Lutte contre le racisme et l’antisémitisme: une proposition de loi contre la haine sur internet annoncé pour mai 2019 (fr)
France > Droit privé > Droit du numérique
Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris
Février 2019
Lors de son discours du 20 février 2019 au dîner annuel du CRIF, Emmanuel Macron a annoncé qu'une proposition de loi pour lutter contre la haine sur internet sera déposé «dès le mois de mai» par la députée LREM Laëtitia Avia.
Le Président de la République a précisé que cette proposition de loi devrait largement s'appuyer sur le rapport remis le 20 septembre dernier qui formulait vingt propositions pour renforcer la lutte contre le racisme et l'antisémitisme sur internet.
Il s'agit de mener le combat contre le racisme et l’antisémitisme sur Internet, suite au déferlement de haine constaté aujourd’hui sur les réseaux sociaux, tout en respectant la liberté d’expression qui est encadrée, y compris sur Internet, principalement par la loi de 1881 sur la liberté de la presse et par la loi sur la confiance dans l’économie numérique de 2004.
L'idée du futur projet de loi sera donc de faire en sorte que les propos ou les messages qui constituent des infractions pénales puissent être retirés sans délai, et ceux qui les émettent ou les diffusent en France puissent voir leur responsabilité civile et pénale engagée .
Il sera d’abord proposé de responsabiliser les plateformes en amendant la LCEN de 2004.
Cette loi pose en effet tous les fondements nécessaires à la régulation des contenus illicites par les opérateurs euxmêmes, mais ces principes sont actuellement difficilement appliqués, compte tenu, d’une part, des restrictions à leur mise en œuvre, et, d’autre part, de la faiblesse des sanctions encourues en cas de manquement.
En premier lieu, eu égard à la nécessité de faire disparaître le plus vite possible les contenus de haine manifeste, en particulier sur les réseaux sociaux, le rapport propose d'imposer à ces plateformes un délai de 24 heures pour les retirer et de porter le niveau de sanction potentiel à 37,5 millions pour les personnes morales.
Enfin, il apparaît nécessaire de définir un statut particulier d’hébergeur, qui pourrait être dénommé «accélérateur de contenus» pour les réseaux sociaux et les moteurs de recherche les plus utilisés, assorti d’obligations renforcées, lesquelles peuvent être introduites dès maintenant dans le cadre législatif français, à l’image de ce qu’ont fait récemment nos voisins allemands pour leur propre législation.
Cette convergence franco-allemande constituerait ainsi une base robuste pour faire évoluer le droit européen dans le même sens.
Le rapport préconise par ailleurs la mise en œuvre réglementaire d’une procédure de signalement uniformisée, clairement identifiable par un logo standardisé.
Indépendamment des réseaux sociaux et autres blogs, l’expression du racisme et de l’antisémitisme est aussi le fait de sites dont la raison d’être principale est précisément la diffusion de contenus haineux, souvent dans les formulations les plus extrêmes.
Ces sites ayant organisé leur impunité juridique, il est préconisé d’en interdire l’accès depuis le territoire français en intervenant au niveau « réseau », en s’inspirant des dispositions existantes pour le blocage des sites de jeux en ligne illégaux à l’initiative de l’ARJEL.
L’ensemble de ces dispositions à caractère réglementaire (modifications de la LCEN et instauration de sanctions significatives, création du statut d’accélérateur de contenus, normalisation du signalement, blocage des sites haineux) resterait inopérant si un service public n’en avait pas clairement la responsabilité du suivi et de la mise en œuvre globale.
Il est donc proposé également à cette fin la création d’une autorité de régulation, rattachée au Premier ministre ou, à défaut, l’extension des prérogatives du CSA à cette nouvelle dimension.
Par ailleurs, une instance de dialogue aurait en charge l’organisation de la nécessaire concertation dans la durée entre toutes les parties prenantes de ce domaine.
En parallèle de l’action en direction des plateformes, il importe de densifier l’intervention directe vers les auteurs de propos racistes et antisémites en ligne pour sortir de l’impunité perçue, tant par les auteurs que par les victimes.
A cet effet, il a été préconisé de mettre en place un mécanisme de dépôt de plainte en ligne, de doter le pouvoir judiciaire de la capacité de sanctionner par ordonnance pénale les auteurs et de créer des chambres pénales spécialisées dans le traitement des actes dans ce domaine.
Il est enfin probable que l'idée de la secrétaire d'État à l'Égalité femmes-hommes d'étudier l'allongement du délai de prescription du cyberharcèlement soit reprise.
Attendons donc la proposition de loi qui sera concoctée par Laëtitia Avia.
Retrouvez le rapport du 20 septembre 2018: Renforcer la lutte contre le racisme et l'antisémitisme [1] ainsi que les interviews de Me Thierry Vallat du 21 février 2019 pour Public Sénat Haine sur Internet : l'exécutif veut mettre les plateformes sous pression [2] et pour Le Parisien Priver de réseaux sociaux les internautes haineux [3].