Professionnel et consommateur : une loyauté réciproque ? (fr)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Auteur: Nadine Prod'homme Soltner,
Avocat au barreau de Paris
Publié le 24/09/2013 sur le blog de Maître Nadine Prod'homme Soltner


Introduction

En 1808, le Duc de Lévis écrivait « La seule garantie d’une longue paix entre deux Etats est l’impuissance réciproque de se nuire »[1]. De l’impuissance réciproque de se nuire à la loyauté réciproque, il y a la même distance qu’entre la prohibition des nuisances et le devoir de coopération… Et pourtant, comment ne pas s’amuser de cette corrélation tirée d’un recueil politique dédié à l’art de la guerre s’agissant des relations entre professionnel et consommateur ?

« Réciproque : qui marque un échange équivalent entre deux personnes »[2]. Consommateur et professionnel sont ils tenus à une obligation équivalente de loyauté ? Il est difficile d’imaginer que cette obligation qui, loin de son origine étymologique (legalis, qui est conforme à la loi) s’entend aujourd’hui dans un sens moral (qui est conforme à l’honneur, la probité, la droiture) puisse ne pas s’imposer de manière équivalente aux intéressés. Sauf à conférer à la notion de loyauté des contours spécifiques en droit de la consommation.

Il a été beaucoup écrit sur cette notion de loyauté[3] et brillamment écrit. L’objet de notre étude ne sera donc pas de revenir longuement sur son contenu. Je m’en tiendrai à rappeler la distinction de référence en la matière dégagée par Monsieur le Doyen PICOD, dès 1987, entre la loyauté assimilée non seulement à un standard de comportement, et la loyauté entendue comme un critère d’évaluation du contenu obligationnel du contrat[4]. Une notion dont le contenu a donc été étendu, mais dont les intéressés au contrat de consommation sont diversement obligés. Car, s’il ne fait nul doute que le droit de la consommation est le terrain d’éclosion du devoir de loyauté, celui-ci est très souvent cantonné, je cite, « à un devoir d’information très diversifié imposé à celui qui cherche à vendre son produit au consommateur »[5]. D’obligation à la charge du consommateur, il n’est pas fait état. Et, s’il est beaucoup écrit sur « l’obligation de prudence, de transparence du professionnel » qu’impliquerait l’obligation de loyauté, sur les « droits du consommateur », nous ne trouvons que peu d’éléments, ou des éléments éparses sur l’obligation de loyauté du consommateur[6].

Parce que cette obligation de loyauté du professionnel à l’égard du consommateur n’est pas contestée, nous nous concentrerons sur la seule réciprocité de cette obligation, et bien plus sur l’existence même d’une obligation de loyauté qui pèserait sur le consommateur.

Le consommateur est il exonéré de toute obligation ? Le mutisme du législateur consumériste à cet égard le ferait craindre. Crainte, confortée par l’arsenal législatif mis au contraire à la disposition du consommateur pour contraindre le professionnel à respecter cette obligation déclinée en obligation d’information, de coopération, de transparence... D’aucuns, s’inquiètent d’ailleurs que cette « transparence cristal »[7] voulue par le législateur consumériste dégénère, par la faute de consommateurs déloyaux, en « transparence chicane»[8].

Pourtant, l‘étude de cette question atteste du contraire : de nombreux fondements législatifs, ressortissant certes du droit commun des contrats, et la jurisprudence imposent cette obligation de loyauté également au consommateur.

Nous démontrerons donc que cette insuffisante réciprocité de l’obligation n’est qu’apparente (I), et qu’au contraire, le droit de la consommation est un des promoteurs de l’émergence d’un devoir de loyauté comme principe directeur (II).


1 - L’apparente insuffisance de réciprocité de l’obligation de loyauté en droit de la consommation

Les références à une obligation de loyauté du consommateur sont insuffisantes en droit de la consommation stricto sensu. Mais cette insuffisance est logique et relative.


A - Une insuffisance logique

Bien évidemment, la référence majeure du droit de la consommation, s’agissant de cette obligation de loyauté, est liée à la transposition de la directive européenne de 2005, sur les « pratiques commerciales déloyales ». La loi n°2008-3 du 3 janvier 2008[9] a, à cette occasion, défini les pratiques déloyales comme celles « qui sont contraire(s) aux exigences de la diligence professionnelle et (qui) altère(nt), ou sont susceptible(s) d’altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé »[10]. On observe tout d’abord que l’obligation de loyauté si elle est mentionnée désormais à de multiples endroits, ne sanctionne que les pratiques commerciales trompeuses ou agressives, donc les pratiques du seul professionnel. A titre d’illustration « l’obligation de loyauté » est mentionnée à deux reprises de manière explicite. Il s’agit des articles L212-1[11] et l’article L. 215-8[12] du code de la consommation.

Si les deux font référence à la « loyauté des transactions », ce qui pourrait dans un premier temps laisser penser qu’il s’agit d’une obligation réciproque, les deux ajoutent, pour la première que cette obligation répond à la nécessité d’assurer « la protection des consommateurs » et pour la seconde « l’intérêt des consommateurs ». Ce qui laisse penser que cette loyauté exigée ne doit servir que ces derniers.

Comment comprendre cela ? Ce cadre législatif ne peut se comprendre qu’à l’aune des fondements mêmes de l’obligation de loyauté, selon qu’elle trouve sa source dans la morale du contrat ou dans l’économie du contrat. Si on envisage l’obligation comme un outil au service de la moral, la symétrie de l’obligation de loyauté devrait s’imposer. Si on l’envisage comme un outil juridique au service de l’économie du contrat et donc de l’équilibre contractuel, il est logique, on va le voir, qu’elle puisse être imposée exclusivement à la partie la plus forte.

En la rapprochant de l’éthique, l’honnêteté, il est en effet difficile de concevoir que cette obligation ne puisse être symétrique. La morale doit être universelle et n’admet pas l’exclusion d’une partie au contrat. Or, « Le critère pertinent n’est pas la morale de la sociabilité, mais plus prosaïquement le but économique recherché »[13]. L’obligation de loyauté peut être aussi être conçue comme un moyen au service de l’économie du contrat, un outil destiné à maintenir ou assurer un équilibre, entre les acteurs du marché, soit que le risque déséquilibre est inhérent à leurs situations économiques respectives, soit qu’il l’est au regard des moyens excessifs dont dispose une des parties pour convaincre l’autre de contracter. L’objectif du droit de la consommation répond au même objet : celui de rétablir un équilibre entre professionnel et consommateur. Il est donc logique qu’il fasse peser cette obligation avant tout, voire à priori exclusivement sur le professionnel. Parce que le droit de la consommation a vocation à palier « ce déséquilibre significatif », il n’a pas à préciser les devoirs du consommateur, mais à défendre ses intérêts. L’objectif premier n’est pas de parvenir à une stricte égalité, car la différence de puissance économique, l’asymétrie d’information et de « marge contractuelle » entre les parties la rendent illusoire. C’est l’équité qui est recherchée et obtenue par une proportionnalité de l’obligation de loyauté et justifie donc la multiplication des obligations pesant sur le professionnel et le mutisme législatif à l’égard du consommateur. La loyauté joue un rôle de correctif d’équité qui tempère l’inégalité économique des parties au contrat de consommation.

Qu’il n’y ait aucune mention de l’obligation de loyauté du consommateur en droit de la consommation ne signifie pas que cette obligation n’existe pas. Cela signifie simplement que le législateur n’a pas crû bon ériger un principe là ou d’autres règles suffisent à sanctionner les comportements déloyaux. L’insuffisance est donc bien logique. Elle est aussi relative


B - Une insuffisance relative

On observera, tout d’abord – bien modestement certes – qu’il existe une disposition du code de la consommation qui impose au consommateur une obligation de bonne foi (ce n’est pas la loyauté, mais ça y ressemble), s’agissant des procédures de surendettement. On observera ensuite que la jurisprudence n’exclut totalement un devoir de loyauté du consommateur qu’en cas de non respect des obligations d’informations formalistes par le professionnel.

L’impératif de la procédure de surendettement : l’article L. 331-2 du code de la consommation subordonne la mise en œuvre de la procédure à « l’impossibilité manifeste pour le débiteur de bonne foi de faire face à l’ensemble de ses dettes professionnelles, exigibles à échoir ». Sont considérés comme débiteurs de mauvaise foi : les personnes qui ont sciemment fait de fausses déclarations ou remis des documents inexacts en vue de bénéficier de ces procédures[14]; les personnes qui ont détourné ou dissimulé leurs biens ; les personnes qui ont aggravé leur endettement en souscrivant de nouveaux emprunts ou ont procédé à des actes de disposition après l’ouverture de la procédure. Cette bonne foi s’apprécie donc tant au moment de l’ouverture de la procédure (révélation de tous les éléments d’actif et de passif), qu’antérieurement à cette procédure (l’état de surendettement ne doit pas être imputable à la mauvais foi).

(Les limites inhérentes à une obligation d’information imposée par la loi) : Il n’y a finalement qu’un domaine où la jurisprudence exclut explicitement toute exigence de loyauté du consommateur, qu’elle se refuse à considérer que son défaut puisse être sanctionné par l’exonération du professionnel de ses propres obligations. Il s’agit de l’hypothèse où le professionnel a manqué à une obligation d’information imposée par la loi.

Ainsi en est-il à l’égard de la caution. Dans un arrêt de censure, rendu sous le visa de l’article 47 de la loi du 11 février 1994, qui impose au banquier dispensateur de crédit, une obligation d’information annuelle à l’égard de la caution, la Cour de cassation a posé le principe que l’obligation d’information du professionnel « doit être respectée même lorsque le cautionnement été souscrit par un dirigeant de la société cautionnée[15]» qui n’ignorait donc pas la situation financière du débiteur principal. Ce principe vaut pour toutes les obligations d’information légale ressortissant de l’article L. 313-22 du code monétaire et financier.

Ainsi en est-il également à l’égard du bénéficiaire d’un crédit à la consommation qui obtient la déchéance du droit aux intérêts, au détriment du prêteur, dès lors que le bordereau de rétractation joint à l’offre de crédit, qui permet au consommateur de se dédire[16] ne lui a pas été transmis. La Cour de Cassation dès 1987 a estimé qu’il importe peu que cette irrégularité formelle puisse paraître bénigne, dès lors que cette obligation d’information est prescrite par le législateur.

L’illustration de ce défaut de réciprocité est aussi marquante en droit des assurances, notamment en cas de défaut de remise de la note d’information précontractuelle à l’assuré prévu à l’article L. 132-5-1 du Code des assurances en matière d’assurance-vie. Tout récemment encore, en 2007, la Cour de cassation a jugé que l’exécution du contrat par l’assuré pendant plusieurs années ne fait pas obstacle à la prorogation du délai de renonciation de 30 jours à compter de la date de remise effective de ce document, que cette faculté de renonciation « est discrétionnaire pour l’assuré dont la bonne foi n’est pas requise ». Cet attendu a le mérite delà clarté[17]. Cette solution peut surprendre. Dans certaines espèces, l’investisseur ayant versé des primes de très importantes, se prévaut de ces dispositions légales une fois constatée la chute de l’investissement. Cette faculté du consommateur de se prévaloir du non respect d’une règle légale, alors même que le défaut de remise des documents ne lui a, a priori, causé aucun préjudice, et qu’il l’a exécuté ledit contrat et ce, quelquefois pendant des années, consacre pour certains auteurs « une incohérence du consommateur qui selon son intérêt éludera à son profit ou invoquera au détriment de son cocontractant professionnel, son devoir de patience »[18].

Pourtant, à bien y réfléchir, l’impossibilité de renoncer au bénéfice d’une disposition d’ordre public est un principe général du droit, dont rien ne justifie l’exclusion. De plus, l’hypothèse du non respect du formalisme informatif est la seule hypothèse où la loyauté du consommateur n’est pas requise. On notera certes, que cela recouvre une grande partie du droit de la consommation. Est-ce choquant ? Il est permis d’en douter, pour trois raisons : d’une part, parce que c’est initialement la faute même du professionnel[19] – le non respect du formalisme informatif- qui justifie la sanction ; d’autre part, parce qu’il ne peut être renoncé à une disposition d’ordre public de protection (a fortiori de manière implicite) ; et enfin parce que les informations requises concernent des contrats d’adhésion et de masse. Le cadre restrictif et hyper protecteur du consommateur constitue alors un outil pour contraindre le professionnel à respecter ce formalisme.

Par conséquent, le principe de loyauté du consommateur à l’égard du professionnel n’apparaît pas comme un principe actif en droit de la consommation stricto sensu. En tout cas pas au point d’exiger du consommateur d’autres obligations que celles prévues dans les principes généraux du droit. Mais cela n’induit pas que le consommateur n’a aucune obligation de loyauté à l’égard du professionnel.


2 – L’émergence d’une obligation de loyauté réciproque sous forme de principe directeur

Les ressorts du droit commun sont régulièrement exploités pour consacrer la réciprocité de cette obligation (A), et la jurisprudence tend à inscrire de plus en plus l’obligation de loyauté comme un principe directeur grâce quelquefois à des raisonneents tout à fait novateurs (B).

A – Les ressorts du droit commun

Considérant que les différentes dispositions du droit de la consommation sont concentrées sur la protection préventive du consentement du consommateur, et en l’absence de dispositions particulières relatives à l’obligation de loyauté du consommateur, le droit commun a vocation à s’appliquer. On examinera les principaux fondements du droit commune exploités pour sanctionner la déloyauté, puis la façon dont la jurisprudence les a appliqués aux consommateurs.


Fondements

Ø Au stade précontractuel, la déloyauté peut être sanctionnée sur le fondement de l’abus de droit, notamment lorsqu’elle prend la forme d’une rupture abusive des pourparlers. L’abus de droit n’est en effet autre chose que la sanction de l’utilisation déloyale d’un droit


Ø Au moment de la conclusion du contrat, la déloyauté est sanctionnée lorsque le consentement a été vicié, surpris par le dol, voire la simple réticence dolosive (déloyauté du cocontractant qui à laissé son partenaire dans l’erreur, voire qui a provoqué cette erreur). Cette règle connaît cependant une limite substantielle, puisque l’acquéreur n’ pas d’obligation d’information à la charge de l’acquéreur[20], règle qui potentiellement pourrait bénéficier au consommateur.


Ø Lors de l’exécution du contrat, l’exigence de bonne foi va sanctionner la déloyauté. L’obligation est mentionnée à l’article 1134 du Code civil – « les conventions doivent être exécutées de bonne foi »- et à l’article 1135 – « les conventions obligent à ce qui est exprimé mais également à toutes les suites, que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation ». Ces articles érigent en devoir un comportement, mais aussi des actes positifs : un devoir de conseil ou de renseignement. La bonne foi qu’elle est attitude autant que certitude.


Ø Au stade post contractuel : le contractant déloyal se verra refuser certaines voies de droit.

+ Fraude paulienne du débiteur qui essaie d’organiser son insolvabilité (à rapprocher de la procédure de surendettement) ou encore sur le fondement de l’adage « nemo auditur turpitudinem allegans », qui certes devrait intervenir que dans de très rares cas pour paralyser les restitutions consécutives à la nullité.


Illustrations

Ø Droit des assurances et loyauté dans la déclaration du risque : Un emprunteur qui avait contracté à un contrat d’assurance groupe avait fait au moment de la souscription du contrat de fausses déclarations concernant son état de santé. Un accident survient et l’assureur invoquant les fausses déclarations lui refuse sa garantie. L’emprunteur prétendait opposer au prêteur un manquement à son obligation de conseil, « pour n’avoir pas attiré (son)attention (…) sur le fait qu’il est malhonnête d’essayer de tromper une compagnie d’assurance »[21]. Ces prétentions furent bien entendu rejetées par un arrêt de la Cour de Cassation du 13 novembre 1997.


Ø Droit bancaire et loyauté dans la déclaration d’endettement : Le 20 mars 2000 la première chambre civile de la Cour de Cassation a étudié une demande similaire formulée par un emprunteur à l’égard de son préteur tout aussi vainement. La Cour a refusé de retenir le manquement du prêteur à son devoir de conseil par un attendu tout à fait intéressant considérant que « l’obligation de répondre avec loyauté et sincérité aux questions posées par l’assureur (…) relève de l’obligation de bonne foi » et jugeant que « nul ne saurait voir sa responsabilité engagée pour n’avoir pas rappelé à une autre partie, le principe de bonne foi qui s’impose en matière contractuelle »[22].


Conclusion : Cette étude des ressorts du droit commun confirme ainsi l’idée selon laquelle la loyauté est en réalité en filigrane dans toutes les phases de la vie du contrat et s’impose au professionnel comme au consommateur. Les tribunaux, suivant en cela les réformes législatives successives protectrices du consommateur, imposent certes un devoir d’information du professionnel très étendu dans le temps et dans son contenu. Cette obligation à l’égard du professionnel est, on le sait, renforcée : forme de gradation qui va du devoir d’information, à l’obligation de conseil, jusqu’au devoir de mise en garde. Tandis que cette prolixité ne se retrouve pas à l’identique, à l’encontre du consommateur. Et pourtant, il existe une obligation de loyauté du consommateur à tous les stades contractuels qui ne trouvent pas son fondement dans le droit de la consommation stricto sensu, mais dans le droit commun. Le droit commun apparaît alors dans sa fonction idéale : celle du maintien de l’unité du droit[23]. La jurisprudence n’a pas hésité également à recourir à des raisonnements novateurs pour satisfaire à ce souci.


B – La ressource de raisonnements novateurs

Les ressorts du droit associés à la ressource de raisonnements novateurs conduisent peu à peu à consacrer l’obligation de loyauté comme un principe directeur du droit de la consommation. Le recours à la notion de « principe directeur » n’est pas de rentrer dans des débats ontologiques sans fin, mais de mettre en évidence les caractéristiques premières que revêt l’obligation de loyauté. L’obligation de loyauté apparait en effet comme un principe autonome, qui s’impose à tous, dépasse le cadre strictement contractuel, consacre un comportement général, quelquefois sans autre fondement que sa simple mention.

Apport de la notion de loyauté par rapport à la bonne foi – La notion de la bonne foi est la notion qui paraît la plus proche de celle de la loyauté[24]. Elle s’en distingue néanmoins par de nombreux aspects. D’une part, la loyauté va au-delà de la bonne foi quant à son contenu conceptuel. Elle implique des actes positifs : informer, adopter un comportement emprunt de transparence, de persévérance et de coopération ; et des actes négatifs : s’abstenir de tout acte susceptible de maintenir ou générer une croyance erronée ou la méconnaissance du cocontractant. D’autre part, la loyauté, embrase toute la sphère contractuelle tant au moment de la formation du contrat qu’au moment de son exécution. Au contraire, l’obligation de bonne foi suppose l’existence de liens contractuels, et même est circonscrite à l’exécution des obligations[25]. La loyauté a donc un champ d’application plus large que la bonne foi[26].

Les fondements de la loyauté varient. Elle ressort aussi parfois de raisonnements novateurs telle la règle de l’estoppel[27] selon laquelle il est «interdit de se contredire au détriment d’autrui»[28]. Cette règle fut clairement consacrée pour sanctionner un consommateur déloyal par un arrêt de la première chambre civile du 14 novembre 2001. Les faits étaient les suivants. En vertu de l’article L311-20 du code de la consommation les obligations de l’emprunteur ne prennent effet qu’à compter de la livraison. Or, en l’espèce, l’emprunteur avait fourni un certificat de livraison mensonger pour convaincre le prêteur de débloquer les fonds. L’emprunteur excipait ensuite du caractère mensonger d’un certificat de livraison pour reprocher à la banque d’avoir versé les fonds. Au terme de cet arrêt, l’emprunteur qui obtient de l’établissement de crédit le versement des fonds au vu du certificat de livraison qu’il a personnellement signé, « n’est pas recevable à soutenir ensuite, au détriment du prêteur, que le bien ne lui avait pas été livré ».

C‘est ce même principe de cohérence qui vient au soutien de la promotion de la loyauté dans les contrats lorsque le juge reproche à des créanciers d’avoir brutalement mis en œuvre des clauses résolutoires qu’ils avaient dans un premier temps négligé d’invoquer (Civ. 3ème, 8 avril 1987, n°88). Toutefois, cette interdiction ne peut venir contrarier des dispositions légales : ainsi en est-il de la faculté de dédit que la loi offre au contractant d’un crédit à la consommation (cf. infra -conforme à l’exception étudiée en première partie).

Erigé ainsi, le principe de loyauté présente les mêmes vertus que qu’une norme de régulation. Madame le professeur Malaurie Vignal l’a fait observer ce matin la législation française est marquée par le dirigisme. Et le droit de la consommation n’échappe pas à cela. Doit-on regretter qu’il n’y ait pas plus de disposition légale imposant explicitement une obligation de loyauté ? Non. Car l’émergence d’un devoir de loyauté sous forme de principe directeur offre beaucoup plus de flexibilité. Elle s’impose aux relations contractuelles ex post et ex ante, et traduit bien la nécessaire conciliation entre le droit de la concurrence et un principe a concurrentiel, la protection du consommateur. Elle constitue « une limite imposée dans l’exercice des pouvoirs et comme rééquilibrage des rapports de force »[29].

La preuve du caractère autonome du principe de loyauté est établie lorsque le juge sanctionne cette obligation sans se fonder sur une disposition explicite du droit commun. Il convient de se référer ici à l’arrêt le plus symptomatique en la matière : celui rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 30 octobre 2007. La société Cofidis avait assigné en justice des particuliers en paiement de sommes empruntées. Les défendeurs, qui avaient dissimulé des prêts en cours au moment de la souscription, prétendaient voir constater un manquement de la banque à son devoir de mise en garde. La Cour de cassation a sanctionné explicitement « la déloyauté du débiteur », en considérant que l’appréciation de la compatibilité du crédit octroyé avec la capacité de financement de l’emprunteur, devait se faire en considération des informations présentées par l’emprunteur[30]. Le partage de l’information est donc réciproque et si l’emprunteur, averti ou non, dissimule à l’emprunteur des informations, il se voit naturellement privé de la possibilité d’invoquer un manquement à l’obligation de mise en garde qui lui est due (sauf à rapporter la preuve d’une erreur ou d’une négligence du professionnel.

Alors, certes, l’adage « Nemo auditur turpitudinem allegans » aurait alors été d’un recours pertinent. La déloyauté à seule été invoquée laissant ainsi penser qu’elle s’inscrit comme un principe directeur autonome.


CONCLUSION : L’étude de la jurisprudence atteste donc de la réalité de cette réciprocité. La loyauté impose la prise en considération des intérêts d’autrui, que le cocontractant soit un professionnel ou un consommateur. Le professionnel peut rechercher un bénéfice mais celui-ci ne doit pas être exagéré, ni résulter de manœuvres ou reposer sur la crédulité d’autrui. Réciproquement, le consommateur n’est pas « exonéré » de cette obligation de loyauté. Bien plus, à l’heure ou la bonne foi est consacrée par les principes européens du droit des contrats[31], l’obligation de loyauté érigée en principe directeur, devient nécessairement réciproque. Mais elle n’est pas « équivalente » : obligation ordinaire pour le consommateur, renforcée pour le professionnel. Elle remplit alors des fonctions multiples : interprétative de la volonté des parties, complétives du contenu du contrat, limitative de l’utilisation d’un droit et adaptative des circonstances extérieurs, et ce, à tous les stades précontractuels, contractuels et post contractuel. Partant, là où l’on pouvait a priori craindre que cet exposé ne conclut à la seule présentation de consommateurs de loyauté, il ne fait nul doute qu’il ya une vraie reconnaissance de la loyauté du consommateur.


Notes et références

  1. G de Lévis, Maximes et réflexions sur différents sujets de morale et de politique, 1808
  2. V° Loyauté, Larousse 2011.
  3. Y. Picod, Le devoir de loyauté dans l’exécution du contrat, préface Couturier, LGDJ, 1989 ; M. DOUCHY-OUDOT, « La loyauté procédurale en matière civile », GP 17 novembre 2009 n° 321, P. 3 -
  4. Y. Picod, « Bonne foi et droit de la consommation », in Mélanges en l’honneur de Daniel Tricot, Ed. Litec-Dalloz, 2010, p. 121, spéc. p. 123.
  5. J.-L. RIVES LANGES, G.P., 05 déc. 2000 n° 340, P. 81.
  6. A l’exception notable de l’article de M. Y. Picod, précisément sur la « Bonne foi et droit de la consommation », art. précit.
  7. Formule du doyen Carbonnier, « La transparence », RJCOM. 1993, p. 9 et s., spéc. p. 13
  8. D. Mazeaud, « Les vices de la protection du consentement du consommateur », D, n°1, 2002, pp. 71-74.
  9. Directive 2005/29/CE du 11 mai 2005
  10. Art. 120-1 du Code de la consommation et 5-4 de la directive précitée
  11. Art. L 212-2 du code de la consommation : « Dès la première mise sur le marché, les produits doivent répondre aux prescriptions en vigueur relatives à la sécurité et à la santé des personnes, à la loyauté des transactions commerciales et à la protection des consommateurs. Le responsable de la première mise sur le marché d'un produit est donc tenu de vérifier que celui-ci est conforme aux prescriptions en vigueur. A la demande des agents habilités pour appliquer le présent livre, il est tenu de justifier les vérifications et contrôles effectués.»
  12. Art. L 215-8 du code de la consommation : « Les autorités qualifiées peuvent demander l'autorisation au président du tribunal de grande instance, ou au magistrat du siège qu'il délègue à cet effet, de consigner dans tous les lieux énumérés à l'article L. 213-4 et sur la voie publique, et dans l'attente des contrôles nécessaires, les marchandises suspectées d'être non conformes aux dispositions des chapitres II à VI et aux textes pris pour leur application, lorsque leur maintien sur le marché porte une atteinte grave et immédiate à la loyauté des transactions ou à l'intérêt des consommateurs»
  13. P. STOFFEL MUNCK, L’abus dans le contrat, Thèse Aix-Marseille, préface de R. BOUT, Paris : LGDJ, 2000, p. 81
  14. Cass. 1ère Civ 11 octobre 1994, Bull. civ. I n° 288
  15. Cass. Com., 27 novembre 2007, Revue des contrats, 1er avril 2008, n°2, p. 421, note D. HOUTCIEFF.
  16. Cass. 1ère civ., 8 juillet 1987, Rep. Def. 1997, 1354, obs. D. Mazeaud
  17. Arrêts du 7 Mars 2006, pourvois n° 05-12.338 et n° 05-10.366. Contra : Cass. Civ. 2ème 11 septembre 2008 : qui a jugé que « le rachat définitif postérieurement à l’exercice de cette faculté de renonciation équivaut à une renonciation à cette faculté de renonciation ». Toutefois, cet arrêt pourrait être interprété différemment : le rachat définitif du contrat a conduit à la résiliation du précédent. La demande de nullité devenait donc sans objet
  18. D. Mazeaud, « Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle ? », in L’avenir du droit, Mélanges F. Terré, Dalloz, PUF, Librairie technique 1999, p. 605. Dans le même sens, X. Lagarde, « Observations critiques sur la renaissance du formalisme », JCP éd. G, 1999, I, 170, no 19
  19. Rappr. N. Sauphanor-Brouillaud, obs. sous Cass. 2èmeciv., 7 mars 2006 : JCP G 2006, I, 153, spéc. no5
  20. Civ. 1ère 3 mai 2000 : CCC 2000, n°140, note L. LEVENEUR
  21. Civ. 1ère 13 novembre 1997 : RGDA 1998, p. 108
  22. « Nul ne saurait donc voir sa responsabilité engagée pour n’avoir pas rappelé son principe, ou les conséquences de sa transgression à une autre partie » : Civ. 1ère, 28 mars 2000 : D. 2000. 574, note B. BEIGNIER. Notons, que cette obligation définie au visa de l’article 1134 du code civil prescrit une obligation au stade précontractuel, alors même que cette disposition ne concerne en principe que l’exécution du contrat. Dans le même sens Cass. 1ère civ., 25 avril 2007, Les Petites Affiches n° 255 du 21 décembre 2007, p. 13, note J. Attard, « L’influence nécessaire du devoir de bonne foi à charge de l’emprunteur sur son devoir d’information ». L’emprunteur est de mauvaise foi lorsqu’il ne transmet pas une donnée relative à sa santé physique ou financière, dès lors que cette information est de nature à permettre à l’établissement prêteur d’apprécier sa capacité à faire face à ses engagements
  23. J. Calais-Auloy, « L’influence du droit de la consommation sur le droit des contrats », in L’influence du droit du marché sur le droit commun des obligations, RTD com. 51, janvier-mars 1998, p. 120
  24. V° Bonne foi, Lexique des termes juridiques, Dalloz : « la bonne foi est en premier lieu la loyauté dans la conclusion et l’exécution du contrat » ; Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique publié sous la direction de Gérard Cornu, 7ème édition, Paris : PUF, 1998, pp. 109-110 : « comportement loyal, … attitude d’intégrité et d’honnêteté »
  25. L’obligation de loyauté cesse donc lorsque la condition suspensive à laquelle les parties étaient soumis à défailli : Civ. 3ème, 14 sept. 2005 : Bull. civ. III, n°166 ;
  26. L. AYNES, « L’obligation de loyauté », Archives de philosophie du droit, 2000, n°44, p. 198. Selon cet auteur, la différence entre bonne foi et loyauté tient au fait que le devoir dé loyauté déborde largement les frontières du contrat
  27. Cass. Com. 28 septembre 2004, D 2005, p. 883.
  28. M. Behar-Touchais (dir.), L'interdiction de se contredire au détriment d'autrui, Coll. Etudes Juridiques n°12, éd. Economica, 2001 ; D. Houtcieff, « La demi-consécration de l'interdiction de se contredire au préjudice d'autrui », D. 2009, p.1245
  29. M.-A. FRISON-ROCHE, « Définition du droit de la régulation économique »…
  30. Bull. 2007, I, n°330 : « Mme X... avait dissimulé à la société Cofidis l'existence de prêts en cours de remboursement, de sorte que les éléments d'information qu'elle avait, sur la demande de cette société, portés à la connaissance de celle-ci étaient compatibles avec l'octroi de l'ouverture de crédit litigieuse, le tribunal en a exactement déduit que Mme X..., eu égard à sa déloyauté que la banque ne pouvait normalement déceler, n'était pas fondée à imputer, de ce chef, à ladite société un manquement au devoir de mise en garde auquel est tenu le professionnel du crédit à l'égard de son client non averti »
  31. art. 6 : 102 « en plus d’obligations expresses, un contrat peut contenir des obligations implicites qui découlent de l’intention des parties, de la nature, du but du contrat et de la bonne foi »


Voir aussi

« Erreur d’expression : opérateur / inattendu. » n’est pas un nombre.