Non-respect du droit à l'image et du droit d'auteur dans le cadre de la diffusion d'un clip de campagne

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Christ-Landry [1]
Article publié par la zone du droit
Décembre 2021




L’autorisation d’une œuvre intellectuelle ou d’une image nécessite par principe l’autorisation des titulaires exclusifs. Sans cette autorisation, tout utilisateur s’expose à des sanctions civiles ou pénales.


L’actualité de ces derniers jours en matière de propriété intellectuelle n’est autre que les débats sur les droits exclusifs appartenant à des tiers et utilisés sans le consentement de ces derniers [1] dans le clip de l’annonce de la candidature de Monsieur Éric ZEMMOUR. En effet, c'est la vidéo de l'annonce qui fait réagir.


Comme le note « Franceinter » dans son article publié le 30 novembre 2021, plusieurs images, extraits de films, de documentaires, d'interviews ont été utilisés sans l'autorisation de leurs auteurs et propriétaires.


On y voit tour à tour la campagne européenne "la liberté dans le hijab", les footballeurs du PSG un genou au sol, Jean Gabin dans "Quai des brumes", Alain Delon dans "L'éclipse", Jean-Paul Belmondo dans "À bout de souffle", de nombreuses images de l'Ina, une vidéo de Thomas Pesquet ou encore un reportage de France 3 et des interviews d'une dizaine de médias, dont France Inter.


Le problème qui se pose est que plusieurs auteurs ou propriétaires de ces images ont aussitôt fait savoir qu'ils n'avaient pas été contactés en amont et n'avaient donc pas donné leur accord pour la diffusion de leurs images. [2]


Le respect au droit à l’image est codifié à l’article 9 du Code civil en précisant que « Chacun a droit au respect de sa vie privée » [3]. Le droit à l'image permet d'autoriser ou de refuser la reproduction et la diffusion publique de votre image. Pour la Cour de cassation, Toute personne, quel que soit son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir a droit au respect de sa vie privée et à son image. Cette partie intégrante de sa personnalité lui permet de jouir d’un droit exclusif et de s’opposer à sa reproduction. [4].


Quant au droit d’auteur, attaché habituellement à la propriété littéraire et artistique, c’est un droit de propriété portant sur la forme extériorisée originale des biens intellectuels.


Le droit d’auteur présente une particularité en droit des biens : des attributs moraux ou intellectuels sont attribués à la personne bénéficiant de la première dévolution du droit de propriété, créant un lien assimilable à un lien de la personne intégré au lien réel existant entre un bien et son propriétaire. L’objet approprié par le droit d’auteur est appelé « œuvre ». [5].


Au sens du droit de l’UE, l’identification d’une œuvre suppose la réunion de deux éléments cumulatifs : d’une part, il faut un objet original, une création intellectuelle propre à son auteur. D’autre part, il faut des éléments qui sont l’expression d’une telle création [6].


En outre, selon l’article L. 111-1 alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle « L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous » [7].


Au vu de ce qui précède, il y a lieu de s’interroger sur les conséquences du non-respect du droit à l’image et du droit d’auteur dans le cadre de la diffusion d’un clip de campagne.


L’utilisation d’une image ou d’un droit d’auteur nécessite une autorisation préalable des détenteurs exclusifs

Le principe d’une autorisation préalable des titulaires du droit à l’image et du droit d’auteur

L’autorisation d’une œuvre intellectuelle ou d’une image nécessite par principe l’autorisation des titulaires exclusifs. Sans cette autorisation, tout utilisateur s’expose à des sanctions civiles ou pénales.


Selon l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle « L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial » [8].


La qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'œuvre est divulguée. [9].


Toutefois, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque [10].


En outre, l’atteinte au droit moral est elle-même constitutive d’une contrefaçon [11]. Mais, chaque usage non autorisé d’un bien intellectuel n’emporte pas nécessairement atteinte à la fois au droit patrimonial et au droit moral [12]. Il en va ainsi lorsque l’œuvre a été utilisée en conformité avec l’objet en vue duquel elle avait été établie [13].


Par ailleurs, il incombera à l’auteur d’établir un défaut d’autorisation dans l’utilisation de son œuvre par des tiers et surtout prouver l’existence de l’atteinte portée à ses droits dont il demande la réparation [14].


Quant au droit à l’image, son utilisation aussi nécessite une autorisation de son détenteur. S’il peut, à certains égards, être regardé comme une déclinaison du droit au respect de la vie privée, il a acquis une certaine autonomie. Chaque personne ayant un droit sur son image, une autorisation est indispensable pour qu’autrui l’utilise. Le droit à l’image a une nature duale (patrimoniale et extra patrimoniale).


Cette nature oblige les juges à rechercher laquelle des facettes du droit à l’image est en jeu en cas de litiges. Lorsqu’il s’agit d’une atteinte au caractère extrapatrimonial de l’image, la protection accordée est celle de l’article 9 du Code civil [15].


Le droit à l’image, en ce qu’il est personnellement attaché à la personne, cesse au décès de celle-ci. Or, étant donné qu’en matière de protection de la vie privée, des atteintes peuvent être portées à ce droit quand bien même son titulaire est décédé.


La famille du défunt étant la gardienne de la mémoire de ce dernier, c’est elle qui va subir l’atteinte et, de fait, qui devra en demander réparation. Les exemples sont nombreux en jurisprudence. Par exemple, la Cour de cassation a prononcé la condamnation de la publication d’une personne sur son lit de mort et ce malgré qu’elle soit une célébrité [16].


Si le principe consiste à obtenir l’autorisation préalable des détenteurs des droits exclusifs ou droit à l’image, il n’en demeure pas moins que ce principe souffre de plusieurs exceptions qu’il faille dévoiler en l’espèce.


Les exceptions à l’autorisation préalable des détenteurs des droits exclusifs

D’abord, comme premières exceptions au droit d’auteur, on peut se référer à celles limitativement énumérées à l’article L.122-5 Code la propriété intellectuelle. [17].


Ensuite, l'argument de la "courte citation". En effet, la seule manière d'exploiter des extraits d'œuvres encore protégées par le droit d'auteur est de recourir à l'exception dite de « courte citation ».


L'exception dite de « courte citation », a été consacrée en droit français par l'article 41 de la loi du 11 mars 1957 qui retranscrivait alors en droit français l'article 10.1 de la convention de Berne qui était alors en vigueur, à savoir l'Acte dit de Bruxelles de 1948.


Cet article disposait alors que « dans tous les pays de l'Union sont licites les courtes citations d'articles de journaux, et recueils périodiques… ». Comme « la courte citation » est une exception aux droits de l'auteur, la doctrine comme la jurisprudence ont considéré qu'elle devait s'interpréter restrictivement.


L’exception de courte citation pour utiliser des extraits d'émissions de programmes de radiodiffuseurs impose l'identification de la source par l'insertion du logo ou du sigle de la chaîne et du titre de l'émission ; la simple mention « Documents vidéo France 2 » ne suffisant pas.


Enfin, nous avons la durée pour laquelle le droit d’auteur s’éteint et donc peut être utilisé par le public. En effet, selon l’article L. 123-1 du Code de la propriété intellectuelle « L'auteur jouit, sa vie durant, du droit exclusif d'exploiter son œuvre sous quelque forme que ce soit et d'en tirer un profit pécuniaire ». [18].


Par ailleurs, « au décès de l'auteur, ce droit persiste au bénéfice de ses ayants droit pendant l'année civile en cours et les soixante-dix années qui suivent ». Mais cela n'a pas été le cas pour les extraits diffusés dans le clip de campagne en question.


Enfin en ce qui concerne le droit à l’image, en la matière, la règle est que toute personne dont l'image est captée doit donner son autorisation expresse et spéciale. En l'absence d'une telle autorisation, l'auteur d'une photo ou vidéo ne saurait utiliser celle-ci.


On rappellera que la liberté de la presse et le droit à l'information du public autorisent la diffusion de l'image de personnes impliquées dans un événement d'actualité ou illustrant avec pertinence un débat d'intérêt général, dans une forme librement choisie, sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine [19].


Il y a également l'image non cadrée d’une personne prise dans un public. En effet, en France, dans le cadre d'un lieu public, aucune interdiction n'existe concernant l'acte de prise de vue.


La diffusion de l'image d'un groupe ou d'une scène de rue est quant à elle permise sans qu'il soit nécessaire de solliciter le consentement de chaque personne photographiée.


On considère en fait que l'image ne porte pas atteinte à la vie privée, car la personne se trouvant dans un lieu public consent tacitement à être exposée aux regards des autres.


Certaines restrictions existent cependant. Elles concernent la diffusion et la publication des images, par exemple dans la presse mais également sur les réseaux sociaux, et non l'acte de photographier lui-même [20]. La Cour de cassation a estimé dans une affaire que la personne prise en photo soit dans un lieu public ne change rien si elle apparaît de manière isolée grâce au cadrage réalisé par le photographe [21].



Les sanctions applicables au non-respect du droit à l’image et au droit d’auteur

Les sanctions applicables quant au non-respect du droit à l’image

Les droits à la vie privée et à l’image sont des droits strictement personnels. Cela signifie concrètement qu’on ne peut se plaindre d’une atteinte aux droits de la personnalité d’autrui. Selon la Cour de cassation, la protection des articles 9 du Code civil et 8 de la Conv. EDH « suppose l’existence d’une référence ou allusion à la vie privée de la personne qui entend s’en prévaloir » [22].


Lorsque l’autorisation n’a pas été donnée et que l’image est tout de même utilisée, la jurisprudence prévoit les mêmes sanctions civiles que celles prévues dans le cadre de la protection de la vie privée.


Toutefois, la Cour de cassation a affirmé l’autonomie du droit à l’image par rapport au droit au respect de la vie privée [23].


Ainsi, les sanctions mentionnées dans l’alinéa 2 de l’article 9 du Code civil sont applicables à l’atteinte portée au droit à l’image. Cependant, la condition sine qua non pour que l’atteinte soit caractérisée est la possible identification de la personne. À défaut, lorsque le visage est masqué [24]ou que l’image est réduite ou de mauvaise qualité [25], aucune atteinte ne peut être caractérisée.


De plus, le droit pénal sanctionne d’un an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende le fait d’utiliser l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé lorsque celle-ci n’a pas donné son consentement [26].


Les sanctions applicables quant au non-respect du droit d’auteur

Selon l’article L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle « Toute édition d'écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon et toute contrefaçon est un délit ». La contrefaçon en France d'ouvrages publiés en France ou à l'étranger est punie de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 € d'amende [27].


Aussi, lorsque les délits prévus par le présent article ont été commis en bande organisée, les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 750 000 euros d'amende.


Pour la Cour de cassation en sa chambre criminelle, la contrefaçon doit être entendue de façon large : elle est constituée par l'atteinte portée aux droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis par la loi [28].


Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une œuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi.


Le délit de contrefaçon est par ailleurs toute captation totale ou partielle d'une œuvre cinématographique ou audiovisuelle en salle de spectacle cinématographique [29].


En ce qui concerne les vidéos diffusées dans l’annonce de candidature du candidat ZEMMOUR, ces derniers pourront saisir le juge des référés au sens de l’article 834 du Code de procédure civile "pour faire cesser l'atteinte en ordonnant par exemple la suppression" de la vidéo [30].


Références

  1. 1 Nicola Binctin, Droit de la propriété intellectuelle 6è édition, P.53.
  2. 2 Franceinter : Éric Zemmour a-t-il le droit d’utiliser des images de films et d’interviews dans sa vidéo de candidature.
  3. 3 Code civil, article 9.
  4. 4 Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 27 février 2007, 06-10.393, Publié au bulletin.
  5. 5 Nicola Binctin, Droit de la propriété intellectuelle 6è édition, P.53.
  6. 6 CJUE, 16 Juill. 2009, aff. C-5/08.
  7. 7 Article L111-1 alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle.
  8. 8 Article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle.
  9. 9 Art. L113-1 Code de la propriété intellectuelle.
  10. 10 Art. L122-4 Code de la propriété intellectuelle.
  11. 11 Cass.com., 4 nov.2011, n°10-13410.
  12. 12 Cass.1ère Civ., 10 Sept. 2014, n°13-14532.
  13. 13 Cass.3è civ.20 janv.2015, n°13-22619.
  14. 14 Cass.1ère Civ., 20 déc. 2017, n°16-13632.
  15. 15 Cécile Berthier : Les droits de la personnalité : droit au respect de la vie privée et droit à l’image.
  16. 16 Cass. crim., 21 oct. 1980, n° 80-90.146. - Cass. crim., 20 oct. 1998, n° 97-84.621 : JurisData n° 1998-004241.
  17. 17 Voir article L122-5 du CPI.
  18. 18 Article L123-1 du Code de la propriété intellectuelle.
  19. 19 Cass. 1re civ. 29 mars 2017, no 15-28.813 qui a censuré l’arrêt d’appel qui avait estimé l’atteinte au droit à l’image du requérant injustifiée.
  20. 20 Les numériques : Peut-on photographier des inconnus dans un lieu public ? par Paul Nicoué, Focus Numérique Publié le 17/04/17 à 14h00.
  21. 21 Cass. 1re civ., 12 décembre 2000, n° 98-21.311, Bull. civ. 2000 I, n° 322.
  22. 22 Civ. 1re, 1er oct. 2014, no 13-21.287, NP ; - déjà : Civ. 2e, 22 mai 1996, no 93-13.448, P II, no 106.
  23. 23 Cass. 1re civ., 10 mai 2005, n° 02-14.730 : JurisData n° 2005-028325.
  24. 24 Cass. 1re civ., 21 mars 2006.
  25. 25 Cass. 1re civ., 9 avr. 2014, n° 12-29.588. - Cass. 1re civ. 10 sept. 2014, n° 13-22.612.
  26. 26 C. pén., art. 226-1.
  27. 27 Article L335-2 du Code de la propriété intellectuelle.
  28. 28 Crim. 6 juin 1991, no 90-80.755.
  29. 29 Article L335-3 du Code de la propriété intellectuelle.
  30. 30 Article 834 du Code de procédure civile.