Procès des attentats du 13 novembre 2015 - Le Live Tweet - Semaine VINGT-SEPT
Retrouvez sur cette page tous les tweets du procès issus des Live tweets de @ChPiret Charlotte Piret et @sophparm Sophie Parmentier ; elles suivent ce procès pour France Inter et nous ont donné l'autorisation de compiler leurs tweets dans un objectif de consultation et archivage.
Semaine VINGT-SEPT
Jour 96 – Mardi 22 mars – Interrogatoires des accusés Mohamed Abrini et Mohamed Bakkali
Bonjour à tous, C'est aujourd'hui le 96e jour d'audience au procès des attentats du 13 Novembre 2015 C'est aussi la 27e semaine d'audience. C'est encore la commémoration des attentats du 22 Mars 2016 qui ont fait 32 morts et plus de 300 blessés à Bruxelles et Zaventem.
Aujourd'hui, les accusés Mohamed Abrini et Mohamed Bakkali doivent être interrogés sur la période de préparatifs allant de fin août à début novembre 2015. Ils sont les derniers à être entendus sur cette période avant que l'on attaque le moment des attentats.
L'audience reprend, en l'absence désormais habituelle de l'accusé Osama Krayem. "Je me permets de recommander le port du masque", indique le président en préambule, "vous avez entendu comme moi la recrudescence du virus. Ce serait bien qu'on puisse ne plus avoir d'interruption"
Mohamed Abrini est invité à se lever pour son interrogatoire. Rappelons, en ce 22 Mars que Mohamed Abrini est celui qui a été surnommé l'"homme au chapeau" après avoir été filmé, un bob sur la tête, poussant un chariot d'explosifs à l'aéroport de Zaventem.
Mohamed Abrini, T-shirt à manches longues couleur brique, se lève : "mesdames et messieurs de la cour, bonjour". Invité à s'expliquer sur une recherche de planque, fin août, sur la commune de Forest, Mohamed Abrini répond : "moi la seule cache que j'ai fait c'est rue du Dries"
Mohamed Abrini : "moi, monsieur le président, j'ai jamais fait de recherche ou loué de cache. C'est bien possible qu'on ait appelé avec mon numéro de téléphone mais ..." Le président : "... mais qui ?" - Ahmed Dahmani sans doute. Mais moi je suis sûr que je n'ai jamais appelé."
Président : "et après, vous bornez à Charleroi, près d'une planque". Mohamed Abrini : "j'ai sûrement du aller voir [Abdelhamid] Abaaoud. Donc c'est sûrement pour ça" - il était où Abaaoud, tiens ? "A Charleroi, dans un appartement. Je l'ai rencontré une fois là" répond l'accusé.
Président : "il était seul Abaaoud ?" "Il était avec [Chakib] Akrouh [membre du commando des terrasses, ndlr]", poursuit Mohamed Abrini sur cette rencontre avec le coordonnateur des attentats du 13 Novembre totalement ignorée jusqu'à présent.
Rappelons que l'enquête a permis d'établir qu'Abdelhamid Abaaoud était revenu de Syrie avec Ayoub El-Khazzani, assaillant de l'attentat du Thalys. Mais ce qu'il a fait et où il se trouvait entre son arrivée en Belgique début août et les attentats du 13 Novembre reste un mystère.
Le président poursuit plutôt sur la prolongation d'une location de voiture effectuée par Salah Abdeslam pour récupérer une partie des commandos terroristes qui arrivaient de Syrie. Prolongation pour laquelle le loueur, n'arrivant pas à joindre Abdeslam, a appelé Mohamed Abrini.
"Je n'ai fait aucun voyage", se défend Mohamed Abrini. Ni pour récupérer des commandos, ni pour des achats d'oxygène actif en compagnie de Salah Abdeslam, comme le soupçonnent les enquêteurs. 5 litres d'oxygène actif ont en effet été acheté en France pour la fabrication du TATP
Mohamed Abrini : "j'ai fait des choses bien plus graves que ça et j'avais mon téléphone sur moi. Mais ces voyages-là [pour l'achat de matériel, ndlr], je le conteste".
Pour expliquer le fait que son téléphone était éteint, ce qui pour les enquêteurs est un élément en faveur d'un voyage pour l'achat de matériel, Mohamed Abrini explique : "moi, je vis la nuit, je me réveille vers 18h, mon téléphone est éteint la journée. Tout le monde le sait".
Mohamed Abrini : "Je n'ai fréquenté aucune cache avant le 13 Novembre 2015. Il est possible que j'avais connaissance, peut-être, de la cache rue Henri Bergé, avant. Mais je n'y suis jamais rentré."
Devant les enquêteurs, l'accusé avait déclaré avoir vu, dans la cache, rue Henri Bergé, "la machine à coudre, des sacs avec des boulons" qui ont servi à fabriquer les ceintures explosives, rappelle le président. Mohamed Abrini : "je n'ai été dans la cache qu'après les attentats"
Mohamed Abrini énumère les différentes planques de la cellule terroriste dans lesquelles il reconnait avoir été : "moi j'ai été rue Henri Bergé, j'ai dormi là deux semaines, j'ai été rue de l'exposition à Jette, rue du Dries et rue Max Roos". Soit toutes sauf deux.
Mohamed Abrini affirme également n'avoir rencontré les frères El-Bakraoui, logisticiens en chef des attentats du 13 Novembre qu'après les attaques. "Le premier que je vois c'est Khalid, le 14 ou le 15 [novembre, ndlr]. Avant, je ne les connaissais pas."
Le président : "vous nous avez dit avoir vu [Abdelhamid] Abaaoud à Charleroi, fin août, en pleine phase de préparation". Mohamed Abrini : "oui, mais je ne savais pas qu'il y allait avoir des attentats au Stade de France, sur les terrasses et au Bataclan. J'ignorais tout ça".
Le président : vous dites avoir vu 4 armes dans les planques. C'était forcément avant le 13 Novembre Mohamed Abrini : "j'ai vu même bien plus. Mais c'était après. Ces armes-là ont été dégagées des appartements par Khalid El-Bakraoui. Les enquêteurs belges les cherchent encore !"
Le président : "il y avait des armes dans tous les appartements ? Des kalachnikovs ?" Mohamed Abrini : "dans toutes les caches, il y a armes. Ces armes-là encore aujourd'hui, les enquêteurs sont à leur recherche. Mais seul El-Bakraoui [kamikaze du 22 Mars ndlr] sait où elles sont"
Mohamed Abrini s'agace : "il faut savoir les conditions des auditions. On vous réveille à 3h du matin, on vous met un bandeau sur les yeux, de la musique, du heavy metal en allemand, à fond dans les oreilles. Entre la prison de Brugges et Bruxelles, il y a 200 km, 2 hrs de route"
Mohamed Abrini : "je m'en veux de vous dire ça parce que ça donne l'impression que j'ai envie de me plaindre. Mais c'est pour vous dire qu'après, sans avoir déjeuné, après 2 heures avec la musique à fond dans les oreilles, il faut répondre à des questions toute la journée".
Mohamed Abrini : "à cette époque-là, je sais qu'il va se passer des choses graves. Je sais qu'Abaaoud ça fait des années qu'il est en Syrie. Quand j'entends qu'il est ici, je sais qu'il n'est pas là pour faire du shopping." Président : "mais quoi ?" - je ne sais pas précisément.
Mohamed Abrini : "naïvement, après le 13 Novembre je suis retourné travailler. J'étais au snack. Quand Khalid El-Bakraoui vient me chercher, il me dit : "suis-moi, je vais te cacher dans un appartement, c'est mieux pour toi. Parce qu'ils [les policiers, ndlr] vont te soulever".
Camille Hennetier, avocate générale : "qu'est-ce que vous saviez du rôle de Salah Abdeslam [dans les préparatifs du 13 Novembre 2015, ndlr] ?" Mohamed Abrini : "il m'a dit qu'il était allé chercher des personnes [membre des commandos arrivant de Syrie, ndlr]"
Nicolas Braconnay, avocat général : "vous avez dit tout à l'heure et c'est un élément intéressant parce qu'il est totalement nouveau que vous avez rencontré [Abdelhamid, ndlr] Abaaoud à Charleroi fin août. Pour nous, Abaaoud disparaît le 17 août et réapparaît le 12 novembre."
Nicolas Braconnay (AG) : "dans le dossier, on ne sait pas où il est. Vous, vous nous dîtes qu'il est à Charleroi. Mais vous avez dit qu'il était avec Chakib Akraouh, ce qui n'est pas possible parce qu'il arrive de Syrie la semaine d'après. Vous pouvez nous en dire un peu plus ?"
Mohamed Abrini : "ce qui est sûr c'est que j'ai bien rencontré [Abdelhamid] Abaaoud, je suis resté un jour avec lui et puis je ne le revois plus jusqu'au 12 novembre." Nicolas Braconnay : "vous parlez de quoi ?" - de tout et de rien.
Mohamed Abrini au sujet d'Abdelhamid Abaaoud lorsqu'il le voit fin août 2015 : "je me souviens qu'il était blessé. Il a pris des balles dans les jambes en Syrie, il a pris des balles dans la poitrine. Il avait un énorme trou ici [il montre sa poitrine], il était encore blessé."
Mohamed Abrini : "Abaoud me parlait de son père." Nicolas Braconnay (AG) : "il vous parle du Thalys ?" - non. - vous vous voyez où ? - dans un appartement. - pas le même que celui du 12 novembre ? - si c'est le même - ce n'est pas possible, il n'est pas encore loué à ce moment-là.
Ce moment où l'accusé Mohamed Abrini s'adresse pour la deuxième fois à l'avocat général en disant "monsieur le président". "Pardon, je suis désolé, je suis un peu fatigué parce que je n'ai pas trop dormi".
Interrogé par l'avocat général sur son ADN retrouvé sur des cordes qui ont vraisemblablement servi à confectionner les gilets explosifs du 13 Novembre "parce que le 22 Mars il n'y a pas de gilet, mais des sacs d'explosifs", Mohamed Abrini répond : "je n'ai pas cousu de gilets".
Place aux questions des parties civiles. Me Sylvie Topaloff : "si j'ai bien compris, vous contestez avoir participé aux préparatifs des attentats et vous ne saviez rien ?" Mohamed Abrini : "j'ai pas dit que je ne savais rien, mais je n'ai pas acheté d'armes, préparé de gilet ..."
Me Topaloff : "vous connaissez tous les protagonistes des attentats ..." Mohamed Abrini : "pourquoi vous dites ça ? C'est déjà un mensonge, recommencez" - vous connaissez Abdelhamid Abaaoud depuis 25 ans - oui - vous êtes proche des frères Abdeslam - oui
Me Topaloff : "pourquoi vous n'êtes pas associé à cette opération terroriste ? Vous présentez toutes les conditions pour y participer ! Pourquoi Salah Abdeslam et pas vous ?" Mohamed Abrini : "j'éclairerai votre lanterne la semaine prochaine. Vous en saurez plus sur cette question"
Mohamed Abrini précise néanmoins : "vous pensez vraiment qu'ils vont confier des missions à quelqu'un qui se sait surveillé et qui n'a pas le permis. Après, est-ce que j'aurais accepté, je ne sais pas ?"
Mohamed Abrini : "aujourd'hui on est le 22 Mars je préfère qu'on parle des commémorations et des victimes plus que de moi. Mais le 22 Mars [2016, jour des attentats de Bruxelles et Zaventem, ndlr] j'ai refusé de me faire exploser, j'ai abandonné ma charge et je suis parti."
Me Topaloff: "quand vous dites deux fois que vous êtes allé dans la planque rue Henri Bergé trois semaines avant les attentats, ce n'est pas parce que vous dites 18 fois après que vous n'y êtes pas allé que ça s'annule. Ça ne se passe pas comme ça la manifestation de la vérité !"
Mohamed Abrini : "quand je vais voir Abaaoud [avant les attentats du 13 Novembre 2015, ndlr] je sais que c'est bientôt la fin pour lui. C'est mon ami, je sais que s'il est là c'est que c'est bientôt la fin pour lui, qu'il va se passer quelque chose, qu'il va aller jusqu'au bout."
Me Gérard Chemla (PC) : "vous pouvez nous dire très clairement quand vous avez vu Abdelhamid Abaaoud ?" Mohamed Abrini : "tout ce que je peux vous dire c'est que je l'ai rencontré le 12 novembre et une autre fois avant, mais je ne sais pas vous dire quand."
Me Chemla (PC) : "vous allez voir Abdelhamid Abaaoud parce que vous savez qu'il va se passer quelque chose et qu'il va mourir. Et vous ne parlez pas de ce projet ?" Mohamed Abrini : "il me parle de sa famille, de sa blessure ; mais jamais il ne me parle de ce qui va se passer."
Mohamed Abrini : "vous, vous partez du principe que j'ai toutes les réponses. Mais je vais vous dire : les 11 qu'il y a ici dans le box, c'est rien ! Ceux qui ont fait le 13 Novembre, ils ne sont plus là. Mais eux, ils avaient toutes les réponses qui pouvaient vous satisfaire."
L'audience reprend après une suspension avec les questions de la défense. Me Ronen : "vous nous avez dit que vous avez vu Abaaoud avant le 12 novembre, on est très étonnés parce que vous avez été entendu une vingtaine de fois et c'est la 1ere fois que vous vous en souvenez"
Me Olivia Ronen : "quand vous êtes arrêté, vous êtes dans quel état d'esprit ?" Mohamed Abrini : "je suis un peu abattu, mais un peu soulagé aussi parce que c'est pas simple d'être recherché par toutes les polices d'Europe.'
Me Marie Violleau, avocate de Mohamed Abrini : vous avez vu ? Vos déclarations, on en fait ce qu'on veut." "Le 22 mars, quand j'étais à l'aéroport j'étais entre deux bombes de 40 kilos." déclare Mohamed Abrini pour tenter d'expliquer ses explications fluctuantes.
Mohamed Abrini : "j'étais même prévu, moi pour le 13 [novembre, ndlr] mais je parlerai de ça la semaine prochaine". Me Marie Violleau, son avocate : "on avance un peu, on avance beaucoup même …"
Après avoir déclaré avoir vu Abdelhamid Abaaoud à Charleroi avant les attentats du 13 Novembre 2015, ce qu'on ignorait jusqu'alors, Mohamed Abrini reconnaît donc pour la première fois qu'il était prévu pour faire partie des commandos des attentats.
Me Marie Violleau évoque Laura D. "une femme que vous voyez", dont le domicile se trouve dans la même zone de bornage que la planque rue Henri Bergé. "Vous confirmez que vous n'y êtes pas allé avant le 13 Novembre ?" Mohamed Abrini : ouiFin de l'interrogatoire de Mohamed Abrini. Le président relève, suite à ses déclarations sur le 13 Novembre 2015 : "on attend beaucoup de la semaine prochaine. Ne changez pas d’état d’esprit."
Place à Mohamed Bakkali, qui ne veut toujours pas répondre aux questions mais souhaite s'expliquer "par rapport à mon droit au silence, j’ai l’impression que c’est mal compris par certains. Je voulais indiquer qu'à aucun moment ce n’est un manque de respect envers la cour."
Le président le rassure sur le fait que ce n'est pas pris par la cour comme un manque de respect. Mais "on en avait des questions, monsieur Bakkali", regrette le président. "Vous le savez : sur la location des appartements, des véhicules ..."
Mohamed Bakkali s'est rassis dans le box. Le président entame sa liste de questions sur les préparatifs des attentats du 13 Novembre 2015 : location d'appartement, de voitures, transport de futurs membres des commandos etc. Questions qui restent donc toutes sans réponse.
Rappelons que Mohamed Bakkali comparaît pour complicité d'assassinats notamment pour avoir loué deux des planques des terroristes : rue Henri Bergé à Schaerbeek et rue de l'Exposition à Jette, loué également des voitures et conduit ces voitures pour véhiculer les terroristes.
Fin des questions sans réponse du président à Mohamed Bakkali. L'avocat général Nicolas Braconnay regrette à son tour l'usage du droit au silence de l'accusé : "il nous met dans la situation de l'exercice un peu fastidieux de devoir détailler des charges sans réponse de sa part"
Outre son rôle dans les locations des planques et le transport des terroristes, l'avocat général Nicolas Braconnay rappelle que Mohamed Bakkali est également accusé d'avoir recherché des kalachnikovs pour les attentats du 13 Novembre 2015.
Me Giffard, avocate de parties civiles sur l'usage de son droit au silence par Mohamed Bakkali "et aussi monsieur Ayari qui a justifié l'usage de son propre droit au silence en disant que c'était dangereux pour des gens dans votre situation d'avoir de l'espoir."
Me Frédérique Giffard (PC) : "une de mes clientes qui prend la peine de venir régulièrement à l'audience m'a dit "pour nous, parties civiles, c'est aussi très dangereux d'avoir l'espoir d'avoir des réponses en venant à cette audience".
Me Frédérique Giffard (PC): "est-ce que vous êtes conscient de pouvoir de changer les choses, si peut-être pas pour vous, mais pour les parties civiles?" Dans le box, Mohamed Bakkali se lève : "je ne pense pas que mes réponses pourront leur apporter quelque chose".
Mohamed Bakkali : "j'ai eu un autre procès [pour l'attentat du Thalys ndlr]. Il y avait très peu d'éléments, je me suis battu, j'y ai été avec beaucoup d'espoir et il n'y a pas eu besoin de beaucoup d'éléments pour me condamner à une peine très lourde [25 ans de réclusion, ndlr]
D'autres avocats de parties civiles tentent d'inciter l'accusé à répondre aux questions. En vain. Me Cosima Ouhioun indique "que toutes les parties civiles ne partagent pas ce qui vient d'être dit et considèrent que le recours au silence est un droit qui doit être respecté"
Fin de l'interrogatoire de Mohamed Bakkali. Le président annonce la lecture des auditions devant les enquêteurs de plusieurs témoins qui devait être entendus par la cour mais qui refusent de venir à l'audience.
L'audience est sur le point d'être suspendue. Me Jean-Marc Delas, avocat de l'association
life for paris intervient pour formuler oralement sa demande de diffusion des images de l'intérieur du Bataclan ainsi qu'un extrait de l'enregistrement de l'attaque.
Le président indique à ce sujet que "cela fera l'objet d'un débat début mai". Cette fois, l'audience est belle et bien suspendue jusqu'à demain avec le retour des enquêteurs belges.
Jour 97 – Mercredi 23 mars – Auditions des enquêteurs belges
Bonjour à tous, Les enquêteurs belges sont de retour aujourd'hui au 97e jour d'audience du procès des attentats du 13 Novembre 2015. Ils doivent expliquer les derniers préparatifs des attentats dans les jours qui ont précédés le 13 novembre.
L'audience reprend, en l'absence toujours de l'accusé Osama Krayem. Le président lance la connexion avec les locaux du parquet fédéral belge pour l'audition du premier enquêteur belge, alias OP N° 447761902.
L'enquêteur belge, Power Point à l'appui, explique il va aborder aujourd'hui le fichier intitulé "13 novembre" retrouvé dans un ordinateur portable abandonné par la cellule terroriste dans une poubelle à proximité de la planque situé rue Max Roos à Schaerbeek.
C'est de cette planque louée après les attentats du 13 Novembre 2015, rappelle l'enquêteur belge, "que sont partis Ibrahim El-Bakraoui, Najim Laachraoui et Mohamed Abrini le 22 Mars 2016 pour l'attentat de l'aéroport de Zaventem.
Dans l'ordinateur portable retrouvé à proximité de la planque, explique l'enquêteur belge, était utilisé un logiciel de cryptage des fichiers. "Des précautions ont été prises sur l'ordinateur et les autres moyens de communications".
Dans l'ordinateur portable, une multitude de fichiers sont retrouvés : "des poèmes, des chants d'appel au djihad armé, des prêches, des photos des terroristes", énumère l'enquêteur. Mais également un dossier intitulé "Moutafajirat" soit "explosif en arabe", détaille l'enquêteur
Un deuxième fichier retrouvé dans l'ordinateur portable était, lui, intitulé "Targets", créé le 12 octobre 2015. A l'intérieur, plusieurs sous-dossiers : "Jeunesse catholique, royaliste, punk", "Petit peuple", "Education", "Aristocratie-bourgeoisie", "Défense"
Et enfin, un troisième fichier est retrouvé sur l'ordinateur, créé le 7 novembre 2015, et intitulé "13 Novembre". Dans ce dossier "13 novembre", plusieurs sous-dossiers également : "Groupe français", "Groupe Irakiens, "Groupe Omar", "Groupe métro" et enfin "Groupe Schiphol"
Selon les enquêteurs, le fichier "groupe français" peut correspondre au commando du Bataclan composé de trois Français, "groupe Irakiens" à celui du Stade de France qui compte deux Irakiens, "groupe Omar" à celui des terrasses, piloté par Abdelhamid Abaaoud, alias Abou Omar.
Au sujet du dossier "groupe Schiphol", "les investigations vont mettre en évidence un déplacement à l'aéroport d'Amsterdam de Sofien Ayari et Osama Krayem le 13 novembre 2015", indique l'enquêteur belge. Ils s'y rendent en bus, avec de allers simples sous de fausses identités.
"En audition, Osama Krayem confirme s'être rendu à Amsterdam le 13 novembre 2015" explique l'enquêteur belge. "A la question de savoir s'il y avait un projet d'attentat à Amsterdam le 13 novembre 2015, Osama Krayem a répondu : "je ne pense pas".
Mais devant la juge d'instruction belge, Osama Krayem indique qu'Ibrahim El-Bakraoui (logisticien en chef des attentats du 13 Novembre 2015) lui a demandé de se rendre à l'aéroport de Schiphol. Il s'y rend avec Sofien Ayari pour "voir si il y avait des casiers, des consignes".Au sujet de ce déplacement à l'aéroport de Schiphol, Osama Krayem a également indiqué à la juge d'instruction : "quand on est parti, nous n'avions ni arme, ni explosif sur nous". "Il disait ignorer que des attentats étaient prévus à Paris le même jour", poursuit l'enquêteur belge
Devant la juge d'instruction belge, Osama Krayem précise encore que Sofien Ayari et lui avaient "chacun une valise : il y avait des vêtements dedans, je crois. Je suppose car je n'ai pas vu. Je crois qu'on n'est pas partis avec des choses dangereuses", indique l'enquêteur.
Sofien Ayari, lui, "ne souhaitait pas répondre aux questions sur ce voyage à Schiphol et disait : "je compte en parler un jour mais je ne sais pas quand", explique l'enquêteur belge. Plus tard, il confirme à la juge d'instruction, s'être rendu à Amsterdam mais resté à l'hôtel.
Comme Osama Krayem, Sofien Ayari a assuré à la juge d'instruction belge qu'il n'avait "ni explosif ni arme" lors de ce déplacement à l'aéroport Schiphol d'Amsterdam le 13 novembre 2015. "On n'avait rien sur nous. Je le répète. Chaque jour, je le répéterai."
L'enquêteur revient sur la découverte de cet ordinateur portable" dans un sac poubelle déposé par Ibrahim El-Bakraoui au moment où ils partent pour l'aéroport de Zaventem [commettre les attentats, ndlr]" et retrouvé par "les ouvriers de Bruxelles-Propreté qui ont ouvert les sacs".
La 1ere assesseure rappelle que dans cet ordinateur, outre les éléments liés au 13 Novembre 2015, ont également été retrouvé "des films anciens tels que Cyrano de Bergerac, des poèmes en français et en langue arabe ..."Au sujet des deux fichiers "groupe Schiphol" et "groupe métro", l'enquêteur belge explique : "peut-être qu'ils ont utilisé le schéma pensé précédemment pour frapper en Belgique et que Schiphol est devenu Zaventem [le 22 mars 2016, où a également été ciblée le métro Maelbeek ndlr]
L'audience est suspendue avant la suite des questions, annonce le président. "On se retrouve tout à l'heure, Bruxelles". (et nous aussi).
L'audience reprend avec les questions des avocats de parties civiles à l'enquêteur belge qui, questionné sur les éventuels fichiers supprimés dans l'ordinateur admet : "on n'est pas certains d'avoir tout récupéré. Avec le logiciel de cryptage, on ne peut pas avoir accès à tout".
La connexion avec Bruxelles est interrompue pour la deuxième fois alors que Me Coviaux tente de poser ses questions à l'enquêteur belge. "Je vous assure, ce n'est pas moi qui fuit", assure celui-ci en souriant lorsqu'il réapparaît sur l'écran géant de la salle d'audience.
Ce moment où l'enquêteur belge explique les circonstances de la découverte de l'ordinateur dont il est question depuis le début d'après-midi. "Les éboueurs ont ouvert le sac poubelle, se sont aperçus qu'il y avait deux PC, une tablette et un GSM."
L'enquêteur belge poursuit : "un des PC était cassé, il manquait des touches et donc ils vont le jeter dans la benne à ordures. Puis, les éboueurs vont ouvrir l'autre PC et le remettre à la police avec le GSM. Mais pas la tablette."
La tablette gardée par un des éboueurs va finalement être récupérée par les enquêteurs. "Mais, elle avait été formatée donc on n'a rien pu retrouver dedans", indique l'enquêteur belge.
Me Olivia Ronen, avocate de Salah Abdeslam : "je suis un peu étonnée d'avoir entendu qu'un ordinateur cassé avait été jeté et que l'autre PC, les éboueurs l'ont ouvert et se sont aperçus que cela pouvoir avoir un lien avec le terrorisme ? C'est ça ?" Enquêteur belge : "en substance"
L'enquêteur belge poursuit : "sur le bureau, il y avait une photo d'hommes avec des drapeaux de l'Etat islamique". Mais Me Ronen s'étonne que cet ordinateur "pour lequel, il y a de multiples sécurité", ait pu être ouvert par les éboueurs pour qu'ils accèdent au bureau.
Me Ronen : "Peut-on exclure que les éboueurs aient eux-mêmes supprimés tous les fichiers effacés ?" Rire de l'enquêteur. "En fait, ça change beaucoup de savoir que des personnes ont pu manipuler une pièce aussi essentielle du dossier. Donc je suis très gênée", poursuit Me Ronen.
Fin de l'audition de l'enquêteur. "Merci pour ces précisions et bonsoir Bruxelles", salue le président. Qui profite qu'il soit encore tôt pour régler des questions de procédure. Entre autres, acter le refus de la juge d'instruction belge, Sophie Grégoire, de venir témoigner.
Le président procède également à la lecture des auditions de la mère du terroriste du Bataclan Foued Mohamed-Aggad, qui refuse de venir témoigner.
Le président rappelle à ce sujet qu'elle "a été condamnée, le 9 mars dernier à 4 ans d'emprisonnement dont 18 mois ferme pour financement de terrorisme en ayant faire parvenir plus de 13 000 euros à son fils en zone irako-syrienne. J'ignore si elle a fait appel."
L'audience est cette fois levée pour la journée. Reprise demain à 13h30 avec l'audition d'un deuxième enquêteur belge sur la location des planques qui ont servi aux terroristes la veille des attentats et leur départ vers Paris.
Jour 98 – Jeudi 24 mars – Suite des auditions des enquêteurs belges
Bonjour à tous, Soleil, enquêteur belge et 98e jour d'audience du procès des attentats du 13 Novembre 2015. Aujourd'hui, il doit être question des tous derniers préparatifs des attentats avec notamment la location des planques en région parisienne.
L'audience démarre avec l'audition d'une enquêtrice belge sur les derniers préparatifs. Comme d'habitude, la salle du parquet fédéral belge apparaît sur l'écran géant. Elle débute son exposé avec la journée du 8 novembre 2015, soit cinq jour avant les attentats.
Enquêtrice belge : "le 8 novembre 2015, Salah Abdeslam effectue un dépôt d'argent avec sa carte bancaire. Cet argent servira notamment à la location des véhicules le 9 novembre 2015." Elle fait projeter des images de vidéosurveillance de Salah Abdeslam à la banque.
L'enquêtrice belge évoque la location de deux voitures par Salah Abdeslam, en compagnie de Mohamed Abrini, le 9 novembre 2015. Sont projetés à l'écran les contrats de location et une photo de Salah Abdeslam dans l'agence de location.
Les deux voitures sont louées dans deux agences de location différentes (avenue de la Couronne et rue de Linthout à Bruxelles) explique l'enquêtrice belge. A chaque fois, Salah Abdeslam utilise sa propre carte d'identité.
Toujours le 9 novembre 2015, Brahim Abdeslam va lui aussi louer une voiture. Il est accompagné dans l'agence par Mohamed Amri qui a expliqué aux enquêteurs "avoir accepté d'accompagner Brahim Abdeslam parce qu'il se sentait redevable après de lui".
Les deux hommes, Brahim Abdeslam et Mohamed Amri repartent vers Bruxelles avec la voiture qu'ils ont louée, une Seat Leon, qui servira quatre jours plus tard aux terroristes pour perpétrer l'attentat des terrasses parisiennes.
Le 10 novembre 2015, Brahim Abdeslam et Mohamed Abrini quittent Bruxelles en direction de la France. "Quand Brahim m'a dit : "viens avec moi à Paris, j'ai directement accepté. J'aime bien acheter des vêtements là-bas", expliquera Mohamed Abrini aux enquêteurs.
Les deux hommes se rendent à Bobigny, où ils louent un pavillon pour une semaine : du 10 au 17 novembre 2015. Brahim Abdeslam paie la location en cash, 700 euros, précise l'enquêtrice belge. Il est alors 23h. A 1h du matin, les deux hommes sont au Blanc-Mesnil.
Au Blanc-Mesnil, Brahim Abdeslam et Mohamed Abrini tentent de louer quatre chambres dans un appart'hôtel. Mais leur carte de paiement est refusée. Ils rentrent alors à Bruxelles.
Le 11 novembre 2015, "les membres de la cellule terroriste se procurent 14 lignes téléphoniques", poursuit l'enquêtrice belge, "les numéros sont répartis entre les coordonnateurs qui restent en Belgique et les commandos qui partent en France".
Sur les 14 lignes téléphoniques, 6 vont servir à coordonner les déplacements "vers les appartements conspiratifs de la région parisienne", puis "pour la coordination des attaques" explique l'enquêtrice. Les huit autres lignes sont remises aux assaillants.
Le 11 novembre, les numéros que l'enquêtrice appelle "auteurs" car dédiés aux assaillants du 13 Novembre sont activés successivement puis "répartis et distribués entre les membres de la cellule terroriste, dans les planques de Charleroi et de Jette" explique-t-elle.
Petits problèmes de connexion avec Bruxelles. L'audition de l'enquêtrice est donc interrompue. Dans la salle, tout le monde attend silencieusement que ça reprenne.
Connexion rétablie. L'enquêtrice poursuit sur la journée du 11 novembre où Salah Abdeslam et Mohamed Abrini se rendent à Alfortville pour louer une autre planque.
En route, Salah Abdeslam explique à Mohamed Abrini qu'"ils allaient se faire exploser et que ça allait partir en cacahuète", raconte l'enquêtrice belge sur base des interrogatoires de Mohamed Abrini. Salah Abdeslam aurait ajouté : "tout le monde est là, ça va péter".
Le 12 novembre 2015, vers 3 heures sur matin, Salah et Brahim Abdeslam et Mohamed Abrini prennent la route à bord des voitures Clio et Seat qu'ils ont louées deux jours avant. "Aucune arme ne se trouvait dans les voitures à ce moment-là", dira Mohamed Abrini plus tard.
Les deux voitures se rendent rejoignent la planque située rue Henri Bergé à Schaerbeek, puis prennent la direction de Charleroi. Là, ils retrouvent Abdelhamid Abaaoud et Chakib Akrouh (commando des terrasses) et les deux Irakiens du commando du Stade de France.
A ce sujet, Mohamed Abrini dira en interrogatoire être allé à Charleroi "pour passer les derniers instants avec eux. Je savais qu'ils allaient vers la mort". Il indiquera également "avoir vu de nombreuses armes et deux valises" dans cette planque, explique l'enquêtrice.
Dans l'après-midi du 12 novembre, tous les membres des commandos prennent la route vers Paris. La Seat et la Clio partent de la planque de Charleroi, tandis que la Polo quitte la planque de la rue de l'Exposition à Jette, explique encore l'enquêtrice belge.
Vers 17h, la Clio s'arrête à une station-service. Les images de vidéosurveillance, projetées à l'audience, montrent les frères Abdeslam et Mohamed Abrini faire le plein et acheter à manger.
D'autres images de vidéosurveillance montrent Ismaël Mostefai, qui conduisait la voiture Polo avec à son bord les deux autres membres du commando du Bataclan et Bilal Hadfi, kamikaze du Stade de France, s'arrêter "pour acheter un paquet de frangipanes", précise l'enquêtrice.
Interrogée sur les utilisateurs des lignes téléphoniques des "coordinateurs", ainsi qu'elles ont été intitulées, l'enquêtrice belge indique : "on peut supposer que ce sont les frères El-Bakraoui qui étaient derrière ces lignes".
L'avocat général Nicolas Braconnay souligne la "disproportion entre l'absence totale de précaution prises par les frères Abdeslam et Mohamed Abrini pour les locations des planques, avec leurs cartes d'identité et l'utilisation de lignes téléphoniques dédiées, compartimentées etc."
Petite suspension d'audience avant la suite des questions à l'enquêtrice belge. A tout à l'heure.
Reprise de l'audience avec les questions des avocats de parties civiles à l'enquêtrice belge. Me Aude Rimailho évoque la première réservation avortée qui comptait quatre chambres, puis celle effective qui n'en compte que deux.
Me Rimailho : "on peut se poser la question de savoir si plus de personnes étaient prévues" pour faire partie des commandos. Enquêtrice belge : "je me suis posée la même question que vous. Mais on n'a pas d'éléments dans le dossier".
L'enquêtrice belge évoque le cas de Bilal Hadfi, kamikaze du Stade de France mais qui rejoint la région parisienne dans la même voiture que le commando du Bataclan : "il semble avoir été prévu au Bataclan et dans la soirée du 12, il change de planque pour aller à Bobigny."
Rappelons à ce sujet que l'accusation soupçonne Mohamed Abrini d'avoir été prévu pour faire partie des commandos du 13 Novembre ce qu'il a d'ailleurs confirmé à l'audience mardi. Son retour à Bruxelles le 12 novembre au soir aurait alors obligé les terroristes à changer de plan.
Nouveaux problèmes de connexion avec Bruxelles alors qu'on en est aux questions des parties civiles. "Il va commencer à y avoir des soupçons de la défense", lâche le président. Sourire sur les bancs. "Ah ben, je commence à être habitué".
Me Martin Vettes, avocat de Salah Abdeslam souligne "un véritable contraste entre la première phase de préparatifs des attentats entre août et octobre où il n'est pas question de Brahim Abdeslam Et quelques jours avant les attentats, il est omniprésent dans les préparatifs."
La connexion est de plus en plus instable. Le président propose une nouvelle suspension d'audience afin de tenter de résoudre ces problèmes techniques. Reprise dès que c'est résolu.
Ça y est. La connexion semble rétablie. L'enquêtrice belge en profite pour préciser qu'elle "ne déduit rien" du fait que Brahim Abdeslam n'apparait que tardivement dans les préparatifs des attentats. ... avant que la connexion ne saute à nouveau.
Me Olivia Ronen : "vous allez dire que je fais du mauvais esprit mais je pense que du présentiel [pour les auditions des enquêteurs belges qui ont refusé de venir à l'audience, ndlr] aurait évité ce genre de désagrément." Le président : "celle-là, je l'attendais bien avant !"
Le président, de plus en plus agacé : "bon, écoutez, on fai tune nouvelle suspension. Qu'il y avait une conversation entre les deux services techniques, c'est quand même pas possible, ça. A notre époque !" L'audience est donc à nouveau suspendue.
Et nouvelle reprise de l'audience ... une nouvelle fois en vain. Me Olivia Ronen : "j'essayais de vous parler de ... ... ah, il suffisait qu'on lui parle pour que l'image fige"
Le président, très très agacé : "bon, je me demande si on ne va pas suspendre jusqu'à demain. Moi je ne reste pas ici jusqu'à minuit avec des suspensions toutes les 5 minutes". La connexion revient. "Ultime tentative, lance le président, vite vite vite". Rires dans la salle.
Me Olivia Ronen rappelle que Mohamed Abrini faisait l'objet d'une surveillance judiciaire dans les mois qui ont précédé les attentats du 13 Novembre 2015 mais les images de surveillance n'ont pas été visionnées avant les attaques. "On aurait pu éviter d'être tous ici".
Fin de l'audition de l'enquêtrice belge. "On y sera arrivés, finalement", salue le président après les multiples problèmes techniques. "J'espère que demain ça ira mieux car on a de nouveau des auditions prévues en visioconférence".
L'audience est suspendue jusqu'à demain.
Jour 99 – Vendredi 25 mars – Interrogatoire d'Abdellah Chouaa et de plusieurs témoins
Bonjour à tous, 99e jour d'audience et fin de la 27e semaine du procès des attentats du 13 Novembre 2015.
Aujourd'hui, plusieurs témoins sont attendus à l'audience. C'est aussi le jour de l'interrogatoire d'Abdellah Chouaa.
L'audience reprend, en l'absence de l'accusé Osama Krayem. "On va se mettre en rapport avec Bruxelles, annonce le président, je pense que ça ira mieux aujourd'hui parce que les problèmes qu'on a rencontrés hier était visiblement généraux, ils touchaient toutes les visios".
Pour ceux qui ont raté un épisode, hier l'audition de l'enquêtrice belge a été fortement perturbée par des interruptions de connexion avec Bruxelles. «Ça ne devrait plus être le cas, parce qu'on a quand même un matériel de très grande qualité, ajoute le président Périès.
La salle du parquet fédéral belge, que l'on connaît bien désormais, apparaît sur l'écran géant de la cour d'assises. Le premier témoin, Mohamed B. est prêt pour son audition. Il indique qu'il connaissait Ibrahim et Khalid El-Bakraoui, logisticiens en chef des attentats.
Parmi les accusés, il indique connaître Mohamed Bakkali, avec qui il "vendait des électroménagers" ainsi que Yassine Atar.
"Vous avez été condamné récemment dans le cadre d'une affaire d'achat d'armes et de munitions, indique le président au témoin, je ne vais donc pas vous faire prêter serment. Mais je vous invite à parler avec franchise."
Le témoin Mohamed B. explique que "Khalid El-Bakraoui était un ami à moi, il m'a demandé d'acheter des chargeurs de kalachnikov, en vente légale en Belgique" pour le compte des frères El-Bakraoui. "Sans plus. C'est pour cela que j'ai été poursuivi."
Le président : "Khalid El-Bakraoui vous a dit pourquoi il avait besoin de chargeurs de kalachnikov ?" Témoin : "il m'a dit que c'était pour une œuvre d'art." - une œuvre d’art ? - oui, pour faire une oeuvre d'art - c'est surprenant non ? - très surprenant
Nicolas Braconnay, avocat général : "il vous demande combien de chargeurs ?" Témoin : "le plus possible" - il vous donne un budget ? - oui, 500 ou 1000 euros - et vous vous accompagnez quelqu'un dans une armurerie qui va acheter ces chargeurs ? - oui, c'est ça
L'avocat général cite des conversations tenues par le témoin, dans lesquelles il est question de "chaussettes" et de "cintres". "Cela a été interprété comme un langage codé". Le témoin l'assure : il s'agit de vraies chaussettes. "Ma femme de ménage devait venir le lendemain."
Me Orly Rezzlan, avocate de Mohamed Bakkali relève que le mot "chaussettes" retranscrit dans la conversation, s'il est dit en arabe, ressemble phonétiquement au mot "chargeur" en français. "N'importe quoi" rétorque le témoin, invité à répéter le mot en arabe à plusieurs reprises
Me Lefrancq, avocate de Kharkhach, souligne de son côté que le témoin qui a donc été condamné en Belgique pour l'achat de 14 chargeurs de kalachnikovs pour le compte de Khalid El-Bakraoui a écopé d'une peine de 40 mois de prison ferme et cinq ans avec sursis.
Me Lefrancq rappelle aussi que la qualification terroriste n'a pas été retenue contre le témoin dans sa condamnation, car il ne pouvait pas avoir connaissance du projet terroriste de Khalid El-Bakraoui, selon le tribunal belge. Le témoin a passé 11 mois en prison pour cela
Rappelons que Farid Kharkhach, jugé pour avoir fourni des fausses cartes d'identités au même Khalid El-Bakraoui est poursuivi, dans ce procès, pour association de malfaiteurs terroristes. Il encourt 20 ans de réclusion et en a déjà effectué cinq en détention provisoire.
Place au deuxième témoin de la journée. A la question de savoir s'il connaissait "les accusés avant les faits qui leur sont reprochés", l'accusé regarde le box via la visioconférence. "J'ai reconnu Yassine et un autre, en blanc, que je connais de vue, je pense qu'il s'appelle Ali
Le témoin, après avoir "présenté mes sincères condoléances à la France et aux victimes" indique "par rapport à Yassine [Atar, ndlr] et Ali [El Haddad Asufi, ndlr], je pense qu'ils n'ont rien à faire là. Ils aimaient s'amuser. J'ai pas compris ce qu'ils font là"
Le témoin, qui a été longuement hospitalisé explique-t-il, a vu Khalid El-Bakraoui "courant juin 2015 : "je me souviens, on avait rigolé, il m'avait ramené des petites tartelettes, des bonbons. Président : "vous aviez remarqué sa radicalisation ?" - non, pas du tout.
Le témoin reprend au sujet de Yassine Atar : "Franchement, j'ai pas compris ce qu'il faisait là. C'est quelqu'un qui aime bien voir des filles, sortir, rigoler, faire un karaoké."
Me Raphaël Kempf, avocat de Yassine Atar : "vous avez un surnom ?" Le témoin sourit : "Au quartier tout le monde m'appelle "tâche" parce que j'ai une tâche de naissance sur le visage." - C'est pas Momo Wéwé? - ça c'est mon pseudo Facebook. Mais vous pouvez m'appeler "Tâche".
Fin de l'audition du témoin. Le témoin suivant n'étant pas encore arrivé dans les locaux du parquet fédéral belge, le président entame l'interrogatoire de l'accusé Abdellah Chouaa, également prévu aujourd'hui. Il est question d'un déplacement à Charleroi le 2 octobre 2015
Abdellah Chouaa fait partie des trois accusés qui comparaissent libres à cette audience, donc c'est à la barre qu'il répond aux questions de la cour. Au sujet de ce voyage à Charleroi, pour lequel l'accusation le soupçonne d'avoir servi de voiture ouvreuse, il nie.
Président : "vous ne vous souvenez pas pourquoi vous êtes allé jusqu'à Charleroi et repartez après 13 minutes ?" Abdellah Chouaa : "c'est peut-être pour une rencontre, j'ai été sur un site de rencontre. Je m'en souviens plus. Mais j'ai jamais servi de voiture ouvreuse."
Président : "13 minutes pour une rencontre, c'est court quand même !" Abdellah Chouaa : "oui, mais peut-être qu'elle est pas venue. Je ne sais plus. Je comprenais pas qu'ils me disent que j'ai servi de voiture ouvreuse. J'avais une Clio ! Je me suis même énervé ce jour-là"
Abdellah Chouaa : "J'ai été à Charleroi, j'y suis déjà allé plusieurs fois. C'est à 35 minutes de chez moi. Mais je confirme que je n'ai jamais servi de voiture ouvreuse, je ne les connais pas. Ni fermeuse, monsieur le président"
Abdellah Chouaa : "j'avais une Clio 2 et je devais m'arrêter toutes les 20 minutes pour mettre de l'eau dans le radiateur. C'est impossible." Le président : "elle doit pas forcément aller vite, c'est pas un Go-fast" - moi ce que j'ai vu dans les films c'était des grosses voitures
Me Adrien Sorrentino, avocat d'Abdellah Chouaa : "si vous aviez commis des délits avec votre voiture, vous l'auriez spontanément indiqué aux enquêteurs comme vous l'avez fait dès votre première audition ?" Abdellah Chouaa : "non, je ne crois pas".
L'avocat d'Abdellah Chouaa souligne par ailleurs que son client a été mis sur écoute pas les enquêteurs belges pendant plus d'un mois. "Il y a 1276 enregistrements sonores, vous savez ce qu'il en ressort ?" Abdellah Chouaa : "non" - bah rien. Ils se sont révélés non pertinents.
Pour appuyer les explications de son client sur le fait qu'il s'est probablement rendu à Charleroi pour une rencontre amoureuse, il énumère les contacts de son répertoire téléphonique : "Dalila Lille", "Fatima Allemagne", "Nora Liège" je m'arrête là, mais il y en a beaucoup".
Fin de l'interrogatoire d'Abdellah Chouaa, le témoin n'étant toujours pas arrivé dans les locaux du parquet fédéral belge d'où il doit être entendu. L'audience est donc suspendue dans l'attente.
Le témoin est finalement arrivé, l'audience peut reprendre pour la dernière audition. Mohamed E., 33 ans, est une connaissance de l'accusé Mohamed Bakkali est poursuivi en Belgique "par rapport à une histoire d'armes dans un dossier très proche du nôtre", indique le président.
Mohamed E., visiblement en colère : "moi dans toute cette affaire, j'ai rien à voir. J'ai dit la vérité directement et on m'a fait comme si j'étais un chien. J'étais au courant de rien et on m'inculpe pour des trucs que j'ai rien à voir. "
Mohamed E. : "moi si je suis là aujourd'hui, c'est pas pour la justice, je suis là contre une personne." Le président : qui ? - celui qui est inculpé chez vous : Bakkali. A cause de lui, j'ai été dans des problèmes que j'ai rien à voir. J'ai la haine contre lui."
Président : "vous auriez eu avec monsieur Bakkali des discussions pour trouver des kalachnikovs." Témoin : "il m'a posé la question. Et après, j'ai pensé à des gens, comme ça dans ma tête. J'ai été tellement con, j'ai dit toute la vérité, c'est comme ça que j'ai été poursuivi"
Président : "Mohamed Bakkali "vous a dit pourquoi il cherchait ces armes ?" Témoin : "il m'avait dit que c'était pour des gens de Bruxelles qui voulaient braquer, il m'avait parlé de Bruxelles."
Le témoin, très ému : "moi cette affaire m'a détruit. Mon père est mort, j'ai même pas pu lui parler. Ma mère, les policiers ont débarqué chez moi, elle était toute nue dans la douche. Elle était à poil ! Vous comprenez ? Moi, la nuit je dors pas. J'ai la haine contre lui !"
La première assesseure relève que le témoin a suivi des cours en même temps qu'Ibrahim El-Bakraoui, logisticien en chef des attentats. "Oui, mais il gardait ses distances avec moi. Pas comme l'autre chien, là", lance le témoin au sujet de Mohamed Bakkali.
Le témoin répète en boucle les dommages que cette affaire a causé sur sa vie : "vous ne savez pas tout ce que j'ai subi, ce que j'ai vécu après ça !" La première assesseure l'interrompt : "j'ai une autre question ..." - oui, vous en avez rien à foutre !
Le témoin pleure : "j'ai plus envie de parler, madame." On l'entend murmurer dans le micro : "quel fils de pute". Dans le box, Mohamed Bakkali reste impassible.
La magistrate qui assiste à l'audition en Belgique propose à la cour "de prendre une petite pause de cinq minutes pour voir si monsieur peut reprendre après". "D'accord, on fait une petite pause, on reste connectés par l'image", indique le président.
La magistrate belge intervient à nouveau : "monsieur E. est prêt à reprendre son témoignage". Le président : "merci, monsieur, on a bien compris votre mal-être. Je crois d'ailleurs que vous êtes soigné pour dépression, c'est ça ?" Témoin : "vous croyez que c'est gratuit ou quoi ?"
Me Christidis (PC) : "vous avez fait une formation de cours d'arabe à Uccle. Et en audition vous avez dit : "mon frère m'a sorti de là" Témoin : "mon frère m'a dit un jour: "il faut arrêter de rigoler, il est temps de travailler. Mais c'était pas par rapport à la religion"
Me Rezlan, avocate de Mohamed Bakkali : "j'ai bien entendu votre rancoeur et je vous demande, dans la mesure du possible, d'essayer de répondre avec le moins d'émotion possible." Témoin : "évitez alors de poser des questions qui font mal à la tête. Si ça me blesse, ça me blesse"
Le témoin s'agace face à l'avocate de Mohamed Bakkali : "à votre place, je serai gêné !" Me Rezlan : "gêné de quoi ?" - de défendre des personnes comme ça. Je devrais même plus répondre à vos questions ! - monsieur, j'ai de la compassion pour vous. - c'est un cauchemar éveillé !
Le témoin, continue de s'agacer et interrompt sans cesse l'avocate de la défense qui, très calmement, poursuit ses questions au témoin. Le témoin reprend : "par rapport à ma mère ....", puis s'écroule en pleurs. Me Orly Rezlan renonce : "je n'ai plus d'autre question".
Me Johnson, autre avocat de Mohamed Bakkali se lève à son tour : "combien de temps a duré la conversation que vous avez eue avec Mohamed Bakkali et pendant combien de temps avez-vous discuté d’armes ?" Témoin : "vous croyez que je regarde l'heure? C'est quoi ces questions !"
Le témoin, à nouveau agacé : "on a parlé de tout et de rien ! De sport, même de qu'il se passait en Syrie. C'est quoi ces questions, arrêtez avec ça !" Fin de l'audition du témoin. "Merci Bruxelles", salue le président. "On aura d'autres visios, mais pas la semaine prochaine"
Le président indique que lundi, à la reprise de l'audience, "il y aura un débat concernant la diffusion d'extraits de son du Bataclan et certaines photos qui ont été demandées". L'audience est suspendue jusqu'à lundi.