Mauvaise foi du vendeur professionnel et présomption d'innocence

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris



Décision : 5 juillet 2023 Cour de cassation Pourvoi n° 22-11.621


La technique juridique des présomptions vise à alléger le fardeau de la preuve. Qu'il s'agisse de présomptions du fait de l'homme (ex : indices concordants et graves de causalité entre le vaccin contre l'hépatite et la sclérose en plaques) ou de présomptions légales (ex : pater is est), le droit vient au secours de ceux qui éprouvent des difficultés à rapporter la preuve exacte des faits allégués.

En théorie, seule la loi peut créer des présomptions irréfragables, c'est-à-dire qui ne peuvent être renversées. Lorsque le juge crée une présomption du fait de l'homme, elle doit être simple, ie être renversée.

La règle connaît de nombreuses exceptions. Ici, la CJUE qui pose dans l'arrêt Akzo une présomption supposément réfragable de l'influence déterminante exercée par la société mère sur les filiales détenues à 100 %. En pratique, la possibilité de renverser la présomption est une "chimère" (E. Claudel, "Autonomie et notion d'entreprise", CCC 2020, n° 6).

Là, c'est la Cour de cassation qui pose des présomptions affichées comme irréfragables. Au cœur de l'arrêt, une présomption désormais classique : celle selon laquelle le vendeur professionnel est présumé de mauvaise foi. La règle, ancienne (Cass. civ. 1re, 21 novembre 1972), est d'une importance capitale. Elle permet d'exciper de l'article 1645 pour exercer l'action indemnitaire dès lors que le vendeur est professionnel, et d'obtenir ainsi des dommages-intérêts significatifs, en sus de l'action rédhibitoire ou estimatoire ou à titre autonome.

Au cas d'espèce, l'acquéreur professionnel d'un tracteur au moteur vicié exerçait l'action indemnitaire contre son vendeur professionnel. Celui-ci, pour échapper à l'action indemnitaire, tentait de démontrer sa bonne foi, consistant dans l'ignorance du vice.

Refus de la cour d'appel : dès lors que le vendeur est professionnel, il est irréfragablement réputé connaître les vices de la chose...même s'ils sont indécelables pour lui.

Devant la Cour de cassation, notre vendeur se prévalait du respect de la présomption d'innocence et du droit à un procès équitable. En vain. Pour la Haute juridiction, "le caractère irréfragable de cette présomption (…) qui a pour objet de contraindre ce vendeur, qui possède les compétences lui permettant d'apprécier les qualités et les défauts de la chose, à procéder à une vérification minutieuse de celle-ci avant la vente, répond à l'objectif légitime de protection de l'acheteur qui ne dispose pas de ces mêmes compétences, est nécessaire pour parvenir à cet objectif et ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit du vendeur professionnel au procès équitable garanti par l'article 6, § 1, de la Convention".

La solution nous paraît excessivement rigoureuse dès lors que le vice est indécelable. En ce sens, nous souscrivons pleinement à la proposition de la commission Stoffel-Munck, qui propose de faire de cette présomption une présomption simple.