NFT et propriété intellectuelle : amis ou ennemis ?

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Catherine Muyl et Marion Cavalier,avocats au barreau de Paris [1]
Juin 2022


Les « NFT » font le buzz ces derniers temps, en particulier dans les domaines des jeux vidéos (« block-chain gaming »), du sport et de l’art. Des secteurs dans lesquels les enjeux en matière de propriété intellectuelle ont toujours été très importants. Alors, NFT et propriété intellectuelle sont-ils amis ou ennemis ?

NFT : kesako ? Quel rapport avec la blockchain ? Les bitcoins ? Le métavers ?

NFT signifie « non fongible token ». Il s’agit de jetons non fongibles associés à des objets numériques (aussi appelés « sous-jacents ») consignés dans une blockchain, un registre numérique et décentralisé.

1 – Un jeton : un NFT peut être comparé à un « titre de propriété » ou un « certificat d’identification » accompagné de règles d’utilisation car il est toujours associé à un objet (en principe) numérique et le jeton a pour objectif de certifier la détention de l’objet numérique associé / du sous-jacent et peut préciser des règles d’utilisation.

Cet objet peut être une image JPEG, un GIF ou un fichier son (MP4, par exemple), mais les cas d’utilisation se multiplient et deviennent de plus en plus sophistiqués. Parmi les exemples notables, citons des chevaux virtuels engagés dans des courses, des cartes de footballers, le premier tweet de Jack Dorsey, des vêtements de luxe ou des personnages animés (par exemple « Sharky B », le requin de la maison Burberry).

2 – Non fongible : chaque NFT est unique – il n’y a pas deux NFT identiques. Cette non fongibilité est notamment ce qui distingue les NFT du bitcoin. Le bitcoin est une cryptomonnaie, un type particulier de monnaie donc par essence fongible comme l’euro. A l’inverse, une parcelle de terrain ou un bijou est unique, comme un NFT.

3 – Consigné dans une blockchain : la blockchain est la technologie qui permet de garantir l’authenticité, l’unicité, de ce jeton non fongible. La blockchain est une technologie qui consiste à regrouper des données en blocs et à confier la vérification de ces blocs de façon décentralisée à des individus appelés mineurs (bien que leur outil de travail ne soit pas le pic mais l’ordinateur). Ce système n’est pas contrôlé par une autorité créée par un Etat mais par un groupe d’individus (le système est ouvert à tous) qui intervient au vu et au sus de tout le monde et c’est de cette transparence que naît la confiance.

Quel rapport avec le métavers ? Le metavers est la contraction de deux mots, méta et univers. C’est un univers virtuel. Les amateurs de jeux vidéo connaissent bien ces univers souvent peuplés d’avatars, ces personnages que les joueurs peuvent créer, souvent à leur image. Les NFT trouvent naturellement leur place dans ces univers virtuels car ils permettent de démontrer la possession d’objets (ou même d’« immobilier » !) virtuels et de faciliter l’échange ou la vente de ces objets.

NFT et droits de propriété intellectuelle

On a vu que le NFT est toujours associé à un objet. Cet objet peut être une oeuvre pré-existante ou une œuvre spécialement créée en vue du NFT. Si l’œuvre est suffisamment originale pour être protégée par le droit d’auteur, l’accord du titulaire des droits d’auteur sera indispensable. A défaut, celui qui prend l’initiative de créer le NFT s’expose à une action en contrefaçon.

Par contre, attention : le NFT permet à celui qui l’a « frappé » pour la première fois sur la blockchain d’avoir un « titre de propriété » sur la blockchain, puis de permettre de certifier la chaîne de propriété en cas de vente et reventes. Par contre, il ne certifie pas l’authenticité de l’objet sous-jacent. Il ne permet donc pas d’authentifier une œuvre d’art par exemple. Il ne permet pas non plus de certifier que la personne ayant créé le NFT avait bien les droits pour le faire.

Les NFT engendrent donc des risques nouveaux de contrefaçon.

D’un autre côté, les NFT qui contiennent des règles à respecter en cas de revente aussi appelés « smart contracts » peuvent prévoir des règles sur la répartition du prix de vente non contournables / automatiques. Les NFT sont ainsi présentés comme un moyen pour les artistes, notamment les musiciens, d’être assurés de percevoir une rémunération pour la diffusion de leurs œuvres.

Par ailleurs de grands acteurs de la mode, comme Balenciaga ou Nike ont lancé des NFT représentant leurs produits. Ceux qui souhaiteraient en faire de même seront bien inspirés de vérifier si les dépôts de marques existants protègent suffisamment ce qu’on peut considérer comme une nouvelle activité ou bien s’il convient de procéder à de nouveaux dépôts.

Les premiers contentieux de propriété intellectuelle en matière de NFT

Les NFT ont déjà donné lieu à plusieurs contentieux aux Etats-Unis. Comme indiqué ci-dessus, quand le NFT porte sur un objet protégé par des droits de propriété intellectuelle (droits d’auteur ou marque), il ne pourra être diffusé sans l’accord du titulaire de ces droits.

L’affaire Pulp Fiction

Lorsque l’objet est une œuvre créée bien avant l’apparition des NFT, il n’est pas forcément facile de déterminer qui détient les droits. Ainsi, lorsque le réalisateur Quentin Tarantino a annoncé en novembre 2021 la mise aux enchères de sept NFT basés sur sept scènes cultes de son célèbre film Pulp Fiction, le producteur Miramax a aussitôt réagi en engageant une procédure pour violation de contrat et contrefaçon. Le tribunal californien devra interpréter le contrat pour déterminer si Miramax peut s’opposer à la vente et obtenir des dommages-intérêts. En attendant, il semble que les acheteurs potentiels aient été rebutés par l’incertitude juridique puisqu’un seul des sept NFT aurait trouvé preneur à un prix relativement modeste de 22,000 dollars.

On retiendra de cette procédure que dans les contrats de cession de droits d’auteur, les cessionnaires ont tout intérêt à viser expressément cette nouvelle forme d’exploitation.

L’affaire des métabirkins

Un autre contentieux oppose la maison Hermès à l’artiste américain Mason Rotschild. L’histoire commence au début des années 80, lorsque Jane Birkin se retrouve assise sur un vol Paris-Londres à côté du Président et Directeur Artistique de Hermès. Elle se plaint de ne pas avoir trouvé de sac qui lui permette de ranger tout l’équipement qu’elle doit transporter en tant que jeune mère. L’idée du sac Birkin est née, la marque BIRKIN est déposée en France et dans de nombreux pays et ce sac « fourre-tout » connaît un succès mondial.

Quelques décennies plus tard, l’artiste Mason Rotschild lance un premier NFT Baby-Birkin constitué d’une vidéo représentant un sac Birkin transparent avec, à l’intérieur, un fétus. Ce NFT est vendu aux enchères pour la somme de 23,500 dollars puis revendu pour 47.000 dollars. Fort de ce succès, Rotschild décide de lancer toute une série de NFT, les « metabirkins » représentant des sacs BIRKIN recouverts de fourrure colorée. La maison Hermès réagit alors en engageant une action en contrefaçon de marque devant un tribunal de New York en janvier 2022.

L’artiste a annoncé qu’il ne se considérait pas comme un contrefacteur et qu’il invoquerait sa liberté d’expression protégée par le premier Amendement de la Constitution américaine. La décision du tribunal New Yorkais est donc très attendue par les spécialistes de la propriété intellectuelle dans le monde entier. Et les juges français devront sans aucun doute également trancher des litiges similaires.