Plaidoirie : Je veux vivre (fr)
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Auteur : Maître Fekria Bedhief, avocat au Barreau de Tunis- Prix du Mémorial et de la ville de Caen -
27e CONCOURS INTERNATIONAL DE PLAIDOIRIES DES AVOCATS Dimanche 31 janvier 2016
En élevant l’enfant, nous élevons l’avenir. « Élever », mot profond !
En améliorant cette petite âme, nous faisons l’éducation de l’inconnu.
Si l’enfant a la santé, l’avenir se portera bien ; si l’enfant est bien
élevé, l’avenir sera bon. Éclairons et enseignons cette enfance.
Voici une histoire authentique, réelle, que j’ai intitulée : « Je
veux vivre ».
C’est une plaidoirie posthume à travers laquelle j’ai tenu à rendre
un vibrant hommage à Chiraz Ghallebi, une fillette de douze ans qui
a mené avec courage et détermination un combat contre l’injustice
qui est, à mon sens, l’une des plus infâmes violations des droits
de l’homme.
En effet, la vie de Chiraz avait commencé sous les plus mauvais
auspices. Issue d’une famille très pauvre, Chiraz vivait avec ses parents
au sommet d’une montagne, dans une région défavorisée de la Tunisie.
À droite, on distingue le chemin de terre qui permet d’accéder
aux maisons isolées, sur les hauts plateaux de la région, où les
parents de Chiraz survivent de l’élevage de quelques chèvres et
moutons, associé à la culture d’un peu de blé.
Pour être à l’école à 8 heures du matin, Chiraz quitte son
domicile à 5 h 30. Il faut imaginer son réveil, alors que le jour n’est
pas encore levé et que le vent glacial souffle en rafales dehors. Les
efforts d’une petite fille de douze ans pour quitter la douceur de
l’épaisse couverture, se laver le visage à l’eau glacée, puis s’habiller
en grelottant, avant de s’emmitoufler pour affronter le froid cinglant
de cette région où le climat est particulièrement rude.
Pour arriver plus rapidement jusqu’à la route la conduisant à l’école,
elle avait l’habitude de dévaler une pente abrupte, en se raccrochant aux
branches des buissons et de plantes sèches pour freiner sa descente.
À la fois très éveillée et généreuse, Chiraz avait très vite compris
la pénibilité, la dureté de sa vie et de celle des habitants jeunes et
vieux des villages avoisinants. Elle voulut « vivre sa vie » avec une très
grande ambition pour elle et les autres : apporter le progrès social.
Alors qu’elle pourrait se laisser gagner par le désespoir,
abandonner l’école et sombrer dans la délinquance, Chiraz reste
déterminée à réussir pour réaliser son rêve et devenir une avocate
militante et défenseur des droits de l’homme, active dans le monde
entier, qui travaille en vue de promouvoir le respect des droits humains
dans sa propre communauté en enquêtant sur leurs violations.
« Je ne veux pas rester pauvre, je veux concrétiser, vivre mes
rêves », se confie la petite fille.
Chiraz avait un confident, un ami à qui elle parlait régulièrement
de ses projets, de ses désirs. Ce confident : c’est un arbre ! un
amandier, Mesdames et Messieurs.
Elle aimait la couleur de son écorce, de ses feuilles, et se sentait
en sécurité et en confiance sous son bel ombrage.
Quel plus beau symbole de la vie, de l’élévation de l’âme que
représente, en effet, un arbre !
L’amandier pour elle est le symbole de l’élévation, de la vie, de
culte, du chemin ascensionnel, de la mort, de la régénération. Il
contient une foule de significations cachées et son symbolisme est
présent dans la quasi-totalité des cultures et des religions.
Cet amandier est devenu son confident et son protecteur.
« Je veux vivre », disait Chiraz à cet amandier, elle lui faisait part
de son ambition, pour elle et pour les autres, de vivre mieux ! Tout
simplement vivre mieux ! Pour atteindre cette fin, Chiraz s’était fixé deux
objectifs : apprendre et être patiente. D’instinct, elle s’était approprié la
pensée de grands philosophes de l’Antiquité et du Siècle des lumières.
Après chaque difficulté vient le temps de l’embellie, de
l’amélioration. L’espoir fait vivre !
Malgré la pauvreté de son milieu et en dépit des nombreuses
coupures d’électricité, Chiraz avait accès à la télévision. Grâce à
des documentaires, des débats sociétaux et politiques, elle s’était
réveillée et avait pris conscience des « choses de la vie ». Son esprit
altruiste lui avait fait comprendre une notion essentielle de l’espèce
humaine : les Droits de l’Homme.
Qui dit « droits de l’homme », dit développement économique
et social dans toutes les régions sans distinction aucune. Dit aussi
droit à l’éducation, qui est garanti par la Convention internationale
des droits de l’enfant de 1989. Les enfants du monde ont droit à
accéder à l’école et à recevoir un haut niveau d’éducation.
Un minimum pour cette région pauvre où vivait Chiraz est
vivement souhaitable.
Chiraz ainsi que tous les enfants de la région luttent quotidiennement
contre la pauvreté et la cruauté de la vie pour échapper à leur condition
de naissance inspirée de misère et de pauvreté. Ils poursuivent leurs
études dans une école située à sept kilomètres de chez eux.
Chiraz, malgré son âge et grâce aux débats télévisés qu’elle
regardait régulièrement, savait bien que tous ceux qui vivent dans
l’extrême pauvreté ont droit à l’éducation. Ces personnes ont le droit
d’accéder à l’éducation de base et à tous les niveaux de scolarité
qu’offre le système éducatif, sans être exposées à aucune forme
d’exclusion ou de discrimination. Chiraz savait aussi que tous ceux
qui sont pauvres ont le droit d’accès à la culture et aux arts. Des
programmes spéciaux de formation, de lecture, et de littérature
doivent être mis en œuvre en coopération et avec la participation active
des pauvres et de leurs familles en tant que moyens d’éradication de
la misère. Les programmes de formation et de culture doivent viser
au respect de la dignité des pauvres, promouvoir la connaissance de
leurs droits et valoriser leur expérience.
« Je veux vivre », disait Chiraz et c’est avec détermination qu’elle a
décidé de réaliser son ambition. Finalement, elle a réussi à obtenir une
place dans un internat. Ce qui lui donna l’espoir de pouvoir alléger
ses souffrances et réaliser ses rêves. Pour elle, l’internat représente
un atout déterminant pour la réussite scolaire et l’intégration sociale
de nombreux enfants, notamment pour ceux qui ne trouvent pas des
conditions favorables dans leur environnement familial.
Dans cet internat, Chiraz constatait que chacun de ses
camarades était marqué par sa propre histoire, comme une trace
indélébile. Tous ont en commun un passé en général tragique ou
très dur. Ils sont souvent incompris et doivent parfois se réfugier
dans le silence ou encore le rejet.
C’est comme s’ils avaient dressé un mur, un rempart de
protection contre le monde extérieur, contre une vie qui fut sans
doute beaucoup trop dure et impitoyable pour eux ; au regard de
leur innocence enfantine.
Chiraz a découvert la réalité de cet internat qui était cruelle,
choquante : dortoirs froids, douches défectueuses, eau chaude
inexistante, réfectoires délabrés, vitres cassées, murs suintants
d’humidité, casiers rongés de rouilles, toilettes immondes, cuvettes
pleines de saleté : absence d’hygiène ! Que dire aussi de vieux
matelas crasseux et troués de partout ? Maltraitance physique et
émotionnelle que subissent ces enfants victimes et négligence dans
toutes ses formes ?
Chiraz disait : « Un tel état d’insalubrité et de négligence ne
peut être que démotivant pour moi. Loin de mes parents et mes
repères, comment je peux être à l’aise et avoir envie de poursuivre
mes études et devenir avocate ? »
Les turpitudes auxquelles elle assista, dans ce qui était une
véritable prison, infligées aux petits pensionnaires, l’absence totale
de liberté et la discrimination... Tout ceci du fait des enseignants
eux-mêmes qui firent comprendre à Chiraz que nul espoir d’une vie
meilleure ne pouvait naître dans cette région défavorisée de son pays.
Avec le temps, Chiraz comprit que personne – même au plus
haut niveau de l’État – ne faisait respecter les droits fondamentaux
de l’égalité entre les êtres humains, de la non-discrimination, du
droit de chacun à la jouissance de ses droits.
Personne ne garantissait les droits des individus de son pays
et ceci en contradiction la plus absolue avec la Constitution du
pays, de même qu’avec les conventions, les traités internationaux
et surtout le Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels de 1966.
Chiraz voit que le sort continuait de s’acharner sur les jeunes des
zones rurales exposées à toute forme d’injustice et de marginalisation.
« Dans des conditions de vie aussi pitoyables et avec une
scolarité aussi calamiteuse, comment était-il possible de réussir
dans la vie ? », se demandait Chiraz qui, totalement désabusée et
en proie à la plus vive douleur, comprit qu’elle ne pourrait – à elle
seule – apporter des remèdes à une crise si profonde.
Chiraz ainsi que beaucoup d’autres enfants ont dénoncé plus
d’une fois les conditions précaires de l’internat, mais les parents
impuissants n’avaient d’autre alternative : l’internat ou l’abandon.
C’est alors que Chiraz pensa à son amandier, son confident, son ami.
Elle lui parla de son désespoir et en le voyant et en lui parlant, elle
décida qu’un geste fort, définitif, irrémédiable, pourrait peut-être
secouer la conscience des gens.
« Je veux mourir », disait Chiraz. Elle décide de s’immoler et
c’est dans son amandier qu’elle voulut mourir. Elle y attacha une
corde et se jeta dans le vide.
Son Amandier, son ami, l’avait aidée à mourir.
Je veux mourir disait Chiraz. Elle décida de s’immoler et c’est
dans son Amandier
Chiraz a laissé une lettre d’adieu avant de se sacrifier en disant :
« Ma mère, mon père, pardonnez-moi, j’ai choisi de mourir parce
que je ne pourrai jamais réaliser mes rêves. »
Nous devons être tous conscients qu’il faut unir nos efforts pour
réduire l’égoïsme et l’avidité des hommes.
Car seul l’intérêt général compte. Que lui seul est gage de
progrès et de prospérité pour tous.
Je suis – en toute modestie – un peu Chiraz et j’ai voué ma vie
à ce que voulait défendre Chiraz : les Droits de l’Homme.
Chiraz est un symbole.
Ce symbole n’est pas mort. Il ne mourra jamais.
C’est le symbole de la vie, de la lutte pour un avenir meilleur.
Mesdames, Messieurs, je ne suis pas de ceux qui croient qu’on
peut supprimer l’inégalité dans ce monde, l’inégalité est une loi
divine, mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut
détruire la misère.