principales, selon les Français, du futur Président doit être l’honnêteté[20].

La tendance aux promesses électorales non tenues n’est pas nouvelle, il n’empêche que le processus électoral présidentiel a pour conséquence de développer plus encore « la démocratie d’opinion ». Ce concept assez flou désigne, « des évolutions aussi diverses que le règne d’une nouvelle force (l’opinion publique), l’omniprésence des sondages et leur médiatisation croissante, la personnalisation de la vie politique, ou encore l’affaiblissement des partis[21] ». Les médias jouent bien sûr un rôle déterminant dans le déroulement de ces campagnes en se faisant les porte-parole amplificateurs, notamment du moindre sondage[22]. Les Français deviennent, un peu malgré eux, addicted aux sondages et les candidats, pris dans le jeu de cette « démocratie sondagière[23] ». Au lieu de s’en tenir à un programme pré-établi, les candidats ont tendance à s’adapter aux demandes des électeurs potentiels que les sondages véhiculent. Les promesses fusent alors dans toutes les directions, au risque de se contredire, tout en restant très approximatives, la tendance est à faire « prévaloir la communication sur la délibération[24] ». Dans ces conditions, il est à craindre que le vainqueur ne bénéficiera finalement que d’une légitimité d’apparat, née de la meilleure stratégie électorale et de sa faculté à incarner la meilleure posture présidentielle du moment.

De surcroît, alors qu’il a dû faire preuve de beaucoup de persévérance et engranger un certain nombre de victoires pour parvenir à la fonction suprême, le Président nouvellement élu doit presque déjà repartir en campagne. En effet, le quinquennat a accéléré le rythme électoral, si bien que le temps d’action du Président et de son Gouvernement s’est réduit. Au bout d’à peine deux années de mandat, l’on commence à évoquer le bilan présidentiel et s’il s’agit d’un premier mandat, la volonté et la capacité du Président à se représenter[25]. L’année précédant l’élection présidentielle a toujours été une période peu propice aux réformes, le pouvoir en place ayant tendance à préparer sa reconduction en évitant toute décision susceptible de contrarier l’électorat et très tôt, l’on peut considérer qu’il est déjà en campagne. Toutefois, en rapprochant les échéances, le phénomène est d’autant plus amplifié.

De son côté, « pour le parti entré dans l’opposition après une défaite présidentielle, la primaire commence de fait le soir du second tour[26] ». Plutôt que de jouer leur rôle de contradicteur du pouvoir en place, les personnalités les plus en vue de l’opposition se positionnent déjà en concurrents « internes » pour la Présidentielle. En ce sens, ces guerres intestines participent à la fragilisation des partis en créant une situation d’union impossible au présent comme au futur. La campagne permanente implique donc autant les hommes politiques de l’opposition que le Président en place.

La pression médiatique joue également un rôle essentiel en entretenant ce contexte et en poussant à la réaction instantanée. Le Chef de l’État devient « un Président-pompier » qui doit rendre compte de toutes ses promesses électorales – celles-ci étant multiples et parfois contradictoires au regard des trois campagnes successives qu’il a pu mener lors du processus électoral- et faire montre d’une action sur le champ pour tenter de maintenir sa légitimité, au risque de rabaisser la fonction en la banalisant. Il s’agirait là d’une forme de « démocratie immédiate, avatar postmoderne d’une démocratie directe conjuguée à la pression médiatique de l’urgence et au rêve d’une parole aussitôt incarnée dans la réalité[27] ». Dans le même temps, l’opposition développe un jeu mêlé de dramatisation et de surenchère plus ou moins crédible.

Au-delà de lasser un certain nombre de Français, cette campagne permanente, sous forme de jeu de séduction, ne saurait en fin de compte être favorable à la création d’un débat politique serein et sincère. Il ressort ainsi que malgré les premières apparences, l’élection présidentielle française en trois rounds ne réponde pas complètement à son objectif de désigner un Chef de l’État dont la légitimité ne soit pas contestée. À partir de là, quelles sont les perspectives envisageables ?

La recherche d’une légitimité présidentielle confortée

Cette recherche peut emprunter deux voies. L’une consisterait à envisager des solutions certes radicales mais, à notre sens, impossibles à réaliser (1). La seconde viserait à aménager le système actuel en choisissant d’aller jusqu’au bout de la logique engagée. Cela consisterait à proposer un processus électoral présidentiel globalisé et par là même, à assumer pleinement la nature du régime de la Ve République (2).

Les solutions radicales impossibles

Puisque les diverses réformes concernant l’élection présidentielle n’ont su apporter une légitimité confortée au Chef de l’État français, la solution consisterait à « détricoter » cet ensemble et ainsi revenir à la situation de 1958 : un Président de la République élu au suffrage universel indirect pour sept ans. Pour avoir l’avantage de la simplicité, cette hypothèse en est d’autant plus improbable car elle revient à nier cinquante-huit années de pratique constitutionnelle !

Quoique l’élément le plus récent du processus de l’élection présidentielle, les primaires se sont déjà bien installées dans le paysage politique français28 et les citoyens participent de manière significative à ces votations29. Elles sont le plus souvent perçues comme « un maillon important dans une évolution de notre démocratie[28] ». Le retour au septennat, proposé notamment dans le Rapport Bartolone Winock[29], apparaît à ce jour bien improbable. Si le quinquennat n’a pas forcément eu pour effet pourtant espéré de renforcer la légitimité du Président, il n’est pourtant pas une cause mais plutôt une conséquence de la présidentialisation du régime qui avait débuté avec le septennat[30]. Le Président-arbitre sous la Ve relevant bien plus du mythe que de la réalité ! Le retour au septennat conduirait plutôt à renforcer l’idée d’un Président irresponsable pendant toute la durée de son mandat et en cela sa légitimité ne saurait s’en trouver renforcée.

La proposition la plus radicale consisterait à supprimer l’élection du Chef de l’État au suffrage universel direct. Outre que cette réforme a conduit à une polarisation de la vie politique française autour de cette élection, il ressort qu’elle n’a pas suffi pour assurer une assise incontestable au Président, voire qu’elle a pu fausser sa légitimité. En effet, lorsqu’en 2002, Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen s’affrontent au deuxième tour de l’élection, le Premier l’emporte sans que cela signifie pour autant que les 82, 21% d’électeurs qui ont voté en sa faveur le soutiennent vraiment. Une part de l’électorat ayant exprimé le rejet du candidat du Front national et non leur adhésion à Jacques Chirac, ce dernier ne pourra finalement jamais, au cours de son quinquennat, revendiquer cette, a priori, large légitimité.

Le retour à une désignation du Chef de l’État au suffrage universel indirect[31] aurait alors comme ambition de conduire la Ve République vers une forme plus classique de régime parlementaire moniste. Cette évolution nous apparaît en fait bien peu probable et ce pour un nombre significatif de raisons. Tout d’abord, la désignation du Président participe à un ensemble caractéristique, autant du texte de 1958 qui confère une position particulière au Chef de l’État[32], que de la pratique[33]. Ensuite, les Français étant habitués et attachés à cette élection, sa suppression serait immanquablement perçue comme « anti-démocratique » au sens où elle retirerait au peuple un moyen d’expression direct de sa souveraineté. Enfin, au regard du droit comparé européen[34], cela ne ferait que déplacer la problématique sur la désignation du Chef du Gouvernement.

En effet, quand bien même la réalité du pouvoir exécutif appartienne au Chef du Gouvernement, « des modes de légitimation alternatifs sont à présent privilégiés, en particulier les primaires de manière à désigner les candidats têtes de liste » compte tenu du fait que « la plupart des partis en Europe doivent faire face, (...), à une forte personnalisation de la vie[35] ». Ainsi, qu’il s’agisse de primaires plus ou moins ouvertes[36], cela revient toujours à organiser un scrutin exprimant l’expression directe des citoyens pour désigner celui qui incarnera in fine le pouvoir exécutif. L’intervention citoyenne est censée contester la démocratie conventionnelle mais en même temps elle en multiplie les procédés. Le leadership n’est pas suffisamment enraciné si bien qu’il doit être confirmé par plusieurs scrutins successifs, la spécificité française consistant seulement en ce que le récipiendaire se trouve être le Chef de l’État et non le Chef du Gouvernement[37].

Par conséquent, la solution ne résiderait-elle pas dans l’acceptation de ce qu’est la Ve République, en considérant le processus électoral présidentiel comme un tout avec en gage un gain de cohérence et de clarté juridiques ?

Pour un processus électoral présidentiel globalisé

Notre proposition tend à prendre en considération un double constat. D’une part, les trois rounds électoraux aspirent au même objectif, la désignation d’un chef de l’Exécutif légitime et en ce sens forment un tout bien perfectible encore. D’autre part, l’efficacité en termes de légitimité, du suffrage universel direct pour la désignation du Président de la Ve, tend à s’émousser du fait de la multitude des candidatures, la technique des parrainages ayant montré ses limites[38].

Tout d’abord, concernant la première étape - l’organisation d’une primaire - il apparaît à présent nécessaire, dans la mesure où de son résultat dépend la suite du processus électoral[39], d’en construire un cadre juridique plus uniforme et contraignant. En effet, un certain nombre de questions est généré par cette phase encore considérée comme « une pré-campagne », tant du point de vue de la détermination des listes électorales, que du financement, de la médiatisation ou encore du contrôle par une autorité de régulation et par un juge[40]. Il s’agirait de tendre vers la tenue de véritables « primaires présidentielles » au sens d’ « élections, organisées par les pouvoirs publics ordinairement habilités à cet effet et conformément à la législation de chaque État concerné[41]» et ainsi permettre une vraie sélection des candidats. Se pose alors la question du vecteur juridique de cette institutionnalisation. Si l’article 4 de la Constitution empêche, en l’état actuel, d’imposer aux partis politiques la tenue d’une primaire tout comme leur déroulement en dehors de leur propre structure, en revanche dans un premier temps, l’élaboration d’un droit électoral qui s’imposerait aux partis organisateurs est possible. La démarche éviterait de s’en remettre uniquement à une formation naturelle au sein des partis, quand bien même elle s’inspirerait d’un mimétisme du scrutin présidentiel, d’un « droit commun » des primaires[42]. Ce cadre légal, tout en répondant à des exigences techniques en termes démocratiques[43], permettrait de mettre à la disposition des partis qui le souhaitent le mode d’organisation d’une primaire. Gageons que la plupart des partis joue ce jeu[44] et en supprimant en même temps la technique des parrainages lors du scrutin présidentiel, les primaires ainsi institutionnalisées auraient vocation à devenir l’unique moyen de sélection des candidats à l’élection présidentielle. S’il demeure toujours la possibilité de candidatures marginales, il n’empêche qu’en créant un lien juridique entre les scrutins des primaires et celui de l’élection présidentielle, cette logique de globalisation renforcerait la légitimité des candidatures validées par ce processus.

La réduction du nombre de candidats au scrutin présidentiel conduirait à dégager, au premier tour, deux vainqueurs clairement identifiés permettant ensuite d’éviter au second tour une élection présidentielle par défaut. Dans la logique de ce qui se pratique déjà mais, en quelque sorte homologuée et renforcée par cette approche globalisée, les élections législatives auraient vocation à venir valider l’ensemble du processus électoral présidentiel.

La reconnaissance d’emblée du lien d’interpénétration de ces trois scrutins successifs inciterait à une forme de dépersonnalisation du processus au profit de l’expression d’une adhésion à un projet. Certes, l’évolution renforce encore la nature de régime présidentialiste majoritaire de la Ve République – telle qu’en tout état de cause voulue dès son origine et pratiquée depuis - mais en même temps elle va dans le sens d’une dépersonnalisation du pouvoir. À notre sens, le présidentialisme majoritaire peut se concevoir, à présent, en tant qu’incarné à travers un projet, mais non à travers une personne. En effet, la personnalisation excessive du pouvoir ne peut que conduire à une dévalorisation de la fonction présidentielle qui se doit de ne pas être perçue uniquement à travers le prisme d’un individu et de sa personnalité, trop facilement pris à défaut. Il nous semble qu’il s’agit là d’un défi majeur pour l’avenir de la Ve République. D’ailleurs, dans le cadre de la campagne électorale en cours, les partis politiques et les candidats eux-mêmes semblent avoir perçu cet impératif et tentent, parfois encore bien artificiellement, de plus orienter les débats autour de leur projet respectif. En tout état de cause, les résultats de la primaire de la Droite et du Centre, très éloignés des projections faites par les sondages, ont à ce stade de son parcours électoral, crédité François Fillon d’une forte légitimité et ce, sur la base d’un projet clairement identifié[45]. À voir dans les mois à venir, si le candidat dans sa posture et/ou son projet dans son contenu, évolue...

Bibliographie

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Références

  1. Au deuxième tour de l’élection, François Hollande obtient 51,64% des suffrages et Nicolas Sarkozy 48,36%.
  2. Plusieurs indicateurs peuvent être relevés. Par ex., sondage IFOP pour le Journal du dimanche, période du 18-25 mai 2012, portant sur « les indices de popularité » du nouveau couple exécutif, à la question : « êtes-vous satisfait ou mécontent de François Hollande comme Président de la République », 61% des personnes interrogées se disent satisfaites, parmi lesquelles 18% très satisfaites et 43% plutôt satisfaites. Par comparaison sur une période similaire suite à leur élection, Charles de Gaulle bénéficiait d’un crédit de satisfaction de 67% des personnes interrogées en 1958 et 61% en 1966, Nicolas Sarkozy de 65% alors que Valéry Giscard d’Estaing en 1974 de seulement 44%, 54% pour François Mitterrand en 1981 et 1988, 59% et 51% pour Jacques Chirac en 1995 et 2002. Toutefois, ensuite, « les sondeurs ont mesuré une baisse continue de la popularité de François Hollande », Ph. EUZEN et E. NUNES, « Popularité de François Hollande : un dévissage en quatre paliers », <www.lemonde.fr>, 6 mai 2014 : août 2012 : 54% des personnes interrogées se disent satisfaites, 37% en févr. 2013, 28% en août 2013, 23% en mars 2014. Sa côte de popularité est ensuite demeurée au-dessous des 20% de personnes satisfaites, frôlant même les 10% sur certaines périodes. « Popularité, François Hollande peut-il tomber encore plus bas ? », < Le Point.fr >, 4 sept. 2016 : 85% des personnes sondées ne souhaitent pas que le Chef de l’Etat se représente en 2017.
  3. 3. Officiellement nommée « Primaires citoyennes ». Il s’agit d’une élection organisée par le parti socialiste et le parti radical de Gauche les 9 et 16 oct. 2011, pour désigner leur candidat commun à l’élection présidentielle de 2012. François Hollande l’a remportée au deuxième tour face à Martine Aubry en recueillant 56,57% des voix des participants
  4. Élections législatives des 10 et 17 juin 2012. Au deuxième tour, la majorité présidentielle l’emporte avec 49, 93% des voix, devant la Droite parlementaire créditée de 44,12% des voix.
  5. Nomination, le 15 mai 2012, par un décret du Président de la République de Jean-Marc Ayrault, considéré comme un proche de François Hollande.
  6. Nous n’entendons pas ici porter un quelconque jugement sur le fond de la politique.
  7. Ch. DE GAULLE, Discours du 20 sept. 1962, extrait : « Pour que le Président puisse porter et exercer effectivement une charge pareille, il lui faut la confiance explicite de la nation ». Révision effectuée par la Loi référendaire n° 62-1292 du 6 nov. 1962, modifiant l’article 6 de la Constitution.
  8. Décret du 12 juill. 2000 décidant de soumettre un projet de révision de la Constitution au référendum, extrait de l’exposé des motifs : « Demeurée inchangée, la règle du septennat a ainsi pu contribuer à la mise en place et à l’affermissement des institutions nouvelles. Elle n’apparaît plus correspondre, aujourd’hui, à l’importance prise par la fonction et aux attentes des Français, qui doivent pouvoir se prononcer à intervalles plus rapprochés sur le choix du Chef de l’État, dont l’élection est l’occasion d’un vaste débat sur les grandes orientations de la politique nationale. Les conditions semblent aujourd’hui réunies pour que soit adopté le quinquennat. Le changement proposé, qui ne remet pas en cause l’équilibre des institutions, contribuera ainsi à la vitalité du débat démocratique ». Révision effectuée par la Loi constitutionnelle n° 2000¬964 du 2 oct. 2000.
  9. Loi organique n° 2001-419 du 15 mai 2001. Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur l’inversion du calendrier électoral pour 2002 et sur les institutions de la Cinquième République, à l’Assemblée nationale le 19 déc. 2000 : « En l’état actuel du calendrier, les élections législatives devraient sans doute se tenir les 10 et 17 mars, suivies de l’élection présidentielle les 21 avr. et 5 mai 2002. Ce calendrier est, on le sait, tout à fait fortuit. (...). Si ce calendrier était maintenu, pour la première fois dans l’histoire de la Cinquième République, on verrait le Président élu juste après les députés. Nombreux sont ceux qui pensent, après avoir examiné cette situation, qu’une telle séquence, sans précédent, fait peu de cas de la logique de nos institutions et qu’elle est contraire au bon sens. Il a donc été proposé de rétablir le calendrier normal quand il en était encore temps ».
  10. En vue de l’élection présidentielle de 2017, trois primaires sont organisées (ce qui n’exclut pas à ce stade des candidatures hors primaires issues de ces mouvances mêmes) : la « primaire ouverte de la Droite et du Centre » prévue pour les 20 et 27 nov. 2016, voir M. GOAR et A. LEMARIE, « Présidentielle de 2017 : l’UMP fixe les règles du jeu de la primaire à Droite », <www.lemonde.fr>, 2 avr. 2015, il s’agira d’une première pour la Droite française ; la « primaire de Gauche », prévue les 22 et 29 janv. 2017 ; la primaire organisée par EELV (Europe Écologie Les verts) fin oct. 2016. En revanche, d’autres partis n’organisent pas de primaire tel le Front national considérant comme naturelle la candidature de sa présidente, Marine Le Pen.
  11. Voir notamment M.-C. PONTHOREAU, « La désignation par les partis politiques des “candidats présidentiels” en Europe occidentale », Revue Pouvoirs, n° 138, 2011, p. 97-105.
  12. En ce sens, à propos des primaires, D. ROUSSEAU, « Les primaires : un sens et un projet démocratiques », Revue Pouvoirs, n° 138, 2011, p. 128 et s. L’auteur relève trois raisons principales de considérer que les primaires sont un instrument de la démocratie : « Les primaires ouvrent d’abord un temps long à la délibération politique », « Les primaires ouvrent ensuite un large espace à la délibération politique », « Les primaires ouvrent enfin une procédure civique de désignation des candidats ».
  13. Ch. DE GAULLE, Discours du 20 sept. 1962 précité.
  14. ID., Conférence de presse du 31 janv. 1964.
  15. Qui se trouve en fait être le premier dans le déroulé du parcours du candidat à la Présidence de la République
  16. Dans le même sens, D. ROUSSEAU, « Les primaires : un sens et un projet démocratiques », p. 126 : « Les primaires ouvertes aux citoyens sont d’abord proposées dans un contexte marqué par l’absence d’un chef imposant par ses qualités personnelles et politiques son autorité à son camp », également A. BERGOUNIOUX, « Primaires or not primaires », Revue Pouvoirs, n° 138, 2011, p. 47-56.
  17. Notamment sa vie privée....
  18. P. AVRIL, « Les primaires : un affaiblissement de la démocratie ? », Revue Pouvoirs, n° 154, 2015, p. 141.
  19. Du programme on ne retiendra finalement le plus souvent qu’un condensé sous forme de petites phrases : le « travailler plus pour gagner plus » du candidat Sarkozy en 2007, « mon ennemi, la finance » du candidat Hollande en 2012
  20. Pour 71% des personnes interrogées, « Le Président de la République idéal pour les Français », Sondage ELABE pour Europe 1, 22 avr. 2016. À noter que de ce point de vue l’exigence augmente, puisque dans un sondage CSA du 12 janv. 2012, l’honnêteté était pour 53% des sondés une qualité recherchée
  21. R. LEFEBVRE, « Démocratie d’opinion, démocratie des partis ? », Les cahiers français, n° 370, 2012 ; I D., « Les primaires : triomphe de la démocratie d’opinion ? », Revue Pouvoirs, n° 154, 2015, p. 111-123, notamment p. 120 : « Dans le régime de la Vème République, logiques d’opinion, sondomanie, présidentialisation, communication politique et personnalisation font système ».
  22. Pour une critique des conditions dans lesquelles se déroulent ces sondages : R. LEFEBVRE, « Les primaires : triomphe de la démocratie d’opinion ? », p. 117 et s.
  23. Ibid, p. 114.
  24. P. AVRIL, « Les primaires : un affaiblissement de la démocratie ? », p. 136. L’auteur vise ici la primaire présidentielle, tout en considérant que cette tendance est commune à toutes les élections.
  25. Ainsi le Président François Hollande, compte tenu de son impopularité, a renoncé début déc. 2016 à briguer un deuxième mandat, voir Le Monde du 2 déc. 2016, « Hollande renonce à briguer un deuxième mandat ».
  26. R. LEFEBVRE, « Les primaires : triomphe de la démocratie d’opinion ? », p. 120.
  27. 27. M. HASTINGS, « Primaires et nouvel imaginaire démocratique », RDP 2007, p. 553. L’auteur constate : « cette accélération des temporalités politiques emmenant dans son sillage le retour des impatiences avivées par les logiques tyranniques de l’opinion et de l’émotion ».
  28. A. BERGOUNIOUX, « Primaires or not primaires », p. 56.
  29. Rapport du groupe de travail sur l’avenir des institutions, n° 3100, adopté le 2 oct. 2015, sous la présidence de MM. BARTOLONE et WINOCK, proposition n° 7.
  30. En ce sens, Ph. BLACHER, « Peut-on Refaire la démocratie ? Observations sur le rapport du Groupe de travail sur l’avenir des institutions (Rapport Bartolone Winock) », JCP 2015, p. 2141.
  31. Pour une évolution en ce sens avec une présentation des modalités envisageables, v. F. MELIN-SOUCRAMANIEN, « Devenir candidat : quel filtre ? », Revue Pouvoirs, n° 138, 2011, p. 28 et s
  32. On pense notamment à l’attribution de pouvoirs propres, article 19 a contrario de la Constitution.
  33. On pense notamment à la pratique de la « révocation-démission » du Premier ministre.
  34. On mettra volontairement de côté le cas des États-Unis d’Amérique compte tenu d’une différence de contexte politique et institutionnel.
  35. M.- C. PONTHOREAU, « La désignation par les partis politiques des candidats présidentiels en Europe occidentale », p. 100.
  36. Ibid. pour une étude des différents cas de figure, notamment en Italie, Royaume-Uni, Grèce.
  37. En ce sens, M. C. PONTHOREAU, « La désignation par les partis politiques des candidats présidentiels en Europe occidentale », p. 100 qui cite T. POGUNTKE, P. WEBB (éd.), The Presidentialization of Politics. A Comparative Study of Modern Democracies, Oxford University Press, 2005, et évoque la « présidentialisation du système politique et institutionnel ».
  38. En ce sens, F. MELIN-SOUCRAMANIEN, « Devenir candidat : quel filtre ? », p. 23 et s.
  39. Ainsi, pour A. LEVADE, « Le droit des primaires : règles, contrôle, finances, sanctions », Revue Pouvoirs, n° 154, 2015, p. 101 : « Les règles juridiques qui l’encadrent doivent répondre aux exigences d’un scrutin démocratique qui présente la particularité paradoxale d’être régi par des règles de droit privé et conditionnera nécessairement la bonne tenue d’une élection politique à caractère national dont le cadre légal est précisément fixé »
  40. 42. Pour une présentation de l’ensemble de ces problématiques, voir notamment A.-C. BEZZINA, « La précampagne présidentielle : et après ? », Politea, 2013, p. 335 à 355.
  41. D.-L. SEILER, à propos des primaires américaines, « Primaires ? Vous avez dit primaires », RDP 2007, p. 568.
  42. Pour un « droit commun » des primaires en formation, en tant que produit du « droit interne » des partis politiques, voir A. LEVADE, « Le droit des primaires : règles, contrôle, finances, sanctions », p. 106.
  43. Détermination du corps électoral, des modalités de déroulement d’une campagne électorale, d’institutions de contrôle...
  44. Sensible aux tendances de l’opinion publique, ce moyen de légitimation de la candidature à l’élection présidentielle ne pourra pas être longtemps ignoré de certains partis.
  45. Voir sondage BFMTV à la veille du premier débat des candidats à la primaire de la Droite et du Centre, 12 oct. 2016 : « Le premier résultat à retenir est qu’Alain Juppé apparaît comme le candidat obtenant la meilleure cote de bonnes opinions : 55% des personnes interrogées ont une “bonne opinion” et parmi elles, 16% ont une “très bonne opinion” de lui. Assez loin derrière, Bruno Le Maire (40%) et François Fillon (37%) complètent le podium avec respectivement 40% et 37% d’opinions favorables ». Le 27 nov. 2016, François Fillon remporte la primaire de la Droite et du Centre avec 66,5% des suffrages.