Prescription et responsabilité du banquier
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris
Le point de départ de l’action en responsabilité du banquier fait parfois débat. Tantôt, on le situera au jour de l’octroi du crédit ; tantôt, au jour où l’emprunteur réalise avoir été victime d’un défaut d’information ou d’un manquement au devoir de conseil.
Un arrêt rendu hier (Cass. Com., 9 février 2022, n° 20-17551 [1]) alimente ce débat.
Au cas d’espèce, une personne physique conclut une promesse d’achat portant sur un bien immobilier, sous condition suspensive de l’octroi d’un crédit immobilier. Ledit crédit lui est accordé en novembre 2009 par l’intermédiaire d’un courtier.
En janvier 2010, le bénéficiaire de la promesse refuse de signer l’acte de vente, soutenant que le prêt obtenu, quoique conforme à la condition suspensive, était excessif au regard de ses capacités financières et qu’il ne pourrait pas le rembourser. Les vendeurs et l’agence immobilière l’assignent en réparation de leur préjudice respectif.
Condamné à servir des dommages-intérêts, le bénéficiaire assigne en décembre 2014 alors la banque et le courtier en réparation des préjudices subis du fait de cette condamnation, sur le fondement de l’article 1240 du Code civil.
La cour d’appel (Agen, 12 février 2020) déclare l’action prescrite, faute d’avoir été introduite dans les 5 ans de l’octroi du crédit (soit en novembre 2014, un mois plus tôt). Pour les juges du fond, le fait générateur de responsabilité tenait dans l’octroi fautif du crédit. Celui-ci ayant eu lieu en novembre 2009, c’est à ce jour que l’emprunteur avait connaissance des faits lui permettant d’exercer son droit.
Le pourvoi soutenait que ce point de départ n’était pas le bon. Le préjudice subi résultait des décisions de justice ayant condamné l’acquéreur à indemniser le vendeur et l’agence immobilière, et non dans l’octroi abusif de crédit.
La Cour de cassation accueille le pourvoi. Prenant appui sur l’article 2224 C. Civ. et son point de départ « glissant », elle retient que « le dommage dont M. [Z] demandait réparation ne s'était pas manifesté aussi longtemps que les vendeurs et l'agent immobilier n'avaient pas, en l'assignant, recherché sa propre responsabilité, soit au plus tôt le 3 septembre 2010, de sorte que, à la date des assignations qu'il a lui-même fait signifier à la banque et au courtier, les 19 et 22 septembre 2014, la prescription n'était pas acquise ».
Dont acte : la prescription ne débutait pas au jour de l’octroi du crédit, mais au jour où l’acquéreur a été assigné en responsabilité pour son refus de régulariser la vente.
On observera qu’à rebours des juges du fond, la Cour ne se prononce pas sur le fait générateur. Elle ne dit pas que la faute de la banque ne tenait pas dans l’octroi abusif de crédit (comment pourrait-elle le dire ?). La Cour se place sur un autre terrain : celui de la connaissance des faits permettant d’agir.