Plaidoirie: L’histoire de Mustafa Hosseini ou les carences de la France dans l’accueil des mineurs étrangers isolés (fr)
France > Avocat
Auteur : Maître Mélanie Trouvé, Barreau du Val de Marne - Prix du Mémorial et de la ville de Caen -
27e CONCOURS INTERNATIONAL DE PLAIDOIRIES DES AVOCATS Dimanche 31 janvier 2016
Il était une fois un orphelin né en Afghanistan.
C’est une histoire qui commence mal.
C’est l’histoire de Mustafa Hosseini.
Un orphelin afghan placé à l’âge de quatre ans dans une
famille iranienne. À Téhéran.
Mustafa y connaîtra la violence et la maltraitance jusqu’à ce
qu’il parvienne à fuir, à douze ans.
Direction la liberté, la richesse, l’éducation.
Direction la France.
Il mettra trois ans à rejoindre notre pays.
Qui sait ce que ses yeux ont vu durant son périple ?
Qui sait les embûches sur la route de Téhéran à Paris ?
Qui sait la peur, la solitude, la violence quand on connaît l’exil
à douze ans, dans ces conditions ?
Nous ne savons pas, ne saurons jamais précisément ce qu’il
aura vécu sur la route de son exil.
Nous savons que ce parcours fut marqué par des agressions
multiples et graves.
Nous savons qu’il durera trois ans.
Mustafa arrive en France en janvier 2010, âgé de quinze ans.
Il est recueilli et aidé par des associations compétentes et
investies, dans le département du Val-de-Marne.
Mais il va mal. Mustafa souffre d’un « stress post-traumatique ».
Et le secteur associatif n’est pas suffisamment armé pour le
prendre en charge de manière complète et adaptée.
Mustafa a besoin d’être suivi sur le plan psychologique,
notamment. Les éducateurs qui le rencontrent s’en aperçoivent
immédiatement. Confronté à l’horreur du monde bien trop tôt.
En application de l’article L. 112-3 du Code de l’action sociale
et des familles, Mustafa est confié à l’aide sociale à l’enfance.
Un enfant isolé sur le territoire doit être pris en charge par
les services sociaux français de l’enfance, quelle que soit sa
nationalité, comme le prévoit l’article L. 111-2 du Code de l’action
sociale et des familles.
Il est mineur. Il n’est pas entouré d’adultes structurants et
bienveillants. Il est en danger. Et doit être protégé.
Un juge pour enfants prononce une mesure de placement
provisoire. Mais il est bien exceptionnel pour un mineur étranger
de bénéficier d’une prise en charge adaptée, en foyer éducatif.
Pour Mustafa, comme pour nombre de mineurs étrangers, isolés,
ça sera un hôtel social miteux, lugubre, où aucun de nous, présents
dans cette assistance, ne mettrait les pieds.
Seuls ses besoins vitaux sont pris en charge : un toit
inhospitalier et un pécule hebdomadaire, insuffisant pour se
nourrir. Et c’est tout. Pas de scolarisation, pas de suivi socio-
éducatif, pas de prise en charge psychologique.
Seulement l’attente… L’attente forcée que le sablier du temps
s’écoule et annonce sa majorité pour que l’aide sociale à l’enfance
puisse, en toute légalité, et dès le premier jour de ses dix-huit ans,
le renvoyer à la rue et à la clandestinité.
En février 2011, une lueur d’espoir néanmoins, une nouvelle
ordonnance de protection ordonne le placement de Mustafa
dans un foyer en Normandie. Mustafa a déjà seize ans et après
l’abandon de ses parents, après la violence à l’orphelinat et au
sein de sa famille d’accueil iranienne, après l’exil et son lot de
mauvaises rencontres, après la solitude et l’incompréhension
induites par treize mois d’hôtel social, il est fragile, perdu et
peu enclin à placer sa confiance dans les adultes – eux qui l’ont
si souvent trahi. Le placement échoue. Comme des milliers de
placements de mineurs français échouent chaque année.
Mais difficile d’avoir une deuxième chance pour un mineur
étranger. Mustafa est renvoyé dans le département du Val-de-
Marne et c’est le retour à la case départ. On ne lui propose plus
de placement en foyer, il retourne à l’hôtel, cette prison ouverte
où son état psychologique se détériore.
L’attente de nouveau. Plusieurs mois. Cinq cents jours au total.
À attendre.
Désœuvré et privé des soins que son parcours de vie a rendus
indispensables.
Cette inexorable mécanique aurait pu perdurer deux années
encore, jusqu’à ses dix-huit ans. Mais dans le cas de Mustafa,
les carences de sa prise en charge vont avoir des conséquences
graves et immédiates. Un soir de juillet 2011, sous l’emprise de
produits stupéfiants et d’alcool, Mustafa s’en prend à une jeune
femme. Il est immédiatement arrêté et placé en garde à vue.
Il existe bien sûr, en France, une procédure de poursuites et de
condamnations pénales pour des auteurs d’infraction, mineurs au
moment des faits. Mais pas question que Mustafa soit présenté en
justice selon une telle procédure, jugée sans doute trop indulgente.
Alors que jamais l’autorité de poursuite ne se serait posé
la question s’agissant d’un mineur français pris en charge par
l’aide sociale à l’enfance, alors que deux décisions de justice
reconnaissent sa minorité, le Procureur de la République ordonne
que Mustafa subisse un test osseux.
Cet examen radiologique vise à déterminer l’âge d’un
individu selon une méthode que d’aucuns voudraient qualifier
de scientifique, mais qui est très largement contestée par de
nombreuses institutions juridiques et médicales, telles que le
Défenseur des droits, l’Académie de médecine, la Commission
nationale consultative des droits de l’homme, pour ne citer que les
principales. Sur ces seuls tests aux méthodes très critiquables et
aux résultats d’une fiabilité fort douteuse, Mustafa est, durant les
vingt-quatre heures de sa garde à vue, déclaré majeur. Il sera dès
lors traité comme tel par le système judiciaire français.
Il se voit ainsi déféré devant un tribunal correctionnel selon la
procédure de comparution immédiate et placé en détention le soir
même. Cinq mois d’emprisonnement. Cinq mois durant lesquels
Mustafa est de nouveau exposé à la violence des adultes que sont
ses codétenus, à tel point que l’administration pénitentiaire le
place au quartier disciplinaire pour sa propre sécurité.
À sa sortie de détention, la santé mentale de Mustafa s’est
très largement détériorée, comme le constatent les travailleurs
sociaux qui lui ont rendu visite. Il se retrouve rapidement à la rue.
Mineur isolé soudainement déclaré majeur, malade psychique
non encore diagnostiqué, entièrement livré à lui-même, dans la
plus grande errance sociale et psychologique et une fois de plus
dans un état d’ébriété avancé, Mustafa s’en prend à nouveau à
une jeune fille.
Il est alors incarcéré pendant trois ans. Au cours de cette
seconde incarcération, en décembre 2014, Mustafa est confié à
une unité hospitalière de soins aménagés.
C’est à ce moment-là qu’un diagnostic est posé. Parce qu’il n’a
pas été correctement pris en charge, qu’il n’a pas eu accès aux
soins que son état nécessitait, que le cadre de vie dans lequel
il a évolué depuis son arrivée en France ne pouvait convenir à
l’enfant qu’il était, son « stress post-traumatique » est devenu
« schizophrénie paranoïde ».
Le psychiatre demande son placement sous tutelle et sa prise
en charge comme handicapé. Il reçoit dès lors un traitement
médicamenteux approprié et son état est stabilisé.
Pourtant, à sa sortie de détention, en juin 2015, c’est la police
aux frontières qui attend Mustafa.
Quittant une prison pour en rejoindre une autre, le voilà placé
en centre de rétention administrative.
Sa demande d’asile est rejetée.
À l’issue de ce parcours chaotique et malgré un appel formé
devant la Cour nationale du droit d’asile, le lundi 24 août 2015,
Mustafa Hosseini, mineur isolé arrivé en France à quinze ans devenu
jeune majeur, malade mentalement et incapable cognitivement de
se débrouiller, est expulsé sans papiers en Afghanistan, pays qu’il ne
connaît pas, où il n’a aucune famille ni groupe social pour l’accueillir,
le protéger, l’aider à vivre et à se soigner.
C’est une histoire qui finit mal. Personne aujourd’hui n’a de
nouvelle de Mustafa et personne ne s’attend à en avoir.
En refusant à Mustafa Hosseini des conditions d’accueil et de
vie adaptées à son âge et à sa situation de grande vulnérabilité, en
le laissant livré à lui-même, sans suivi éducatif efficient, la France
a violé l’article 19 de la Convention internationale des droits de
l’enfant de 1989, qui lui impose de protéger les enfants contre
toute forme de brutalité physique ou mentale, d’abandon ou de
négligence.
En ne permettant pas à Mustafa Hosseini, enfant malade
mental, d’avoir une vie pleine et décente, dans des conditions
garantissant sa dignité, favorisant son autonomie et facilitant sa
participation active à la société, en le privant de son droit d’accès
à des soins adaptés à son handicap psychique, la France a violé
les articles 23 et 24 de la même Convention.
Enfant victime de négligence et de traitements cruels,
inhumains et dégradants durant les premières années de sa vie,
Mustafa Hosseini avait le droit de voir l’État prendre toutes les
mesures appropriées pour faciliter sa réadaptation physique et
psychologique et sa réinsertion sociale. En s’abstenant de prendre
de telles mesures, la France a violé l’article 39 de la Convention
des droits de l’enfant.
Niant sa minorité et le privant ainsi de la procédure s’appliquant
à cette qualité pour le juger en tant qu’auteur d’une infraction
pénale, l’État français a enfreint l’article 40 du même texte au
préjudice de Mustafa Hosseini.
L’histoire honteuse de Mustafa Hosseini est une illustration
d’une situation plus globale. En 2015, la France continue de violer
plusieurs des droits fondamentaux de nombreux enfants étrangers
présents sur son territoire.
En régissant parfois l’accueil des mineurs étrangers isolés
selon une logique de gestion de stocks, soumise principalement
à des considérations financières, la France ne respecte pas son
engagement de donner la primauté à l’intérêt supérieur de l’enfant
dans toutes les décisions le concernant, comme le lui impose
pourtant l’article 3 de la Convention internationale des droits de
l’enfant.
En distinguant les mineurs français et étrangers sous la
responsabilité de l’aide sociale à l’enfance, en ne leur offrant
par les mêmes conditions d’accueil et de prise en charge, en
proposant des réponses différentes à des besoins équivalents, la
France viole aussi l’article 1er de cette Convention, prohibant la
discrimination.
Parce que ce traitement différencié se traduit régulièrement par
l’absence de scolarisation des mineurs étrangers, la France viole
également l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales, prohibant
la discrimination, mis en relation avec l’article 2 du protocole n° 1
du même texte, consacrant le droit à l’instruction.
Si l’histoire de Mustafa se termine par un épilogue tragique,
celle de tous les mineurs étrangers isolés sur le territoire, elle
s’écrit encore aujourd’hui.
Poursuivons-la avec le courage, la dignité et l’humanité qui
siéent aux pays attachés aux droits humains.