Les conséquences familiales du Brexit (fr)

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Kelly Mengual, cabinet Thuégaz
Janvier 2019






Le « Brexit », contraction des termes Britain Exit, désigne la procédure de sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne. Jusque là, tout le monde suit. Mais des questions se posent : Quand ? Comment ? Quelles seront les conséquences ? Pas de panique, nous sommes là pour vous expliquer.


Pour commencer, retraçons un peu les événements, les rebondissements, les difficultés de la mise en place d’une telle procédure.


Par référendum du 23 juin 2016 et avec 51,9% des voix, le Royaume-Uni a officiellement choisi de quitter l’Union Européenne.


Le Premier Ministre David Cameron, qui souhaitait le maintien du Royaume-Uni dans l’Union, a démissionné quelques jours après.


C’est Theresa May, l’ancienne Ministre de l’Intérieur, qui prend sa place.


Selon l’article 50 du TUE (Traité de l’Union Européenne), qui fait référence aux conditions de sortie d’un Etat membre, l’Etat qui souhaite se retirer doit notifier son intention au Conseil européen.


Ensuite, des négociations sont engagées entre cet Etat et l’Union pour fixer les modalités du retrait.


Ces modalités, après avoir obtenu l’approbation du Parlement européen, doivent être acceptées par le Conseil européen à la majorité qualifiée.


L’Etat dispose d’un délai de deux ans pour mener à bien les négociations et parvenir à un accord.


C’est le 29 mars 2017 que le représentant du Royaume-Uni auprès de l’Union Européenne a remis la lettre demandant le déclenchement de l’article 50 au président du Conseil européen, Donald Tusk.


Ainsi, le Royaume-Uni a jusqu’au 29 mars 2019 pour trouver un accord sur sa sortie avec l’Union.


Les négociations officielles entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne débutent le 19 juin 2017, à Bruxelles.


Le 8 décembre 2017, Londres et Bruxelles se mettent d’accord sur les grands principes de l’accord de sortie, qui sont le paiement par le Royaume-Uni de ses engagements pris au titre du budget de l’Union, la préservation des droits des citoyens britanniques résidant déjà dans les autres Etats membres et inversement, et enfin, le non-rétablissement d’une frontière dure entre les deux Irlande, afin de préserver les accords de paix « Good Friday Agreement » de 1998 qui ont mis fin à de nombreuses années de conflits sanglants.


(NB : l’Irlande du Nord fait partie du Royaume-Uni alors que l’Irlande, située au sud, est un Etat indépendant et fait partie de l’Union Européenne).


C’est d’ailleurs cette question irlandaise qui pose problème d’un point de vue pratique.


Le 29 janvier 2018, l’Union Européenne accorde au Royaume-Uni une période de transition post-Brexit d’une durée de 21 mois, du 30 mars 2019 au 30 décembre 2020.


Après de longs mois de négociations, Londres annonce officiellement qu’un accord a été trouvé, le 13 novembre 2018.


Entre autres choses, si aucune alternative n’a été trouvée avant la fin de la période de transition (30 décembre 2020) le Royaume-Uni serait provisoirement maintenu dans une union douanière avec l’Union, afin d’éviter la ré-instauration d’une frontière dure entre les deux Irlande.


Cette union douanière correspondrait à un territoire unique au sein duquel il n’y aurait aucun quota ni droit de douane pour les biens industriels et agricoles.


De plus, l’Irlande du Nord bénéficierait d’un statut spécial dans la mesure où elle devrait subir certaines règles du marché unique, comme les normes sanitaires pour les contrôles vétérinaires par exemple.


Cette solution de dernier recours ne serait mise en place qu’après décembre 2020 et si elle est appliquée, il faudra, pour y mettre fin, une décision commune prévoyant une autre relation commerciale.


Afin d’éviter le « no-deal » et une sortie brutale de l’Union Européenne sans accord, ce compromis doit être ratifié par le Parlement britannique.


Le vote avait, au départ, été prévu le 11 décembre mais Theresa May a préféré le reporter au 15 janvier face à l’opposition d’un nombre important de députés.


Le 15 janvier 2019, l’accord a donc été soumis au vote du Parlement britannique et a été massivement rejeté à 432 voix contre 202.


S’ensuit une motion de censure instituée par l’opposition travailliste, menée par Jeremy Corbyn.


Theresa May y échappe de peu avec seulement 19 voix de marge (306 voix pour et 325 voix contre).


Le gouvernement britannique se donne alors jusqu’au 29 janvier pour trouver un plan B.


Penchons nous sur les différentes issues possibles :


  • Revenir/modifier l’accord : ce qui est hors de question d’après le négociateur européen, Michel Barnier car selon lui « La frontière en Irlande, c’est la frontière de nos 27 pays, c’est donc bien de l’intégrité du marché unique dont il s’agit », toutefois s’ils y arrivent, le Parlement britannique doit voter à nouveau :


Il approuve l’accord de sortie, puis le Parlement européen approuve l’accord de sortie et donc le RU quitte l’UE avec un accord le 29 mars 2019.


Il vote contre l’accord de sortie, donc le RU quitte l’UE sans accord.


  • Renoncer à l’accord : le RU quitte l’UE sans accord
  • Retarder le Brexit ?
  • Annuler le Brexit : le RU reste membre de l’UE
  • Organiser un nouveau référendum : 3 solutions peuvent être soumises aux électeurs :


  1. Le RU quitte l’UE sans accord
  2. Le RU reste membre de l’UE
  3. L’accord est approuvé, puis le Parlement européen l’approuve à son tour et le RU quitte l’UE le 29 mars 2019


  • Démissionner via une motion de défiance ?


En tout état de cause, le négociateur a répété devant le Comité économique et social européen qu’ « il n’y avait pas d’autre traité possible » que le document de 585 pages négocié pendant 17 mois.


Toutefois, une sortie brutale et sans accord de l’Union Européenne est dorénavant possible, selon différentes personnalités européennes comme le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker qui a affirmé « Le risque d’un Brexit sans accord s’est accru »… De même pour Pierre Moscovici, Commissaire européen aux affaires économiques et financières, qui a précisé que « Personne ne veut d’un No Deal Brexit. On s’en approche, en tout cas la menace est plus forte, c’est clair ».


Et il faut par conséquent se préparer au pire, nous allons donc voir quelles seraient les conséquences et les solutions mises en place en cas de Brexit sans accord.


Les expatriés français installés au Royaume-Uni

Il y a plus de 3 millions d’européens installés au Royaume-Uni.


Concernant les français expatriés installés au Royaume-Uni vous êtes environ 300 000.


Selon un sondage OpinionWay, 62% d’entre vous comptez rester au Royaume-Uni après le Brexit.


Le 21 janvier, le gouvernement britannique a lancé une application mobile dont vous pouvez vous réjouir. En effet, vous allez pouvoir demander le statut de « résident permanent » pour continuer à travailler ou toucher des prestations sociales.


Comment demander le statut de résident permanent et dans quelles conditions

La procédure est simple : sur l’application, les usagers sont invités à prendre en photo avec leur téléphone leur passeport et leur visage pour confirmer leur identité.


Ils sont ensuite dirigés vers un site internet où ils devront renseigner leur adresse et donner leur accord pour une vérification de leur situation fiscale (pour confirmer leur adresse).


Enfin, ils doivent déclarer leur casier judiciaire, car une lourde condamnation peut entraîner le rejet de la demande.


Toutefois cette application n’est pas encore disponible sur iPhone car comme l’explique Le Monde, « C’est la firme américaine qui bloque, refusant de laisser ses téléphoner scanner les puces des passeports, au nom de la protection de la vie privée ».


Le coût de la demande était initialement de 65 livres, soit environ 74 euros. Toutefois, Theresa May a surpris tout le monde en annonçant qu’elle serait désormais gratuite (la procédure l’était déjà pour ceux qui avaient déjà le statut de résident permanent).


Le Ministre de l’Intérieur a donc du promettre à ceux qui avaient déjà payés qu’ils seraient remboursés…


Enfin, seuls les expatriés installés avant le 29 mars 2019 pourront bénéficier de cette procédure, jusqu’au 31 décembre 2020.


Les demandes sur papier seront ouvertes à partir du 30 mars.


Qu’en est-il pour les dépenses effectuées au Royaume-Uni ?

Autre sujet, il va falloir faire attention à vos dépenses en ce qui concerne les paiements et les retraits effectués au Royaume-Uni.


Si le pays sort de l’Union, il est possible que les banques européennes appliquent des frais sur les retraits d’argent et les paiements.


D’ailleurs, le Trésor britannique a indiqué dans un document récapitulant l’impact d’un Brexit sans accord sur différents domaines que « le coût et le temps pour des paiements et transferts d’argent en euros pourraient augmenter ».


Pareil pour les appels téléphoniques vers la France, appeler votre famille pourrait vous revenir beaucoup plus cher qu’avant.


Il se peut que les tarifs pratiqués par les opérateurs s’envolent.


Ce qui est dommage, c’est que depuis le 15 juin 2017, il est possible d’utiliser son forfait téléphonique dans n’importe quel Etat membre de la même manière que dans son pays d’origine, donc sans aucun surcoût.


Mais en cas de Brexit dur, le Royaume-Uni sera considéré comme un tiers, donc les opérateurs pourront faire ce qu’ils veulent.


Enfin, pour vous autres les étudiants français (ou en tout cas européens) il est possible que vous payiez des frais universitaires beaucoup plus importants qu’avant, car vous serez considérés comme des étudiants étrangers.


Les britanniques installés en France ou dans un Etat membre de l’UE

Un des grands points de l’accord rejeté faisait état du fait que, que ce soit les européens au Royaume-Uni ou les britanniques sur le continent (vous êtes environ 1,2 million de personnes dans ce cas) pourront continuer à étudier, travailler, percevoir des allocations et faire venir leur famille.


En tout état de cause, nous pouvons supposer que ce point crucial pour les populations sera effectivement mis en place.


De notre côté de la Manche, le Premier ministre Edouard Philippe a déclenché le plan lié à un Brexit sans accord le 17 janvier, car selon lui « l’hypothèse de sortie du Brexit sans accord est de moins en moins improbable ».


Mais il faut trouver une solution pour les ressortissants britanniques vivant en France, car selon Nathalie Loiseau, Ministre des affaires européennes, « Si nous ne faisions rien, ils seraient en situation irrégulière au 30 mars ».


La loi d’habilitation adoptée en lecture définitive par les deux chambres du Parlement permettra de prendre les mesures nécessaires par voie d’ordonnance, qui devraient être au nombre de 5, dont la plus importante est la première, relative au droit des citoyens britanniques en France.


En effet selon Edouard Philippe, « il faut faire en sorte qu’il n’y ait pas d’interruption des droits et que les droits de nos concitoyens ou de nos entreprises soient effectivement protégés ».


En pratique, vous les ressortissants britanniques, vous pourrez continuer de résider en France sans titre de séjour durant un an, le temps que votre situation soit régularisée après la perte de votre statut de citoyen de l’Union Européenne.


Mais selon Edouard Philippe, « cette solution serait choisie par la France sous réserve de réciprocité ».


De plus, la France prévoit aussi, comme cela a été négocié dans l’accord, que leurs droits sociaux soient préservés (retraite, chômage…) toujours à la condition que le Royaume-Uni fasse de même.


Comme dans la partie précédente, pour contacter vos proches restés au Royaume-Uni, c’est un petit peu différent. Ces appels ne sont pas gratuits mais, depuis juin dernier, plafonnés à 19 centimes par appel et 6 centimes par sms… Donc dans l’hypothèse où le Royaume-Uni sortirait de l’Union sans accord, cette limite ne s’imposerait plus aux opérateurs.


Armez vous de patience et relisez les petites lignes de vos contrats.


De plus, si vous résidez en France ou dans un Etat membre, il vous faudra repasser votre permis de conduire dans le pays où vous êtes installé, car le permis britannique ne serait plus valide sur le territoire européen.


En outre, à l’instar de la procédure lancée au Royaume-Uni, vous devrez sans doute obtenir un visa pour continuer à vivre dans certains pays, comme par exemple en Allemagne où vous aurez 3 mois pour demander le statut de résident temporaire.


D’autres pays, comme la Belgique, ont annoncé que les expatriés britanniques pourraient rester, et ce grâce à un accord signé entre la Belgique et le Royaume-Uni.


Toutefois aucune réponse n’a été apportée concernant des questions pratiques comme la scolarité des étudiants britanniques, qui pourraient être particulièrement touchés en terme de mobilité et pourraient avoir des difficultés à effectuer des études à l’étranger sans le programme Erasmus.


Enfin, concernant la santé, le Royaume-Uni a délivré environ 27 millions de cartes européennes d’assurance-maladie, garantissant l’accès aux soins d’urgence au sein de l’Union Européenne.


Malheureusement, elles pourraient être refusées par certains Etats membres.


Généralités

Dans l’hypothèse où vous êtes expatrié français résidant au Royaume-Uni et vous voulez rentrer en France voir votre famille ou inversement, vous êtes britannique, vous habitez en France et vous souhaitez passer quelques jours auprès des vôtres, pourriez-vous voyager en avion ? Et bien, à partir du 30 mars, cela va devenir compliqué.


La Commission européenne a annoncé que les compagnies allaient conserver leur autorisation pendant un an à compter du Brexit, mais que les compagnies britanniques n’auraient plus le droit de se poser sur le territoire européen… Le trafic aérien serait alors très perturbé, on veut bien le croire.


De plus, le gouvernement britannique a recommandé à ses citoyens prévoyant de voyager en France de renouveler leur passeport s’il expire 6 mois après leur date d’arrivée.


Car en effet, vous pouviez jusqu’ici entrer dans l’espace Schengen jusqu’à la veille de la date de validité du document, mais ce ne sera plus le cas en cas de Brexit dur.


Pour ce qui est de la voie de terre, les contrôles frontaliers seront remis en place, il faudra donc être patient et faire la queue. Pour l’Eurostar, comme le Royaume-Uni n’a jamais fait partie de l’espace Schengen, les procédures resteraient les mêmes.


De plus, selon les modalités qui seront choisies entre le l’Union Européenne et le Royaume-Uni, il se pourrait qu’un visa soit demandé pour entrer au Royaume-Uni à l’issue de la période de transition.


Il en va de même lorsqu’une personne désire venir travailler au Royaume-Uni ou qu’un britannique souhaite travailler dans un Etat membre, l’obtention préalable d’un permis de travail pourrait devenir une condition sine qua non.


N’oublions pas que diverses possibilités sont à envisager, et que le Royaume-Uni peut aussi mettre en place des accords bilatéraux pour faciliter les relations franco-anglaises.


Ainsi, il reste envisageable que les citoyens français soient exonérés de visa ou de permis de travail.


En conclusion, même si le pire arrivait et que le Royaume-Uni quittait l’Union sans accord, des politiques seront mises en place afin d’éviter que les citoyens ne perdent leurs droits.


Toutefois, il est certain que le quotidien de millions de personnes sera chamboulé, malheureusement.


Pour finir, comme le dit Donald Tusk « Si un accord est impossible, et que personne ne veut d’une sortie sans accord, qui aura finalement le courage de dire qu’elle est la seule solution positive existante ? ».