Prescription et vices cachés à la recherche de la cohérence

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris


Nul n’a un droit acquis à une jurisprudence fixe. Pourrait-on a minima prétendre à une jurisprudence cohérente ?

Ou quand deux espèces totalement similaires reçoivent deux solutions opposées.

Un constructeur achète des plaques de couverture auprès d’une société Edilfibro et les incorpore dans une toiture. Le maître de l’ouvrage victime d’infiltrations assigne le constructeur, lequel appelle en garantie Edilfibro.

Acte I. Il y a trois ans, la chambre commerciale de la Cour de cassation jugeait (Cass. com., 16 janvier 2019, n° 17-21477 [1]) que « l’action en garantie des vices cachés, même si elle doit être exercée dans les deux ans de la découverte du vice, est aussi enfermée dans le délai de prescription prévu par l'article L. 110-4 du code de commerce, qui court à compter de la vente initiale ».

La Cour faisait ainsi valoir la théorie du double délai de prescription, selon laquelle l’action en garantie des vices cachés s’exerce dans un double délai : 2 ans de la découverte du vice et 5 ans de la vente (si le vendeur est commerçant).

Acte II. La troisième chambre civile de la Cour de cassation (Cass civ. 3e, 16 février 2022, n° 20-19047 [2]), que l’on sait hostile à la position de la chambre commerciale, réaffirmait son opinion dissidente. A des faits exactement similaires, elle oppose une solution diamétralement opposée. Au nom du droit d’accès au juge, composante du droit à un procès équitable (article 6.1 CESDH), la Cour affirme : « Sauf à porter une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge, le constructeur dont la responsabilité est ainsi retenue en raison des vices affectant les matériaux qu'il a mis en oeuvre pour la réalisation de l'ouvrage, doit pouvoir exercer une action récursoire contre son vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés sans voir son action enfermée dans un délai de prescription courant à compter de la vente initiale ».

Ce qui permet, en pratique, à notre constructeur condamné à indemniser le maître, d’exercer l’action en garantie (à proprement parler, il ne s’agit pas d’une responsabilité, contrairement à ce que dit l’arrêt) des vices cachés contre le vendeur des plaques, Edilfibro.

Si la solution s’avère favorable au constructeur, à qui l’on offre une action récursoire, elle nous semble regrettable en ce sens qu’elle allonge de manière injustifiée la durée de la garantie due par le vendeur initial. Alors qu’il n’était tenu que 5 ans, il pourrait être assigné sans limite de temps (hormis peut-être le bref délai de l’article 2232), la prescription étant « suspendue jusqu'à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l'ouvrage ».

La réunion d'une chambre mixte serait salutaire.