Permis annulé + trouble anormal du voisinage = démolition
France > Droit public > Droit civil > Droit immobilier > Trouble du voisinage
Christophe Buffet, avocat au barreau d'Angers[1]
Janvier 2024
Dans cette affaire, il est ordonné la démolition d'une construction dont le permis de construire a été annulé, en raison du trouble anormal qu'elle crée.
"Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Lyon, 17 septembre 2019, rectifié le 19 novembre 2019, rectifié le 10 décembre 2019), M. [H] a construit une extension de sa maison conformément à un permis de construire délivré le 24 novembre 2008, annulé par la juridiction administrative le 19 juin 2012, et à un permis de construire délivré le 16 janvier 2013, annulé par la juridiction administrative le 12 avril 2018. 3. M. et Mme [R], propriétaires d'une maison voisine, se plaignant de ce que l'extension leur causait un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage, ont assigné M. [H] en démolition.
Examen des moyens
Sur le moyen, pris en ses trois dernières branches, du pourvoi n° W 19-23.233, ci-après annexé 4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation. Sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° W 19-23.233
Enoncé du moyen
5. M. [H] fait grief à l'arrêt du 17 septembre 2019 de le condamner à démolir l'extension dans un délai de huit mois sous astreinte, alors « que l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme s'applique à l'action en responsabilité civile tendant à la démolition d'une construction édifiée conformément à un permis de construire annulé, dès lors qu'elle est exclusivement fondée sur la violation des règles d'urbanisme, y compris lorsqu'est invoqué un trouble anormal de voisinage résultant de cette violation ; qu'en relevant, pour ordonner la destruction sur le fondement des troubles de voisinage, que l'extension litigieuse avait été construite en limite de propriété alors que le plan local d'urbanisme imposait, sauf exception, une distance de recul et qu'il en résultait un trouble anormal de voisinage pour les consorts [R], consistant dans une perte de vue et d'ensoleillement, après avoir pourtant relevé qu'il n'était pas allégué que la construction en cause se situait dans l'un des périmètres dans lesquels la destruction peut être prononcée par le juge en vertu de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les disposition de cet article. »
Réponse de la Cour
6. La cour d'appel a relevé que l'extension de la maison de M. [H] avait été construite en limite de propriété, dans une zone de faible densité urbaine, sur une longueur de dix-sept mètres, pour une emprise au sol de soixante-dix mètres carrés et une hauteur de quatre mètres.
7. Elle a constaté qu'au lieu d'une vue dégagée sur les collines, M. et Mme [R] avaient désormais vue sur un mur de parpaings et que la nouvelle construction faisait de l'ombre à leur piscine.
8. Elle en a déduit que la nouvelle construction causait à M. et Mme [R] un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage, sans qu'il fût besoin de rechercher si une faute avait été commise.
9. Les dispositions de l'article L. 480-13, 1°, du code de l'urbanisme ne s'appliquant qu'aux demandes de démolition fondées sur la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique, c'est sans violer ce texte que la cour d'appel, appréciant souverainement les modalités de la réparation du trouble anormal du voisinage qu'elle constatait, a ordonné la démolition de la construction litigieuse.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen du pourvoi n° X 19-26.155
Enoncé du moyen
11. M. [H] fait grief à l'arrêt rectificatif du 19 novembre 2019 de mettre à sa seule charge les dépens et de dire que le point de départ du délai donné pour procéder à la démolition est la signification de l'arrêt rectificatif, alors « que la cassation entraîne, sans qu'il y ait lieu à une nouvelle décision, l'annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l'application ou l'exécution du jugement cassé ou qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire ; que la cassation, à intervenir sur le pourvoi n° W. 19-23.233, qui concerne l'arrêt rectifié, entraînera, par voie de conséquence, l'annulation de l'arrêt rectificatif, en application de l'article 625 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
12. La cassation n'étant pas prononcée sur le pourvoi n° W 19-23.233, le grief tiré d'une annulation par voie de conséquence est devenu sans portée.
Sur le moyen du pourvoi n° Y 19-26.156
Enoncé du moyen
13. M. [H] fait grief à l'arrêt du 10 décembre 2019 de rectifier l'arrêt du 19 novembre 2019, alors « que la cassation entraîne, sans qu'il y ait lieu à une nouvelle décision, l'annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l'application ou l'exécution du jugement cassé ou qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire ; que la cassation, à intervenir sur le pourvoi n° W 19-23.233 et sur le pourvoi n° X 19-26.155, qui concernent les arrêts rectifiés, entraîneront, par voie de conséquence, l'annulation de l'arrêt rectificatif objet du présent pourvoi, en application de l'article 625 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
14. La cassation n'étant pas prononcée sur les pourvois n° W 19-23.233 et X 19-26.155, le grief tiré d'une annulation par voie de conséquence est devenu sans portée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne M. [H] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [H] et le condamne à payer à M. et Mme [R] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit au pourvoi n° W19-23.233 par la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat aux Conseils, pour M. [H]
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné M. [H] à procéder à la démolition de l'extension réalisée en limite de propriété, objet des permis de construire des 24 novembre 2008 et 16 janvier 2013 tous deux annulés, dans un délai de 8 mois, sous astreinte de 30 euros par jour de retard ;
AUX MOTIFS QUE
" Sur la demande de destruction :
Attendu que les appelants font valoir que :
- il ressort de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon que les règles d'urbanisme de la commune où a été implanté l'immeuble, s'agissant d'une zone de faible densité urbanistique ont été violées, ce qui constitue une faute, de même que l'entêtement de l'intimé malgré leurs mises en garde et leurs recours, que le préjudice ressort de l'importance de l'ouvrage (longueur 17 m emprise 70 m2) établi en limite de propriété,
- Ils ont agi sur le fondement de l'article 480-13 du code de l'urbanisme dans sa rédaction antérieure à la loi du 6 août 2015 ;
- la demande n'a ni caractère excessif ni disproportionné ne portant pas sur toute la maison mais sur son extension et lui laissant la possibilité de construire autrement et non en limite de propriété ;
- rien ne démontre que la destruction ne serait techniquement pas possible, l'intimé ne pouvant plaider selon les juridictions le caractère dissociable et à la fois indissociable de l'ensemble ;
- ils subissent un trouble de voisinage, la construction créant une obstruction à la vue alors que du fait de la déclivité du terrain leur maison est plus haute que celle de l'intimé et à l'ensoleillement notamment de leur piscine, mais aussi de la maison en période hivernale ;
Attendu que M. [H] sollicite de voir écarter la demande de démolition au motif de l'absence de faute de sa part (la faute ayant été commise par la commune), de préjudice et de lien de causalité, que la construction n'est plus dans une zone listée au regard de la nouvelle rédaction de l'article 480-13 du code de l'urbanisme issue de la loi du 6 août 2015 (d'application immédiate au procès en cours), que la démolition porterait une atteinte disproportionnée à sa vie familiale et privée en contravention avec l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme, les privant d'une pièce à vivre (salle à manger) et mettrait en péril l'ensemble de l'habitation auquel elle est adossée constituant un ensemble architectural, et de l'absence de trouble de voisinage, comme retenu par le premier juge, aucune pièce n'établissant leur vue antérieure,
Sur le fondement de l'article 480-13 du code de l'urbanisme :
Attendu qu'une nouvelle loi s'applique immédiatement aux effets à venir des situations juridiques non contractuelles en cours au moment où elle entre en vigueur, même lorsque semblable situation fait l'objet d'une instance judiciaire ;
Attendu que selon l'article L. 480-13 dans sa version en vigueur issue de loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 - art 80 lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès e pouvoir par la juridiction administrative et si la construction est située dans l'une des zones prévues par le texte,
Attendu qu'il n'est pas allégué que la construction, dont la destruction est demandée, se situe dans une des zones concernées, que dès lors la demande de destruction de la construction litigieuse ne peut prospérer sur le fondement de l'article précité, Attendu qu'il y a lieu également de débouter les époux [R] de leur demande de dommages et intérêts sur ce même fondement ;
Sur le fondement du trouble de voisinage :
Attendu que "nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage",
Attendu que la construction litigieuse est située en zone UC7 du plan local d'urbanisme de la commune d'[Localité 1], définie comme une zone de faible densité urbaine où prédominent les maisons individuelles d'habitation et qui interdit, sauf dans des cas limitativement énoncés, les constructions en limite séparative (distance de 4 mètres minimum),
Attendu qu'elle a été construite perpendiculairement à la maison déjà existante, d'un seul tenant, en limite de propriété, sur une longueur de 17 mètres, d'une emprise au sol de plus de 70 m2 et d'une hauteur de faîtage de 4 mètres,
Attendu qu'il résulte du constat d'huissier du 26 mai 2009 antérieur à la construction que les époux [R] bénéficiaient de leur maison d'une vue dégagée sur les collines, qu'il résulte du constat postérieur en date du 28 décembre 2015 qu'ils l'ont perdue du fait de la construction imposante de M. [H] n'ayant plus, des baies vitrées de leur séjour, qu'une vue sur le mur de parpaings édifié par leur voisin ;
Attendu que l'ouvrage du fait de son importance apporte également une ombre sur la piscine ;
Attendu qu'il y a dès lors lieu de constater que l'ouvrage litigieux cause, du fait de sa construction dans une zone de faible densité urbaine de la commune d'[Localité 1], un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage, sans qu'il y ait lieu de rechercher si une faute a été commise,
Attendu qu'il n'est pas rapporté la preuve de l'impossibilité technique de procéder à la destruction de l'extension litigieuse ;
Attendu que celle-ci ne porterait pas une atteinte disproportionnée à la vie familiale et privée au sens de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme s'agissant d'une extension à une maison d'habitation constituée d'un garage, d'une terrasse et d'un abri de jardin, et non de pièces à vivre et la demande de destruction ne portant pas sur la transformation du garage en salle à manger,
Attendu que le permis de construire ayant été annulé par décision de la cour d'appel administrative en date du 12 avril 2018, et la construction litigieuse causant aux appelants un préjudice, précisé ci-dessus, visuel et d'ensoleillement, il y a lieu d'ordonner sa destruction sous astreinte " ;
1°) ALORS QUE l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme s'applique à l'action en responsabilité civile tendant à la démolition d'une construction édifiée conformément à un permis de construire annulé, dès lors qu'elle est exclusivement fondée sur la violation des règles d'urbanisme, y compris lorsqu'est invoqué un trouble anormal de voisinage résultant de cette violation ; qu'en relevant, pour ordonner la destruction sur le fondement des troubles de voisinage, que l'extension litigieuse avait été construite en limite de propriété alors que le plan local d'urbanisme imposait, sauf exception, une distance de recul et qu'il en résultait un trouble anormal de voisinage pour les époux [R], consistant dans une perte de vue et d'ensoleillement, après avoir pourtant relevé qu'il n'était pas allégué que la construction en cause se situait dans l'un des périmètres dans lesquels la destruction peut être prononcée par le juge en vertu de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les dispositions de cet article ;
2°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE le caractère anormal du trouble de voisinage doit s'apprécier in concreto et compte tenu de l'environnement ; qu'en retenant que l'extension de la maison de l'exposant en limite de propriété avait entraîné une perte de vue depuis le salon des époux [R] et une ombre portée sur leur piscine constitutifs d'un trouble anormal de voisinage sans rechercher, comme elle y était invitée (concl. p. 30-33 et 37), si la circonstance que le logement se situait dans un lotissement n'excluait pas que la seule proximité entre les maisons d'habitation, et leurs conséquences, puissent être qualifiées de trouble anormal de voisinage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ;
3°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE la faute de la victime qui a concouru à son dommage est exonératoire de responsabilité ; qu'en retenant que l'extension de la maison de l'exposant en limite de propriété avait entraîné une perte de vue depuis le salon des époux [R] et une ombre portée sur leur piscine constitutifs d'un trouble anormal de voisinage sans rechercher, comme elle était invitée à le faire (concl. p. 13-15), si la circonstance qu'ils avaient eux-mêmes illégalement construit cette partie de leur habitation en limite de propriété de l'exposant ne faisait pas obstacle à toute réparation à cet égard, et donc au prononcé de la démolition, la cour a privé sa décision de base légale au regard du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage, ensemble l'article 1240 du code civil ;
4°) ET ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE la sanction prononcée au titre d'un trouble anormal de voisinage ne doit pas être disproportionnée à ce trouble, lequel doit être apprécié en tenant compte du comportement de celui qui s'en prétend victime ; qu'en prononçant la démolition de l'extension de l'exposant, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la circonstance qu'ils avaient eux-mêmes illégalement construit cette partie de leur habitation en limite de propriété de l'exposant n'avait pas pour effet de rendre disproportionnée la demande de démolition, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage, ensemble l'article 1240 du code civil ;
Moyen produit au pourvoi n° X19-26.155 par la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat aux Conseils, pour M. [H] Il est fait grief à l'arrêt rectificatif attaqué d'AVOIR mis à la charge de M. [H] seulement les dépens, et d'AVOIR dit que le point de départ du délai donné à M. [H] pour procéder à la démolition était la signification de l'arrêt en cause.
ALORS QUE la cassation entraîne, sans qu'il y ait lieu à une nouvelle décision, l'annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l'application ou l'exécution du jugement cassé ou qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire ; que la cassation, à intervenir sur le pourvoi n° W. 19-23.233, qui concerne l'arrêt rectifié, entraînera, par voie de conséquence, l'annulation de l'arrêt rectificatif, en application de l'article 625 du code de procédure civile.
Moyen produit au pourvoi n° Y19-26.156 par la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat aux Conseils, pour M. [H]
Il est fait grief à l'arrêt rectificatif attaqué d'AVOIR rectifié l'arrêt du 19 novembre 2019, rectifiant lui-même l'arrêt du 17 septembre 2019, également frappés de pourvoi ;
ALORS QUE la cassation entraîne, sans qu'il y ait lieu à une nouvelle décision, l'annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l'application ou l'exécution du jugement cassé ou qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire ; que la cassation, à intervenir sur le pourvoi n° W. 19-23.233 et sur le pourvoi n° X. 19-26.155, qui concernent les arrêts rectifiés, entraîneront, par voie de conséquence, l'annulation de l'arrêt rectificatif objet du présent pourvoi, en application de l'article 625 du code de procédure civile."