Perquisition chez un avocat : que dit le droit ?

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Par Arnaud Jambon, Elève-Avocat, E.F.B Paris


Selon les mots du Bâtonnier Jean Lemaire, le cabinet d’un avocat doit être comparé à « un asile sacré » « dans lequel aucun huissier ne pouvait instrumenter aux fins de signification »[1]. Le secret professionnel pour l’avocat est une condition de l’efficacité de la défense et du conseil[2] mais aussi une justification de son silence, qui l’autorise à refuser de livrer des renseignements que ce soit au juge ou bien à l’Administration.

Dans le cadre de la loi du 22 décembre 2021[3], le législateur s’était fixé comme objectif d’assurer une meilleure protection du secret professionnel, notamment en l’inscrivant à l’article préliminaire du Code de procédure pénale, et en consolidant les dispositions législatives préexistantes des perquisitions dans le cabinet ou domicile d’un avocat. Cette loi, complétée par une circulaire[4] du 28 février 2022, est entrée en vigueur le 1er mars 2022.

Le 19 octobre 2022, le Conseil constitutionnel a été saisi[5], dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, à propos de la conformité à la Constitution du nouvel article 56-1 du Code de procédure pénale. Il était également invité à conférer une valeur constitutionnelle au secret professionnel. Par deux décisions[6] des Sages de la rue de Montpensier, la loi du 22 décembre 2021 a été déclarée conforme à la Constitution. Néanmoins, ces derniers ont refusé de donner une telle valeur audit secret[7].

Par application de l’article 56-1 du Code de procédure pénale, les perquisitions dans le cabinet ou au domicile de l’avocat ne pourront être effectuées que par un magistrat en présence du bâtonnier ou de son délégué à la suite d’une décision écrite et motivée prise par le juge des libertés et de la détention saisi par ce magistrat. L’intervention automatique du juge des libertés et de la détention comme seule autorité compétente est une nouveauté car, auparavant, ce pouvoir était octroyé au juge d’instruction ou au procureur.

Le législateur a justifié ce changement par le fait qu’il était « nécessaire que ces actes fassent systématiquement l’objet d’un regard extérieur et ne puissent être décidées par les autorités en charge des investigations, qu’il s’agisse du procureur de la république, du juge d’instruction ou des officiers de police judiciaire[8] ».

Cette décision de perquisition prise par le juge des libertés et de la détention doit indiquer la nature de l’infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition, son objet et sa proportionnalité au regard de la nature et de la gravité des faits. Elle n’est pas susceptible de recours et son contenu doit être porté à la connaissance du bâtonnier ou de son délégué dès le début de la perquisition réalisée par le magistrat. Ce dernier et le bâtonnier, ou son délégué, ont seuls le droit de consulter ou de prendre connaissance des documents ou des objets se trouvant sur les lieux préalablement à leur éventuelle saisie.

Aucune saisie ne peut concerner des documents ou des objets relatifs à d’autres infractions que celles mentionnées dans la décision précitée.

Lorsque la perquisition est justifiée par la mise en cause de l’avocat, elle ne peut être autorisée que s’il existe des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu’auteur ou complice, l’infraction qui fait l’objet de la procédure ou une infraction connexe au sens de l’article 203. Ainsi, cette condition n’est pas nécessaire si l’avocat n’est pas mis en cause mais que la perquisition concerne un salarié préposé de l’avocat[9].

Le magistrat qui effectue une perquisition veille à ce que les investigations conduites ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession d’avocat et à ce qu’aucun document relevant de l’exercice des droits de la défense, couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil, ne soit saisi et placé sous scellé[10]. Aucun document relevant de l’exercice des droits de la défense, qui est couvert par le secret de la défense ou du conseil, ne pourra être saisi. De fait, la saisie d’un document échangé entre un client ayant commis une infraction et son avocat, dans son activité de conseil est interdite.

Ce dispositif a été complété par l’intégration de deux nouveaux articles au sein du Code de procédure pénale via les articles 56-1-1 et 56-1-2. Ils viennent préciser et tempérer le principe de l’article 56-1 du Code de procédure pénale.

L’article 56-1-1 du Code de procédure pénale dispose que « lorsque, à l'occasion d'une perquisition dans un lieu autre que ceux mentionnés à l'article 56-1, il est découvert un document mentionné au deuxième alinéa du même article 56-1, la personne chez qui il est procédé à ces opérations peut s'opposer à la saisie de ce document ». Dans cette hypothèse, le document est placé sous scellé fermé et fait l’objet d’un procès-verbal. Le juge de la détention et des libertés doit se prononcer sur la régularité de cette saisie conformément aux alinéas quatre à neuf de l’article 56-1 dudit Code.

L’article 56-1-2 du Code de procédure pénale, quant à lui, limite la protection du secret professionnel du conseil (et non de la défense) en le rendant totalement inopposable aux mesures d’enquête ou d’instruction relatives à des infractions telles que la fraude fiscale, le financement du terrorisme, ou certains délits de corruption ainsi qu’au blanchiment de ces délits, « sous réserve que les consultations, correspondances ou pièces détenues ou transmises par l'avocat ou son client établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission desdites infractions ».

Le bâtonnier ou son délégué peut s’opposer à la saisie d’un document ou d’un objet s’il estime que cette saisie serait irrégulière. Cet objet ou document doit alors être placé sous scellé fermé. Ces opérations font l’objet d’un procès- verbal mentionnant les objections du bâtonnier ou de son délégué, qui n’est pas joint au dossier de la procédure.  Si d’autres documents ou objets ont été saisis au cours de la perquisition sans soulever de contestation, ce procès-verbal est distinct de celui prévu par l’article 57. Ledit procès-verbal ainsi que les documents ou objets placés sous scellé fermé sont transmis sans délai au juge des libertés et de la détention, avec l’original ou une copie du dossier de la procédure[11].

Dans les cinq jours de la réception des pièces, le juge des libertés et de la détention statue sur la contestation par ordonnance motivée[12].

Par ailleurs, la décision du juge des libertés et de la détention peut faire l’objet d’un recours suspensif dans un délai de vingt-quatre heures, formé par le procureur de la République, l’avocat ou le bâtonnier ou son délégué devant le président de la chambre d’instruction. Ce dernier doit statuer dans les cinq jours suivant sa saisine selon la procédure prévue au cinquième alinéa du présent article. Ce recours peut être également exercé par l’administration ou l’autorité administrative compétente (l’administration fiscale ou douanière). Un pourvoi en cassation est possible à l’encontre de la décision de la chambre d’instruction.

A ce propos, un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 3 octobre 2023[13] est venue apporter des précisions sur ce régime du recours contre les décisions du juge des libertés et de la détention statuant sur la validité des saisies réalisées dans un cabinet d’avocat ou à son domicile.

Selon les juges, en l’absence de texte, ce type de recours peut être indifféremment formé auprès du greffe du juge des libertés et de la détention ou de celui de la chambre de l’instruction. Il a été également rappelé que, conformément à l’article 56-1 du Code de procédure pénale, le président de la chambre de l’instruction saisi de ce recours doit statuer à nouveau en fait et en droit sur la contestation.

Ce type de recours en matière de perquisition chez un avocat est toujours en voie de construction.

Plusieurs questions restent en suspens, notamment sur les modalités de recours ouvertes a posteriori devant le président de l’instruction. En effet la Cour de cassation, par l’intermédiaire de sa chambre criminelle dans un arrêt du 30 janvier 2024 [14], est venue apporter des précisions dans le cadre du recours suspensif devant le président de la chambre d’instruction.

Selon la Haute juridiction, et en l’absence de disposition spécifique dudit article du Code de procédure pénale, les convocations peuvent être adressées par tout moyen mais il semblerait qu’elles doivent se limiter aux seuls avocats (perquisitionné et représentant ordinale). La convocation d’un avocat de la défense n’est pas obligatoire étant donné que l’article 56-1 du Code procédure pénal ne prévoit pas explicitement son intervention bien qu’en pratique cette dernière est admise.

Au regard d’un arrêt de cette même chambre en date du 5 mars 2024 [15], cette assistance devrait se démocratiser.

En effet, la Haute juridiction en se basant à la fois sur le silence de l’article 56-1 du Code de procédure pénale et de la Convention européenne des droits de l’homme (article 6, §1 et §3,c), a reconnu un droit à l’assistance d’un défenseur pour l’avocat perquisitionné ainsi qu’au droit de garder le silence.

Ceci est novateur de la part de la Cour de cassation car l’article 56-1 du Code de procédure pénal ne reconnait pas un tel droit. Pour justifier une telle nouveauté, et en se basant sur les articles ci-dessus, la Haute juridiction refuse que la présence d’un Bâtonnier, qui est chargé de veiller à la régularité de la procédure, soit assimilé à celui d’un conseil.

Cette nouvelle assistance d’un avocat défenseur du mis en cause est possible devant le président de la chambre d’instruction et lors de l’audience devant le juge des libertés et de la détention.

Autrement dit, dans le cadre d’une audience devant le juge des libertés et de la détention, il sera possible d’y retrouver trois avocats (le mis en cause, son conseil et le bâtonnier), lors des recours contre les perquisitions réalisées.

Enfin, la Haute juridiction par un arrêt du 5 mars 2024 [16] est venue rappeler que la formule de politesse « votre bien dévoué » ou « Maître » ne suffit pas à caractériser l’existence d’une relation avocat – client.

Le mis en cause, pour arguer de l’existence du secret professionnel, devra apporter une lettre de constitution ou bien une convention d’honoraires. L’apport de l’un de ces éléments est primordial.

En effet l’avocat mis en cause justifiant l’existence du secret professionnel, obligera le juge à démontrer que chacune des pièces saisies, permettrait l’établissement de sa participation à une infraction, objet de l’instruction.

Pour conclure, bien que la rédaction de l’article 56-1 du Code de procédure pénal est imparfaite, il convient d’affirmer que la Cour de cassation tente d’y combler les lacunes conformément aux exigences d’un procès équitable.


Sources

V° Avocat - Fasc. 30 : AVOCATS. – Obligations et prérogatives - Lexis 360 Intelligence ;
Article 56-1 - Code de procédure pénale - Légifrance (legifrance.gouv.fr) ;
Perquisitions au domicile ou cabinet d’un avocat : les nouvelles règles à partir du 1er mars 2022. Par Frédéric Chhum, Avocat. (Village-justice.com) ;
Constitutionnalité du régime de perquisitions, visites et saisies chez un avocat - Pénal | Dalloz Actualité (dalloz-actualite.fr) ;
Les dispositions de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire relatives au secret professionnel des avocats - Lexis 360 Intelligence ;
https://www.dalloz-actualite.fr/flash/perquisition-chez-un-avocat-clarifications-et-souplesses-procedurales ;
https://www.dalloz-actualite.fr/flash/recours-en-matiere-de-perquisition-chez-un-avocat-procedure-toujours-en-construction
https://www.dalloz-actualite.fr/flash/limites-au-regime-protecteur-des-perquisitions-en-cabinet-d-avocat


Références

  1. In Vincent Nioré Perquisitions chez l’avocat défense des secrets et inviolabilité de l’asile sacré Ed Lamy Axe droit 2014.
  2. V.M.Garçon, Code pénal annoté, art.378, n°7.
  3. Loi Dupont Moretti n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.
  4. Circulaire DACG CRIM-2022-05/H2 du 28 février 2022 donnant une interprétation de la protection du secret de la défense et de la protection du secret à l’aune de la loi. Cette dernière est indicative et son interprétation de ladite loi reste sous réserve de la jurisprudence de la Cour de cassation.
  5. Par l’Ordre des avocats du Barreau de Paris et des Hauts-de-Seine.
  6. Cons.const.19 janvier 2023, n°2022-1030 QPC et n°2022-1031 QPC.
  7. Ce refus confirme une précédente décision : Cons. const.24 juillet 2015, n°2015-478 QPC.
  8. Circulaire 28 février 2022 préc p.3.
  9. Cf circulaire 28 février 2022 précitée p.4.
  10. Art.56-1 CPP modifié par la loi du 22 décembre 2021.
  11. Art.56-1 CPP modifié par la loi du 22 décembre 2021.
  12. L’article 56-1 CPP dispose à cet effet que « S'il estime qu'il n'y a pas lieu à saisir le document ou l'objet, le juge des libertés et de la détention ordonne sa restitution immédiate, ainsi que la destruction du procès-verbal des opérations et, le cas échéant, la cancellation de toute référence à ce document, à son contenu ou à cet objet qui figurerait dans le dossier de la procédure. Dans le cas contraire, il ordonne le versement du scellé et du procès-verbal au dossier de la procédure. Cette décision n'exclut pas la possibilité ultérieure pour les parties de demander la nullité de la saisie devant, selon les cas, la juridiction de jugement ou la chambre de l'instruction ».
  13. Cass.Crim.3 oct.2023, F-B, n°23-80.251.
  14. Crim. 30 janv.2024,F-B,n°23-82.058.
  15. Crim. 5 mars 2024, FS-B,n°23-80.229.
  16. Crim. 5 mars 2024, FS-B, n°23-80.110.