Procès des attentats du 13 novembre 2015 - Le Live Tweet - Semaine TRENTE TROIS

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.


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Retrouvez sur cette page tous les tweets du procès issus des Live tweets de @ChPiret Charlotte Piret et @sophparm Sophie Parmentier ; elles suivent ce procès pour France Inter et nous ont donné l'autorisation de compiler leurs tweets dans un objectif de consultation et archivage.



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Semaine TRENTE TROIS

Jour 122 – Mardi 17 mai – Audition des membres du groupe Eagles of Death Metal

Bonjour à tous, après une semaine de suspension pour cause de contamination au Covid d'un des accusés, le procès des attentats du 13 Novembre reprend pour la 33e semaine et 122e jour d'audience.

Toute cette semaine, la cour va entendre les derniers témoignages de victimes, dont aujourd'hui, les membres du groupe Eagles of Death Metal qui ont souhaité s'exprimer à ce procès.

Le chanteur des Eagles of Death Metal, Jesse Hughes, doit être entendu très prochainement. Mais avant cela, Ilyad, qui était à la Bonne bière le 13 Novembre s'est avancé à la barre. Il explique avoir pris une balle dans la jambe.

Ilyad : "Je suis resté à guetter les assaillants le souffle couper et à penser que je risquais de terminer là. J'ai pris une balle de kalachnikov sur le haut de la cuisse qui m'a sectionné l'artère. Mon pronostic vital était engagé. Mon fémur était explosé."

Ilyad : "j'ai passé un an et 1/2 à l'hôpital des Invalides, 9 mois dans un fauteuil roulant." Il raconte que ce qui l'a aidé à surmonter ça c'est "cette fille qui a pris une dizaine de balles", cet ami "que j'ai vu demander à ce qu'on lui coupe la jambe, tellement il avait mal"

Ces gens, rencontrés à l'hôpital des Invalides l'ont aidé à se reconstruire, poursuit Ilyad. "On parlait calmement, on a ri, on a reconstruit nos vies ensemble".

Ilyad s'explique s'être relativement peu intéressé au procès mais "je suis venu entendre les auditions de certains accusés sur leur enfance. Et j'ai noté qu'ils avaient manqué de rien." Il se tourne vers le box. "Moi, à titre personnel, je n'ai pas de haine."

Ilyad : "quand je pense à cette histoire, je me dis que c'est une histoire folle. Et je ne suis pas certain que les individus du Moyen-Orient aient demandé que des Belges, des Français viennent chez eux pour prétendre à telle ou telle chose."

Ilyad : "je me dis que si je me mettais à leur place et que je regardais ma vie, je n'aimerais pas forcément ce que j'y vois. Comme tout être humain, il n'appartient qu'à eux de pouvoir y voir quelque chose d'autre."

Fin du témoignage d'Ilyad. Les membres du groupe des Eagles of Death Metal n'étant pas encore arrivés car coincés dans les bouchons, c'est Simon, survivant du Bataclan qui s'avance à la barre. Il est allé seul au concert ce soir-là, raconte-t-il.

Simon : "je n'avais pas de place pour assister au concert. Tous mes efforts avaient échoué. Un type sympa m'a revendu sa place au milieu des vendeurs à la sauvette. J'ai probablement sauvé la vie de cet homme fortuitement. Et j'aurais voulu lui dire que je m'en étais sorti"

Simon : "il y avait une sorte de légèreté dans l'air. J'ai échangé avec des inconnus de tout, de rien"." Puis, il raconte : "j'ai plongé instinctivement dans la fosse, je me suis réfugié sous une sorte de plaque métallique qui avait volé dans la salle."

Simon : "j'entendais les tirs, les cris de panique, les hurlements de douleurs, les suppliques. Et surtout les revendications des terroristes. Je me suis mis à attendre en me disant que plus il s'écoulait, plus les chances d'en sortir vivant augmentaient."

Simon : "puis les tirs sont passés au coup par coup. Et je me souviens très précisément du décompte macabre qu'un des terroristes faisait des victimes qu'il abattait : "26, 27, 28 ...."

Simon : "parmi les sons qui me parvenaient, il y avait les râles de souffrance d'un homme à côté de moi. Et puis le bruit des armes qu'on recharge. Tout à coup, j'ai entendu l'explosion d'une grenade au dessus de moi. C'était en réalité, le premier terroriste."

Simon : "et puis soudain on a enfin entendu l'injonction de nous lever, les mains sur la tête. Je me suis relevé. J'ai essayé d'en voir le moins possible, mais j'ai quand même remarqué cette jeune femme blonde, allongée sur le sol, le bras écrasé par l'un des policiers."

Simon se réfugie ensuite dans une cour d'immeuble, raconte-t-il. "Arrivent des rescapés, très choqués, libérés lors de l'assaut dont on a entendu les déflagrations".

Simon évoque l'après, et ces moments d'angoisse. Notamment ce jour où "je suis obligé de changer de rame de métro quand je vois que la personne en face de moi porte un T-shirt avec le dessin d'une kalachnikov. Il est arabe, il a 20 ans. Et on a le 24 novembre. "

Simon : "parmi les troubles qui perdurent, il y a mon rapport à la violence, des accès de colère rares et essentiellement limités au cadre familial mais inattendus."

"La justice va s'exercer selon les principes de la démocratie qu'ils ont voulu abattre et c'est pour moi rassurant," poursuit Simon qui explique encore que s'il est retourné au concert, "je sais hélas que je ne rentrerai sans doute plus jamais au Bataclan écouter de la musique"

Fin du témoignage de Simon. Les membres du groupe des Eagles of Death Metal sont arrivés dans la salle entretemps. Eden Galindo est le premier à s'avancer à la barre.

Vêtu tout en noir, Eden Galindo entame son témoignage : "je jouais dans le groupe des Eagles of Death Metal le 13 novembre On était en tournée, à Paris. On a fait les balances, tout se passait bien. On a débuté le concert. C'était vraiment bien, le meilleur concert de la tournée"

Eden Galindo (EODM) : "après quelques chansons, j'étais sur le côté de la scène et j'ai entendu des bruits sourds d'une fusillade. J'ai cru que c'était un problème de son. Jesse, le chanteur, est venue vers moi en cours. J'ai dit : "what the f... is going on?"

Eden Galindo : "je me souviens du public qui me regardait. J'ai vu l'expression sur leur visage. On a tous couru vers le côté de la scène. On pensait que ça allait s'arrêter. Mais ça continuait. Ils ont commencé à tous tirer en même temps."

Eden Galindo : "puis un des techniciens nous a dit : "la prochaine fois qu'ils rechargent, on court." Julian, le batteur est sorti en premier. Jesse [Hugues, ndlr] et moi sommes allés chercher sa copine dans le vestiaire à l'étage."

Eden Galindo : "puis on est sortis, on courait, on ne savait pas où aller. Et puis, un jeune homme, qui depuis est devenu un bon ami, nous a hélé un taxi et lui a dit de nous emmener au commissariat".

Eden Galindo : "puis, on a appris que notre responsable commercial, Nick Alexander, était mort." L'ancien guitariste du groupe poursuit :"nous sommes rentrés à la maison. Je me sentais comme brisé. C'était très difficile de reprendre un quotidien."

Eden Galindo : "je ne serai plus jamais le même après cette nuit-là. Nous sommes revenus en Europe, nous avons fini la tournée. Et le fait d'être avec le groupe, de parler de ce qu'il s'était passé, nuit après nuit, m'a beaucoup aidé."

Eden Galindo (EODM) : aujourd'hui, j'ai des jumelles magnifiques, une femme magnifique. Je vis une vie différente. Mais je ne serai plus jamais le même. Et je voudrais juste dire aux familles des victimes que je pense à elles tous les jours et je prie pour elles."

Place au témoignage de Jesse Hugues, chanteur du groupe Eagles of Death Metal (EODM) . Il a écrit un texte pour l'occasion. Costume noir, cravate rouge, Jesse Hugues tient d'abord à remercier : "la cour, les juges, la maire de Paris, l'association @lifeforparis..."

Jesse Hugues ( @EODMofficial) : "les événements du 13 Novembre ont changé ma vie. Et j'apprécie l'opportunité de pouvoir paraître devant vous aujourd'hui. Mais au fur et à mesure que ce jour approchait, j'ai ressenti cette nervosité que j'ai en moi depuis les attaques".

Jesse Hugues (@EODMofficial): "j'ai commencé à ressentir des choses que j'avais enfouis depuis le 13 Novembre 2015 et que je pensais que j'avais surmontés. Mon groupe était particulièrement heureux de jouer à Paris. Nous aimons Paris."

Jesse Hugues : "pendant le concert, nous avons entendu les premiers tirs. Venant d'une région désertique en Californie, le son des coups de feu m'est très familier. Je savais ce qu'il se passait. Je sentais la mort se rapprocher. J'ai été cherché ma copine. Je ne l'ai pas trouvée"

Jesse Hugues : "J'ai commencé à paniquer. Puis je l'ai retrouvée. On est sorti sur le boulevard où un ange du nom d'Arthur nous a mis dans un taxi et envoyé au commissariat. Je ne savais pas ce qu'il en était des autres membres du groupe."

Jesse Hugues : "puis, nous avons appris que nous avions perdu notre ami Nick [Alexander, ndlr]. Mais je savais déjà que nous avions perdu des amis car je considère tous les spectateurs comme des amis."

Jesse Hugues : "et 90 de mes amis ont été tués ce soir-là. De ces événements, je garde une belle chose : l'amour des Français envers moi. A partir de ce moment-là, j'ai été accueilli de manière incroyable. Je ne savais pas si j'aurais la force de remonter un jour sur scène."

Jesse Hugues : "ce qu'ils ont décidé de faire ce soir-là, c'est de faire taire la musique. Mais ils ont échoué. Le mal n'a pas gagné. Les accusés et les terroristes morts au Bataclan ont tenté d'imposer la terreur."

Jesse Hugues : "mais cette tragédie est devenue un flambeau de lumière et une capacité des Français à pardonner. Et c'est pour cela que j'ai pardonné à ceux qui ont commis ces actes. Et je prie pour eux, pour que la lumière de notre seigneur jaillisse sur eux."

Le chanteur des Eagles of Death Metal (@EODMofficial) conclut son témoignage par "You can't kill Rock'n'roll"

Place au témoignage d'Alice. "J'étais au bataclan le soir du 13 Novembre 2015. Je vis en province et j'avais fait le déplacement spécialement. Je suis arrivé en avance, j'ai pu rencontrer le chanteur. Et quelqu'un nous a pris en photo. Cela laissait présager d'une belle soirée."

A son tour, Alice raconte une soirée particulièrement réussie. Avant "les premiers coups de pétard. Et j'entends un cri, un seul. On se retrouve tous au sol. Je comprends tout de suite. Je pense à Charlie et tout ce qui a suivi. Mais je ne comprends pas pourquoi ça arrive ici."

Alice : "je me disais "pourquoi ici ?" et "pourquoi nous?". A ce moment-là, ça n'avait aucun sens." Puis je vois quelqu'un avec un jogging et un T-shirt blanc. Et je me dis : "alors c'est ça un terroriste ?" Je vois une sorte de rage sur son visage, quelque chose de très puissant".

Alice : "j'ai baissé les yeux et à ses pieds, j'ai vu un jeune homme les yeux fermés. J'ai continué à baisser le regard et j'ai vu que son T-shirt était plein de sang. J'ai compris que tout cela était réel, qu'on allait tous mourir."

Alice : "j'ai pensé à mes parents. J'ai espéré qu'ils sauraient que je serais morte en faisant ce que j'aimais le plus, à savoir un concert de rock. Et puis j'étais triste de mourir à 28 ans et de ne pas avoir de futur. Je me demande si une balle fait mal. "

Plus tard Alice se réfugie dans une loge. "Puis un homme rentre en disant "je suis blessé". Il avait un trou dans le bras. Je ne savais pas quoi faire pour lui. La loge est pleine, on ne peut même pas fermer la porte. Il y a aussi une jeune fille blessée à la jambe."

Comme beaucoup de victimes, Alice explique avoir eu beaucoup de pensées du quotidien : "j'ai pensé à qui avait mon double de clés car je venais d'adopter un chat. Et je savais que je ne rentrerai pas".

Alice explique également ce moment où il a fallu traverser la scène de crime : "on en vient à ce pourquoi j'ai voulu témoigner aujourd'hui. Car c'était le moment le plus difficile pour moi : la sortie. Je vois plein de chose : des sacs, des vêtements, des téléphones."

Alice : "arrivée au niveau du stand de merchandising, je regarde la fosse. Et je vois au loin une jeune fille au sol. Elle est à plat ventre. Et tout de suite je fais un transfert. Je ne vois qu'elle. Et je me dis que je pourrais être elle. Et surtout qu'elle devrait être moi"

Alice est alors soutenue par un agent de sécurité : "il me dit de regarder le plafond. Et je m'abandonne totalement à lui. Ce soir-là, cet homme m'a sauvée, et épargné tellement de choses. Je ne sais toujours pas qui c'est. Il restera toujours mon héros anonyme"

Alice finit par rejoindre son hôtel. "Je m'excuse de rentrer tard. Le portier était au courant mais il m'a dit : "je croyais que vous étiez morte"." Elle sourit : "bah non".

La suite pour Alice c'est "l'hypervigilance, la zone de confort qui exploser, la perte de repères, l'arrivée d'une hyperactivité, un changement de caractère, les effets secondaires des médicaments, le syndrome du survivant".

Alice : "j'ai aussi pensé au suicide plusieurs fois. Je sais que je ne suis pas la seule. Et certains n'ont pas fait qu'y penser. Mais quand votre mère vous dit que si vous ne vous étiez pas sortie ce soir-là, elle se serait suicidée, ça met une petite pression".

En conclusion de son témoignage, Alice fait projeter à l'audience la photo prise avec le chanteur des Eagles of Death Metal, Jesse Hugues, quelques heures avant le concert du 13 Novembre 2015. Tous deux y apparaissent enlacés et souriants.

Place au témoignage de Jaël, également survivante du Bataclan. "La musique c'est ma passion. Tellement que j'ai fini par en faire mon métier. Ce soir-là, je profitais de ce concert en tant que fan absolu de rock, de métal et des Eagles".

Jaël : "on était arrivés en avance parce que pour nous c'était "premier rang ou rien". Dès la fin des cours, avec mon meilleur ami, on a couru pour rejoindre la salle. C'était une ambiance joyeuse. La salle était bondée, particulièrement dans la fosse."

Jaël : "puis ces fameux coups, pour nous c'était un spectacle de pyrotechnie. Je sens une odeur, j'entends des cris. Je vois la salle baissée, moi je n'arrivais pas à me baisser complètement. Je vois trois hommes."

Jaël : "à un moment les coups s'arrêtent. Je me dis : "c'est là". J'ai tourné la tête pour regarder mes amis et je suis passée par dessus la barrière, croyant qu'ils me suivaient." Elle parvient à fuir. "J'ai marché toute seule dans Paris. Chaque voiture était pour moi un danger"

Réfugiée chez une amie, Jaël ignore que son meilleur ami et le père de celui-ci avec qui elle était au concert sont toujours à l'intérieur du Bataclan". Le lendemain, elle retrouve son meilleur ami "mais on n'avait pas de nouvelles de son papa".

Jaël finit par apprendre son décès. "De le voir dans un cercueil, c'est insupportable. Il avait la joie de vivre. Et aujourd'hui, il n'est plus là. Moi, il me manque aussi. Beaucoup".

Jaël : "depuis ces événements là, j'ai déménagé au Royaume-Uni parce que je pouvais plus. Je continue à faire des concerts. Je ne sais pas si ça me rend joyeuse ou malade, mais je continue. "

Au tour de Camille : "le 13 Novembre 2015, j'allais avoir 25 ans." Au Bataclan, elle rejoint des amis, dont Jaël qui vient de témoigner. "J'étais plus heureuse que je ne l'avais été pendant des mois car en 2015, je traversais une période de dépression assez sévère"

Camille : "je ne sais pas comment j'ai réussi à garder mon calme malgré la terreur sans nom qui m'habite à ce moment-là. A chaque tir, je me demande si ça va faire mal, quand ça va être mon tour. J'espère que ça va aller vite. Comme éteindre un interrupteur."

Camille : "à un moment, quelqu'un crie qu'ils sont en train de recharger et que c'est le moment de fuir. Je me dis que je dois essayer car je suis incapable de rester une seconde de plus dans cet enfer, quitte à mourir en essayant".

Camille parvient à fuir : "je vais passer les trois heures qui vont passer dans le studio d'une étudiante qui nous a accueilli avec une immense gentillesse. J'essaie de joindre mes amis, il y en a un qui répond. Il est encore dans la fosse. C'est terrifiant."

Camille est prise en charge par la sécurité civile : "on doit passer par le boulevard Voltaire. Là, il y a le corps d'un homme seul. C'est quelqu'un à qui je pense depuis six ans. C'est une vision terrible."

Camille : "puis on passe devant la porte du Bataclan. Je n'ai pas de nouvelles de trois personnes, je me sens obligée de regarder. C'est bref, mais ...."

Camille : "à partir du 14 novembre, c'est un nouvel enfer qui va commencer. J'étais complètement perdue. C'est toujours le cas aujourd'hui. Mais comme j'étais pas blessée, je n'avais vu au final que peu de choses, j'ai cru que ça allait passer et je n'ai pas cherché d'aide".

Camille : "je me suis convaincue que ça allait, je me suis même réfugiée derrière mes problèmes d'avant parce que ça me semblait plus facile à gérer. Bien sûr, ma brillante idée d'ignorer le problème n'a pas très bien fonctionné."

Camille : "la noirceur qui est née le 13 Novembre 2015 a grandi. Elle a fini par prendre beaucoup de place. Et elle a fait de moi quelqu'un que je déteste. Violemment parfois. J'ai l'impression d'avoir été réécrite à 21h47 ce soir-là."

Camille : "j'ai essayé de garder toutes ces émotions négatives pour moi. Et elles m'ont rongée de l'intérieur. Je ne voulais pas montrer ces parties de moi avec lesquelles je n'arrivais pas à me réconcilier. J'ai commencé à mentir, à dissimuler ma souffrance, le plus possible"

Camille : "pour tenir, je me suis tournée vers la nourriture et mon trouble alimentaire que j'avais déjà un peu auparavant s'est aggravé. Mon univers s'est rapetissé, jusqu'à se limiter aux 12 mètres carrés dans lesquels je vivais à l'époque."

Camille : J'avais repris des études que je n'ai jamais finies. Pour lesquelles j'ai contracté un prêt étudiant que je rembourse encore. Je me suis sentie tellement seule, à ma place nulle part. Même avec les personnes que j'aime le plus. "

Camille : "je ne savais plus parler aux gens et je pense que certaines personnes ne savaient plus me parler non plus. Je me suis aussi isolée des autres rescapés, même de mes propres amis. Parce que je ne me sentais pas légitime."

Camille : "tout ça c'est ce que les terroristes responsables du 13 Novembre 2015 on causé. Ils m'ont plongée dans une souffrance sans limites. Personne ne mérite ce que ces personnes nous ont imposé. Ça n'a pas de sens. Je ne suis pas sûre de pouvoir pardonner un jour."

Camille : "je n'ai pas de haine, tout ce que je souhaite c'est qu'un jour, ils réalisent vraiment le mal qu'ils ont causé. Je voulais juste dire qu'aujourd'hui, ça va mieux. J'ai repris un travail. J'ai beaucoup appris des autres rescapés venus témoigner ici."

Camille : "il y a tellement de solidarité et de bienveillance parmi les parties civiles. Je pense que c'est là que se trouve la véritable humanité et la preuve qu'ils ne gagneront jamais."

Place au témoignage de Cédric : "je voudrais dire que les parties civiles qui ont témoigné pendant 5 semaines m'ont impressionné. J'ai surtout été touché par les témoignages des parents endeuillés. Car j'ai perdu ma fille, Milo, née prématurée en novembre 2020."

Cédric : " le 13 Novembre 2015, le concert commence, on s'amuse vraiment. Je mets du temps à réaliser. Je me retourner et vois un jeune homme avec une mitraillette à la main. Je me dis que le gars est déséquilibré et qu'il et venu faire une mauvaise blague. "

Cédric : "le tireur est méthodique. A ce moment-là, je crois toujours que ce sont des balles à blanc, jusqu'à ce qu'une douille vienne me percuter. A part les coups de feu, il règne un silence troublant."

Cédric : "Comme prof d'histoire, je me rends compte que je vis un moment historique et que je vais être amené à témoigner. Alors je me mets à enregistrer toutes les informations que je peux."

Cédric : "si je dois mourir, je me dis que j'aimerais mourir une pinte à la main. Alors j'attrape une pinte en plastique et je la serre très fort, je me raccroche à ça : je trouve ça rock'n'roll. J'espère que mes proches se diront ça aussi."

Cédric : "puis les rafales reprennent et là c'est dur psychologiquement, je me sens piégé comme un rat. Puis mon colocataire me dit qu'ils ont ouvert une issue de secours. A ce moment-là, il me sauve la vie".

Cédric : "l'attentat a duré une soirée, mais cela fait six ans qu'on vit avec le post-trauma. Le week-end, je témoigne au 36, quai des Orfèvres et le lendemain, je retrouve mes élèves. Je veux les rassurer en essayant de mieux comprendre ce qui s'est joué le 13 Novembre au soir"

Cédric : "en 2015, mes élèves, des lycéens, ont entre 15 et 18 ans. Donc pour eux le 11 Septembre c'est déjà l'Histoire avec un grand H. Les caricatures de Charlie, moi, je les ai toujours montrées dans mes classes. Avant et après. On parle aussi de la Syrie, de l'Irak."

Cédric : "ce jour-là, je mesure dans son acception pleine, l'importance de mon métier. Je veux préciser à quel point cela a été une journée forte, pour mes élèves comme pour moi."

Cédric : "quelques jours après le 13 Novembre je n'arrive plus à me lever. Je découvre ce qui va devenir un mauvais compagnon de route : le syndrome de stress post-traumatique. Je n'ai plus beaucoup de souvenir de cette période qui va durer plusieurs mois."

Cédric : "un jour ma mère me demande d'aller acheter des tomates. Pour moi, cela signifie me souvenir de ce qu'elle m'a dit, sortir de la maison, interagir avec d'autres personnes. Autant de choses que je suis incapable de faire."

Cédric : "ce procès doit servir, c'est un souhait que je formule, d'électrochoc pour repenser la place des victimes d'attentats, directes ou indirectes. C'est la double peine. Et ce n'est ni normal, ni acceptable."

Cédric : "l'attentat a pulvérisé ma mémoire. J'ai perdu des bouts de moi-même. Mes proches sont devenus une sorte de disque dur externe de parties de ma mémoire auxquelles je n'ai plus accès. Ma capacité de concentration a beaucoup réduit, cela me fait perdre beaucoup de temps"

Cédric : "mon sommeil n'a pas été réparateur pendant de nombreuses années. Et pourtant, je faisais des nuits complètes et sans trop de cauchemars."

Cédric : "avant l'attentat, je ne prenais aucun médicament. Pour moi un doliprane, c'était une drogue dure. Alors un demi Atharax, cela me fait dormir douze heures d'affilée."

Cédric : "en tant qu'homme me projetant dans la paternité, je m'interroge. Qu'est-ce que je vais transmettre de ce trauma à mes futurs enfants ?"

Cédric : "ce qui m'a permis de me reconstruire et rester debout c'est mon hédonisme. JE suis un bon vivant. Les copains, les bonnes tables, voilà ce qui m'a le plus soutenu."

Cédric : "ce procès qui touche à sa fin, j'en ressors totalement épuisé. Je suis en arrêt maladie de longue durée. Ma thèse est en suspension. Ma fille est morte. Et mon ancienne compagne a fait le choix de rompre. Et le procès me ramène en 2015. Retour à la case départ."

Cédric : "je venais un peu naïvement au procès chercher la vérité. J'en suis rapidement revenu. On s'est retrouvé face à des petits délinquants, on a l'impression d'être dans un vulgaire procès de stup'. Et ce pendant des mois."

Cédric : "leurs amis sont morts, les frères sont morts, Ils ont ruiné leur vie. Ils ont ruiné celle de leurs parents et de leurs proches. Et tout ça pour quoi ? Pour une vision totalement erronée d'une religion dont ils ne savent rien."

Cédric : "moi je suis athée. Faisons le pari de Pascal à l'envers, imaginons que Dieu n'existe pas. Alors ils auront ruiné leur vie. La seule qu'ils ont. Parce qu'après, il n'y a rien."

Cédric : "le mal n'est pas l'apanage des monstres et des barbares. Il est aussi celui des médiocres. Face à cela, il y a eu des héros : Didi, algérien naturalisé, qui a ouvert les issues de secours ; Sonia qui s'est déclarée musulmane et a sacrifié sa vie pour en sauver."

Cédric : "pour moi, le procès est un moyen de reprendre le dessus, d'inverser le rapport de force. Je n'ai qu'une hâte c'est que ceux qui seront déclarés coupables retournent dans l'anonymat de leur cellule et purgent leur longue peine sans les projecteurs braqués sur eux."

Cédric : "dans l'idéal, j'aurais voulu boire une bière à cette barre, celle que je n'ai pas eu le temps de boire au Bataclan. La boire devant les responsables et complices des attentats, comme un geste de vie, d’hédonisme

Cédric : "je finirai sur la question du rapatriement des enfants de djihadistes qui vivent dans des camps. A ces enfants, j'aurais envie de chanter quelques vers de Tonton George. Brassens, bien sûr : mourir pour des idées. D'accord, mais de mort lente"

L'audience est à nouveau suspendue quelques instants avant la suite des témoignages de victimes.

Magali est la prochaine à s'avancer à la barre. Elle salue tout d'abord l'organisation du procès et la retransmission via webradio. "Entendre des parties civiles témoigner me permets de reconstituer le puzzle de ce soir-là".

Magali : "tous les jours, je salue ma chance d'être en vie. Le 13 Novembre 2015, je n'ai pas eu de deuil à faire. Si ce n'est celui de ma vie d'avant."

Magali : "J'étais convaincue que si je mourrais là, je tuais ma mère au passage, très fragilisée par cinq années de cancer. Je priais pour gagner quelques secondes de vie. Les terroristes tirent au coup par coup. Un tir : un mort ou un blessé. Je vois mon voisin cracher du sang"

Magali explique se décider à fuir. "En soulevant mon bassin, une balle me traverse le nerf sciatique". Elle parvient tout de même à sortir, est transportée dans un appartement du passage Saint-Pierre-Amelot. "Ce soir-là, le pire et le meilleur de l'humanité se sont côtoyés"

Magali est opérée dans la nuit, hospitalisée jusqu'en février 2016. Puis rentre chez elle "en béquille et avec un traitement à vie pour les douleurs neuropathiques. Fin 2016, je marche sans béquille mais en boîtant et reprend mon travail en grande section de maternelle".

Magali : "je réussirai à travailler trois années, mais les exercices alerte attentats auront raison de ma volonté." "Le 13 Novembre 2015 a brisé des vies et des couples. Le mien n'y a pas échappé.

Magali : "un suivi psychologique assidu pendant 5 années m'a permis d'aller mieux. Avec des hauts et des bas. J'ai dû reprendre ce suivi au début du procès."

Magali : "je vis ce procès de loin. Aucune parole ni condamnation des accusés ne pourra réparer le mal qui a été fait. Il est difficile d'entendre un terroriste se plaindre de n'avoir pu parler à son ami pendant six ans quand d'autres en son privés à vie".

Magali : "j'espère qu'un jour en France seront enseignées dès le plus jeune âge la tolérance et l'empathie. Nous devons apprendre à vivre ensemble pour cocréer un monde meilleur. Je laisse la justice faire son travail. Le mien est très égoïstement celui de la reconstruction."

Guillaume : "je vous remercie de cette nouvelle possibilité de témoigner. En octobre, cela me paraissait impossible. Et puis, il y a eu ce procès et tant qu'il n'était pas commencé, ce n'était que des mails, des courriers que je n'ouvrais pas. Il n'avait pas de place."

Guillaume : "ce début du procès a été vraiment super dur. Je n'aurais jamais imaginé que le cartésien que je suis puisse vaciller comme ça. Je le suivais tous les jours, avec la webradio, même en classe, je me cachais avec mes écouteurs, ça ne ressemblait à rien."

Guillaume : "vous êtes devenu mon obsession, monsieur le président." Quelques rires dans la salle. Il sourit. "Ça arrive ... Et puis un jour, j'ai oublié d'aller chercher mes enfants à l'école. Alors j'ai tout arrêté. Définitivement."

Guillaume : "mais ici, j'ai l'impression qu'on peut juste être soi. Ou plutôt que je suis le moi d'après à qui on parle comme le moi d'avant. C'est apaisant d'être ici, dans cette salle."

Guillaume : "j'ai beaucoup parlé de ce soir-là, mais je ne suis jamais parvenu à exprimer les sentiments qui m'ont véritablement habité. J'ai toujours pu dire ce que j'ai réussi à faire. Mais jamais ce que j'ai subi. Et la différence est peut-être fine. Mais elle est réelle."

Guillaume évoque le premier mouvement de foule "puis un bout de canon qui apparaît. Il me paraît long, immensément long. C'était beau en plus, c'était magnifique ces éclats qui sortent du canon. Dans le noir c'était magnifique. Mais le bruit était hébétant."

Guillaume : "je me retrouve au sol. Je ne sais pas comment. J'appelle ma compagne. J'étais super content de pouvoir le faire. J'imaginais cet appel beau, un peu hollywoodien. Moi j'étais extrêmement calme, mais en face c'était des hurlements. Donc j'ai arrêté cette discussion"

Guillaume : "j'ai rampé sur des gens, avancé. Il y avait une pile de personne dans cette salle. C'était super facile de monter les escaliers parce qu'il n'y avait quasiment plus d'escaliers. Et puis, il y avait une petite salle, tout sombre."

Guillaume : "c'est à ce moment-là que je me suis rendu compte que j'avais super mal. J'ai touché avec mon doigt et mon doigt est rentré complètement. Et ça coulé. J'ai demandé si quelqu'un avait une écharpe pour faire un garrot."

Guillaume : "et une fille m'a dit que oui. Et si elle veut savoir, mon 2e fils né peu après, a son prénom. C'est pas glauque. Moi je trouve ça super joli. Ce soir-là, cette écharpe ce n'était pas une écharpe, c'était de l'espoir pur." Il a apporté l'écharpe avec lui.

Guillaume : "cette écharpe, je l'ai portée tout l'hiver. Puis, on a déménagé en juillet. Et en la mettant dans un carton, je me suis rendu compte que dessus c'était des chouettes. Et pas des têtes de morts comme j'en était persuadé".

Guillaume : "quand on est sorti, le policier de la BRI m'a dit : "surtout tu ne regardes pas la fosse". J'ai trouvé ça ridicule et inepte de dire une chose pareille. J'ai failli lui répondre : "tu crois que j'étais où juste avant?" Moi, il fallait absolument que je regarde."

Guillaume :" il fallait que je regarde parce que c'était la moindre des choses que je devais à ces gens grâce à qui j'étais là parce qu'il avait pris la balle sur deux dont on ne savait pas pour qui elle était."

Guillaume évoque son 2e fils "qui m'a sauvé en naissant. Et ma compagne m'a sauvé en ne disant rien et en acceptant le piètre personnage que je devenais."

Guillaume : "je voulais parler de mon premier fils. Il avait onze mois à ce moment-là. A ses 18 mois, alors que le langage s'installait solidement, je lui ai lu une histoire." Après cela, son fils s'est mis à répéter "a peur, Papa mort", a peur", pendant des heures."

Guillaume explique que son fils est "victime du syndrome du stress post-traumatique" : "Il est toujours suivi deux fois par semaine, il a sept ans. Aujourd'hui, notre fils n'est pas reconnu victime de ces événements."

Guillaume : "moi j'accepte les conséquences pour moi. Je sais d'où elles viennent et j'en sais les raisons. Mais mon fils qui en subit les conséquences bien plus que moi, je ne peux pas l'accepte".

Guillaume : "moi j'accepte les conséquences pour moi. Je sais d'où elles viennent et j'en sais les raisons. Mais mon fils qui en subit les conséquences bien plus que moi, je ne peux pas l'accepte".

Guillaume : "pour conclure, je voudrais répondre à la demande d'un des accusés. Moi, je vous pardonne. Vraiment. Mais avec toute la tristesse d'un adulte qui sait que vous lui avez gâché sa vie."

Guillaume : "mais moi je lui formule une demande à mon tour : s'il est sincère, puisse-t-il œuvrer pour que cela n'arrive plus jamais."

Félix est le suivant à s'avancer à la barre. Il est très ému, explique d'emblée "avoir fait de la dissociation" : "je savais que j'étais allé dans la salle, mais je n'en avais aucun souvenir. Du coup, j'ai continué à vivre normalement."

Félix : "mais tout me poursuivait. Je n'avais pas l'impression d'avoir changé, mais tout me rappelait ces événements. J'ai décidé d'aller loin, en Australie. Mais ça n'allait pas. J'ai du rentrer. Et après trois ans à vivoter, ça s'est aggravé. Je me réveillais en pleurs."

Félix : "je ne faisais que travailler. Travailler, rentrer chez moi, pleurer. J'avais aussi une très forte consommation d'alcool. Qui a commencé à m'handicaper pour mon travail. Jusqu'au jour où ça n'était plus tenable." Il a alors entamé une thérapie.

Félix est très ému à la barre : "cette thérapie a porté ses fruits. Et du coup, je me suis rappelé l'attaque, tout ça. J'étais au milieu de la fosse. Je me suis rappelé de tout. Je me suis rappelé de mon corps en pilotage automatique qui a tout fait pour sortir. "

Félix : "on a tous envie de se dire dans ce genre de situation, on se comporte en héros. Et ce n'est pas du tout mon cas. Pour sortir j'ai bousculé, j'ai poussé, j'ai piétiné tout ce qui se trouvait sur mon passage. Et j'en suis vraiment désolé."

Félix : "je ne suis pas sur le banc des accusés, mais c'est une chose qui me hante, tout le temps. Je vis enfermé avec ma culpabilité. Tout ce que j'aimerais c'est pouvoir oublier." Le président intervient : "vous êtes une victime, monsieur. Point."

Félix repart s'asseoir. Bertrand lui succède à la barre. Il est au Bataclan avec son ami Jérôme ce soir-là. Bertrand explique s'être fait marcher dessus "peut-être par la personne qui a témoigné avant moi. Et je veux lui dire que c'est bien qu'il s'en soit sorti."

Bertrand : "je pense tous les jours aux victimes de cette nuit. Je pense à leurs proches. Tous les jours. Aux blessés aussi. Et puis, je voulais poser les valises de la colère, sortir de cette salle d'audience en étant débarrassé de tout ça".

Bertrand : "ma vie après le 13 c'est les angoisses nocturnes, l'hypervigilance, les douleurs, l'impression de vivre dans le corps d'un vieillard, la maladie chronique, un licenciement économique"

Bertrand confie aussi sa colère : "contre certains témoins, proches d'accusés, certains avocats aussi. Cette colère c'est aussi une sorte de déception d'avoir été agressé par des anachroniques. Je n'ai aujourd'hui pour tous ces gens que du mépris. Pour moi, ils sont tous morts".

Fin du témoignage de Bertrand. Julien, veste bleue sur jean noir, s'avance à son tour. "Si je suis ici, après avoir tout d'abord hésité, c'est que j'ai décidé que mon témoignage avait sa place. Ce procès aura peut-être déjà servi à cela".

Julien raconte à son tour ces "spectateurs qui se sont effondrés comme des dominos dans un mélange de râles et de cris". Il voit alors "une porte qui s'est ouverte. J'ai marché, rampé, trébuché dans la direction de la porte."

Julien : "le sol de la fosse n'était à ce moment-là qu'un enchevêtrement de corps. D'autres l'ont dit et je le dis à mon tour : j'ai honte d'avoir du marcher sur ces gens".

Julien évoque son grand-père, "mitraillé en août 1944. Blessé, il parvient à en réchapper et fut l'unique survivant du massacre d'Olly. Il a vécu toute sa vie avec ce qu'on appelait pas encore le syndrome de stress post-traumatique. Il a vécu jusqu'à 92 ans et est mort en 1997."

Julien : "la prise de parole des victimes était vitale, trace ineffaçable de ce que tous ont vécu. Mais il n'y a pas eu de réponse car il semble impossible de dépasser ce sentiment abyssal d'absurdité et d'un immense gâchis. Sans rien attendre, j'ai tout de même été déçu."

Ophélie, T-shirt rayé laissé un tatouage visible dans le dos, témoigne à son tour : "je n'avais pas prévu de témoigner, ni de lire tous les compte-rendu. Mais au fil des semaines, une évidence : je me plonge dans les détails de ce qu'a été le 13 Novembre "

Ophélie explique tenir un carnet depuis le 13 Novembre 2015. Elle lit à la barre les premiers mots qu'elle a couché alors. Elle raconte à son tour : "beaucoup de gens couchés à tard, du sang partout, on me marche dessus." Elle est blessée, extraite de la fosse par un spectateur.

Ophélie : "la balle m'a traversé le dos du bas de l'omoplate au coup. Elle y est peut-être encore. Sur l'échelle de la douleur, je suis à 10/10. Les médecins me posent un drain et me donnent de la morphine."

Ophélie lit encore ce qu'elle a écrit depuis l'hôpital, dans les jours qui ont suivi les attentats : "j'ai plus de cicatrices de Rambo, Chuck Noris et Jack Bauer réunis".

Ophélie : "une partie de moi est morte ce soir-là, je la traîne comme un boulet. Neuf mois de procès, peut-être que cela me permettra d'accoucher de cet être mort. Ce procès m'a permis de mieux comprendre ce qu'il s'est passé pour moi ce soir-là."

Scott, béret et chemise à carreau, les avant-bras couverts de tatouages, s'apprête à témoigner à son tour, via une interprète anglophone. "Ce soir-là, j'ai proposé à mon fils de m'accompagner. Je suis très heureux qu'il m'ait dit non".

Scott : "Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas très claires pour moi, mais tout le monde s'est mis à terre. J'avais des personnes sur moi, en-dessous de moi. J'ai compris qu'on était au coeur d'une attaque. Je me souviens de cette odeur de poudre et de sang."

Scott : "je me suis dit : "j'ai deux options. Soit je reste là et je peux mourir. Soit je pars et je peux prendre une balle dans le dos. C'était une décision très difficile à prendre. Et puis quelqu'un m'a dit : "pars, ils sont en train de recharger"."

Scott, en pleurs : "j'ai rampé sur des gens. Je ne sais pas s'ils étaient morts. Je voulais juste sortir de là. A un moment, je suis arrivé au moment de là scène et je me suis dit : "ne te retourne pas sinon ils vont te tirer dessus"."

Scott : "j'ai vu une femme qui était totalement hystérique, elle ne savait pas ce qu'il se passait. Je me souviens l'avoir attrapée et littéralement jetée dehors. Et puis, j'ai couru jusqu'à en perdre haleine ; Et puis j'ai entendu des tirs. Et j'ai continué à courir."

A son tour, Scott raconte les difficultés de l'après-13Novembre Les cauchemars : "je me réveillais en sueur chaque nuit" La consommation excessive d'alcool : "pas pour le fun" La difficulté de garder ses amis ou d'avoir des relations amoureuses.

Scott : "enfin, j'avais des choses très méchantes à dire aux personnes qui sont assises à ma gauche." Il montre le box des accusés. "Mais c'est idiot de les dire. Ils savent ce qu'ils ont fait et ils vont rester en prison pour le reste de leur vie".

La dernière personne à s'avancer à la barre est la maman d'une survivante des terrasses dont elle ne veut pas que le nom soit rendu public. "Au fil des jours, des mois, je vois l'horreur des corps sur le trottoir, je vois grandir en elle la culpabilité de celle encore en vie"

Cette mère raconte encore que sa fille "s'est recollée, étape après étape, mais le vase de cristal est brisé à tout jamais".

Fin de ce dernier témoignage et de cette 122e journée d'audience. "Nous reprendrons demain à 12 heures, annonce le président, car la journée est chargée".

Jour 123 – mercredi 18 mai – Témoignages de 17 victimes

Bonjour à tous, Les témoignages de victimes se poursuivent au procès des attentats du 13 Novembre 2015. Hier, la cour a notamment entendu les membres du groupe Eagles of Death Metal, au Bataclan ce soir-là

Aujourd'hui, 17 victimes du Bataclan sont attendues à la barre.

Tous les accusés étant dans le box (comme hier), l'audience peut débuter immédiatement.

Vanessa, 33 ans, s'avance à la barre. "Je travaille dans une agence de communication, comme j'ai l'impression la moitié de Paris. Je suis une femme assez banale. Sauf pour cette phrase que je dis souvent : "j'étais au Bataclan le 13 Novembre 2015".

Vanessa : "j'ai 27 ans en novembre 2015. Quand l'attaque a commencé, je me suis dit : je vais mourir aujourd'hui dans un concert parce que j'aime le rock, parce que j'aime la vie et que j'en profite chaque seconde."

Vanessa : "on a multiplié les concerts cette semaine-là. Je pressens un concert génial, un concert de folie. Les premiers coups retentissent. Même quand je vois les gens grimper les uns sur les autres comme des animaux pris au piège, je me suis dit : ce n'est rien".

Vanessa : "en rampant, j'ai répété ce qui est devenu mon mantra : tout va bien. Laisser passer ce petit garçon de 8 ans et sa mère en répétant "tout va bien"."

Vanessa : "j'ai fait la technique des enfants quand ils ont peur : attendre chaque minute la suivante en espérant que ce soit la dernière. C'est comme ça que j'ai tenu 4 heures et demie. Pendant 5 ans, j'ai fait semblant que tout allait bien."

Vanessa : "et puis un jour, je n'ai plus dormi. Plus une seconde. Plus de repos. Mon corps me tapait sur l'épaule en me disant qu'il n'allait pas me lâcher. Avec la fatigue, j'ai commencé à penser de moins en moins que tout allait bien."

Vanessa : "j'étais coincée dan sle monde d'avant et je m'y accrochais férocement. Et puis finalement, j'ai lâché. Et j'ai entraperçu la douceur du monde, de mon histoire, même au Bataclan. La solidarité dans ces moments les plus sombres."

Vanessa : "j'ai tellement fermé les yeux sur cette jeune fille de 27 ans qu'elle a fini par me tenir les yeux grands ouverts la nuit. Une jeune fille en marinière a fait une longue déposition au début du procès. Je voulais la remercier, elle m'a aidé à un peu plus réaliser."

Vanessa : "j'aimerais vous lire le texte d'une jeune fille de 27 ans que j'ai si peu écouté, qui a été si peu entendue et qui mérite .... [Elle pleure] ... une part de votre attention." Elle lit son texte. "je prends par première grande inspiration depuis maintenant 4h ..."

Vanessa poursuit sa lecture : "peu de choses m'ont traversé l'esprit dans cette planque. Et la première : ne pas faire de bruit. Et la deuxième : que je ne mourrais pas au sol. S'il arrive, je me lève, je hurle, je lui crache dessus."

Vanessa lisant son texte écrit en 2015 : "j'ai pris le métro pour rentrer chez moi et j'ai eu la plus intense crise d'angoisse de toute ma vie. J'aurais pu tomber à genoux dans la rame. En rentrant chez moi, je n'ai pas pleuré."

Vanessa achève sa lecture : "je resterai debout. C'est la vie qui me l'a appris". Elle remercie la cour "pour la place que vous nous donnez et pour l'espace d'humanité dont on manque tant et que vous créez entre ces murs".

Karena s'approche de la barre, une feuille manuscrite à la main. "Je suis désolée, je suis très stressée, c'est plus dur que je ne le pensais" s'excuse-t-elle d'emblée.

Karena : "je suis rentrée dans le Bataclan, il y avait un jeune homme au vestiaire très sympa. Je me suis toujours demandée s'il avait survécu". Au moment des premiers tirs, "je me trouvais devant le bar. J'ai de la chance, je n'étais pas dans la fosse."

Karena : " j'ai d'abord vu des gens courir vers moi. Je me suis dis : "c'est bizarre". Et puis, j'ai vu leurs visages, la terreur pure sur leurs visages. Je n'avais jamais vu ça de ma vie. Rien que d'en parler, ça me redonne des frissons."

Karena se réfugie dans un placard technique à l'étage. "J'ouvre la porte et je me mets dedans. Quelques secondes plus tard, un homme est arrive, je l'ai tiré dans le placard. C'était un tout petit placard. La peur était épaisse comme de la soupe. C'était la terreur."

Karena : "on était dans le noir, dans notre peur. Nicolas avait une veste en cuir qui faisait du bruit quand il bougeait. Je n'arrêtais pas de faire "chut" et lui me répondait "ta gueule". Nicolas, je suis désolée, j'étais un peu chiante."

Karena : "à un moment, mon téléphone a sonné. Et Nicolas l'a brisé en deux. Mais j'étais d'accord, comme ça, il n'y avait pas de bruit qui venait du placard. On a passé des heures comme ça, Nicolas accroupi et moi debout."

Karena : "je commençais à dire au revoir à mes trois enfants dans ma tête. Et au revoir la vie. A l'époque mes enfants avaient 3, 5 et 11 ans donc ils avaient toujours besoin de leur maman. Et puis c'est l'attente, l'attente, l'attente. Les tirs, la peur."

Karena : "puis on a entendu un grand boum, tout a tremblé, le plâtre du plafond tombait. Mais j'ai commencé à me sentir soulagée car je me suis dit : "il y a quelque chose qui se passe."

Karena a la voix qui se brise : "j'entendais un bruit qui ressemblait à un "Om". J'ai réalisé bien plus tard que c'étaient les gémissements des gens qui étaient en train de mourir. Et ça c'était très difficile à entendre. Comme vous pouvez l'imaginez."

Karena parvient à quitter le Bataclan après l'assaut des forces de l'ordre. "J'étais sauvée". "Le lendemain, j'ai découvert le stress post-traumatique. Mon fils de 5 ans a juste fermé un jouet qui a fait clic. Et moi, j'ai eu très peur. Et c'est comme ça depuis."

Karena : "moi, j'ai souffert. Mais cela reste entre moi et mon psy. Mais j'ai un fils qui doit voit un psy car c'est comme s'il avait absorbé mon stress post-traumatique. C'est toujours difficile pour mes enfants. Et ça, ça me crève le cœur."

Karena : "en tant qu'Américaine, je remercie la France pour ce qu'elle m'a fait. Car mon suivi n'aurait pas été le même aux Etats-Unis je pense. Je voudrais aussi remercier Nicolas d'avoir vécu ça avec moi et de m'avoir supportée dans ce placard."

Karena : "je voudrais aussi remercier l'association @lifeforparis qui est comme ma famille maintenant. Je pense que je ne m'en serais pas sortie aussi bien sans eux."

Emmanuel, T-shirt noir d'où s'échappe un tatouage sur le bras gauche et longue barbe témoigne à son tour. Il explique ne pas avoir encore reconstitué tous ses souvenirs de cette nuit-là. Mais se souviens "de la sensation visqueuse d'un sang qui n'étais pas le mien".

Emmanuel : "je me souviens aussi qu'on m'a expliqué que si la balle n'a pas explosé mon genou au moment de l'impact c'est parce qu'elle avait traversé plusieurs corps avant moi."

Emmanuel : "j'ai parfois l'impression qu'une nouvelle personne est née ce soir-là. J'ai un nouveau regard sur la société et moi-même. Cela génère beaucoup de problèmes des confiance et d'estime de moi."

Emmanuel :"je me pose souvent la question des termes qui me définissent : survivant, rescapé, victime. Victime résonne le plus en moi. Et je ne peux constater que le traitement des victimes d'attentats et victimes de violences sexuelles n'est pas le même".

Emmanuel : "alors je vous demande d'accorder la même compassion et bienveillance à toutes les victimes. Car nous en avons tous et toutes besoin."

François, chemise à carreau tient tout d'abord à remercier la cour "de permettre à ceux qui se sont décidé sur le tard, comme moi, à livrer leur parole."

François tient aussi à préciser que "mourir n'est pas la même chose que se faire tuer, se prendre une balle n'est pas la même chose que se faire tirer dessus : derrière ces actions, il y a une volonté. Derrière ces attentats, il y a une volonté, ce n'est pas un accident."

François : "j'ai été touché dès les premières secondes de la fusillade, je suis tombé au sol. Je me souviens d'abord de ma révolte et pardon pour mon langage peu châtié : "bordel de merde, je ne vais quand même pas crever dans un putain de concert des Eagles of Death Metal".

François : "je me souviens qu'après les premières fusillade, c'était le moment le plus difficile de la soirée, car ce sont détonations, un par un. Et vous vous demandez si le prochain sera vous. Impossible de vous dire combien de temps ce tic tac macabre aura duré."

François : "je suis dans le dos d'une autre personne qui respire. J'ai mal. Je mors son T-shirt pour ne pas crier. A force de le mordre, j'ai un morceau qui m'est resté entre les dents."

François est évacué avant l'assaut : "ils me trainent à l'extérieur du Bataclan, me mettent sur une barrière Vauban. Et je commence à réaliser l'ampleur de ce qu'il se passe. Il y a des blessés partout, du sang partout".

François : "je reprends conscience cinq jours plus tard, dans une chambre d'hôpital. Et j'éclate en sanglots, de joie d'être en vie. Malheureusement, l'état de grâce ne dure pas très longtemps. Il y a d'abord la douleur, puis la terreur. Puis les complications."

François : "je tiens à remercier ma famille et mes amis proches qui ont été plus que magnifiques mais aussi des connaissances voire des inconnus qui m'ont soutenu pour surmonter tout ça, quoi."

François : "c'est plus difficile de ressentir, d'être dans l'empathie pour les autres. Plus difficile de rire, de pleurer. Plus difficile d'aimer. Plus difficile d'être heureux. Tout simplement ;"

François : "C'est difficile d'accepter que la personne qui est entrée dans le Bataclan et celle qui en est sortie ne sont pas les mêmes. Moi j'ai voulu reprendre ma vie là où je l'avais laissée le plus rapidement possible. Mais en fait ce n'est pas comme ça qu'il faut le traiter"

François cite Othello de Shakespeare : "ni le pavot, ni la mandragore, ni tous les sirops narcotiques du monde ne te rendront jamais ce doux sommeil que tu avais auparavant".

François s'interroge aussi sur le préjudice pour l'Etat. "Est-il la somme de celui des victimes ? Ou encore plus grand puisque l'Etat a failli dans sa protection des citoyens ? Comme tout le monde, j'ai voulu comprendre comment un être humain pouvait être embrigadé à ce point-là"

François : "j'ai essayé d'étudier le mal, à travers la philosophie, la psychologie. J'ai beaucoup lu Arendt, Freud. Et j'en suis arrivé à la conclusion que oui, le mal existe. Et qu'il faut s'y faire."

François : "après les attentats, il y a eu une espèce d'injonction à ne pas avoir de haine. A ne pas s'abaisser. Et au début, je me suis dit que j'étais très content de ça. Mais en fait, oui, je hais."

François : "Je hais. Et je n'en ai pas honte. C'est normal. Je hais toutes les personnes qui ont pris toutes ces vies, en ont détruit beaucoup d'autres et ont essayé d'en prendre d'autres, dont la mienne."

Robert succède à François à la barre. "J'ai mis beaucoup de temps à me décider à venir témoigner" explique-t-il d'emblée. Ce soir-là, il était avec un ami. "On a bu 2 bières, 3 bières, 4 bières. On a fumé quelques joints aussi. On n'avait presque plus envie d'aller au concert."

Au moment de l'attaque, "j'ai été projeté par terre, piétiné" explique Robert. "Je me suis collé au bar comme je pouvais. J'ai perdu la trace de mon ami, j'ai longé le bar. Arrivé à l'extrémité, j'ai senti un courant d'air. je me suis caché avec deux filles sous le bar."

Robert : "puis j'ai foncé dans un petit réduit où ils rangent des bouteilles de gaz, une machine à café. Il suffisait de se pencher pour voir deux silhouettes. Le plus grand criait : "tes mains, tes mains, ... bam bam bam". L'autre qui rigolait".

Robert : "On est au-dessus du stade de la peur. J'en vois passer un, habillé d'un survêt. Il ne me voit pas. Puis il y en a un deuxième, puis un troisième, un petit, surexcité. Le sentiment de mort imminente est là."

Robert : "dans la fosse, j'ai entendu quelqu'un dire : "c'est bon on peut se lever, ils sont montés". Mais j'entends bam bam. Et je vois les gens se coucher comme des blés. C'était pas le bon moment. La deuxième fois non plus ce n'était pas la bonne. La troisième si."

Robert voit les deux filles avec lesquelles il s'était caché "par terre. Je les remets assises, l'un contre l'autre, un peu comme des livres dans une bibliothèque. Je suis désolé, mais je ne pouvais pas les laisser par terre."

Robert finit par fuir "mais sans piétiner. Je sautais comme un cabri", se réfugie dans un commissariat. "On avait tous peur. Même les flics ont pris leurs gilets et leurs Famas".

Robert : "je me souviens absolument de tout. Il y a peut-être quelques détails qui m'échappent. Mais je me souviens des visages, des bruits, des odeurs. Cette odeur métallique de sang et de poudre. C'est dégoûtant. Ça pue."

David, "n'a pas eu la force de venir s'exprimer à la barre" explique son avocate. Elle lit donc son texte à sa place. « Ça jouait vite fort et bien. Au bout d'une quarantaine de minutes, des déflagrations se font entendre. Clac clac clac."

Texte de David : "j'ai immédiatement pensé à un attentat. Subitement et à l'aveugle, je me faisais basculer tête la première contre le garde corps pour atterrir dans la fosse. Je suis plaqué au sol, pris dans cet enchevêtrement de corps".

Texte de David : " tout à coup, une voix brisa le silence. "Ça c'est pour ce que fait votre président François Hollande" cria l'un des assaillant dans un français parfait".

Texte de David : "des râles de douleur se faisaient entendre, des suppliques pour être épargné aussi. Je commençais à perdre pied. Quitte à mourir, je préférais que cela soit debout. Des gens ont commencé à se relever, à se bousculer. Puis les tirs ont repris."

Texte de David : "mes pieds marchaient sur des corps. A ces vivants, à ces morts, je demandais pardon, pardon, à voix basse. Dans le hall, un homme en tenue sombre, un revolver à la main. Il nous intima l'ordre de sortir. Dehors, des camions de police, des barrières".

Texte de David : "le temps a passé depuis ce funeste vendredi 13. Je suis toujours sous antidépresseurs. Des réflexes d'hypervigilance se sont tout de suite mis en place. La moindre sirène, une alerte. Même le son d'un simple pétard était insupportable."

Texte de David : "les cauchemars et les rêves morbides se sont multipliés. Mes lieux de sortie se sont drastiquement restreints. Je me coupais progressivement du monde pour tomber dans l'alcoolisme."

Texte de David : "je n'avais plus de prise sur ma consommation qui dépassait les dix bouteilles hebdomadaires de vin. Je développais également des comportement à risque."

Texte de David : "avoir vécu et vu l'horreur, en être sorti physiquement indemne malgré moi, tout cela m'avait fait touché le non sens de la vie. A quoi bon vivre? Je souhaitais que cela finisse."

Texte de David : "je ne souhaitais pas assister au procès. Chaque jour de présence à l'audience est difficile. J'en sors éprouvé et épuisé. Etre face aux accusés à été dur à apprivoiser. Venir au procès m'a aussi permis de m'inclure parmi les victimes."

Texte de David : "j'ai le privilège de pouvoir assister à la justice en train de se faire. Ce procès est la règle commune que nous opposons à l'arbitraire. J'espère que la colère qui m'habite encore sera abolie par le verdict que j'accepterai quel qu'il soit."

Reprise de l'audience et des témoignages de parties civiles après une petite pause. Cyprien est le prochain à témoigner. "J'ai beaucoup hésité à venir témoigner. J'ai eu le temps de pas mal ruminer. Je crois que j'ai surtout peur de ne pas venir parler."

Cyprien : "ce soir-là, on avait prévu d'aller au concert avec un de mes meilleurs amis et son père. On a bu quelques bières sur le chemin. On est arrivés dans la salle entre la première partie et le début du concert. On s'est placés à l'arrière de la fosse".

Cyprien :"je crois que j'ai nié la réalité le plus possible. Il y a un premier mouvement de foule, on est bousculés. Un gars me regarde avec des yeux très affolés en me disant que c'est son anniversaire, qu'il a ramené tous ses amis et que s'ils crèvent c'est de sa faute. "

Cyprien : "On est tous entassés. Moi j'ai peur que les gens s'étouffent donc je chuchote pour voir si tout le monde va bien. On me fait vite comprendre qu'il faut que je la ferme parce que ça tire."

Cyprien : "je pense à ma famille, mes amis, la fille que j'aimais à l'époque. A tout ce que je ne vivrai pas parce que j'ai 20 ans et que c'est quand même un peu jeune pour mourir. Je serre les dents, je me dis que c'est pour moi. Mais bizarrement rien ne se passe."

Cyprien : "on finit par être extirpés de notre cachette sous la régie et je me rends compte de l'ampleur du désastre. Je pense que j'ai vu des choses que ma mémoire a occulté. Je me comprends pas pourquoi nous on est miraculés et qu'il y a ces gens qu'on laisse derrière"

Cyprien : "le lendemain, on va faire la fête. C'est assez spécial, l'alcool faisait à peine effet. Mais on avait la chance d'être entourés. Mais c'était le chaos dans mon esprit. Et c'est un peu à l'image de l'année qui suit."

Cyprien : "je cherche un peu de paix. Pour le jeune que j'étais à l'époque et ce que je vais devenir. Depuis que le procès a commencé, j'ai jamais autant eu envie de vivre, ce qui est positif. Et je digère un peu moins seul l'événement."

Cyprien : "le procès met la lumière sur des questions politiques ou religieuses mais il ne fait pas plus sens. Mais ce manque de sens ne m'empêche pas de vivre comme je vis aujourd'hui."

Place au témoignage de Louise, au Bataclan avec son amie Tiphaine ce soir-là. "Il y a quelqu'un qui est tombé sur moi et qui n'était plus vivant. Qui avait ce regard vide comme dans les films. Alors j'ai compris qu'il fallait se mettre au sol. Et j'ai perdu mes chaussures."

Louise : "une balle m'a frôlé la tête. C'était pas grave, mais ça saignait beaucoup. Donc, pendant plusieurs minutes, j'ai pensé que j'allais mourir. C'est long plusieurs minutes quand on pense ça."

Louise : "ce que j'attends du procès : pas grand chose. Je n'ai pas trop confiance en vous, désolée. Je ne sais pas pourquoi mais je n'ai pas trop confiance. Je crois juste que le seul truc qui m'intéressait c'était si parler devant vous peut me libérer. Ce serait sympa."

Naïma s'avance ensuite : "je me souvenais de cette fille, Louise, qui vient de témoigner et dont je ne connaissais pas le prénom. Je voulais dire que son regard apeuré m'a ramené un peu d'humanité dans cette scène d'horreur. C'est un des regards qui m'ont marquée."

Naïma se tourne très vite vers le box : "qu'est-ce que vous allez retenir de tout ça, vous les accusés, vous dont le regard me pèse le plus ?" Elle les regarde. "Mais en fait, ça me fait du bien parce que cela vous redonne de l'humanité et ça m'aide beaucoup".

Naïma a choisi de s'exprimer en poésie. Extraits : "j'ai accepté que je ne suis plus, mais au sol, dans le sang, au Bataclan, j'attends. Le bruit de mes yeux qui se promène sur la salle me semble déjà trop."

Naïma : "je suis consciente d'être en vie. Et du hasard que cela représente. Du poids que cela crée en moi. Et de la légèreté que cela m'apporte parfois. "

Au tour de Loïc de livrer son témoignage à la cour. "Je voulais d'abord commencer par vous remercier de nous avoir donner cette possibilité de parler. Je sais que cette seconde vague de témoignage, ce n'est pas vraiment l'usage."

Loïc : "à quoi bon venir raconter une nouvelle fois cette soirée d'horreur absolue quand vous tous l'avez déjà entendue beaucoup trop de fois, dans ses moindres détails ?"

Loïc : "pourquoi évoquer la peur, les regards terrifiés, les pleurs, les gémissements ? Et puis tous ces coups de feu, ces CLAC CLAC CLAC CLAC qui résonnent aussi distinctement, comme autant de vies qu'on arrache."

Loïc : "avec, à chaque fois, le soulagement de ses dire que la balle n'était pas pour nous. Mais aussitôt suivie de la culpabilité terrible de se dire que, justement, elle n'était pas pour nous. "

Loïc : "les victimes qui, comme moi sont toujours là pour venir en parler, trouvent le courage de se tenir ici devant vous, devant les accusés, pour raconter leur histoire. Cela demande un courage fou."

Loïc : "mon fils aura trois ans demain. Ma fille deux mois dans quelques jours. Ils n'ont aucune conscience qu'ils sont, malgré eux, des rescapés. Je suis là aussi pour qu'ils sachent qu'il ne faut pas s'attarder sur la noirceur de quelques uns."

Loïc : "je n'ai pas de haine. Juste une grande colère. Et beaucoup, beaucoup d'incompréhension. Pourquoi ? A quoi bon toutes ces morts inutiles ?"

Siham, chemise verte foncée s'est avancée : "j'avais 25 ans en 2015. Je suis moitié marocaine, moitié française. J'ai passé une partie de mon enfance à Molenbeek, à Bruxelles. J'ai passé une partie d'un été à jouer dans la rue des Quatre-Vents avec mes cousins."

Siham était au concert avec son amie Kim. Elle explique que pour fuir, elle a du se défaire de "sa poignée, j'ai eu des griffures sur les mains après. Ce qui a a été difficile après à gérer. D'un point de vue de la culpabilité. C'était très difficile d'assumer d'être partie."

Siham finit par apprendre que son amie est en vie. "Et la culpabilité se lève un peu quand je peux aller la voir le lendemain, qu'elle ne m'en veut pas et qu'on peut rester amies".

A la barre à son tour, Julien explique être arrivé tôt au Bataclan avec sa compagne ce vendredi 13 Novembre 2015. A son tour, il raconte le début de l'attaque, la tentative de fuite, "sur les corps". La peur "que ma compagne meurt, mais non". "C'était un charnier", ajoute-t-il.

Julien évoque aussi l'après : "les semaines suivantes étaient vraiment compliquées, j'étais un zombie, je dormais peu, quand je dormais je rêvais que j'étais dans la fosse avec ma compagne dans les bras".

Julien : "je vis surtout avec ma culpabilité : d'avoir faire vivre ça à ma compagne, mes proches. De n'avoir pas pu aider d'autres victimes, comme cet homme blessé dans le passage Amelot, j'en suis désolé."

Julien : "avec ma compagne, on est toujours ensemble. ON avance bon gré, mal gré. Deux enfants sont venus nous rejoindre depuis. Et on a pris la décision de ne pas leur dire. Le drame s'arrêtera avec nous."

Julien achève son témoignage. Il quitte la salle avec sa compagne. Le suivant à s'avancer à la barre souhaite que ni son nom ni son prénom ne soit diffusé. Nous l'appellerons Timothée. Assez rapidement, il parvient à fuir : "j'ai écrasé des gens pour ne pas être écrasé".

Dehors, Timothée croise un jeune homme blessé, lui prend la main, tente d'appeler les secours. "Puis j'ai lâché sa main". "J'étais rentré dans ce Bataclan avec des rêves d'enfant, mais c'est avec des projets monumentaux que j'en suis sorti".

Timothée explique avoir changé de métier pour devenir animateur radio, avoir arrêté la drogue, commencé le théâtre d'improvisation. Jusqu'à ce jour où il a du, à l'antenne, lire cette phrase sur les "fausses victimes de l'attentat". "Le déni s'est arrêté là".

Timothée dans une adresse aux accusés : "vous vouliez taire notre musique, nous en ferons des films, vous avez échoué. Vous avez échoué car c'est nous qui écrirons l'histoire grâce à notre vérité et notre goût de la justice. Nos libertés sont plus importantes que nos vies."

Timothée : "la promesse d'un paradis à venir vous empêche de voir la beauté présente que nous autres savourons. Nous oublierons jusqu'à vos noms. Vous n'aurez pas votre haine. Pas plus que vous n'aurez notre pardon."

Emilie lui succède à la barre. Elle explique avoir choisi de témoigner "parce qu'au Bataclan, nous étions silencieux." Mais aussi car "les prises de parole des accusés ont été, pour ma part, écoutées, analysées et appréciées qu'elles aient été une stratégie de défense ou pas"

Emilie était seule au concert ce soir-là : "j'avais déjà fait des concerts seule, mais je n'avais jamais autant parlé à des gens". Au moment de l'attaque, elle se trouve dans la fosse. "Je me suis retrouvée complètement sur la barrière."

Emilie : "j'avais en face de moi la tête de Patricia avec qui j'avais échangé quelques mots. Elle était blonde et je n'avais qu'une seule angoisse : que sa tête n'explose et que je me reçoive une balle dans la tête."

Emilie parviens à fuir après "8 minutes", se réfugie dans un appartement. Puis un autre. L'après pour elle, comme pour beaucoup de victimes, est une vie d'"agoraphobe", peur des transports en commun etc.

Le président propose une nouvelle pause avant les quatre dernières auditions de victimes prévues aujourd'hui.

Avant la suite des auditions de parties civiles, Me Frédéric Bibal souhaite dire un mot : "nous avons appris avec tristesse le décès de François Rudetzki. C'est une très lourde perte. Elle a été victime d'attentat, a fondé SOS Attentat."

Me Bibal au sujet du décès de Françoise Rudetzki : "elle a accompagné de très nombreuses victimes au cours de procès d'attentats terroristes. Elle est à l'origine directe et personnelle du statut des victimes d'attentats."

Me Bibal au sujet du décès de Françoise Rudetzki : "nous sommes extrêmement émus d'apprendre ce décès. Et mesurons la perte que cela va représenter pour les victimes."

Sarah s'est maintenant avancée à la barre. Elle raconte que ce soir-là, elle s'est changée avant d'aller au concert. "Pour le concert mais aussi parce que j'avais un rendez-vous galant. C'était le premier rendez-vous avec un homme avec lequel je discutais via une application."

Sarah : "le concert battait son plein, la vie en moi aussi." Puis, des bruits, un mouvement de foule, "j'ai été poussée par cette foule, forcée d'avancer. Les tirs ont recommencé, un garçon est tombé devant moi. Je veux dire par là qu'il a été fauché par ces tirs."

Sarah : "j'étais allongée, quelqu'un était sur moi. Je sentais son poids sur ma jambe qui était dans une position pas naturelle. A un moment, j'ai réussi à tourner la tête et j'ai vu la quantité de personnes blessées ou mortes dans la fosse."

Sarah : "j'ai le souvenir d'un homme qui disait : "le premier qui bouge, je lui tire dessus." Un spectateur a bougé et il s'est fait tirer dessus, il a dit quelque chose comme : "putain, ma main, ma main". Le ton de sa voix était de l'incrédulité et de l'horreur".

Sarah : "j'entendais un homme gémir de douleur devant moi et sa femme qui le suppliait de ne pas la quitter. D'après ce que j'en sais, il semblerait que cet homme ait survécu."

Sarah : "les policiers nous ont dit de ne pas regarder. Mais nous étions obligés de regarder où nous mettions les pieds et donc l'horreur, les corps, le sang. Il y avait des débris de verre, des morts, des blessés, des victimes errantes et perdues. Le chaos."

Sarah : "la suite a été difficile : obsèques de Nathalie, les problèmes de cervicales semblables à ceux qui résultent d'un accident de voiture, les séquelles psychologiques. Depuis, je suis retournée au bar, restaurant, concert, même si maintenant je me place près de la sortie"

A la barre, Patrick salue comme d'autres avant lui, les témoignages des autres parties civiles qui se sont succédées à cette audience.

Patrick s'est rendu au concert ce soir-là avec son ami Xavier, vêtu d'un "costume deux pièces parce que je voulais le ramener chez mes parents et la meilleure manière de le faire c'était encore de le porter"

Patrick explique pendant l'attaque, alors qu'il est allongé sur le sol : "j'avais une totale absence d'émotion." "Après un moment, les tirs se sont arrêtés et mon entourage a commencé à ramper en direction de la scène. J'ai suivi mécaniquement."

Patrick : "je pensais que c'était fini quand un bruit d'explosion suivi du sentiment d'un pincement au mollet droit me fit dire que ce n'était pas si finit que ça finalement. Je ne pense pas avoir vraiment ralenti quand cette balle a traversé mon mollet."

Patrick : "la blessure ne m'a pas arrêté. Ce qui m'a arrêté c'est le charnier, un océan de corps et de sang qui semblait infranchissable. Je me suis demandé comment j'allais pouvoir traverser cette horreur sans marcher sur qui que ce soit."

Patrick : "ma veste, mon pantalon troué et mes chaussures sont couverts de sang. J'ai longtemps gardé les chaussures horrifié mais trop mal à l'aise pour les jeter."

Patrick : "durant les années suivantes, j'ai rationnalisé un certain nombre de choses. Le trauma psychologique peut rendre des choses vraiment diverses, certaines visibles et d'autres non."

Nicole s'est avancée à la barre "pour faire vivre mon fils qui avait 41 ans quand il a disparu au Bataclan. "J'espère aussi que ce moment me permettra d'avancer" confie encore la mère de Cédric Mauduit

Nicole : "Cédric, mon fils, je suis venue jusqu'ici pour te faire vivre un instant. Aujourd'hui, comme en tous les instants de la vie, tu es présent en moi, en ton père, en tous les gens qui t'aiment."

Nicole : "ce 13 Novembre tu as eu envie d'encore profiter d'un concert avec cinq de tes amis. Vous êtes deux à avoir perdu la vie atrocement. Cette nuit-là, ta compagne nous a prévenu de ta présence au Bataclan, qu'elle n'avait pas de nouvelles."

Nicole : "nous sommes arrivés chez toi, nous nous sommes blottis avec ta compagne, tes enfants dormaient paisiblement. Tu allais nous appeler, c'était certain ! On t'a appelé sans relâche."

Nicole cite Victor Hugo : "tu n'es plus là où t étais mais tu es partout où je suis" "Tu es présent avec nous quand nous sommes en famille. Sache que tu es présent en nous et ça, personne ne pourra nous l'enlever. Tu nous manques Cédric."

Place au témoignage de Slimane. "Je voulais me remercier de me laisser vous parler. Je sais que vous êtes fatigué ...." "Pas de problème", dit le président. "Moi je n'y étais pas et je n'ai perdu personne. Mais j'ai une soeur qui était au Bataclan, dans la fosse".

Slimane : "quand elle est rentrée, c'était catastrophique, elle a survécu mais c'est comme si elle était morte. Aujourd'hui, elle va mieux. Mais elle n'est plus ce qu'elle était. Elle est là sans être là"

Slimane : "je voulais témoigner pour ceux qui, comme moi, n'ont pas perdu un proche au sens où il n'est plus là mais au sens où ce n'est plus le même proche. J'ai aidé ma soeur comme je pouvais mais ça a été très dur. La stabilité dans laquelle elle se trouve tient à un fil."

Slimane : "ma sœur a tenté de se suicider dans la nuit du 26 au 27 mars 2017. Ça a été tellement dur pour moi de faire le deuil de la personne qui était ma sœur que j'ai moi-même été suivi sur le plan psy."

Slimane : "je ne témoigne pas des faits du 13 Novembre mais des conséquences des faits du 13 Novembre sur une famille même si la personne a survécu."

Fin des témoignages de victimes pour aujourd'hui. L'audience est donc suspendue jusqu'à demain 12 heures avec la suite des parties civiles qui ont souhaité être entendues.

Jour 124 – Jeudi 19 mai – Suite des témoignages des victimes

Bonjour à tous, 124e jour d'audience au procès des attentats du MLLK13Novembre 2015. Et suite des témoignages de parties civiles avec 18 auditions prévues aujourd'hui de survivants du Bataclan et proches de victimes décédées.

Hier, la cour a notamment entendu Karena, qui doit sa survie à un placard technique du Bataclan.

L'audience reprend. A noter que depuis le début des témoignages de parties civiles, l'ensemble des accusés est présent dans le box. Pour rappel, Osama Krayem a refusé d'assister à la majorité de l'audience.

Alan est le premier à s'exprimer à la barre cet après-midi. "Ce #13Novembre 2015, ce concert est prévu depuis un petit moment." Il marque de longues pause. "C'est dur, c'est compliqué, veuillez m'excusez ..." "Prenez votre temps", le rassure le président. Mais Alan est très ému

Alan explique qu'il se rend au Bataclan avec Claire. Tous deux s'installent au balcon de la salle. "Deux-trois dénotations surgissent. On se demande ce que c'est. Derrière moi, un homme dit : "putain les gars, c'est des vraies balles".

Alan : "les lumières se rallument. Dans la fosse, les gens sont tous allongés par terre. On se retrouve à ramper et à atteindre une loge où se trouve déjà beaucoup de monde. On cherche par tous les moyens à entrer dans cette loge. Et nous y arrivons."

Alan : "nous nous barricadons par le biais d'un canapé qu'on maintient debout derrière la porte. Et on entend. Et chaque balle qui sort c'est l'horreur absolue. Il y a une vie derrière chaque détonation et c'est insupportable à entendre." Alan marque une nouvelle pause.

Alan : "les tirs cessent à un moment donné. Une grosse détonation survient. Je suppose que c'est l'un des terroristes qui déclenche sa ceinture. Dans cette loge, une jeune femme souhaite sortir. Elle le fait. Puis tout le monde le fait. Et on se retrouve rapidement sur le toit."

Alan reste longtemps silencieux. Il semble perdu dans de douloureuses pensées. Il reprend péniblement son récit : "on attend pendant 1h30-2h. Et interviennent les forces de l'ordre. On sent l'issue de cette prise d'otages mais le plus dur reste à venir."

Alan : "l'évacuation se fait par les bureaux situés au-dessus de l'entrée. On descend par une échelle, je regarde par terre et je vois deux-trois corps dont une jeune femme. Et la vision que j'ai ne vient que confirmer ce qu'on vient de vivre."

Alan : "sur un plan personnel, il fallait que les choses soient dites. Ce témoignage c'est pour moi une façon de fermer la parenthèse. De faire comprendre aux principaux auteurs de ces actes que ce qu'il s'est passé ce soir-là c'est juste inhumain."

Alan : "depuis bientôt 7 ans, j'ai fait mon petit procès à moi dans ma tête. Je conviens que certaines personnes à ma gauche n'ont pas voulu ce qu'il s'est passé. Mais pour d'autres, il faut à ce jour assumer ce pourquoi vous êtes là et ne pas se cacher derrière les principes."

Fin du témoignage d'Alan. Fatima lui succède à la barre. Fatima fait projeter le plan de l'étage du Bataclan sur le grand écran. Elle explique avoir été au concert avec son amie Cécile qui a obtenu des places dans la journée.

Fatima : "on s'installe au balcon. Cécile me dit qu'on a une chance de dingue : qu'on a eu des places gratuites par Universal, que sa bosse l'a laissée partir plus tôt et qu'elle ne sait pas ce qui va nous tomber sur la tête mais qu'il va falloir payer cette chance."

Fatima raconte le début de l'attaque. Veut joindre la police. "Mais je ne connais pas le numéro. Cécile me dit : "911". Mais ça ne marche pas. On n'est pas dans une série américaine. J'appelle finalement le bon numéro mais ça ne marche pas non plus. Les lignes sont déjà saturées"

Fatima et son amie Cécile se réfugient dans une loge, la même que celle décrite pas Alan avant elle. "Je pense à mon fils et mon mari restés à la maison. Les terroristes sont tellement prêts. J'entends des otages, aux voix brisées demander aux forces de l'ordre de reculer".

Fatima : "il fait tellement chaud que les murs dégoulinent et j'ai la tête qui tourne. Le temps est si long que je me demande que si, tout compte fait, on n'est pas morts. Je pense à mon fils, je me demande comment il grandira sans moi, lui qui vient d'avoir 4 ans."

Fatima raconte comment, lorsque la police arrive, tous hésitent à ouvrir la porte de la loge, craignant qu'il ne s'agisse des terroristes. "Quelqu'un lui demande : comment tu t'appelles? Euh ... Jérémy. On se rend compte qu'il a hésité, alors on ne sait plus."

Fatima : "on apprendra plus tard qu'en fait cet agent s'appelait Nabil et qu'il s'est dit qu'on ouvrirait jamais la porte s'il nous donnait son prénom." Finalement, Fatima est prise en charge par les forces de l'ordre.

Fatima : "en sortant, j'ai regardé par terre. Un des terroristes mort est allongé. Il y a des bouts de corps partout. Nous voilà sur la scène, mon regard balaie toute la fosse et se pose sur un jeune homme adossé contre un poteau. "

Fatima : "comme vous messieurs, j'ai vécu l'isolement, incapable de sortir seule. Les six premiers mois, j'ai dormi avec mon mari et mon fils dans le grenier car c'était la pièce la plus éloignée de l'entrée."

Fatima : "j'étais comme ces animaux blessés qui se cachent pour se soigner. Je voulais creuser un trou et dormir pour toujours. Ma psy m'a dit que dormir toujours c'est être mort. Et oui, j'ai eu envie de mourir. Pour arrêter cette souffrance qui me bouffait."

Fatima raconte la naissance de son deuxième fils et l'amélioration de son état. "Puis à cause d'une chauve-souris, on a été confinés. Et ça a été une bénédiction pour moi. Fini les cauchemars et les angoisses."

Fatima s'adresse aux accusés : "je vous ai écoutés très attentivement. Cela m'a déstabilisée. Car certains m'ont touchés, fait rire, beaucoup m'ont énervée."

Fatima : "je sais que vous n'êtes pas impliqués à des mêmes degrés et que vous ne faites pas tous partie de ce groupe. Mais que vous le vouliez ou non, vos actes, mis bout à bout, ont permis cette horreur."

Fatima : "ces 6 dernières années ont été un enfer. J'ai beaucoup perdu, j'ai perdu la confiance de mon fils, n'étant plus un parent sécurisant. Il a peur de tout. Le petit garçon joyeux et bien dans ses baskets et devenu une boule d'angoisse."

Fatima : "j'ai perdu l'estime de mon mari qui m'a vue sombrer. Il s'est occupé seul pendant trois ans de notre fils parce que j'en étais incapable, lui lire une histoire le soir ou lui donner son bain."

Place au témoignage d'Anne-Laure. Le 13 Novembre 2015, elle se rend au Bataclan avec son compagnon. "On s'installe sur le balcon, bien en face de la scène." Puis, "des coups de feu".

Anne-Laure : "on cherche où aller. Puis on rampe, une grande chenille humaine avec une dizaine de personnes. On est les derniers du balcon à ramper. Les tirs continuent mais sont différents : du coup à coup, des exécutions. D'un coup les tirs semblent vraiment très proches"

Anne-Laure parvient à descendre à sortir : "cette sortie, on la doit à l'intervention du policier de la Bac. Il a sauvé nos vies. Je ne l'en remercierai jamais assez." "J'appelle mon cousin : j'espère que tu n'es pas dehors. Pourquoi ? Il pleut, me dit-il."

Anne-Laure : "le lendemain, nous ne sortons pas de chez nous. La première nuit, je rêve que je tue des gens. Je revis en boucle l'attaque, la fuite. Au fil du temps, je ne me confierai plus, je parlerai de moins en moins en général."

Anne-Laure : "quelques temps plus tard, je ne prends plus les transports, ne prends plus l'ascenseur. Je n'aime pas les bagages, les lieux avec trop de gens, les terrasses. J'envisage des scénarios, les carnages potentiels."

Anne-Laure : "je lutte contre l'angoisse, un peu tout le temps. Je commence a avoir des douleurs lombaires aigües. En 2018, je me reproche de ne pas savoir rebondir, d'être paralysée. Après une nouvelle difficile, je n'arriverai plus à rester seule."

Anne-Laure : "2020, le confinement. Je me découvre enceinte. Romeo naîtra le 25 décembre. En 2021, je m'attache à être maman, la meilleure possible. Mais je culpabilise pour tout. Je crains pour Romeo. J'ai peur d'avoir raté le lien d'attachement avec mon fils."

Anne-Laure : "je ne savais pas à quelle distance me tenir du procès. Je l'ai suivi de plus en plus. J'ai regretté en fin d'année de ne pas avoir entendu tous les témoignages."

Anne-Laure : "le procès m'apporte beaucoup. J'apprends à me légitimer. Je remercie tous ceux qui sont venus parler ici, qui m'ont inspirée à mon tour. Merci aux rescapés pour les journaux de bords et leurs chroniques."

Coralie qui s'est avancée à la barre demande à son tour que le plan du Bataclan soit diffusé. Il lui permet d'expliquer son cheminement à la travers la salle, avec de nombreuses tentatives de sortir avant de finalement parvenir à sortir de la salle.

Coralie : "aujourd'hui, cela fait exactement 6 ans, 6 mois et 6 jours" que les attentats ont eu lieu. "J'ai repris ma vie, mais à chaque instant, je dois faire une lutte interne pour sortir. Et je le fais donc on peut penser que tout va bien. Mais c'est toujours très dur."

Coralie : "c'est dur pour moi. C'est dur également pour ma famille et mes amis proches. Ils m'ont vue changer du tout au tout. Et ils ont parfois un reflexe de stress post-traumatique alors qu'ils n'étaient pas là. Et ça, on n'y pense pas. J'ai déversé sur eux."

Coralie : "d'ailleurs aujourd'hui mon frère et ma soeur n'ont pas pu venir car c'était trop dur pour eux de m'entendre témoigner."

Shani à son tour. Fan des Eagles of Death Metal, elle raconte très émue, elle raconte "cette horrible nuit" qui "a fait écho à un traumatisme plus ancien que je n'avais jamais guéri. Un état dissociatif m'accompagnait depuis l'enfance après des traumas physiques répétés"

Shani raconte aussi comment, alors qu'elle était chanteuse dans un groupe avant le 13 Novembre 2015, elle a du arrêter la musique "parce que je ne supportais plus un seul son de percussions et je ne savais plus chanter sans pleurer."

Shani : "grâce à ce procès et à tous les témoignages déchirants que j'ai pu écouter, je me sens moins seule en tant que victime. C'est un des effets positifs auquel je ne m'attendais pas."

Shani : "je ne suis en lien avec aucune association ni aucune autre victime, mais je me suis rendue compte grâce à ce procès que l'avenir serait différent. Il ne se passe pas une seule semaine sans que je pense à toutes ces vies volées."

Shani : "la souffrance reste de la souffrance. Mais autour d'elle des liens se tissent. Des liens qui permettent de guérir." Elle conclut par une citation de Confucius : "on a deux vies. La deuxième commence quand on réalise qu'on en a qu'une".

L'audience se poursuit avec l'audition de Vincent, "commissaire de police à la bac". "Le 13 Novembre 2015, je travaillais. J'ai reçu un sms d'un de mes collègues me disant de faire vite car des attaques étaient en cours dans Paris".

Vincent : "j'ai enfilé très vite ma tenue, récupéré un fusil à pompe. J'ai voulu m'équiper en gilet pare-balle et casque lourds mais c'était un équipement mutualisé à l'époque. J'ai pas eu de casque, seulement mon casque de maintien de l'ordre qui n'avait pas grande utilité."

Vincent :"on s'est positionnés sur la rue Oberkampf, on entend des coups de feu. Et on entend notre patron qui est déjà à l'intérieur du Bataclan et nous demande avec insistance de le rejoindre. Sauf qu'un gradé fait barrage et nous dit de rester au niveau de la rue."

Vincent : "j'en profite pour appeler mon épouse qui est infirmière-puéricultrice et est au travail. Elle ne sait pas ce qui est en train de se passer. Je lui dis juste que je l'aime, que ça va bien se passer et je raccroche On se rapproche doucement du Bataclan."

Vincent : "au fur et à mesure qu'on se rapproche, on commence à distinguer des corps sur le trottoir. A l'entrée, il y a un vigile sur une chaise avec une balle dans la tête. Notre patron nous dit qu'il y a encore deux terroristes à l'intérieur et qu'il va falloir entrer."

Vincent : "notre patron nous dit aussi que si quelqu'un ne se sent pas de rentrer, il n'y a pas de problème. Mais je crois que ça n'est dans l'esprit de personne en fait. Donc on entre."

Vincent : "quand on entre, la vision est inimaginable. Il y a une odeur de poudre, de sang, de mort en fait. On ne voit même plus le sol tellement il y a de gens couchés dans la fosse. "

Vincent : "je décide de prendre une position. Quand je m'accroupis, je sens quelque chose au niveau de mon genou. Et en fait c'est le visage d'une personne qui a une plaie béante au niveau de la tête. J'essaie de faire abstraction de ce qu'il y a autour. Mais c'est impossible."

Vincent : "il y a cette femme, défigurée, qui me regarde. Et je la regarde aussi. Mais comme les terroristes sont encore là, ce n'est pas sécurisé et on ne peut pas intervenir. Ça dure longtemps, je suis intimement persuadé que je ne vais pas sortir de là."

Vincent : "à un moment, notre patron dit aux valides de sortir calmement. La personne avec la blessure au niveau de la joue se lève et sort en passant à côté de moi. Je l'ai revue dans la salle tout à l'heure et je suis tellement content qu'elle s'en soit sortie."

Lorsque la BRI intervient, Vincent et ses collègues quittent le Bataclan. "On retourne à notre base. Notre patron nous explique qu'il faut qu'on essaie de décompresser. Mais c'est compliqué. On a tous du sang et des lambeaux de chair sur nos habits. C'est cauchemardesque."

Vincent : "derrière, moi je suis parti en grande dépression. Je ne pouvais plus sortir de chez moi sans arme. J'ai des insomnies phénoménales. J'allais tellement mal qu'au bout d'un an mon épouse a jeté l'éponge et on s'est séparés. Ca a été compliqué de se reconstruire."

Vincent : "Il y a beaucoup de choses qui restent. La sensation de mon genou que la blessure de la personne, ça reste. La personne avec la blessure au visage c'était compliqué mais maintenant que je l'ai vue dans la salle, je pense que ça devrait aller mieux."

Vincent : "je suis toujours à la BAC 75N, j'adore mon travail. Maintenant, la donne a changé : on est mieux équipés, on est formés. On est intimement persuadés que ça va se reproduire à un moment ou un autre, mais on a tous inclut ça dans notre esprit. Et on ira."

Deux personnes s'avancent à la barre. Ils sont le père et la soeur de Quentin Boulenger "assassiné au Bataclan". Daniel, le père de Quentin est le premier à s'exprimer. "Nous avons été rapidement informés que Quentin était au Bataclan".

Daniel est très ému explique avoir été autorisé à entrer dans la mairie du 11e arrondissement : "j'ai parcouru les locaux où les rescapés arrivaient, j'ai dévisagé chacun en espérant trouver mon fils. C'était le chaos. Il n'y avait aucun processus de coordination de recherche".

Daniel : "ni les services de police, ni les hôpitaux ne disposaient d'une base de données sur l'identité des victimes. Comme beaucoup de familles, nous avons débuté ce parcours des hôpitaux. Puis en fin de journée, je me suis rendu à l'IML [institut médico-légal, ndlr]."

Daniel : "Quentin avait 29 ans. Il s'est épanoui avec ses deux sœurs. Il était très ouvert à toutes les cultures étrangères. Il travaillait au siège de L'Oréal. Il a épousé Hélène en juin 2015 à Paris. Il désirait fonder une famille. Son beau destin de vie a été brisé".

Daniel : "au-delà de la colère et de nos larmes, il nous est apparu important de ne pas laisser notre tragédie à cette seule dimension dramatique. Nous avons créé une fondation pour aider les jeunes dans leur parcours scolaires et éviter leur décrochage"

Diane, la soeur de Quentin prend la parole à son tour : "je n'étais pas dans la salle du Bataclan le 13 Novembre 2015 mais ma vie a basculé ce soir-là. Mon frère, mon soleil, mon roc, mon repère. Tu es mort en faisant une des choses que tu préférais le plus au monde."

Diane : "le 13 Novembre 2015, la famille a explosé, nos repères se sont écroulés. La cicatrice est invisible mais profonde. Mon cœur a été perforé. On a le sentiment d'être mort, on est toujours en vie. Avec ce sentiment amer que le retour en arrière n'est pas possible."

Diane : "l'histoire du monde est traversé par la violence, je le sais. Vous n'êtes qu'un instrument de plus dans cette barbarie. Je n'ai pour vous ni respect, ni haine. Mais comment ces lâches réussissent-ils à convaincre que la mort est un but plus important que la vie ?"

Diane : "la résilience c'est notre capacité de croire que nous pouvons nous relever et encore avancer. La résilience c'est accepter l'absurde et continuer à vivre. Chaque matin, il faut se réengager sur ce chemin, transformer ses plaies ouvertes en cicatrices."

Diane : "si la haine s'est autant infiltrée dans notre propre maison, la France, c'est qu'il y a des failles profondes."

Diane : "je suis fière d'être ici et de montrer au monde entier que nous avons pu nous relever et que l'amour a déjà gagné."

L'avocate de la famille d'Antoine Mary, décédé au Bataclan, s'est avancée à barre. Elle annonce qu'elle va lire leurs témoignages. Dont celui du fils d'Antoine Mary, né après sa mort. Il a aujourd'hui 5 ans et demi.

Lettre du fils d'Antoine Mary, 5 ans et demi : : "A l'attention des accusés : ils sont pourris comme une banane pourrie. Ils ont tué mon papa et ça c'est vraiment pas bien. Il ne faut plus leur donner à manger pour qu'ils meurent. Je suis en colère parce qu'ils sont méchants".

L'épouse d'Antoine Mary, enceinte de deux mois et demi était elle aussi au Bataclan. "On avait fait la première échographie deux semaines avant et appris qu'on attendait un petit garçon" a-t-elle écrit dans un texte lu par son avocate. Elle a fait partie des "otages du couloir".

L'épouse d'Antoine Mary a également écrit comment "la grossesse m'a sauvée." Aux accusés, elle a écrit : "vous n'êtes rien, nous sommes tout le reste. Nous continuerons de nous battre, jour après jour. Nous continuerons de mettre un pied devant l'autre."

La maman d'Antoine, elle aussi, a transmis un texte à son avocate. "Je suis la maman de 3 enfants. Et même si Antoine est mort d'une balle dans le dos, je suis la mère d'Antoine pour l'éternité. Antoine est vivant parce qu'il aimait la vie : sa compagne, ses amis, faire la fête"

Pauline qui a perdu son frère Thibault Rousse-Lacordaire au Bataclan, s'avance à la barre : "le 13 Novembre j'étais chez moi avec mon mari et nos deux enfants de 1 et 3 ans. Je ne savais pas que mon frère était à un concert. Je l'ai appris le lendemain."

Pauline : "la douleur sourde est arrivée, la colère froide qui ricoche sur ceux qui nous sont le plus cher. Thibault avait 36 ans et toute la vie devant lui, 1000 projets à réaliser, beaucoup d'amour à donner, une intelligence hors du commun à mettre au service des autres".

Pauline : "Thibault croyait en dieu. Une foule dense et silencieuse était présente à son enterrement. Thibault a été assassiné dans une salle de concert. Je ne serai jamais s'il a eu le temps de souffrir, s'il a eu peur, si sa vie en a épargné d'autres."

Frédérique, ex-compagne de Mathieu Hoche, décédé au Bataclan, s'est avancée à la barre. A ses côtés, leur fils qui avait 9 ans le 13 Novembre 2015. Elle raconte son histoire d'amour avec Mathieu, puis leur séparation au bout de dix ans et les contacts qu'ils ont gardés.

Frédérique raconte les premières alertes, la nuit d'angoisse. Et puis le lendemain, le réveil de leur fils auquel elle ne sait que dire. "J'ai organisé une invitation bidon avec une amie pour qu'il aille chez elle et que j'ai le temps de savoir ce qui était arrivé à son père".

De l'annonce de la mort de Mathieu, Frédérique "garde le souvenir du cri déchirant de sa maman et le monde qui s'écroule. Annoncer à son enfant que son père était mort assassiner, gérer son retour à l'école, vider l'appartement de Mathieu, m'occuper des trucs administratifs"

Frédérique : "j'ai le sentiment d'avoir couru comme une poule sans tête les quatre premiers mois. D'avoir comblé le vide par une suractivité. Et tous les matins, l'espoir, quelque dixième de secondes, que je suis en train de me réveiller d'un cauchemar"

Frédérique : "j'ai flanché au bout de quatre mois. Rideau. J'ai comme perdu pied avec le monde. Au travail, je ne comprenais plus mes collègues, je ne comprenais plus leurs mots. J'étais plus là. Mais il fallait que je me remette vite car je n'étais plus que le seul parent."

Frédérique : "aujourd'hui, on vit à la campagne, un village de 130 habitants dans les collines. Patiemment, on s'est construit une nouvelle vie. Et on essaie de la faire belle."

Frédérique : "J'aimerais un jour arriver à parler de Mathieu sans pleurer systématiquement. J'ai la chance de voir notre fils grandir. Pas lui. Et cette injustice me révolte."

Frédérique ; "je voudrais aussi parler d'un problème plus global : la reconnaissance du couple parental. Qui n'existe pas. Seul le couple marital est reconnu. Quand on veut prendre soin des enfants orphelins, il ne faudra pas oublier de prendre soin du parent qui leur reste."

Sophie, veuve de Fabien Stech s'avance à la barre. "Je suis venue avec mon frère", explique-t-elle au sujet de celui qui l'accompagne. Sophie était chez elle, à Dijon, le soir du 13 Novembre 2015. Elle ignore que son mari, en déplacement à Paris, était au concert.

Sophie explique avoir faire un déni total sur la présence de son mari à Paris. "Mon cerveau a décidé qu'il était à Strasbourg où il allait souvent". Pendant toute la journée du 14 novembre, elle s'échine à rassurer son entourage, affirmant que "Fabian est à Strasbourg".

C'est finalement le coup de téléphone de l'hôtel où Fabian n'est pas rentré ce soir-là, qui ramène Sophie à la terrible réalité. Après, "j'ai d'abord refusé les arrêts de travail parce que j'étais une profession libérale. Mais je ne tenais plus debout".

Sophie : "je me suis accrochée pour mes fils. La musique m'a accompagnée dans ce long cheminement. Avec mes fils, on a du revoir complètement nos vies. Très souvent, le matin, je suis submergée par une tristesse. C'est presque tous les jours. Mais après, on se ressaisit".

Sophie : "je me dis que c'est une histoire d'amour inachevée et que personne ne pourra jamais la terminer. J'ai eu besoin de suivre ce procès, de comprendre ce qu'il s'était passé, notamment à l'intérieur du Bataclan."

Sophie : "j'avais en tête les images du passage Saint-Pierre-Amelot, des couvertures de survie dorée. Grâce à ce procès, j'ai d'autres images : celles des visages des survivants. Et cela m'a beaucoup aidée."

Sophie explique aussi qu'avant ce procès, elle a reçu l'appel d'un couple qui était juste à côté de Fabian au Bataclan : "j'ai eu un récit très précis des derniers instants de Fabian. J'ai appris qu'il était mort sur le coup. Et cela m'a libérée d'une angoisse terrible".

Célia était donc au Bataclan avec son mari. "On se place devant la barrière. On ne connaît pas nos voisins mais on se sourit : un grand type chauve, une fille avec de belles boucles d'oreille. On est bien."

Célia : "tout le monde se couche à terre. Je ne comprends pas. Je m'allonge mais je ne comprends pas. Et là, je vois deux hommes, plutôt jeunes et des armes au bout desquelles sortent des étincelles. Mais je ne comprends toujours pas. J'ai l'impression d'être dans un film".

Célia : "puis l'un d'entre eux prononce ces mots : "vous tuez nos frères en Syrie. Maintenant, on est là." Mon cerveau percute et je me rends compte que je suis au milieu d'un attentat. Je pense à mes deux filles. Je suis couchée sur les jambes d'une femme. On est enchevêtrés"

Célia : "j'étais en instinct animal. Je suis une proie, je me terre. Là où je suis, c'est un silence. On n'entend que les personnes agonisant. Je vois le grand homme chauve avec qui on avait sourit, une balle dans la tête, qui baigne dans une mare de sang".

Célia finit par sortir en courant : "j'ai jamais couru aussi vite. On sort par la porte du boulevard Voltaire." Célia et son mari se réfugient dans une cour d'immeuble. "C'est l'hécatombe. Un homme reçoit un massage cardiaque et meurt devant nos yeux".

Célia : "les jours suivants c'est une alternance entre les moments euphoriques d'être en vie et d'angoisse. Avec mon mari, on a vécu la même chose et en même temps notre reconstruction n'a pas eu les mêmes étapes. On n'a pas le même ressenti, ni les mêmes besoins."

Célia : "c'est pas toujours évident non plus lorsque dans un couple on n'a pas la même vision du procès et de ce qu'on peut y apporter. Chacun vit son traumatisme différemment."

Célia : "pour notre famille tout comme nos amis proches, ça n'a pas été évident. On a deux petites filles qui avaient 5 et 8 ans à l'époque. Et ça a été compliqué pour elles aussi. Nos amis nous ont beaucoup soutenu, mais n'ont pas toujours compris ce qu'on a vécu."

Célia : "concernant les accusés, je ne n'attends rien de particulier. Mais je me suis posé la question : comment un être humain, normalement constitué, qu'est-ce qui peut le pousser à un assassinat de masse?"

Célia : "Merci à vous, monsieur le président et vous mesdames et messieurs de la cour. Parfois je me demande si vous n'êtes pas des êtres surhumains pour arriver à écouter toutes nos logorrhées et avoir les estomacs bien accrochés."

Célia : "merci à mes filles. Car grâce à elles, j'ai eu la niaque de sortir de cet enfer. C'est pour elles que j'ai pu revenir."

Fin du témoignage de Célia. Guillaume lui succède à la barre. Il explique qu'à l'époque, il est fiancé à une franco-américaine, fan du groupe. Mais lui ne se sent pas très bien, "j'hésite à envoyer mon fils de 13 ans à ma place. Et puis, je me dis "j'y vais".

Guillaume : "et depuis, à chaque fois que je repense à cette hésitation où j'ai failli envoyer mon fils là-bas, c'est très difficile à gérer".

Guillaume et sa compagne parviennent à fuir assez rapidement, raconte-t-il. "On s'est retrouvé dans un bus, puis à la mairie. Tout le monde pleurait. Je suis rentré chez moi, mon fils dormait sur le canapé, je suis allé le coucher et puis on a regardé les infos".

Guillaume : "on s'est mariés quelques mois après à Los Angeles. Mais on a pris deux chemins différents. Et on a du se séparer. Aujourd'hui, elle vit dans le désert, aux Etats-Unis, à Joshua Tree. Et moi je suis resté en France."

Guillaume : "pour moi ce procès c'est un point final. C'est la dernière bulle où on peut parler, se vider et puis continuer. Je le souhaite à tout le monde, je me le souhaite à moi aussi."

Guillaume : "on a souvent entendu c'est : "ils ont attaqué la jeunesse". Moi, j'ai 49 piges, je ne suis pas la jeunesse du tout. Je ne suis pas un symbole. Ils ont attaqué des hommes, des femmes, des prénoms, des pères, des mères."

Dernières auditions de la journée : celles de la mère et de la soeur de Romain Dunet, "assassiné au Bataclan lors des premiers tirs", explique sa mère Sylvie.

Sylvie : "la balle est rentré sous son oeil droit, elle est ressortie à l'arrière de la tête. Ce qui veut dire qu'il est mort de face. Et j'ai aimé savoir ça. Il avait 28 ans. Il est le second de mes trois enfants. Il le sera toujours."

Sylvie : "partout, il avait des amis. Il était riche d'amis. Le samedi 14 novembre au matin, la maison s'est remplie de ses amis. Et jusqu'au jour de son enterrement, la maison a été ouverte ou des dizaines de jeunes venaient régulièrement me parler de Romain."

Sylvie : "sa mort laisse un trou béant dans notre famille. Nous vivons avec. Quelque fois, nous tombons dedans. Le procès est important pour nous. Pour savoir comment Romain est mort. Pourquoi Romain est mort. Nous ne voulons pas que subir. Nous voulons comprendre."

Sylvie : "j'espère que pas ce procès, une graine s'est posée dans le coeur des accusés. Je regarde les accusés. Je vois des hommes sont certains ont l'âge de mon fils. Je pense à vos mères."

Clotilde, soeur de Romain prend la parole à son tour, pour parler de notre 13 Novembre 2015. "Avec le recul, et cela peut paraître étrange, je suis soulagée qu'il soit mort et pas blessé. Car je n'aurais pas supporter de voir mon frère à moitié vivant ou à moitié mort."

Clotilde : "nous avons appris assez rapidement la mort de mon frère. Mon autre frère étant pompier, il avait des collègues sur place et on a vu, comme dans un film, des gradés arriver devant la porte."

Clotilde : "ce deuil là a été particulier. Car on s'est aperçus qu'il nous dépassait. Qu'il ne nous appartenait pas. Ce deuil là, c'était du monde. Beaucoup de monde."

Clotilde : "je suis en colère, encore maintenant, de devoir paraître aux yeux des autres, de devoir coller à l'image que les autres se font des familles de victimes. Pour moi, mon frère est mort, mais il serait mort dans un accident de voiture, ça aurait été la même chose."

Avant la suspension, le président tient "à donner lecture d'une partie civile qui n'est pas venue mais qui me semble intéressante". Il s'agit de l'audition d'un fonctionnaire de police, arrivé au Bataclan "vers 21h40" a-t-il indiqué dans son audition.

Alors qu'il était en position dans la rue, ce fonctionnaire a raconté comment "une salve a été tirée dans notre direction sans que nous sachions exactement d'où elle venait. Nous nous sommes repliés. Puis nous nous sommes remis en position."

Le président poursuit la lecture de cette audition dans laquelle ce fonctionnaire de police raconte avoir été secourir une victime qui appelait à l'aide. Il a essuyé plusieurs tirs.

L'audience se poursuit avec la lecture de pièces que la défense de certains avocats ont souhaité verser aux débats.

L'audience est suspendue jusqu'à demain 12h pour les derniers témoignages de victimes. Rappelons que les plaidoiries des avocats de parties civiles débuteront lundi.

Les paroles déchirantes d'un garçon de cinq ans, les mots pour dire le manque, l'absence, la culpabilité du survivant ... tout cela est à retrouver dans le compte-rendu de cette 124e journée

Jour 125 – Vendredi 20 mai – Suite des témoignages des victimes

Bonjour à tous, 125e jour et dernières auditions de parties civiles aujourd'hui au procès des attentats du 13 Novembre 2015.

Aujourd'hui, les toutes dernières victimes qui l'ont souhaité vont témoigner à la barre.

L'audience reprend avec l'audition de Nicolas, frère de Thomas Duperron, décédé au Bataclan. "Je n'attendais rien d ce procès, j'y voyais tout au plus une nouvelle épreuve. Je n'ai pas écouté la webradio et très peu lu ou suivi les débats".

Nicolas : "Thomas avait 30 ans, la vie devant lui, enfin prêt à rattraper une décennie perdue à se battre contre la maladie. Il avait des tas d'amis. Et si vous l'aviez croisé, messieurs [il s'adresse aux accusés ndlr] il vous aurait probablement offert un verre."

Nicolas : "nous avons grandi dans les récits de débarquement, de Résistance. J'ai toujours ressenti une grande culpabilité à n'avoir aucun combat à mener. Mais cette nuit-là, j'ai compris que mon combat à moi c'était de survivre à la mort de petit frère."

Nicolas : "je me suis forgé une petite armure pour affronter tout ça. Mais bien souvent, je vous le confesse, elle me pèse. Alors je la pose un instant et m'abandonne à la tristesse. Ce soir-là, messieurs, vous m'avez permis de réaliser combien notre monde était malade."

Nicolas : "ce procès a montré combien vous vous êtes trompés, combien vous avez échoué. Vous cherchiez le mal, vous avez trouvé le bien. Vous cherchiez à diviser vous avez rassemblé les gens en associations. Vous vouliez attiser la haine mais vous n'avez trouvé que de la dignité"

"Le sens que j'ai trouvé à ce procès c'est de vous avoir forcé à entendre ça", conclut le frère de Thomas Duperron à la barre.

Plusieurs des victimes qui doivent être entendues aujourd'hui ne sont pas encore arrivées. Le président annonce donc qu'en attentant il va faire diffuser les témoignages vidéo également prévus aujourd'hui.

L'écran géant de la cour d'assises se baisse et la mère de Yannick Minvielle, décédé au Bataclan apparaît à l'écran. Une photo de son fils est posée sur un chevalet derrière elle.

En raison de problèmes techniques, la vidéo sera diffusée un peu plus tard. Pour l'instant, la cour entend Floriane, survivante du Bataclan mais qui y a perdu son compagnon Renaud Le Guen. "Il était l'homme de ma vie". Il avait 28 ans et tous 2 étaient en couple depuis 12 ans.

Floriane raconte que Renaud l'avait demandée en mariage au mois de mai précédent. Au moment de l'attaque, elle le per rapidement de vue, parvient à se réfugier dans une loge, puis dans les plafonds du Bataclan.

Floriane : "en bas dans la salle, j'entends des gémissements, des pleurs, des cris d'agonisants, des téléphones qui sonnent. Je n'ai toujours pas de nouvelles de Renaud, j'embrasse ma bague de fiançailles."

Floriane : "j'ai des nouvelles de l'extérieur avec mon téléphone. J'attends des nouvelles de Renaud. On entend toujours gémir en bas. Puis, une explosion, puis une seconde. La dalle en béton bouge sous ces explosions."

Floriane : "la BRI arrive. Nous crions "otages". Ils nous disent de descendre, ils nous préviennent que ce n'est pas joli à voir en bas. Nous prenons l'échelle murale, il y a un petit bout de chair accroché à un barreau. Je dois poser ma main dessus, j'hésite, puis j'y vais."

Floriane : "on arrive au niveau de la salle. Je distingue une jeune fille morte. elle est jeune, très jeune. Elle est belle. Je regarde en direction de la fosse. Il y a une montagne de cadavres. Je cherche si je vois Renaud."

Floriane : "je vois un policier, je lui dis que j'attends toujours des nouvelles de Renaud. Il me dit que je dois m'attendre au pire, que beaucoup de personnes sont mortes. C'est maladroit, violent. Mais il a tellement raison."

Floriane raconte le lendemain, réfugiée chez sa soeur. "Mon papa s'approche de moi et s'accroupit. Il me dit : ma chérie, c'est fini. Renaud est mort. Il pleure. Je dis que c'est pas possible. On doit se marier, j'ai choisi ma robe."

Floriane : "je rentre dans notre appartement. Il y a la veste de Renaud sur la chaise, son pyjama sur l'oreiller. J'ai un goût amer dans la bouche, du mal à déglutir. Je n'ai pas pu aller voir le corps de Renaud car c'était trop difficile."

Floriane : "la dernière image que j'ai de lui c'est son visage éclairé par les lumières du concert. Le jour de l'enterrement, je mets la robe noire que j'avais prévu de mettre pour mon anniversaire le 14 novembre."

Floriane : "je continue encore a avoir des crises de panique des mois après l'attentat. Les feux d'artifice me font finir en pleurs dans les WC au mariage de ma cousine. C'est une lutte perpétuelle. Un travail sur soi. Une force inébranlable qui me dit d'avancer aujourd'hui."

Floriane : "quand on est encore vivant après ce genre d'événement, on porte la responsabilité de la vie. Alors on vit plus intensément. On aime plus fort, on rit plus fort, on pleure plus fort. Et on gueule aussi plus fort."

A la barre, s'est avancée la mère d'Eric, blessé au Bataclan. Elle raconte cette soirée-là, l'inquiétude, puis "l'étreinte qui se transforme en peur". La confirmation : "Eric est au Bataclan."

La mère d'Eric raconte qu'un des terroristes, probablement Omar Mostefai, lui a dit : "toi, tu t'assois là et tu ne bouges pas d'un cil. Il voit les corps tomber, les gens qui protestent, qui crient. La revendication des terroristes."

La mère d'Eric raconte qu'il "a reçu une balle, assez près du coeur. Il a perdu beaucoup de sang. Le nerf radial a été touché."

La mère d'Eric décrit son fils lorsqu'elle peut le revoir à l'hôpital : "il a tout un appareillage. Sa main a triplé de volume, on a l'impression qu'elle va exploser. Mais curieusement, il est souriant. Je pense qu'il est sous calmants".

La mère d'Eric raconte sa longue rééducation, "sa main bionique comme disaient les enfants", le stress post-traumatique : "les cauchemars", l'agoraphobie etc.

La mère d'Eric conclut : "il y a un avant et un après. Eric ne sera jamais le même. C'est un autre homme."

La mère d'Eric s'adresse enfin aux accusés : "il n'y a pas d'honneur à tuer des gens désarmés. Vous n'êtes pas des monstres et vous avez la chance d'être jugés en France dans un Etat de droit. Je vous souhaite un jour de prendre conscience de ce que vous avez fait."

Le frère de Christophe, mort au Bataclan témoigne à son tour. Il a écrit un texte : "il était de nous trois le plus grand, le plus imposant. Il a fallu bien longtemps pour le retrouver car oui, Christophe dépasse les bornes, emprunte des chemins détournés."

Le frère de Christophe :"nous avons dû accepter sa mort, j'ai dû annoncer à la mère de ses deux enfants que leur famille était détruite. Ce deuil imposé est long, terrible. Une mort inutile qui me laisse encore souvent ce goût particulier de métal dans la bouche".

Les problèmes techniques ont été résolus, la vidéo enregistrée par la mère de Yannick Minvielle, décédé au Bataclan peut être diffusée. Celle-ci évoque son fils, débordant de vie. "La joie, l'humour, la bienveillance sont des caractéristiques communes à toutes ces vies fauchées"

"Ce n'est pas en détruisant la vie des autres qu'on réussit la sienne. Vos agissements sont un échec, preuve en est ce procès" poursuit, dans sa vidéo enregistrée, la mère de Yannick Minvielle.

"Pourquoi nos enfants sont-ils morts ?" interroge dans son témoignage vidéo la mère de Yannick Minvielle. "Pourquoi aucune action malgré des alertes répétées ? Les responsables sont-ils exclusivement dans le box des accusés ? Pour ma part, je réponds clairement non."

"Je souhaite que ce procès apporte des réponses à ceux qui en attendaient. Je souhaite qu'il ne marque par la fin publique de nos victimes. Que les conséquences de ce 13 Novembre 2015 figurent en bonne place dans les manuels d'Histoire" conclut la mère de Yannick Minvielle."

Autre témoignage vidéo, celui de la sœur de Guillaume Le Dramp, décédé à la terrasse de la Belle Equipe. Elle raconte les longues heures d'inquiétude, sans nouvelles de son frère, son arrivée à Paris depuis son domicile de Rouen. Puis l'annonce de sa mort.

La sœur de Guillaume Le Dramp raconte les difficultés de l'après ; la reconnaissance à l'institut médico-légal, le moment où il a fallu "récupérer les affaires qui étaient dans ses poches". "C'était vraiment un choc psychologique."

Dans son témoignage vidéo, la sœur de Guillaume Le Dramp poursuit : "j'essaie de me rassurer pour me dire que c'était peut-être le destin. Il fallait peut-être qu'il soit là ce soir-là. On essaie d'avancer comme ça."

"Aujourd'hui, c'est encore très dur parce que c'est vraiment un tabou. On n'arrive pas à en parler. On n'en parle pas avec ma maman, avec ma sœur. On n'en parle pas", confie dans son témoignage vidéo la sœur de Guillaume Le Dramp.

Dernier témoignage audio diffusé à l'audience, celui de Nadja, mère de Lola O. la plus jeune victime décédée dans ces attentats : "17 ans et demi, le 13 Novembre 2015" "Une balle : elle aura pu toucher ton pied, elle a mis fin à ta vie en un instant foudroyant."Nadja : "la balle qui a mis fin a ta vie a été tirée par un homme sans coeur, sans âme. Debout, à terre en un instant. Vie interrompue. Aujourd'hui, des questions qui me troublent : qui a soutenu ces djihadistes ? Qui a acheté leur pétrole ? Qui leur a vendu des armes ?"

L'audience se poursuit avec les auditions des habitants de la rue du Corbillon à Saint-Denis. Ils ont subi l'assaut du Raid le 18 novembre 2015 dans cet immeuble où Jawad Bendaoud a logé les terroristes survivants des attentats du 13 Novembre

Une famille s'avance à la barre. Un couple et leurs deux enfants, un adolescent et sa petite soeur encore enfant. C'est la maman qui s'exprime. "On était une famille comme les autres, on travaillait. Les enfants rapportaient des bonnes notes de l'école à l'époque."

Helena : "ce 18 novembre nous a tout pris. On s'est retranchés dans la chambre, on a pris tout ce qu'on pouvait, les matelas, tout. J'ai entendu les cris de mes enfants dire : "qu'est-ce qu'il se passe ? qu'est-ce qu'on fait de mal ?"

Helena : "Je ne comprends toujours pas pourquoi on est vivants. Le plus difficile c'est d'attendre d'être mort, d'attraper une balle." Elle pleure. "C'est dur d'attendre d'être mort. C'est dur. C'était interminable."

Helena : "j'ai dit : les enfants, on va tous se retrouver là-haut. Ils disaient : maman, fais quelque chose. On ne pouvait rien faire. Mes enfants, qui étaient brillants à l'école, on leur a dit : vous habitez dans la maison de Jawad [Bendaoud, ndlr] vous êtes des terroristes".

Helena : "ma petite fille qui est en CM1 elle a maintenant le niveau d'un enfant de CP. Car elle oublie vite, elle oublie tout. Moi, les gens disent de moi : "elle est gentille mais elle est pas bien". Mon mari, je l'entends pleurer la nuit".

Helena : "on n'arrive toujours pas à dormir. Mëme avec des médicaments. On adorait aller voir le 14 juillet en famille. Maintenant, c'est une horreur pour moi. Et le plus triste c'est qu'on est toujours en attente d'un logement : on est entassés les uns sur les autres;"

Helena : "j'ai dû aller jusqu'aux Restos du coeur. C'était dur d'arriver jusqu'à la porte. Moi qui aidait les autres autrefois." De part et d'autre d'Helena : ses deux enfants. Sa fille est très agitée dans sa petite robe rose. Ses mains virevoltent sans cesse.

Helena : "on était une grande famille au 48 [de la rue du Corbillon, ndlr]. Ca nous a détruit. Je sens toujours l'odeur des balles, la fumée." Elle pleure à la barre, s'excuse. "On est vivants, mais comment ?"

Son mari prend la parole à son tour : "avant, je travaillais en tant que maçon. Quand les policiers sont rentrés chez nous pour donner l'assaut, ils sont rentrés brutalement. Ils voulaient me mettre les menottes, mais il était 4 hrs du matin, je ne savais pas, j'ai refusé.3

"Les policiers m'ont plaqué au sol, j'ai perdu mes trois dents de devant. Ils m'ont dit : couchez-vous au sol. Et ils ont tiré sur l'appartement où logeait [Abdelhamid, ndlr] Abaaoud. Je suis devenu sourd de l'oreille gauche", raconte ce père de famille.

"Le 48 [de la rue du Corbillon, ndlr] c'est des victimes oubliées, des victimes qui ont été laissées de côté. En 2018, on était au procès de Jawad [Bendaoud, ndlr]. On pensait que c'était fini" poursuit le mari d'Helena.

"Vous savez que 5000 munitions ont été tirées. Et nous on est restés 8 heures couchés par terre sans pouvoir bouger. C'est une scène de guerre. 16 ans qu'on habitait au 48 [rue du Corbillon, ndlr]. On a payé nos loyers, l'assurance habitation. Et on a eu aucun sous après."

"On est sortis de là-bas les mains vides. Tout ce qu'on avait est encore là-bas parce que c'est sous scellés judiciaires", poursuit Mendes, le mari d'Helena.

Une femme s'avance avec son fils et une très jeune fille. "Il n'y a personne pour vous garder la petite", interroge le président ? "parce que la barre des assises ..." Moment de flottement. "Bon, si elle veut rester avec sa maman". La fillette qui doit avoir trois ans reste.

Sa maman, d'origine serbe, explique-t-elle, livre son témoignage. Sa fille est agitée, veut être dans ses bras, mais parle dans le micro. Sa mère poursuit. Raconte à son tour l'assaut du Raid. "Il y avait des lumières rouges partout dans la chambre".

A la barre, cette femme explique : mon mari a essayé d'ouvrir la porte mais le policier lui a mis un fusil sur la tête et a dit : "opération antiterroriste" "On était dans les toilettes, ça tirait de partout", poursuit-elle alors que la fillette court en riant à travers la salle.

Cette femme d'origine serbe explique : "mon pays a été bombardé, je n'aurais jamais cru que je vivrais une autre guerre en France."

"Cela fait dix ans que j'habite en France", poursuit cette mère de famille en tremblant. "Je demande qu'on puisse être reconnus comme victimes de terrorisme."

La jeune femme quitte la salle avec ses deux enfants. Mohamed s'avance à son tour à la barre. Il raconte comment il était avec son ami Nour-Edine qui alerté à 4 heures du matin et en voulant regarder par la fenêtre ce qu'il se passait, a pris une balle dans le bras.

Mohamed explique :"ils nous ont fait sortir. Ils nous ont demandé de nous mettre à poil dans le couloir. On ne comprenait pas le français et ils ne nous laissaient pas parler en arabe entre nous. Une policière m'écrasait la tête. J'étais à plat ventre."

Mohamed : "un policier a dit : "regarde ces fils de pute, on va les tirer et on va les jeter dans la Seine. Ils m'ont cagoulé et ont m'a mis dans la voiture avec une arme dans le dos."

Le président intervient, demande à l'avocat de Mohamed, Me Mouhou s'il y a eu une plainte pour les faits que cet homme dénonce. "Parce que là, on est en dehors du terrorisme ...."

Mohamed : "je n'arrive pas à dormir la nuit. Dans tous mes rêves je vois ça". Il pleure à la barre. "Maintenant, rien qu'un contrôle de pass Navigo dans le métro, j'ai peur".

Un couple s'avance à la barre. La femme, voilée de jaune, témoigne : "je suis arrivée en France en 2005 pour faire ma thèse. J'ai eu beaucoup de difficultés mais j'ai réussi mon master en pharmacie à Dijon avec mention très bien."

"Je suis d'origine algérienne, j'ai poursuivi ma thèse à Paris. J'étais enceinte de mon grand. J'étais à terme le jour de mon dernier examen. Et malgré tout, j'ai réussi. Les grands labos m'ont fait confiance. Je travaillais en parallèle pour gagner ma vie."

"J'avais beaucoup d'ambition, beaucoup de rêves. Avant le 13 Novembre on avait une vie stable, trois enfants en bas âge, la plus petite avait 13 mois", poursuit cette ancienne habitante du 48 rue du Corbillon à Saint-Denis.

"On était dans un appartement, on n'était pas des squatteurs comme tout le monde a dit. On avait des logements petits, mais on était heureux. On avait une amis chrétienne. On fêtait Noël ensemble, les anniversaires de nos enfants."

"Je n'avais aucun endroit où nous réfugier. On était da la salle-de-bain, par terre. les enfants 5 ans, 3 ans, 1 an étaient muets. J'ai prié de mourir avant mes enfants. Je ne pouvais pas supporter de les voir mourir. C'était sans arrêt depuis 4h15 du matin", poursuit-elle

"Mes parents m'ont vue depuis l'étranger, en direct à la télé, sortir en pyjama avec mes enfants. Cette vidéo je n'ai pas pu la voir jusqu'à hier matin", raconte-t-elle encore.

"On a perdu beaucoup de choses. J'ai perdu le courage de poursuivre mes études. Le plus important pour moi maintenant c'est l'avenir de mes enfants. Je ne veux pas qu'ils aient le tampon "enfants d'étrangers". Je veux qu'ils réussissent."

"Aujourd'hui, si on est là c'est parce que pour moi c'était très important de parler. On a eu la chance de ne pas avoir vu nos proches mourir. Mais notre vie est gâchée", conclut-elle.

Son mari souhaite s'exprimer à son tour. "Je pense que Madame a été complète", déclare le président. "Je ne vais vous prendre que deux ou trois minutes, s'il vous plait", insiste l'homme qui explique être avocat égyptien.

"Je ne vais pas pleurer devant votre cour. J'aimerais susciter votre compassion et attendre que justice soit faite", poursuit cet homme. "On a trop payé, on a tout perdus et on est devant vous pour que justice nous soit rendue".

L'homme qui s'est exprimé en arabe, conclut son témoignage en français. "Vive la France, vive la justice".

Une nouvelle famille s'est avancée à la barre. Une jeune femme s'exprime : "en novembre 2015, j'avais 15 ans. Cela faisait trois mois que j'étais en France. On a entendu des coups de feu. La police nous disait de rester derrière les armoires, par terre", raconte-telle en larmes.

"Il y avait du verre partout, du sang. On ne comprenait rien. On a été embarqués au commissariat de Bobigny. Ils nous ont montré des photos de gens qu'on ne connaissaient pas. On est restés jusqu'à 19h. Puis on est restés 2 semaines dans un gymnase. On n'avait pas de couverture"

Akesia, "née en Guadeloupe, donc qui fait partie de la France", témoigne à son tour. "J'étais enceinte quand j'ai pu avoir mon appartement. Mon fils était encore petit le jour où ça s'est passé"

Akésia : "je n'aurais jamais cru qu'un jour ce que j'ai vécu arriverait. Ce qu'on a vécu, je ne le souhaite à personne. Ce que j'ai subi avec mon fils, je ne le souhaite à personne."

Lucille s'avance avec son conjoint : "nous sommes les oubliés du bout de l'histoire". "Nous sommes réveillés vers 4h du matin. C'est comme dans un film d'action. Des points lumineux rouges qui bougent. Deux colonnes d'hommes."

Lucille raconte comment, réfugiée avec son compagnon dans leur dressing, ils attendent : "ça tire. Puis il y a une accalmie, l'espoir de pouvoir sortir de cet enfer. Et puis ça repart. Puis un bruit sourd, on se dit qu'on est à la merci des terroristes et qu'on va mourir".

En sortant de leur cachette, ils découvrent leur appartement : "un sniper devait être sur notre lit car une partie de la couette est brûlée. L'appartement est sans dessus-dessous. On passe la fin de journée avec ce cadavre [d'un des terroristes, ndlr] en bas de notre rue".

Lucille : "le traumatisme de cette journée est très présent et me colle à la peau. Je suis toujours dans l'observation et l'hypervigilance. Je panique dès que j'entends des bruits de pétards. Les transports en commun sont une épreuve pour moi".

Lucille : "nous tenons à remercier les hommes du Raid qui sont intervenus, particulièrement ceux qui étaient chez nous. Nous étions du bon côté des tirs".

Lucille remercie la cour "de nous avoir écouté" et annonce passer la parole à son conjoint. Mais au bout de deux phrases à peine, celui-ci s'effondre. "Jérôme ne peut pas en parler" explique sa compagne. "Je suis désolée".

Priscilla, "originaire du Pérou, arrivée en France à l'âge de 10 ans" est très émue à la barre. Elle raconte cet appartement où elle s'est installée avec sa famille. "On s'entraidait entre voisins. C'était un endroit chouette."

A son tour, Priscilla, en larmes, raconte l'angoisse, ses enfants qui se réveillent. "Je me rappelle comme si c'était hier les visages de mes enfants terrorisés".

Fin de cette dernière journée d'auditions et dernière semaine de débats. L'audience reprendra lundi à 12h30 pour les plaidoiries de parties civiles.