Prestation compensatoire, des difficultés récurrentes (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
France > Droit privé > Droit de la famille >  Régimes matrimoniaux > Divorce 
Fr flag.png

Auteur : Brigitte Bogucki
Avocate au barreau de Paris
Publié le 08/07/2014 sur le blog de Maître Brigitte Bogucki


Mots clés : prestation compensatoire, divorce, argent, régime matrimonial


La prestation compensatoire telle que prévue par les textes et la jurisprudence

Définition et calcul

La prestation compensatoire est destinée "à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Cette prestation a un caractère forfaitaire."

Précisons que la prestation compensatoire peut être due autant à un homme qu'à une femme.

Il n'existe pas de barème, ni de modalités de calcul qui soient prévues par les textes, de sorte que chaque juge applique sa propre martingale.

La loi prévoit simplement, en l' article 271 du code civil que pour calculer cette prestation compensatoire le juge doit prendre en considération notamment :

  • la durée du mariage ;
  • l'âge et l'état de santé des époux ;
  • leur qualification et leur situation professionnelles ;
  • les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;
  • le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ;
  • leurs droits existants et prévisibles ;
  • leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu'il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l'époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa.

A défaut de mode de calcul prévus, de nombreux auteurs ont tenté une approche objective avec établissement de mode de calculs et trois d'entre eux sont particulièrement connues (méthode de Stéphane David, expert auprès des tribunaux, de Dominique Martin Saint Léon, Magistrat et d'Axel Depondt, Notaire) mais donnent une différence considérable (de l'ordre de un à dix) de sorte qu'il faut les pondérer.

Au final il n'existe aucune méthode de calcul fiable et aucune prévisibilité réelle du montant de la prestation compensatoire.

En outre la Cour de Cassation a eut à statuer sur les éléments à prendre en compte et a connu des variations nombreuses.

On peut notamment retenir, en l'état de la jurisprudence actuelle que:

  • ne doit être pris en compte que la durée du mariage (à l'exclusion du concubinage précédent,
  • la durée du mariage s'entend jusqu'au moment ou le divorce est devenu définitif (donc comprend la durée de la procédure de divorce) et non jusqu'à la séparation des époux ou jusqu'à l'ONC
  • les biens propres (ou personnels) des époux doivent être pris en compte, y compris s'ils proviennent de donations ou héritage puisque l'on doit comparer les patrimoines
  • seul la situation présente ou prévisible doit être prise en compte donc les héritages futurs ne peuvent pas être pris en compte
  • les montants versés au titre du devoir de secours durant la procédure de divorce ne peuvent pas être pris en compte
  • tous les revenus doivent être pris en compte, y compris les indemnités qui compensent une incapacité de travail


Formes de la prestation compensatoire

La prestation compensatoire est en principe sous forme de capital payé en une fois, à ce titre elle bénéficie d'un régime fiscal favorable, le bénéficiaire ne règle pas d'impôt sur la somme perçue et le débiteur a un avantage fiscal.

La prestation compensatoire peut aussi se faire par abandon d'un bien, d'un droit viager ou d'un usufruit étant précisé que si le bien concerné est un bien propre (personnel) de l'époux débiteur qu'il a reçu par donation ou héritage, il faut son accord ( article 274-2° du code civil)

La prestation compensatoire peut exceptionnellement prendre la forme d'une rente viagère à condition que l'âge ou les conditions de santé du bénéficiaire ne lui permettent pas de subvenir à ses besoins. La jurisprudence est très ferme sur ce sujet et il faut notamment avoir passé l'âge de la retraite pour pouvoir espérer bénéficier de la rente viagère si aucun problème de santé grave ne vient le permettre avant.

Enfin la prestation compensatoire peut prendre une forme mixte, ce qu'a admis la Cour de Cassation.


Délai de règlement de la prestation compensatoire

Lorsque le débiteur n'est pas en mesure de verser le capital en une fois, l'article 275 du code civil prévoit que le juge fixe les modalités de paiement du capital, dans la limite de huit années, sous forme de versements périodiques indexés selon les règles applicables aux pensions alimentaires.

Il convient de préciser qu'à l'amiable ce délai peut être plus long que huit années.

La prestation compensatoire est due dès que le divorce est définitif et le règlement ne peut pas être repoussée à la date de liquidation du régime matrimonial. Le non règlement est considéré comme un abandon de famille et est donc à ce titre un délit pénal.


Une "compensation" difficile à comprendre pour les époux

Pour l'époux bénéficiaire

Le mot compensatoire entraîne souvent l'époux bénéficiaire à vouloir une sorte de dédommagement pour telle ou telle difficulté connue au cours de la vie commune ou pour la perte d'une chance de carrière par exemple. Pourtant ce n'est absolument pas l'objet de la prestation compensatoire.

De même le désir de continuer à vivre avec les enfants dans des conditions conformes aux habitudes de la famille est souvent déçue. Il n'est pas question de prévoir un pourcentage du revenu de l'époux débiteur et il est impératif que cet époux puisse continuer à vivre dans de bonnes conditions.

De même, lorsque l'époux débiteur a une nouvelle famille, avec donc de nouvelles charges, l'époux bénéficiaire est souvent choqué de voir que ses droits sont réduits au profit de cette nouvelle famille. Sans parler de la durée de la vie commune antérieure au mariage, parfois très longue, qui n'est pas prise en compte, ce qui peut aller jusqu'à priver totalement un conjoint de tout droit à prestation compensatoire si le mariage a duré très peu.


Pour l'époux débiteur

Pour l'époux débiteur et "victime" du divorce, c'est un sentiment de double peine qui prévaut. On doit lui expliquer que non seulement il est quitté mais qu'en outre il va devoir, sans tenir compte des fautes commises par son conjoint, lui verser une prestation compensatoire.

En outre si l'époux débiteur a eut la douleur de perdre jeune ses parents et donc d'hériter, il ne comprend pas pourquoi on doit prendre en compte son patrimoine y compris l'héritage alors que son conjoint va de façon évidente pour lui hériter (un jour) de ses parents d'un patrimoine bien plus important dont on ne peut tenir compte.

Lorsque les époux viennent de classes sociales ou économiques différentes, l'époux débiteur est particulièrement choqué de voir que du simple fait du mariage il doit à l'autre de l'amener à son niveau financier.

Lorsque l'époux bénéficiaire fait "durer" la procédure pour percevoir plus longtemps un devoir de secours (ou plus simplement pour embêter son conjoint), la conséquence est l'augmentation de la durée du mariage et donc des droits à prestation compensatoire, ce qui est à juste titre vécu comme une sorte de prime à la procédure particulièrement malsaine.


Des difficultés techniques et pragmatiques récurrentes

Une aggravation de la crise entre époux

L'absence de tout élément objectif pour l'établissement du montant de la prestation compensatoire rend très difficile la discussion et ouvre la porte à tous les excès, tant des justiciables que des juges, de sorte que loin d'être pacifiée la procédure en est plus agressive et plus complexe.


Une opacité dangereuse du patrimoine des époux

Comment évaluer efficacement une prestation compensatoire en ignorant tout de ce que donnera la liquidation des intérêts patrimoniaux des époux?

En effet, pour suivre les éléments de l'article 271 du code civil, il faut évaluer le patrimoine de chacun des époux or lors de la fixation de la prestation compensatoire le régime matrimonial n'est pas encore liquidé et il faudra parfois des années pour qu'il le soit ensuite.

Se contenter de considérer un bien à sa valeur déclarée par les époux sans tenir compte de l'éventuelle fiscalité sur la plus-value est irréaliste.

De même que ne pas savoir si l'un des époux va demander à titre de récompense ou de créance entre époux une somme à l'autre, ce qui peut purement et simplement vider le patrimoine de l'un au bénéfice de l'autre.

Sans compter le calcul de l'indemnité d'occupation, sorte d'épée de Damoclès dont le débiteur ignore même le montant.

Enfin, quid de l'évolution des actions et autres placements financiers, ou du fait que la fiscalité de l'un des époux est obéré par le fait qu'il perçoit des fonds pour la communauté ou l'indivision.


Un risque de condamnation pénale

La prestation compensatoire étant due la plupart du temps en capital et au jour ou le divorce est définitif, de nombreux époux créanciers pensent qu'elle devra être payée au moment de la vente des biens communs (/indivis) or tel n'est pas le cas en réalité. On est donc dans une situation parfaitement léonine ou l'époux bénéficiaire peut faire obstruction au partage tout en ayant la possibilité de porter plainte pour non paiement de la prestation compensatoire...


Une somme inappropriée quand le régime matrimonial n'est pas liquidé

Le juge considère lorsqu'il fixe la prestation compensatoire, que le régime matrimonial sera liquidé "dans la foulée." Malheureusement ce n'est souvent pas le cas et une procédure contentieuse en la matière peut prendre des années.

Dans ces conditions, les époux peuvent se trouver dans des situations personnelles très difficiles qui n'ont absolument pas été envisagées par le tribunal.

Voir aussi

« Erreur d’expression : opérateur / inattendu. » n’est pas un nombre.