Les abus de liberté d'expression commis sur internet encadrés par la loi sur la liberté de la presse (fr)

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Article juridique publié le 13/12/2016
Auteur : MAITRE ANTHONY BEM



La liberté d'expression repose sur la conciliation de deux impératifs :

  • D'une part, la liberté d'expression, consacrée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;< br>
  • D'autre part, la nécessaire répression des abus commis dans le cadre de cette expression.

Les abus commis dans le cadre de cette expression sont sanctionnés selon loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Le droit de l'expression en ligne est ainsi gouverné essentiellement par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui traite des "délits de presse" tels que la provocation aux crimes ou délits suivis d'effet ou non suivie d'effet, la diffamation, l'injure, l'outrage, la contestation de crime contre l'humanité commis lors de la Seconde guerre mondiale, etc ...

Les abus de la liberté d'expression sont des délits pénaux essentiellement jugés devant le tribunal correctionnel.

Selon le ministre Jules Cazot, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse a été définie en un seul mot : « c'est une loi de liberté, telle que la presse n'en a jamais eu en aucun temps ».

En effet, afin de favoriser la liberté d'expression la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse a institué un régime procédural original avec :

* des courts délais de prescription ;
* des exigences élevées de formalisme à peine de nullité.


A l'époque, ce régime juridique était justifié par le caractère éphémère de la presse papier et la rapide disparition du support de l'infraction.

Malgré les modifications de la loi du 29 juillet 1881, aucune révision globale de la loi n'est jamais intervenue.

Or, l'évolution des techniques de communication et la liberté d'expression nécessiterait en 2016 des adaptations plus importantes.

La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dite « LCEN », était elle-même désuète dès son entrée en vigueur, en l'absence de prise en considération du web participatif.

Le web dit participatif ou communautaire est celui où chacun s'exprime librement sur tout, n'importe qui, n'importe quand, n'importe où et pour toujours sur la toile.

En 2004, le législateur ne pouvait pas prendre en cause, les problématiques juridiques concernant tous les sites internet qui allaient se créer Facebook, Twitter, Instagram, YouTube, etc ... En 2004, ces derniers n'existaient pas.

Aujourd'hui, les sites de médias qui proposent d'ouvrir des blogs et pratiquent un contrôle du contenu mis en ligne par des "blogueurs" ou des tiers n'engagent juridiquement leur responsabilité que sous certaines conditions, en cas de poursuite des propos illicites d'internautes devant les tribunaux, malgré l'arrêt "Delfi" de la Cour Européenne des Droits de l'homme.

En 2016, l'équilibre entre la liberté d'expression et la répression des abus de cette liberté sur internet n'est pas correctement assuré.

Les régimes de responsabilité des acteurs du web et des professionnels de la communication électronique ne sont pas encadrés comme ils le mériteraient.

En effet, le développement des supports de communication en ligne, tels que les sites de réseaux sociaux, blogs, forum de discussion ou d'avis en ligne, permet une expression globale et non plus territoriale de la pensée et des opinions.

Ces sites ne disposent d'aucune réglementation de leur responsabilité adaptée à la réalité des problèmes et des préjudices subis, au niveau international ou au niveau interne français.

Le délai de prescription de l'action de 3 mois ou 1 an selon les cas est beaucoup trop court.

En effet, le délai de prescription de trois mois doit être modifié afin de l’adapter aux nouveaux modes de communication par les nouvelles technologies actuelles.

De plus, le point de départ du délai de prescription à la date de publication du contenu illicite est aussi une hérésie.

Plus rien ne justifie aujourd'hui, à l'ère de l'internet démocratisé, une telle limitation des actions en justice, réparation des victimes et protection des auteurs ou hébergeurs de ces contenus.

Contrairement à la démocratie participative qui est encadrée, l'expression démocratique de la pensée en ligne n'est pas réservée qu'à des élus.

La liberté d'expression était destinée à l'origine à une élite.

La démocratie a permis de la populariser et internet l'a rendue quasi absolue.

Au delà des paravents techniques de l'internet, chacun peut librement s'exprimer.

Cette situation est au profit :

  • d'une part, des auteurs des infractions constituées par la diffusion de contenus ou propos illicites sur internet ;
  • d'autre part, des propriétaires de sites internet.

Enfin, des propagandistes ou complotistes en quêtes d'âmes sensibles véhiculent des idées de haine.

Cependant, la situation est au détriment des victimes des délits de la-dite presse, alors même que les abus et les préjudices subis sont susceptibles d'être beaucoup plus importants lorsqu'ils sont commis sur internet.

A l'ère du numérique, la liberté d'expression peut servir de paravent juridique à l'expression d'idées et opinions haineuses, discriminatoires, injurieuses, diffamatoires ou attentatoires à l'image et/ou à la vie privée sur internet.

Bien qu’internet soit un bien pour le développement des connaissances, informations et communications, la liberté d'expression est une belle idée humaniste, mais l'usage du web impose des "gardes fous".

Le système actuel devient difficile à maintenir lorsque les fous sont alliés ou se sont alliés pour développer des idées haineuses, racistes, discriminatoires et antisémites, dont la justice ne se préoccupe peu ou pas.

L'expression des idées est devenue celle des idéaux.

Hier, l'écriture était un privilège réservé à une élite, un art.

L'écrivain ou le journaliste d'hier s'est métamorphosé avec le web en un "homo injurus" non éduqué qui face à un écran propage encore plus facilement sa haine gratuite de l'autre.

Internet est donc devenu un moyen idéal pour propager des discours de haine sous couvert d’une opinion justifiée par la liberté d’expression, qui est utilisée d’une manière abusive.

Le nettoyage de l'expression de la haine sur le web est devenu impossible tant que celle-ci a rapidement contaminée la toile de manière exponentielle en une dizaine d'années.

Le rythme de l'évolution numérique et le développement des outils de communication sont en expansions permanente et exponentielle.

C'est ainsi que Dieudonné, le plus célèbre des délinquants français, dont le casier judiciaire porte mention d'une quinzaine de condamnations pour délits d'injure raciale et de provocation à la haine, déclare dans une interview donnée au journal La Depeche, le 4 octobre 2016 :

« Je parle beaucoup d’internet qui est pour moi le premier média libre ».

En réalité, internet est devenu le seul média où la liberté d'expression n'a plus de limite et où la liberté est celle de commettre impunément des infractions en violant la liberté d'expression.

Contrairement à ce qu'a pu considérer la Cour de cassation, l'équilibre entre les droits des victimes et la liberté d'expression n'est plus correctement assuré par l'application de la loi de 1881 à l'internet (Cass. Crim. 19 février 2013 n° 12-84302).

L'adaptation de la loi est devenue indispensable pour :

  • assurer la pérennité et la garantie de la liberté d'expression ainsi que la paix sociale ;
  • minimiser l'écho préjudiciable d'une publication illicite sur internet par une réglementation des sites et des réseaux sociaux ;
  • maximiser les droits à l’indemnisation des victimes.

Il serait ainsi nécessaire d’envisager :

* L'abolition de certaines obligations procédurales du droit de la presse, causes de nullité de la procédure en justice ; * L'abolition du court délai de prescription de trois mois de l'action en justice à compter de la première publication. ​